La repentance de Dieu — Bénédict Pictet
20 mars 2023

La citation suivante est extraite de La théologie chrétienne de Bénédict Pictet, au livre I, au chapitre 10.


La repentance est une espèce de douleur : elle est aussi attribuée à Dieu en plusieurs passages. Il est dit que « Dieu se repentit d’avoir fait l’homme » (Gn 6,6) et « d’avoir établi roi Saül » (1 S 15,11). Et voici comme Dieu parle par Jérémie : « Dans un instant je parlerai contre une nation et contre un royaume pour l’arracher et pour le détruire. Mais si cette nation-là contre laquelle j’aurai parlé se détourne du mal qu’elle aura fait, je me repentirai aussi du mal que j’avais pensé de lui faire. » (Jr 18,7-10) À quoi aussi on peut ajouter ce qui est dit des Ninivites que « Dieu se repentit du mal qu’il avait dit qu’il leur ferait. » […] Il est très constant qu’il faut raisonner de la repentance de Dieu de la même manière que nous avons fait de la tristesse. Dieu ne se repent point à parler proprement. La repentance est un déplaisir, qui procède de ce qu’on reconnaît qu’on a fait quelque chose qu’on voudrait n’avoir point faite. Ceux qui se repentent de ce qu’ils ont fait se repentent parce qu’ils reconnaissent qu’ils n’ont pas prévu ce qui devait arriver ou qu’ils n’ont pas assez de puissance pour exécuter ce qu’ils ont commencé, ou leur repentance est l’effet de leur inconstance et de leur légèreté. Mais on ne peut rien dire de semblable de Dieu ; il n’est pas capable de douleur ; il ne fait jamais rien, qu’il n’ait dû faire ; il a prévu de tout temps les événements ; il peut faire tout ce qu’il lui plaît ; et il est la constance même. Aussi l’Écriture dit ailleurs expressément que Dieu ne se repent point. « Le Dieu fort, disait Balaam, n’est point un homme pour mentir, ni un fils de l’homme pour se repentir » (Nb 23,19), et Samuel disait « C’est la force d’Israël, il ne mentira point et il ne se repentira point car il n’est pas un homme pour se repentir » (1 S 15,19). « Ses dons et sa vocation sont sans repentance » (Rm 11,19), dit Saint Paul.

Quand donc l’Écriture dit que Dieu se repent, elle parle ainsi parce qu’il y a beaucoup de conformité entre l’action d’un homme qui se repent et quelques actions de Dieu.

Quand un homme se repent, il change ordinairement ce qu’il a fait ; ainsi Dieu est dit se repentir quand il tient une conduite différente de celle qu’il avait tenue auparavant ; comme quand il détruit ce qu’il avait créé. Mais voici la grande différence qu’il y a entre la repentance de Dieu et celle des hommes, c’est que les hommes voient que leurs affaires ont autrement réussi qu’ils n’avaient cru. Au lieu que, lors qu’il est dit que Dieu se repent d’une chose, c’est seulement parce que cette chose-là n’est pas telle qu’elle devrait être, quoique cela ne soit arrivé contre l’attente de Dieu. Cela paraîtra clairement par cet exemple. Il est dit que Dieu se repentit d’avoir fait l’homme, non qu’il n’eût bien prévu que les hommes se corrompraient comme ils se corrompirent ; mais pour dire qu’il voulait détruire les hommes, qui vivaient autrement qu’ils n’étaient obligés de vivre.

Cette repentance ne suppose point que Dieu change de volonté, car Dieu ne fait rien dans le temps, qu’il n’ait arrêté auparavant de faire, même de toute éternité ; ainsi quand Dieu envoya le déluge sur la terre, il est certain qu’il l’avait résolu avant la fondation des siècles.

Il faut bien distinguer ces deux propositions, changer de volonté et vouloir qu’arrive quelque changement dans les choses qu’on a faites ; Dieu ne change jamais de volonté comme nous le verrons ailleurs ; il ne veut rien à présent qu’il n’ait toujours voulu ; mais il veut bien qu’il arrive du changement dans les choses qu’il a faites, et il change de conduite quelquefois avec les créatures. Par un même acte de volonté, Dieu a arrêté de faire quelque chose, et de la détruire, quelques temps après ; et il a des raisons très sages d’en user si différemment, quoique les créatures ne puissent pas les pénétrer.

Au reste, on peut remarquer que, quand il est dit que Dieu se repent à l’égard des hommes, c’est pour nous apprendre qu’ils se sont rendus indignes des bienfaits de Dieu et qu’ils ont mérité par leurs crimes d’être exterminés, ou qu’ils se sont mis en état d’apaiser sa colère par leur repentance et par leur amendement.


Illustration : Nicolas Poussin, Le déluge universel, huile sur toile, vers 1660-1664 (Paris, Musée du Louvre).

Pierre-Sovann Chauny

Pierre-Sovann est professeur de théologie systématique à la Faculté Jean Calvin, à Aix-en-Provence. Il s'intéresse particulièrement à la doctrine des alliances, à l'interprétation des textes eschatologiques, à la scolastique réformée, aux prolégomènes théologiques et aux bons vins. Il est un époux et un père heureux.

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