La citation suivante est extraite de La théologie chrétienne de Bénédict Pictet, au livre I, au chapitre 7.
Les choses présentes ne sont pas seulement connues à Dieu, mais encore celles qui sont à venir : et on n’en peut pas douter, quand on considère que Dieu a prédit un grand nombre d’événements, plusieurs siècles avant qu’ils arrivassent. Il prédit que Pharaon endurcirait son cœur, malgré toutes les plaies dont Dieu devait le frapper ; que ceux de Keïla voulaient livrer David à Saül ; que les Égyptiens affligeraient la semence d’Abraham ; que Cyrus délivrerait le peuple des Juifs de la captivité de Babylone ; que ce peuple serait incrédule à la prédication du Messie et de ses serviteurs ; qu’ils le feraient mourir et que son disciple le trahirait. C’est par cette connaissance des choses à venir, que Dieu se distingue des fausses divinités : « Qu’on les amène, dit-il, et qu’ils nous déclarent les choses qui doivent arriver. Qu’ils nous fassent savoir les choses passées, etc. Découvrez-nous ce qui est à venir et nous reconnaîtrons que vous êtes dieux. » (Ésaïe 41,22-23)
- On ne peut pas dire sans impiété que ces prédictions de Dieu n’étaient que des conjectures : car si cela était, il s’ensuivrait que Dieu aurait pu se tromper, ce que l’on ne peut avancer sans prononcer un blasphème ; et Dieu n’aurait point donné pour une marque, à laquelle on pouvait connaître un faux prophète, celle-ci, que si la chose n’arrivait pas, il serait regardé comme un faux prophète.
- On ne peut pas dire non plus que Dieu a prédit ses actions, mais non pas celles des hommes : car il paraît par l’Écriture que Dieu a prédit et ce qu’il devait faire et ce que les hommes feraient.
- On dira peut-être qu’il y a des péchés qui sont prédits mais qu’on n’a pas prédit qui seraient ceux qui les commettraient ; que quoi qu’il soit bien dit, par exemple, que le Messie serait trahi par celui qui mangerait avec lui, Judas n’est point nommé ; mais je demande, si l’on pouvait mieux désigner ce perfide disciple ? N’entend-on pas saint Pierre, qui dit expressément que l’Esprit de Dieu avait parlé de Judas par la bouche de David (Actes 1,16), et il paraît que Jésus-Christ savait ce que Judas ferait lorsqu’il dit : l’un de vous me trahira, parlant à ses apôtres.
- On dira peut-être encore qu’il n’est pas possible que Dieu connaisse tout ce qui peut arriver ; parce qu’il y a bien des choses qui arrivent, qui pouvaient fort bien n’arriver pas. Mais on ne fera pas cette objection quand on considèrera qu’il n’arrive rien dans le monde qui n’ait été déterminé dans le conseil de Dieu, comme nous le verrons ailleurs, et quand on fera réflexion qu’il y a bien des choses que nous croyons pouvoir n’arriver pas, parce que nous ignorons la liaison qu’elles ont avec d’autres choses, qui doivent nécessairement arriver. D’ailleurs si ce raisonnement avait lieu, il s’ensuivrait que Dieu n’aurait jamais pu prévoir aucune de ces choses, que l’on regarde comme pouvant n’arriver pas, et qu’on appelle contingentes. Mais c’est ce qu’on n’a pas encore osé soutenir.
On dit que si toutes les choses futures, de quelque nature qu’elles soient, étaient connues de Dieu de toute éternité, il faudrait conclure de là que toutes choses arrivent nécessairement. Ainsi il n’y aurait point de liberté, ni de religion.
Je réponds :
- Qu’il est vrai qu’il s’ensuit de là que tout ce qui arrive arrive infailliblement, mais cela ne change pas leur nature.
- Que la prescience et le décret de Dieu ne forçant point la volonté de l’homme, on ne saurait conclure, de ce que Dieu a déterminé toutes choses, que l’homme n’a point de liberté et qu’il n’y a aucune religion.
- Il est vrai qu’il est très difficile d’accorder la liberté de l’homme avec la prescience de Dieu, mais ces deux choses ne sont pas moins constantes, que Dieu fait tout, et que l’homme est libre.
On dit que, si Dieu connaissait toutes les choses qui doivent arriver, il ne serait pas dit qu’il fut affligé de la malice des hommes et qu’il se repentit d’avoir fait l’homme (Genèse 6,6-7), et on apporte plusieurs autres passages qui semblent confirmer que Dieu a appris ce qu’il ne savait pas : Genèse 22,12, Ésaïe 5,4, Nombres 14, 12,22-23, 28-30.
Mais qui ne voit que ces choses se doivent expliquer d’une manière digne de Dieu ?
- Nous parlerons dans un autre chapitre du passage de Genèse 6,6-7.
- À l’égard du passage de Genèse 22,12 où Dieu dit à Abraham qu’il avait connu qu’il l’aimait, cela ne veut dire autre chose si ce n’est qu’Abraham avait donné une forte preuve de son amour à Dieu.
- Nous parlerons aussi ailleurs de ce qui est dit d’Ésaïe 5,4 et de l’attente de Dieu.
- Et à l’égard du passage des Nombres, il est clair que la promesse que Dieu avait faite à son peuple de l’introduire était conditionnelle.
On ne peut pas donc comparer sans impiété les prédictions de l’Écriture à celles des astronomes ou à celles des habiles politiques. Car les astronomes ne peuvent prédire certainement que les choses naturelles comme les éclipses et, à l’égard des politiques, il est constant qu’ils se trompent souvent.
Illustration : Giotto, Le baiser de Judas, freque, vers 1303-1304 (Padoue, Chapelle des Scrovegni).
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