Dieu change-t-il ses plans ?
24 avril 2023

Voici le texte de la visioconférence enregistrée le 27 mars 2023 et diffusée dans le cadre d’une séance de la formation « Points Chauds » organisée par le Centre de Formation du Bienenberg consacrée à la question : « Dieu change-t-il ses plans ? » En plus de ma conférence, une autre conférence pré-enregistrée par Bruno Synott a été diffusée dans lequel celui-ci a défendu, sur le même sujet, le point de vue du théisme ouvert. L’après-midi a été consacré à une discussion sur Zoom entre Bruno Synott et moi-même, avec le concours des participants de la formation Points chauds. Je reproduis ici le texte qui a servi de support à ma conférence pré-enregistrée.

Présentation

A. En quelle qualité j’interviens sur la repentance divine pour en présenter la compréhension dite du « théisme classique »

Actuellement professeur de théologie à la Faculté Jean Calvin, à Aix-en-Provence, j’enseigne les disciplines qu’on appelle théologie symbolique, théologie dogmatique et théologie systématique. Mon travail consiste à dire ce que l’Église croit, ce que l’Église doit croire à la suite de ce qu’en dit l’Écriture et à essayer de l’articuler théologiquement, c’est-à-dire de découvrir les raisons sous-jacentes qui soutiennent les articles de foi professés par l’Église. Et puisque la faculté dans laquelle j’enseigne est une faculté confessionnelle, ancrée dans une tradition théologique bien spécifique – comme c’est aussi le cas du Centre de formation du Bienenberg – j’enseigne ces disciplines avec un angle résolument confessionnel, que l’on peut qualifier de réformé ou de calviniste. Et c’est pourquoi, la fois précédente où j’avais participé à cette formation Points chauds (c’était il y a deux ans), j’étais venu représenter parmi vous la sensibilité et la théologie calviniste, en tant que telle, sur la question houleuse de la prédestination.

Je suppose que j’ai été choisi par les organisateurs de cette formation pour défendre les arguments du théisme dit classique concernant le thème de la repentance divine – c’est-à-dire le fait que Dieu change ou non ses plans – dans le prolongement du débat que Denis Kennel et moi-même avions eu à l’époque, puisqu’il s’était avéré qu’une assez longue partie de la discussion avait dérivé sur cette question du théisme classique (que je défendais) et du théisme ouvert (qu’il défendait). Initialement, c’est d’ailleurs avec lui que je devais débattre de cette question cette fois-ci, et je souhaite à Denis un plein rétablissement pour qu’il puisse revenir, par la grâce de Dieu, au meilleur de sa forme. J’en profite pour salue également M. Bruno Synott, quoique je ne le connaisse pas encore, et dont je vais découvrir en même temps que vous la teneur exacte de sa contribution sur cette question, du point de vue du théisme dit ouvert.

L’ironie de l’histoire, c’est que si, dans le débat précédent, j’avais défendu la conception calviniste concernant la prédestination (faisant valoir la compatibilité non seulement philosophique mais plus encore biblique des thèmes d’une souveraineté divine englobante et de la liberté des choix des créatures rationnelles) contre la conception arminienne et celle du théisme ouvert, qu’unit toutes deux la conviction d’une incompatibilité de principe entre une authentique liberté humaine et un contrôle divin exhaustif sur les décisions humaines, cette fois-ci, je viens pour défendre la position qui englobe à la fois le calvinisme et l’arminianisme, et qui dépasse en quelque sorte la question technique de la prédestination, pour m’opposer, au côté des frères arminiens classiques, aux propositions novatrices du théisme ouvert, selon lequel Dieu peut vraiment changer ses plans, parce qu’il ne connaît pas exhaustivement l’avenir, les futurs contingents n’ayant pas d’existence propre aux yeux de ses partisans, et n’étant par conséquent pas connaissables par Dieu.

Ainsi, si je vais intervenir en tant que théologien très nettement identifié comme calviniste, pour cette fois-ci je représenterai également des arguments communs avec les frères évangéliques de sensibilité arminienne classique, qui maintiennent de toutes leurs forces que Dieu connaît exhaustivement l’avenir, et qu’il n’a donc pas besoin de changer ses plans. Lorsque j’énoncerai un argument spécialement calviniste, je dirai donc expressément que c’est le cas.

B. Un mot sur la manière dont je lis la Bible en doctrine de Dieu

Dans ce mot de présentation, il m’a aussi été demandé de dire brièvement ce qu’est la Bible pour moi. Pour le dire de manière brève mais condensée, la Bible est pour moi comme pour toute la tradition réformée évangélique, et à vrai dire pour l’immense majorité du mouvement évangélique, la Parole écrite de Dieu. Dieu s’est révélé de diverses manières, et les Écritures sont la mise par écrit de cette révélation divine, un compte-rendu lui-même inspiré de Dieu, et qui pour cette raison est lui aussi révélation proprement divine. Lorsque l’Écriture dit quelque chose, c’est Dieu qui nous le dit. Et cela signifie que lorsque la Bible dit que Dieu se repent de quelque chose, c’est-à-dire qu’il change d’avis, nous allons devoir en tenir compte ; et lorsque ailleurs, ou dans le même passage, elle dit que Dieu n’est toutefois pas un homme pour se repentir, c’est-à-dire qu’il ne change pas d’avis, nous allons devoir également en tenir compte ; et que si la Bible juge bon à la fois de nous dire que Dieu se repent et pourtant qu’il ne se repent pas, alors c’est que nous devons contempler ce Dieu qui est un mystère et ne pas résoudre la contradiction apparente en éliminant hâtivement l’une des variables de l’équation.

Sur un sujet comme celui-ci, qui concerne la « théologie proprement dite », c’est-à-dire la doctrine de Dieu, il est important de procéder avec méthode, en tenant compte de tout le donné scripturaire, et de bien percevoir le caractère analogique de tout discours positif (même biblique) sur Dieu : parce que notre Dieu est à la fois le Dieu qui se cache (Ésaïe 45,15) et le Dieu qui se révèle pourtant dans toute l’Écriture, parce qu’il est le Créateur séparé des créatures, c’est-à-dire que l’on ne peut comparer à aucune créature qui lui ressemblerait vraiment (Ésaïe 40,25), parce que personne ne connaît la pensée du Seigneur (Romains 11,34), parce que ses pensées ne sont pas nos pensées (Ésaïe 55,8), une réflexion sur le langage humain que nous employons pour parler de Dieu, et que Dieu consent lui-même à employer pour nous parler de lui, est indispensable : toute chose que nous dirons de Dieu, et que Dieu lui-même dit de lui, est dite avec des mots qui concernent dans notre expérience commune des relations entre les créatures (et non entre le créateur et la création). Il faudra donc, dans toutes les affirmations faites sur Dieu, même par la sainte Écriture, distinguer dans un tel langage créaturel ce qui relève d’une ressemblance entre la créature et le créateur et ce qui relève d’une dissemblance plus grande encore. Il s’agit d’une ascèse, d’une discipline qu’il faut s’imposer dans notre réception du texte biblique pour ne pas développer une conception humaine, trop humaine de ce Dieu qui, bien qu’il ait voulu se révéler à nous (et qui l’a vraiment fait), demeure celui qui réside dans une lumière inaccessible.  C’est ce que je vais tenter de faire dans la présentation qui va suivre sur le thème qui nous intéresse aujourd’hui.

I. Deux citations pour commencer

Dieu change-t-il ses plans ? Au moment d’entrer à proprement parler dans cet exposé sur la repentance divine – c’est-à-dire sur la question de savoir si Dieu peut ou non changer d’avis – telle qu’elle est conçue par ce qu’on appelle désormais le « théisme classique » et dont vous voyez par son nom qu’il s’oppose à des conceptions plus modernistes, qu’on pourrait qualifier de « théisme mutualiste », parce que le créateur et les créatures agissent mutuellement l’un sur l’autre et s’affectent mutuellement l’un l’autre, j’aimerais commencer par deux citations.

A. La perspective calviniste de la confession de Westminster

La première citation est celle que j’avais communiquée il y a plus d’un an aux organisateurs de la formation Points chauds, lorsqu’il m’avait été demandé de résumer en quelques phrases la position que je pensais défendre. Le réflexe du théologien réformé, dans ce genre de cas, est souvent d’abord d’aller voir s’il n’y aurait pas par chance un énoncé confessionnel, c’est-à-dire une section d’une des grandes confessions de foi ou catéchisme de la réformation calviniste, qui synthétiserait déjà dans une jolie formule ce que les théologiens ancrés dans la tradition théologique et ecclésiale qu’on appelle réformée disent qu’il faut croire à ce sujet. C’est donc ce que j’avais fait à l’époque, en n’ayant pas du tout conscience que je viendrais en fait défendre autre chose que la posture du calvinisme confessionnel, mais en affirmant au contraire quelque chose qui relevait d’un consensus unanime des Églises chrétiennes des origines au dix-neuvième ou vingtième siècle. Cette citation calviniste qui résume admirablement les spécificités de la position calviniste à ce sujet, je l’ai trouvée dans la Confession de foi de Westminster (un document du XVIIe siècle). Elle déclare ceci au premier paragraphe de son troisième chapitre :

De toute éternité et selon le très sage et saint conseil de sa propre volonté, Dieu a librement et immuablement ordonné tout ce qui arrive ; de telle manière, cependant, que Dieu n’est pas l’auteur du péché, qu’il ne fait pas violence à la volonté des créatures, et que leur liberté ou la contingence des causes secondes sont bien plutôt établies qu’exclues.

Cette citation donne l’argument théologique principal du théologien réformé contre l’idée que les plans divins puissent changer : les plans de Dieu ne peuvent pas changer, puisque, de toute éternité et selon le très sage et saint conseil de sa propre volonté (qui est celle d’un Dieu tout-puissant, tout sage, tout juste, tout amour, etc.), il a librement (c’est-à-dire sans y être contraint par rien ni personne, si ce n’est par ce qu’il est en lui-même) et immuablement (c’est-à-dire de manière éternelle, définitive, qui n’évolue pas au cours du temps, qui ne change jamais) ordonné tout ce qui arrive (c’est-à-dire que ce décret divin éternel a ordonné tout ce qui arrive avant la fondation du monde !). Il y a là le cœur de la défense spécialement calviniste du théisme classique : Dieu ne change jamais ses plans, car ses plans sont faits de toute éternité, qu’ils englobent déjà toute chose, et que c’est la nature même du décret (ou du plan) divin d’être éternel et immuable. Vous voyez ici que c’est une question de définition : par définition, pour les calvinistes, le décret divin englobe tout de toute éternité. Tout ce qui advient est dès lors immuable.

Et donc, si j’avais voulu m’en tenir à mon premier mouvement spontané, j’aurais passé le reste de cet exposé à vous parler des fondements bibliques de la conception réformée d’un décret divin universel, éternel et immuable.

Il se trouve toutefois qu’en travaillant un peu plus en profondeur la question qui nous était proposée, je me suis rendu compte que la ligne de partage ne passait cette fois-ci pas tant, comme c’est le cas pour la prédestination, entre le calvinisme d’une part (qui professe que Dieu choisit de sauver des hommes inconditionnellement, qu’ils sont issus d’une même masse de perdition et que rien ne distingue réellement en eux-mêmes ceux qu’ils choisit de sauver de ceux qu’il laisse dans leur perdition) et l’arminianisme d’autre part (qui professe que Dieu choisit de sauver des hommes conditionnellement, c’est-à-dire en prévision de la foi qu’ils choisiront de librement placer en lui), car, il se trouve que les arminiens classiques défendent tout autant que les calvinistes les thèses du théisme classique relatives à l’impassibilité divine (le fait que Dieu n’a pas de passion, que les créatures n’agissent pas sur lui, ne le surprennent pas, que Dieu ne souffre pas, mais qu’il est le Dieu bienheureux qui réside dans une lumière inaccessible), à l’immutabilité divine (le fait que Dieu ne change pas, qu’il n’évolue pas au cours du temps, qu’il n’a pas à s’adapter à la créature), à l’actualité pure divine (le fait que Dieu est toujours tout ce qu’il peut être), à l’omniscience divine exhaustive (c’est-à-dire que Dieu connaît tout ce qu’il y a à savoir, ce qui englobe ce qui a été, ce qui est mais aussi ce qui sera). J’ai pris conscience que, sur ce point, la ligne de partage chez les protestants ne passait pas entre ceux qui croyaient à un décret divin universel et ceux qui n’y croyaient pas, mais entre ceux qui croyaient en un Dieu qui connaissait exhaustivement l’avenir (les théistes classiques), et ceux qui n’y croyaient plus (dont les théistes ouverts). J’expliquerai bientôt pourquoi. 

En tout cas, l’opposition entre le théisme dit « classique » et le théisme dit « ouvert » porte donc non pas tant sur la nature du décret divin que sur ce que Dieu connaît de l’avenir : la position propre à l’augustinisme (dont le calvinisme est sur ce point un prolongement protestant) concernant le décret divin ne sera donc pas explorée plus que cela dans cet exposé. Ce n’est pas spécialement le calvinisme, qu’en qualité de professeur de dogmatique à la Faculté Jean Calvin je représente toutefois, que je vais défendre, mais une perspective beaucoup plus large, dans laquelle la querelle sur la prédestination entre calvinistes et arminiens est comme momentanément dépassée. Cela signifie que cette première citation, qui devait au départ servir de référence constante à l’exposé que je voulais faire à ce sujet, nous la laissons maintenant de côté. Dieu ne change pas ses plans, mais ceux qui comme moi défendent que Dieu n’en change pas, changent, eux, souvent leur plan !

B. La perspective thomiste de la Somme de théologie

À la place, je vais proposer une autre citation pour guider notre réflexion, que l’on trouve chez Thomas d’Aquin, dans son ouvrage le plus connu : sa Somme de Théologie. Voici ce que nous y lisons :

La volonté de Dieu est absolument immuable. Mais à cet égard il faut songer qu’autre chose est changer de volonté, autre chose est vouloir le changement de certaines choses. Quelqu’un peut, sa volonté demeurant toujours la même, vouloir que ceci se fasse maintenant, et que le contraire se fasse ensuite. La volonté changerait si quelqu’un se mettait à vouloir ce que d’abord il ne voulait pas, ou à cesser de vouloir ce qu’il voulait d’abord. Cela ne peut arriver que par un changement soit dans la connaissance, soit dans les conditions existentielles de celui qui veut. En effet, la volonté, ayant pour objet le bon, un sujet peut commencer à vouloir une autre chose de deux façons. D’abord, si cette chose commence à être bonne pour lui, et cela n’est pas sans changement de sa part, comme, lorsque le froid arrive, il devient bon de s’asseoir près du feu, ce qui auparavant ne l’était pas. Ou bien le sujet vient à reconnaître que cela lui est bon, alors qu’il l’ignorait auparavant ; car si nous délibérons, c’est pour savoir ce qui nous est bon. Or, on a montré plus haut que la substance de Dieu et sa science sont absolument immuables l’une et l’autre. Il faut donc que sa volonté, elle aussi, soit absolument immuable. 1

C’est là une déclaration extrêmement dense, et je suppose que vous n’avez pas tout compris ce qu’il y a dedans à la première lecture. En fait, je ne prétends pas que vous aurez tout compris ce qu’il y a dedans au terme de cet exposé, mais j’espère que vous en aurez tout du moins une plus grande compréhension.

La raison pour laquelle j’ai retenu cette citation, d’un auteur médiéval considéré comme l’un des principaux docteurs de l’Église catholique romaine (ce qui vous montre bien que j’adopte une posture qui transcende non seulement le clivage calviniste/arminien, mais aussi le clivage catholique/protestant), et que j’ai choisi de vous la présenter d’emblée, c’est qu’elle va nous être utile, tout au long de cet exposé, pour définir la teneur de la position théologique « classique » concernant aussi bien le rapport de Dieu à l’avenir et ce qu’il en connaît, que la question de savoir si sa volonté peut évoluer au gré des circonstances. La réponse de Thomas, et de toute la « tradition classique », est un « non » très ferme, et nous allons essayer d’en présenter les raisons dans ce qui suit, sans distinguer spécialement, au sein de la tradition protestante, entre les calvinistes classiques et les arminiens classiques qui ont tous admis autant les uns que les autres (jusqu’à un passé très récent) que le thème biblique de la repentance divine était une manière de parler métaphorique, c’est-à-dire une analogie, une comparaison.

II. Une contradiction scripturaire : Dieu se repent souvent et pourtant il ne peut se repentir

Venons-en à la raison principale pour laquelle il peut y avoir débat sur la question de savoir si Dieu peut changer ou non ses plans : c’est que l’Écriture est, sur sujet, de prime abord ambiguë, semblant formellement dire une chose et son contraire.

A. Les nombreux textes qui attribuent à Dieu une repentance

D’un côté, il y a les nombreux textes qui attribuent à Dieu un regret ou une repentance (selon les traductions), c’est-à-dire un changement d’avis. Avant d’aller plus loin, une précision de langage est utile : lorsqu’il est question de la repentance divine, il ne s’agit pas d’une repentance concernant le péché – comme c’est le cas pour le chrétien. Il est impossible que Dieu pèche et il ne s’agit aucunement de discuter d’une repentance divine concernant le péché : Dieu ne se repent d’aucun péché, parce que Dieu ne pèche jamais ! Mais il faut plutôt comprendre le thème de la repentance de manière un peu plus large, comme une espèce de douleur qui provient d’une prise de conscience que ce qu’on n’avait décidé de faire n’aurait pas dû être fait, ou que ce qu’on avait décidé de ne pas faire aurait dû être fait. Et il se trouve que le langage de cette forme particulière de douleur qu’est la repentance se trouve de nombreuses fois employé pour parler de Dieu.

Nous lisons ainsi très vite dans la Bible, en Genèse 6,6, que « Dieu se repentit d’avoir fait l’homme ». Dans un texte sur lequel nous nous arrêterons plus longuement, nous lisons de même que « Dieu se repentit d’avoir établi roi Saül » (1 Samuel 15,11). Et voici comme Dieu parle par Jérémie : « Dans un instant je parlerai contre une nation et contre un royaume pour l’arracher et pour le détruire. Mais si cette nation-là contre laquelle j’aurai parlé se détourne du mal qu’elle aura fait, je me repentirai aussi du mal que j’avais pensé de lui faire. » (Jérémie 18,7-10) Jérémie applique d’ailleurs lui-même ce principe à une situation historique qui avait eu cours plus tôt, à l’époque du roi Ézéchias : « Michée, de Moréscheth, prophétisait du temps d’Ézéchias, roi de Juda, et il disait à tout le peuple de Juda : “Ainsi parle l’Éternel des armées : ‘Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de pierres, et la montagne de la maison une haute forêt’”. Ézéchias, roi de Juda, et tout Juda l’ont-ils fait mourir ? Ézéchias ne craignit-il pas l’Éternel ? N’implora-t-il pas l’Éternel ? Alors l’Éternel se repentit du mal qu’il avait prononcé contre eux. » (Jérémie 26,18-19). Et ne faut-il pas aussi se rappeler que c’est ce même roi Ézéchias qu’Ésaïe vint un jour trouver en lui disant : « Ainsi parle l’Éternel : “Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir, et tu ne vivras plus.” » (2 Rois 20,1), et nous lisons alors l’émouvant récit qui suit jusqu’au v. 5 :

Ézéchias tourna son visage contre le mur, et fit cette prière à l’Éternel : « Ô Éternel ! souviens-toi que j’ai marché devant ta face avec fidélité et intégrité de cœur, et que j’ai fait ce qui est bien à tes yeux ! » Et Ézéchias répandit d’abondantes larmes. Ésaïe, qui était sorti, n’était pas encore dans la cour du milieu, lorsque la parole de l’Éternel lui fut adressée en ces termes : « Retourne, et dis à Ézéchias, chef de mon peuple : “Ainsi parle l’Éternel, le Dieu de David, ton père : ‘J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes. Voici, je te guérirai ; le troisième jour, tu monteras à la maison de l’Éternel.’” »

À quoi aussi on peut ajouter ce qui est dit des Ninivites que « Dieu se repentit du mal qu’il avait dit qu’il leur ferait. » (Jonas 3,10). De même, nous lisons qu’après l’intercession de Moïse, « l’Éternel se repentit du mal qu’il avait déclaré vouloir faire à son peuple » (Exode 32,14). Et encore en 2 Samuel 24,16 et dans son parallèle en 1 Chroniques 21,15 : « Comme l’ange étendait la main sur Jérusalem pour la détruire, l’Éternel se repentit de ce mal, et il dit à l’ange qui faisait périr le peuple : Assez ! Retire maintenant ta main. » Et encore, dans le livre d’Amos, nous lisons à deux reprises au chap. 7 comment le prophète évita à son peuple un grand malheur :

Le Seigneur, l’Éternel, m’envoya cette vision. Voici, il formait des sauterelles, au moment où le regain commençait à croître ; c’était le regain après la coupe du roi. Et comme elles dévoraient entièrement l’herbe de la terre, je dis : « Seigneur Éternel, pardonne donc ! Comment Jacob subsistera-t-il ? Car il est si faible ! » L’Éternel se repentit de cela. « Cela n’arrivera pas », dit l’Éternel. Le Seigneur, l’Éternel, m’envoya cette vision. Voici, le Seigneur, l’Éternel, proclamait le châtiment par le feu ; et le feu dévorait le grand abîme et dévorait le champ. Je dis : « Seigneur Éternel, arrête donc ! Comment Jacob subsistera-t-il ? Car il est si faible ! » L’Éternel se repentit de cela. «Cela non plus n’arrivera pas », dit le Seigneur, l’Éternel.

Et en Osée 11,9 : « Je n’agirai pas selon mon ardente colère, Je renonce à détruire Éphraïm ; Car je suis Dieu, et non pas un homme, Je suis le Saint au milieu de toi ; Je ne viendrai pas avec colère. »

Ces textes assez nombreux, et il y en a encore quelques autres, attribuent tous à Dieu un regret, une repentance, un changement d’avis, un changement de plan, voire une renonciation !

B. Les textes peu nombreux qui nient que Dieu puisse se repentir

Mais ce n’est pas tout ce qu’il y a à dire bibliquement de la question. Car à côté de ces assez nombreux textes, il y en a quelques-uns, certes beaucoup moins nombreux mais bien là, qui affirment très nettement l’impossibilité d’une repentance divine proprement dite.

Nous lisons ainsi dans la bouche de Balaam, qui reprend Balaq roi de Moab pour sa prétention à faire changer Dieu d’avis : « Dieu n’est point un homme, pour mentir ; il n’est pas un fils d’homme, pour se repentir ». De même en 1 Samuel 15,29, sur lequel nous allons revenir plus longuement, nous lisons que : « Celui qui est la force d’Israël ne ment point et ne se repent point, car il n’est pas un homme pour se repentir ». Il y a d’autres passages qu’on pourrait peut-être évoqués ici, mais ils sont d’une moindre force car il concerne des cas particuliers où Dieu atteste qu’il ne va pas changer d’avis, mais dont on ne peut pas tirer pour autant qu’il ne change jamais d’avis, comme ça semble être l’affirmation de ces deux passages que nous venons de citer.

Les textes qui vont en sens contraire de ceux qui attribuent une repentance à Dieu sont donc bien moins nombreux. Pour autant, ils n’en sont pas moins forts ! La situation, ici, est un peu la même que pour les centaines de textes qui parlent des bras et de la bouche, des mains et des pieds, des yeux et même des narines de Dieu qui sont en très grande quantité. Et en face de cela, nous avons un texte qui dit que Dieu est esprit (un esprit, c’est un être incorporel, sans corps) et cinq ou six autres qui disent que Dieu est invisible (ce qui n’est pas la caractéristique habituelle d’un corps comme vous et moi les connaissons). Et c’est tout ! Pour autant, le texte qui dit que Dieu est esprit et les quelques-uns qui disent que Dieu est invisible ne sont pas à prendre à la légère. De même, nos deux textes qui disent que Dieu n’est pas un homme pour se repentir ne doivent pas l’être non plus, en particulier parce que ces textes signalent expressément ce en quoi Dieu n’est pas comme l’homme, ce qu’il y a de profondément dissemblable entre le créateur et la créature.

III. Il paraît impossible, lorsqu’on y réfléchit, que Dieu puisse, à proprement parler, changer d’avis

C’est à ce stade qu’il faut dire que, si l’on réfléchit suffisamment à ce que disent ces deux séries de textes de manière apparemment (et même formellement) contradictoire, il paraît toutefois impossible que Dieu puisse, à proprement parler, changer d’avis. Pour vous montrer pourquoi j’énonce aussi hardiment une telle conclusion, je vous propose de considérer à titre d’exemple deux énoncés que nous avons déjà cités dans les listes de versets que nous avons lus il y a un instant, et qui se trouve dans le même passage.

En 1 Samuel 15,10-11a, nous lisons que : « L’Éternel adressa la parole à Samuel, et lui dit : “Je me repens d’avoir établi Saül pour roi, car il se détourne de moi et il n’observe point mes paroles” ». Au verset 29 du même chapitre, Samuel s’exclame en sens inverse que : « Celui qui est la force d’Israël ne ment point et ne se repent point, car il n’est pas un homme pour se repentir ».

Nous avons, au sein du même passage, une contradiction dans les termes : Dieu énonce lui-même à son sujet qu’il « se repent » d’avoir fait Saül roi d’Israël ; mais lorsque son porte-parole autorisé vient s’acquitter de sa mission d’annoncer au roi sa déchéance de la royauté, il lui déclare que Dieu « n’est pas un homme pour se repentir ». Puisque la repentance dont il est question ici est le strict équivalent d’un changement d’avis ou d’un changement de plan, la question que soulève ce passage est donc la suivante : Dieu peut-il changer parfois d’avis, comme il l’annonce lui-même au v. 11 ? Ou ne change-t-il jamais d’avis, étant Dieu, comme le suggère le prophète Samuel ? Une contradiction aussi flagrante au sein d’un même texte appelle immanquablement le lecteur à la réflexion pour savoir comment hiérarchiser et harmoniser ces deux déclarations apparemment mutuellement exclusives.

Certains commentateurs de ce texte ont cherché à évacuer la difficulté en en créant une autre. Ils supposent alors :

  • que le texte de 1 Samuel 15 tel qu’il nous est parvenu est en fait le produit d’une longue histoire de traditions concurrentes sur Samuel et Saül ;
  • que certaines de ces sources concevaient Dieu comme réellement capable de se repentir, et d’autres comme incapable de le faire ;
  • que le rédacteur de l’édition finale aurait été incapable de choisir entre les déclarations contradictoires de ces deux types de sources, et qu’il aurait donc, consciemment ou inconsciemment, choisi de laisser une contradiction dans le texte.

Une telle proposition implique que le texte contienne finalement, non pas une contradiction apparente, mais une contradiction réelle. Puisque les Saintes Écritures se présentent elles-mêmes comme la parole inspirée de Dieu mise par écrit, et puisque Dieu, lorsqu’il nous parle, ne saurait se tromper ou nous mentir, il s’ensuit qu’une telle « solution » n’est pas admissible pour le lecteur qui accepte la Bible comme elle se présente : la parole même de Dieu.

Il faut donc chercher une manière d’harmoniser les deux déclarations formellement contradictoires : Dieu change parfois d’avis et il n’en change jamais. Laquelle doit être prise telle quelle, et laquelle doit être prise comme une manière de parler qui, bien comprise, nous dit véritablement quelque chose sur Dieu, mais pas de la manière dont nous pouvions le penser au premier abord ?

A. Remarque méthodologique : comment faire face à une contradiction scripturaire de ce type ?

Une remarque méthodologique avant d’entrer dans l’étude du texte lui-même – une remarque déjà formulée lorsque je me suis présenté, et que je vous ai dit qu’en doctrine de Dieu il fallait être très précautionneux dans ce qu’on affirmait de lui.

Le risque principal, en effet, lorsque nous réfléchissons aux attributs divins (c’est le cas ici : on se demande comment attribuer la repentance à Dieu), est d’affirmer au sujet de Dieu des choses que nous devrions nier le concernant, ou de nier à son sujet des choses que nous devrions affirmer. Dit autrement, il y a un risque important que nous nous fassions une mauvaise image de notre Seigneur, et que nous transmettions à d’autres cette fausse image de lui : à Dieu ne plaise !

Il est donc important de savoir comment prendre ces deux affirmations ensemble (Dieu se repent parfois, pourtant il n’est pas un homme pour se repentir) sans se faire soi-même une fausse image de lui, ni la communiquer à d’autre.

B. Remarques exégétiques : focus sur la contradiction au sein du texte de 1 Samuel 15

Cette remarque méthodologique rappelée, il nous faut maintenant dire une série de choses sur la repentance de Dieu d’avoir établi roi Saül, en situant cette repentance divine dans le contexte de la royauté dont Saül a été investi plus tôt dans le récit. 

Le récit en 1 Samuel 8-12 de l’établissement de Saül comme roi nous fournit en effet le contexte de l’interprétation de nos deux versets. Au terme de ces chapitres, Samuel résume la situation ainsi : « voyant que Nachasch, roi des fils d’Ammon, marchait contre vous, vous m’avez dit : “Non ! mais un roi régnera sur nous. Et cependant l’Éternel, votre Dieu, était votre roi. Voici donc le roi que vous avez choisi, que vous avez demandé ; voici, l’Éternel a mis sur vous un roi.” » (12,12-13)

Demander un roi, explique Samuel, était en soi un acte de rejet de la royauté de Dieu (cf. 8,7) : jusqu’ici c’était Dieu qui aurait dû leur servir de roi, et demander un roi, c’était demander un autre roi que Dieu lui-même ! Mais ce qu’il faut surtout noter ici, c’est l’avertissement qui suit : « Si vous craignez l’Éternel, si vous le servez, si vous obéissez à sa voix, et si vous n’êtes point rebelles à la parole de l’Éternel, vous vous attacherez à l’Éternel, votre Dieu, vous et le roi qui règne sur vous. Mais si vous n’obéissez pas à la voix de l’Éternel, et si vous êtes rebelles à la parole de l’Éternel, la main de l’Éternel sera contre vous, comme elle a été contre vos pères. » (12,14-15)

Ici, deux chemins sont mis sous les yeux de ce peuple : un chemin d’obéissance et de bénédictions, ou un chemin de désobéissance et de malédictions.

Ainsi, lorsque trois chapitres plus tard, l’Éternel déclare à Samuel : « Je me repens d’avoir établi Saül pour roi, car il se détourne de moi et il n’observe point mes paroles » (15,11), il s’agit exactement du cas de figure expressément envisagé en 1 Samuel 12,15 : un cas de désobéissance à la voix de l’Éternel, de rébellion à sa parole. La conséquence est inéluctablement celle qui avait été promise : la main de l’Éternel doit être contre lui !

En somme, lorsque Dieu dit qu’il se repent d’avoir établi Saül pour roi en raison de son infidélité, et qu’il envoie alors Samuel vers Saül pour lui dire qu’il lui ôte la royauté, il fait exactement ce qu’il avait annoncé précédemment qu’il ferait en cas d’infidélité de sa part. Il semble donc que ce contexte relativise quelque peu la portée de l’affirmation de l’Éternel qui déclare se repentir d’avoir établi Saül pour roi, puisqu’en annonçant qu’il le destitue, il accomplit en même temps ce qu’il avait annoncé plus tôt !

En revanche, lorsque Samuel s’approche de Saül pour lui annoncer la mauvaise nouvelle, il ne lui laisse aucune porte de sortie, aucune chance d’inverser la tendance. Il dit d’abord au v. 23 : « Puisque tu as rejeté la parole de l’Éternel, il te rejette aussi comme roi », puis une seconde fois au v. 26 : « tu as rejeté la parole de l’Éternel, et l’Éternel te rejette, afin que tu ne sois plus roi sur Israël », et une troisième au v. 28 : « L’Éternel déchire aujourd’hui de dessus toi la royauté d’Israël, et il la donne à un autre, qui est meilleur que toi », et finalement au v. 29 : « Celui qui est la force d’Israël ne ment point et ne se repent point, car il n’est pas un homme pour se repentir. » Autrement dit : Dieu ne se repentira pas de s’être repenti d’avoir établi Saül pour roi ! La royauté est irrévocablement donnée à un autre, car Dieu n’est pas un homme pour dire une chose et pour se raviser ensuite. Tout comme il est impossible que Dieu, qui est la vérité même, mente, il est impossible que Dieu, qui est la sagesse même, change d’avis. Ici, Samuel déclare qu’il est impossible que Dieu se repente en tant qu’il n’est pas un homme, c’est-à-dire en tant qu’il ne change jamais d’avis. Il semble donc ici que la déclaration de Samuel soit à prendre telle quelle : Dieu ne se repent jamais comme une créature seule peut se repentir. C’est issu un jugement négatif : Dieu n’est pas comme la créature. La créature change d’avis, la créature change constamment d’avis. Nous ne connaissons personne qui ne change jamais d’avis. Mais Samuel nous dit ici : Dieu, lui n’est pas comme les êtres humains. Il ne change pas d’avis, jamais !

C. Remarques philosophiques : pourquoi Dieu ne peut-il pas, à proprement parler, pas changer d’avis ?

Alors, comment comprendre ce recours à un langage qui dépeint Dieu comme changeant d’avis, alors qu’en fait, il n’est pas comme les hommes pour changer d’avis ? Il y a deux raisons possibles pour que quelqu’un change d’avis, et c’est là que nous retrouvons la citation de Thomas d’Aquin avec laquelle nous avions commencé : « Cela ne peut arriver que par un changement soit dans la connaissance, soit dans les conditions existentielles de celui qui veut. » Les deux raisons pour laquelle nous changeons possiblement d’avis, c’est soit parce que nous acquérons de nouvelles connaissances qui changent notre appréciation de la situation, soit parce que c’est nous qui avons changé. »

1. Dieu n’acquiert pas de nouvelles connaissance

Il se peut ainsi que, lorsque nous acquérons de nouvelles informations, nous commencions à vouloir ce que nous ne voulions pas. Si, dans un premier temps, quelqu’un veut me faire boire un breuvage au goût répugnant, je ne voudrai pas en prendre. Mais si, dans un second temps, il m’est dit que cette boisson contient une substance qui va guérir ma maladie, je vais peut-être reconsidérer la question et me raviser, pour ne plus avoir aussi mal au dos ! J’ai ainsi changé d’avis après l’acquisition d’une nouvelle information. Dieu, quant à lui, n’acquiert jamais de nouvelles informations : il sait déjà tout d’avance, de toute éternité. Il n’y a rien qui puisse le prendre au dépourvu, et nous avons vu plus haut qu’il avait déjà prévu tous les cas où son peuple désobéirait à sa parole et qu’il n’avait fallu que quelques mois pour que cela se réalisât effectivement après le sacre du roi Saül, et dans la personne même du roi… Un changement de la volonté divine de ce côté-là est donc impossible. La première raison pour laquelle Dieu pourrait changer d’avis, c’est-à-dire l’acquisition de nouvelles connaissances, ne vaut pas pour Dieu : il sait tout d’avance. Il ne va donc pas changer d’avis pour cette raison.

2. Dieu ne change pas au gré des circonstances

L’autre raison pour laquelle nous pouvons changer d’avis, c’est lorsque nous commençons à vouloir ce que nous ne voulions pas en raison d’un changement qui a lieu en nous-mêmes. Ainsi, lorsque je n’ai pas mal au dos, je ne veux pas prendre ce médicament. Toutefois, lorsque je suis de nouveau affecté par ce mal de dos, je veux bien en prendre, car dans mon nouvel état, boire cette solution est devenu un bien pour moi. Mais, là encore, un changement de disposition ou d’état en Dieu est tout simplement impossible : Dieu ne change pas au gré des circonstances. Les amis de Job l’avaient déjà compris : Job 22,2-3 : « Un homme peut-il être utile à Dieu ? Non ; le sage n’est utile qu’à lui-même. ; Si tu es juste, est-ce à l’avantage du Tout-Puissant ? Si tu es intègre dans tes voies, qu’y gagne-t-il ? » Et encore en Job 35,7-8 : « Si tu es juste, que lui donnes-tu ? Que reçoit-il de ta main ? Ta méchanceté ne peut nuire qu’à ton semblable, Ta justice n’est utile qu’au fils de l’homme. » Ce que nous faisons n’affecte pas Dieu à proprement parler. Et pour quelle raison ? Il est le « Dieu bienheureux » (1 Timothée 1,11) à propos duquel l’apôtre Paul témoigne aussi « il n’est point servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses » (Actes 17,25). Nous dépendons de Dieu, mais Dieu ne dépend pas de nous ! C’est le thème théologique de l’aséité ou de l’indépendance divine : Dieu n’a, radicalement, pas besoin de nous. Il existe par lui-même, il est l’être même subsistant par soi. Et cela signifie qu’il n’est pas possible que Dieu lui-même change au gré des circonstances, et qu’il regrette au sens propre une décision qu’il a prise précédemment mais qui ne s’avérerait pas aussi sage que ce qu’il pensait au premier abord. Ce genre de choses arrive souvent à la créature qui progresse en sagesse et découvre que ses décisions d’autrefois n’étaient pas toutes très sages ! Mais cela n’arrive pas à Dieu, il ne croît pas en sagesse, pas plus qu’il ne croît en connaissance nouvelle, mais il sait déjà tout d’avance et dispose de toute éternité de la manière dont il prévoit d’agir selon son immense sagesse.

Il semble dès lors clair, en fin de compte, que Dieu ne puisse pas réellement changer d’avis. C’est donc l’affirmation du v. 29 (« Dieu n’est pas un homme pour se repentir ») qu’il nous faut prendre telle quelle, et celle du v. 11 (« Dieu s’est repenti d’avoir établi Saül comme roi ») que nous devons prendre avec plus de recul.

IV. Il faut donc comprendre de ce langage biblique non pas que Dieu a une volonté changeante, mais que Dieu veut, de toute éternité, des changements

Comment comprendre alors ce langage de la « repentance divine » ? Comme un anthropomorphisme : une manière de parler qui prête à Dieu des traits humains par métaphore. Il s’agit de distinguer ici entre le temps de l’acte du vouloir et le temps de l’effet de cet acte. Comme le dit Thomas dans notre citation : « il faut songer qu’autre chose est changer de volonté, autre chose est vouloir le changement de certaines choses. Quelqu’un peut, sa volonté demeurant toujours la même, vouloir que ceci se fasse maintenant, et que le contraire se fasse ensuite. » Je peux très bien vouloir maintenant détruire la semaine prochaine ce que je suis en train de faire aujourd’hui. De la même manière, Dieu a décidé de toute éternité qu’au commencement il créerait la terre, et qu’à tel autre moment, x années plus tard, il la détruirait par le déluge ; et qu’à tel moment il établirait Saül comme roi, et qu’à tel autre moment, x mois plus tard, il lui annoncerait qu’il ne faisait pas l’affaire et qu’il devait être remplacé par un homme selon son cœur. La volonté de Dieu, qui est éternelle (et hors du temps), n’a ainsi pas changé au cours du temps, mais cette volonté éternelle veut, de toute éternité, des changements dans le temps, et c’est cela que le langage biblique métaphorique de la repentance divine cherche à indiquer. Il n’y a dans ce cas pas de changement dans la volonté divine, seulement dans les choses qui adviennent telles que Dieu les a voulues de toute éternité.

Reste à savoir dans quel but Dieu a jugé bon de se révéler dans le langage d’un Dieu qui se repent parfois même si, en fait, il n’est pas un homme pour se repentir… Disons seulement qu’il y a là une indication que la relation des créatures au créateur évolue lorsque ces créatures elles-mêmes (et non le créateur) changent. Cette vérité doit à son tour nous conduire à revenir à Dieu avec une repentance plus sincère que celle que fut capable de produire le roi Saül (vv. 24-25) au jour de sa funeste désobéissance, en espérant qu’en ce qui nous concerne Dieu ait prévu, de toute éternité, de renoncer au mal qui nous était normalement réservé (cf. Jérémie 18,7-8).

Conclusion

Puisqu’il ne me reste qu’une minute pour conclure, je me contenterai d’énoncer de manière brève les trois points qui me semble décisifs :

  1. Dieu ne peut pas changer d’avis, à proprement parler, d’une part parce que Dieu sait déjà de toute éternité tout ce qui doit arriver et qu’il n’acquiert jamais d’information nouvelle. Cela, les chrétiens le confessent depuis toujours.
  2. Dieu ne peut pas changer d’avis, à proprement parler, d’autre part parce que Dieu ne change pas au gré des circonstances, et qu’il ne peut pas devenir plus sage que ce qu’il ne l’est déjà, et donc il ne va pas changer ses plans qui sont déjà les plus sages possibles. Cela, les chrétiens le confessent aussi depuis toujours.
  3. Cela ne veut pas dire que le langage biblique de la repentance divine n’est pas utile : il sert à dire que Dieu, bien qu’il n’ait pas une volonté changeante, est un Dieu qui veut du changement et qui a prévu, dans sa sagesse éternelle, tout ce qu’il allait faire pour sauver l’humanité qu’il aime tellement. 

Illustration : Philosophie arrive au chevet de Boèce entourée de ses muses, miniature sur parchemin au début du livre I de la Consolation de la Philosophie de Boèce, manuscrit Leber 817, av. 1480 (Rouen, Bibliothèque municipale).

  1. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia. q. 19, art. 7, resp.[]

Pierre-Sovann Chauny

Pierre-Sovann est professeur de théologie systématique à la Faculté Jean Calvin, à Aix-en-Provence. Il s'intéresse particulièrement à la doctrine des alliances, à l'interprétation des textes eschatologiques, à la scolastique réformée, aux prolégomènes théologiques et aux bons vins. Il est un époux et un père heureux.

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