Le CNEF organisait récemment une masterclass où il a invité des acteurs politiques (maires, élus…) évangéliques qui partageaient leur expérience de politique chrétien. L’essentiel est raconté dans cet excellent article de Thierry Le Gall sur la Croix « Comment des évangéliques français veulent investir le terrain politique ». J’ai été particulièrement marqué par ce commentaire du pasteur auprès des parlementaires :
Cette conscience politique existe depuis longtemps dans les courants baptistes, bien plus que dans d’autres milieux. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes évangéliques veulent s’engager en politique : ils ressentent un manque de repères, les instances gouvernantes leur paraissent désenchantées, les grands courants philosophiques affaiblis. Ils n’identifient plus de matrice sociale forte, pouvant fédérer autour d’un idéal républicain. Cela a contribué à leur faire prendre conscience que l’éthique et les valeurs chrétiennes pouvaient contribuer à ré-enrichir la société française, sans imposer de règles religieuses
Une remarque confirmée par ce témoignage paru sur la Rebellution :
J’ai compris que Dieu a confié à l’homme une responsabilité : celle de vivre avec les autres dans des institutions justes. Ce n’est pas à l’Église que Dieu a demandé de faire les lois, mais bien à des hommes, à des citoyens comme vous et moi. Je suis citoyenne du ciel, mais aussi de la terre et j’ai une responsabilité. Dans une démocratie, je peux tout à fait proposer ma voix, mes valeurs.
Et puis, faire de la politique c’est aimer mon prochain à très grande échelle. Je pourrai participer à des lois qui protégeront des centaines de foyers les plus pauvres ou je pourrai avoir un impact sur la vie de centaines d’enfants. Alors je crois que je vais m’engager en politique, pour chercher à aimer ceux que je vois, mais aussi ceux que je ne vois pas.
Il n’y a rien de plus biblique que cela.
Alors que les derniers restes de fondamentalisme [le mouvement théologique du début XXe siècle] s’estompent progressivement de la conscience évangélique française, on redécouvre l’intérêt et l’utilité d’un engagement politique en tant que chrétien. Mais il se pose alors une multitude de questions sur la nature même de cet engagement, particulièrement en France, où la Laïcité est la règle et la mesure de toute expression religieuse.
A quoi donc est censé ressembler un homme politique chrétien ? Et plus largement : qu’est-ce qu’une politique chrétienne ?
Car ceux qui s’engagent ne
laissent pas leur foi au vestiaire : c’est bel et bien avec Jésus dans le cœur
qu’ils accomplissent leur vocation. Mais nous sommes complètement dans le
brouillard pour savoir comment.
Dans ces articles, je compte faire découvrir la pensée politique d’un chrétien,
amoureux des Ecritures, membre du conseil municipal d’une grosse ville pendant
près de 40 ans, et qui a fait une œuvre monumentale décrivant ce qu’était un
ordre politique chrétien, et ce qu’était
également un homme politique chrétien.
Je vous présenterai Johannes Althusius, et son ouvrage Politica.
Johannes Althusius est un réformé allemand du XVIIe siècle, qui a été professeur de droit et syndic de la ville de Emden, une ville libre d’importance dans le Saint Empire Romain Germanique d’alors. Son plus grand accomplissement est d’avoir « systématisé » la pensée politique réformée dans son ouvrage « La politique exposée méthodiquement et illustrée avec des exemples sacrés et profanes variés », abrégé en Politica. Il est appelé aujourd’hui « le père du fédéralisme moderne ».
Pourquoi la Politique d’Althusius est digne d’intérêt
Voici pourquoi vous feriez bien de vous intéresser à cet auteur :
- C’est une philosophie politique ancrée dans les Ecritures. Une des notes du traducteur dans la version que j’ai lu indiquait : « Althusius s’appuyait énormémement sur des citations bibliques pour discuter des avantages et responsabilités du mari et de l’épouse. Ces paragraphes font référence à 82 passages de l’Ancien Testament et 69 du Nouveau Testament. » !! Cela est vrai à travers tout l’ouvrage : Politica est ce que vous obtenez quand vous appliquez Sola Scriptura à la pensée politique.
- C’est une vision politique axée sur le vivre-ensemble et non la conquête du pouvoir. Les premiers mots de son ouvrage sont les suivants : « La politique est l’art d’associer les hommes pour établir, cultiver et conserver la vie sociale entre eux ». Alors que dans la France de 2019, nous considérons le vivre-ensemble comme une question parmi d’autres, Althusius en fait le fondement de sa pensée.
- C’est une philosophie basée sur la communauté et non l’individualisme. La brique de base d’Althusius n’est pas l’individu comme pour la vision politique des Lumières, mais la Famille. Le système d’Althusius sont des communautés familiales rassemblées dans des communautés municipales, rassemblées dans des communautés fédérales jusqu’à la communauté « impériale » (nationale, pour parler en termes plus contemporains). Pour qui veut chercher une alternative à l’individualisme des Lumières, Althusius est une bonne adresse.
- C’est une vision politique qui va du bas vers le haut. A l’heure des gilets jaunes, où la centralisation et le pouvoir vertical devient insupportable, la vision d’Althusius est relativement horizontale, et n’admet des étages verticaux que sur la base du consentement des étages inférieurs. Il offre ainsi une alternative « horizontale » à l’anarchisme, la démocratie directe d’Etienne Chouard et autres visions semblables.
- C’est une vision qui part de la souveraineté populaire, et donc compatible avec notre tradition politique actuelle. Il s’oppose plusieurs fois dans son ouvrage à la monarchie absolue, et enseigne par exemple : « le chef a autorité sur chaque individu de la communauté, mais pas sur la communauté en elle-même ». Le pouvoir appartient au peuple dans sa vision, qui forme des communautés qui s’entendent entre elles.
Voici donc pourquoi vous devez vous intéresser à Althusius, et pourquoi je suis tombé amoureux de cette vision. Voici pourquoi Par la Foi publiera des articles qui présentent, morceau par morceau, cette fantastique philosophie politique chrétienne.
Hâte de lire la suite !
Merci!
Il n’est pas difficile de voir le cheminement qui mène d’Althusius à Abraham Kuyper une fois bien saisie la notion althusienne de souveraineté politique de chaque sphère de la société – sous la souveraineté ultime de la Parole – dans une relation de subsidiarité.
J’espère être capable de bien le décrire^^
Lecture indispensable pour bien comprendre la portée de la pensée politique d’Althusius: « Les deux souverainetés et leur destin, Le tournant Bodin-Althusius » par Gaëlle Demelemestre, collection La nuit surveillée, Cerf, Paris, 2011, 280 p.