Peut-on être réformé baptiste ?
26 février 2019

Les calvinistes ont deux choses pour eux : 1. Une doctrine très forte capable de générer beaucoup d’unité ; 2. Un talent extraordinaire pour foirer cette unité sur des sujets secondaires. Par exemple, le « true reformed », bière à la main, (très grosse) barbe en avant qui dit à son copain baptiste : « les réformés baptistes ne sont pas des VRAIS réformés ». Tu la sens l’unité de l’Église, là ? 

Depuis le renouveau calviniste dans les années 2000, on observe que ce sont surtout les milieux évangéliques (baptistes ou charismatiques) qui ont été touchés par celui-ci, et il a bien fallu qualifier ces groupes qui n’étaient plus « purement » charismatiques ou « purement baptistes » mais qui étaient des charismatiques adhérant aux doctrines réformées sur la grâce, ou bien des baptistes sotériologiquement réformés. Alors ils se sont appelés « réformés charismatiques » ou « réformés baptistes ». Nous sommes bientôt en 2020, et de façon étonnante, la sotériologie calviniste est devenue le nouveau consensus dans certaines églises (françaises en tout cas), au point où il est facile de voir des « réformés baptistes » et des « réformés charismatiques ». Je me suis moi-même revendiqué de cette catégorie. Mais aujourd’hui, alors que j’adhère aux confessions de foi historiques dans leur intégralité, je saisis quelque chose de nouveau qui peut aider à clarifier cette question, et travailler à l’unité dans nos églises.

Pour la simplicité de l’article, je rassemble en une seule étiquette « réformé charismatique » et « réformé baptiste ». Je le fais parce que 1. Les réformés baptistes ont une confession de foi historique, la confession baptiste de Londres de 1689, à laquelle adhère de facto les réformés charismatiques qui n’ont pas d’autres confessions à proposer. 2. Ils ont la même ecclésiologie, et c’est le point fondamental, comme vous allez le voir plus loin dans l’article. Ce sera donc « réformé baptiste » pour tout le monde.

« Réformé » ne désigne pas une sotériologie

Pourquoi des baptistes se disent-ils réformés ? Réponse : parce que leur sotériologie (leur doctrine du salut et de comment Dieu sauve) est réformée. Et si la doctrine réformée se résumait à sa sotériologie, alors on aurait raison de dire qu’on est réformé (sotériologiquement) baptiste (ecclésiologiquement).

Le problème, c’est que dans le système doctrinal réformé, les doctrines du salut ne sont pas les plus importantes, ni les plus spécifiques. Calvin a toujours toléré ceux qui n’avaient pas la même vision de la prédestination que lui, et qui étaient parfois peu « calvinistes ». Mais en revanche, il était remonté et prêt à écrire contre tous ceux qui refusaient son…. ecclésiologie. S’il a écrit contre les anabaptistes, ce n’est pas parce qu’ils avaient une compréhension du salut différente de la sienne (même si c’était le cas !). Le vrai point de contentieux était une vision de l’église différente. De même, ce qui a empêché l’unité avec les luthériens n’est pas la sotériologie (la variété d’opinions était la même dans les deux camps) mais la vision du sacrement de la Sainte-Cène, qui fait partie de la doctrine de l’Église. Voilà pourquoi je dis que ce n’est pas la différence la plus importante.

Je disais aussi que ce n’est pas la doctrine la plus spécifique. En effet, vous retrouverez la sotériologie réformée aussi chez les « gnésio-luthériens », les jansénistes et il n’a jamais été question de les confondre avec les réformés. En revanche, tout ce qui confesse la même ecclésiologie que les réformés est considéré d’emblée comme « uni ».

Pourquoi en a-t-on une idée différente aujourd’hui ? Pourquoi a-t-on l’impression aujourd’hui qu’être réformé c’est d’abord et avant tout adhérer à une sotériologie particulière ? Je suggère les raisons suivantes :

  1. Nous sortons tout juste d’une période d’intenses discussions autour du débat arminianisme/calvinisme sotériologique, au point où nous avons eu l’impression parfois que toute la foi chrétienne tenait aux cinq points du calvinisme (c’est d’ailleurs ce que beaucoup ont dit parmi nous). Cela déforme forcément notre pensée.
  2. Historiquement, le dernier gros effort confessionnel a été l’établissement d’une sotériologie précise, et le dernier grand concile doctrinal a été le synode de Dordrecht, qui a établi les cinq points du calvinisme. On a donc l’impression que l’achèvement final de la théologie réformée est sa sotériologie, alors que ce n’est pas le plus important chez elle.
  3. Nous (c’est-à-dire les laïcs évangéliques) commençons tout juste à découvrir l’ecclésiologie réformée, qui était globalement inconnue dans le monde évangélique français il y a encore quelques années.

« Réformé » désigne une ecclésiologie

Donc soit, admettons que « réformé » ne s’applique qu’improprement à une sotériologie particulière, pourquoi est-ce que je dis que le vrai sommet de la doctrine réformée est sa vision de l’Église ?

Parce que c’est tout simplement la vérité historique : Il est bon de rappeler que tous les débats de la Réforme étaient des débats ecclésiologiques

Le débat autour de Sola Scriptura ? Les catholiques romains aussi disaient que l’Écriture était l’autorité suprême au sein de la tradition chrétienne. Le débat était sur l’autorité de l’Église dans l’interprétation de ces Écritures.

Le débat autour de Sola Fide et Sola Gratia? Les catholiques romains aussi disent qu’on est sauvé par la grâce au moyen de la foi. Le vrai débat était sur le rôle de l’Église dans le salut : est-ce l’Église qui dispense et administre la grâce de Dieu ? Cette grâce doit-elle passer nécessairement par le sacerdoce romain et ses sacrements ? L’Église possède-t-elle un trésor de mérites à disposition des fidèles ? Le pape et ses prêtres ont-ils le pouvoir de libérer des âmes du purgatoire ?

Le débat autour de la transsubstantation ? Le plus ecclésiologique de tous : il ne s’agissait pas tant de savoir si le pain était la chair de Jésus que de savoir si l’Église était médiatrice entre l’homme et Dieu : si le prêtre a le pouvoir de changer le pain et le vin en corps et sang du Christ, alors la grâce de Dieu (qui est toute entière contenue dans le Christ) se retrouve à nouveau dans les mains de la prêtrise romaine.

En réaction à ces graves dérives, certains catholiques se sont donc séparés de l’Église romaine pour se concentrer sur l’Église universelle, et ont taché de conserver le projet d’universalité et d’unité associé à cela. Le projet réformé ne vise pas à faire des petites assemblées de « purs » repliées sur elle-même. Le projet réformé c’est le catholicisme médiéval purifié de ses ajouts anti-bibliques : une Église une, universelle, indépendante de tout royaume et de tout pontificat, qui travaillerait à l’établissement du royaume de Dieu.

Dans les controverses avec les anabaptistes, comme je l’ai déjà dit, la principale dispute était une dispute ecclésiologique semblable, parce que leur vision (qui inspirera en partie l’ecclésiologie baptiste plus tard) mettait en danger ce projet aussi sûrement que les facéties du pape de Rome.

Cela suffira à comprendre ce qu’est le point le plus important de la théologie réformée. 

Maintenant, vous comprenez pourquoi ce barbu biérophile dit que les baptistes ne peuvent pas être réformés : l’ecclésiologie baptiste est juste complètement incompatible avec le coeur de la théologie réformée.

Conclusion

Peut-on dire « réformé baptiste » ?

Non, selon le sens strict de « réformé ». Oui, selon un sens impropre et accidentel de « réformé ». 

On est bien sûr libre de suivre l’usage commun et pour ma part, je continuerai de reconnaître des gens comme Pascal Denault comme des réformés baptistes. Et plus important que tout : je reconnais comme frère en Christ non seulement les réformés baptistes, mais toute personne qui aime Jésus et le sert. Cela ne change pas.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

8 Commentaires

  1. Nat

    S’il y a quelque chose à retenir de cet article, c’est le dernier paragraphe. Toutes les querelles de terminologie ne nous font pas plus aimer Dieu ni ne nous édifient.
    Il est évident que les réformés n’aiment pas qu’on leur assimile les réformés baptistes de la même manière que les évangéliques n’aiment pas que cet adjectif soit accolé aux réformés ; chacun ses tares, que Dieu nous pardonne.
    En toute logique, à la suite de cet article, il est impossible pour l’auteur qu’un réformé soit à son aise dans une église qui ne l’est pas, car les ecclesiologies sont viscéralement incompatibles. En extrapolant, il lui serait préférable d’aller à l’église unie (dirigée par des libéraux certes mais ayant la bonne ecclesiologie) qu’à une église évangélique ayant une théologie réformée baptiste…

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    • Etienne Omnès

      C’est à ce niveau là que doit intervenir une certaine longanimité, c’est à dire la capacité de tolérer des erreurs et des fautes. Cela concerne tout le monde dans l’église, et c’est une qualité du coeur, pas de la théologie. Cela fait -je pense- partie des fruits du St Esprit.

      En revanche, je ne pense pas être plus proche de l’EPUdF que des évangéliques. Au contraire: avec les évangéliques (sotériologiquement réformés) je n’ai QUE l’ecclésiologie de différence. Avec les Unis, il y a beaucoup, beaucoup plus de différences. Et je ne suis même pas sûr que nous ayons la même ecclésiologie au final, dans le sens où ils cherchent l’oecuménisme, là où je cherche la catholicité.

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    • Nat

      « La capacité à tolérer les erreurs ou les fautes », et accepter que tous se revendiquent du même Saint Esprit, et qu’en matière de conviction, il faut se décrisper et garder à l’esprit que chaque « cadre de lecture » a ses défauts et ses qualités ; si c’était clair dans la Bible, il n’y aurait pas de débat (comme la Trinité, l’humanité et la divinité de Christ …) au sein du christianisme.
      Il est néanmoins indispensable d’avoir des convictions fortes, car elles servent de présupposés à notre manière de réfléchir et d’agir, mais avec l’humilité qui caractérise ceux qui ont compris qu’ils ne peuvent pas être détenteurs de LA vérité dans TOUS les domaines doctrinaux de la foi…

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    • Maxime N. Georgel

      La logique de ce commentaire n’est valable que si l’EPUdF a effectivement une ecclésiologie réformée, ce qui est très loin d’être le cas 🙂

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  2. Tribonien Bracton

    Quiconque étudie un tant soit peu l’histoire du baptisme réformé sait très bien qu’en matière d’ecclésiologie, des réformés baptistes ne différaient en presque rien de la vaste majorité des puritains anglais : tous adhéraient strictement au congrégationalisme néotestamentaire. Chronologiquement, les premiers réformés baptistes furent essentiellement des réformés congrégationalistes au départ pédobaptistes qui ont graduellement réformés leur théologie du baptême en {1} rejetant le baptême anglican (tout court) puis {2} en adoptant le crédobaptisme. Cette réforme du sacrement du baptême n’a eu que des incidences mineures sur l’ecclésiologie (c-à-d l’ensemble des principes juridiques relatifs à la gouvernance & discipline ecclésiale). S’attaquer à l’« ecclésiologie réformée baptiste », c’est s’attaquer à l’ecclésiologie de la plupart du puritanisme anglais de la Seconde Réformation du XVIIème siècle.

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    • Etienne Omnès

      Mais qui a dit que j’étais d’accord avec les puritains? 😀

      Blague à part, il faut que j’étudie cela plus en profondeur 😉

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    • Maxime N. Georgel

      (Pour ma part, je me tiens du côté anglican dans la controverse avec les puritains.

      Et, c’est grandement déformer les choses que de penser que le congrégationalisme baptiste des RB de nos jours correspond à celui d’un John Owen par exemple ! En réalité, les prérogatives que les presbytériens de nos jours donnent au synode et aux églises locales correspondent en grande partie à ce que les puritains congrégationalistes (qui sont loin de représenter la totalité des puritains) tenaient.)

      Mais je crois que ton commentaire est hors-sujet par rapport à ce que Etienne dit dans l’article : Etienne ne parle pas de théologie de la politique ecclésiale et de son gouvernement mais d’ecclésiologie propre : qu’est-ce que l’Eglise visible et qu’est-ce que l’Eglise invisible. Là-dessus, les baptistes de nos jours s’écartent franchement de l’Ecclésiologie réformée en définissant la communauté de la nouvelle alliance comme un peuple uniquement composé de régénérés. Ainsi, ce qu’il dit tient debout : concernant l’ecclésiologie propre, les baptistes ne sont pas réformés et ne peuvent pas l’être.

      En effet, la doctrine réformée n’est pas caractérisée par un mode particulier de gouvernance (épiscopat, presbytérien-synodal ou congrégationnalisme), mais par une doctrine de l’Eglise commune. Calvin montre assez que même le patriarcat antique n’était pas un écart à l’institution divine et Richard Hooker démontre dans Law of Ecclesiastical Polity que les puritains voulant copier le modèle genevois n’ont pas compris en quoi consiste une ecclésiologie réformée. Je te renvoie vers le livre de Davenant Press « A Mere Protestant Ecclesiology ».

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      • Tribonien Bracton

        Non justement tu confonds l’ecclésiologie et l’alliancisme. S’il y a des points de contacts entre les deux, ça reste deux branches distinctes de la théologie. Et malgré que la vaste majorité des réformés continentaux étaient presbytériens dans leurs ecclésiologie, la vaste majorité des réformés en Angleterre (c-à-d les puritains) puis en Nouvelle-Angleterre étaient des congrégationalistes, dont sont précisément issus les réformés baptistes. (Il y avait très peu de presbytériens en Angleterre en dehors de la ville de Londres et du comté de Lancashire.) Bis repetita placent : En sortant des réformés congrégationalistes, les réformés baptistes ont légèrement ajustés l’alliancisme réformé classique (en le réformant davantage), mais n’ont quasiment rien changé au congrégationalisme réformé puritain. Ils sont donc bel et bien, au niveau de l’ecclésiologie – comme à tous les autres niveaux où la question se pose – des réformés.

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