Nous expliquions hier comment fonctionnaient les traités et alliances aux temps bibliques : il ne s’agissait pas d’un contrat privé entre deux individus mais de traités entre des personnes en tant que porteuses d’un office, qu’il soit royal ou familial. Ainsi, toute la nation ou la famille du vassal était engagée par le traité. Cet article est encore une adaptation des travaux de Meredith Kline sur le sujet.
En considérant les parallèles entre l’alliance de la circoncision avec Abraham et ces alliances, il parait juste de supposer que dans le cas d’Abraham aussi, l’alliance n’était pas faite avec lui en tant qu’individu uniquement mais en tant que vassal à la tête de sa sphère d’autorité, sa maison. Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple supposition ; en effet, les données bibliques, indépendamment de l’analyse des traités antiques, nous conduisent à la même conclusion.
Pour ce qui est de l’alliance abrahamique, les choses deviennent encore plus claires quand on considère le rite qui lui était associé. En effet, la circoncision concernait l’organe de la génération, de l’engendrement, indiquant que le rite – en tant que signe de malédiction (symbolisant le retranchement) et de consécration – concernaient aussi les descendants du vassal qui prêtait le serment de la circoncision.
Meredith Kline développe le lien entre circoncision et malédiction plus tôt dans ses travaux en montrant que les serments consistaient à invoquer sur soi une malédiction en cas de non-respect du traité. Nous en parlerons dans des articles à venir. Ici, nous pouvons compléter cela en disant que l’action symbolique de la circoncision spécifiait la malédiction : les descendants du vassal seraient retranchés, laissés sans héritier et sans nom dans le royaume. Dans les traités parallèles extra-bibliques nous retrouvons un grand nombre de cas de malédictions invoquées sur la descendance du vassal. Citons encore le traité que nous avions cité dans le précédant article :
Que Assur te rende stérile ! (Col. vi, l. 415 f.)
Que Sarpanitu qui donne le nom et la descendance détruise du pays ton nom et ta descendance » (Col. vi, l. 435 f.)
Là encore, les exemples abondent et pourraient s’accumuler. C’est dans ce contexte particulier que la bénédiction d’Abraham se retrouve dans un emballage parfait pour la comprendre : Dieu promet une descendance à Abraham et Sarah. Le fait que cette bénédiction soit centrale en Genèse 17 et le fait que les traités anciens correspondent à cela confirment que Kline a vu juste sur le sens des alliances. Un exemple biblique qui confirme cela est par exemple le traité de Deutéronome qui associe par paires 6 bénédictions et 6 malédictions (28:3-6 et 28:16-19 respectivement). Notez la mention « béni (ou maudit) soit le fruit de tes entrailles » (vv. 4 et 18).
Mais la circoncision était aussi un signe de consécration, elle signifiait que les descendants du vassal étaient consacrés au Seigneur-suzerain de l’alliance, puisque la circoncision était appliquée sur l’organe de génération du vassal. Cela est rendu explicite par le fait que Dieu promette d’établir son alliance avec Abraham et sa descendance (Ge 17:7). Cela est rendu encore plus explicite par le fait que les descendants du vassal devaient recevoir eux aussi la circoncision dans leur corps.
Ces particularités de l’administration de l’alliance abrahamique révèle qu’elle est, comme tous les autres traités suzerains-vassaux, un moyen d’incorporer toute une structure d’autorité sous la juridiction plus élevée d’un suzerain de l’alliance. Ainsi, même les serviteurs et Ismaël devaient être circoncis (vv. 12 f., 23, 27). La structure concernée était celle de la maison d’Abraham.
Le principe global qui émerge ici est le suivant : quand un homme rentre en alliance avec Dieu par une confession/un serment personnel, il est tenu responsable par son Seigneur-suzerain de placer sous le joug de l’alliance certains de ses subordonnés. Ne pas respecter ce principe c’est ne pas respecter son serment et risquer d’encourir le jugement de l’alliance. C’est la raison pour laquelle Moïse, quand il n’avait pas circoncis son fils, a risqué de subir la punition de l’alliance qu’il avait invoqué contre lui-même par sa propre circoncision (Ex 4:24-26). Les versets qui précèdent parlent précisément de l’épisode où Dieu envoie Moïse pour demander à Pharaon de laisser Israël, « le fils » de l’alliance de Dieu, aller le servir au désert (Ex 4:21-23). Mais comment Moïse pourrait-il être l’envoyé de Dieu pour consacrer le « fils » de Dieu, Israël (4:21-23), à la montagne de Dieu, si lui-même n’avait pas été capable de consacrer son propre fils par la circoncision ? Voilà pourquoi Dieu tenta de le retrancher, selon les malédictions de l’alliance.
Nous concluons ici en disant que le principe d’autorité vassale était partie intégrante de l’administration de la circoncision comme signe d’entrée dans l’alliance de rédemption de Dieu. Confesser la Seigneurie de Yahweh comme foi personnelle était le noyau et le serment nécessaire à l’administration du rite et à l’établissement d’une communauté de l’alliance dont la circoncision était (paradoxalement) le signe d’inclusion. Je dis paradoxalement car la circoncision est symbole de retranchement, pas d’inclusion, mais cela se comprend quand on considère que les serments des alliances consistaient à invoquer sur soi la malédiction en cas de rupture de l’alliance. Ainsi, il devait bien y avoir un « Abraham » qui prête allégeance et confesse. Mais Abraham ne pouvait pas rentrer comme un individu solitaire, il devait entrer dans l’alliance en tant que patriarche, chef de maison, à qui Dieu donnait l’alliance et il devait administrer la circoncision à lui et ses descendants. Comme nous le voyons, l’inclusion dans l’alliance dans la Bible n’est pas uniquement une question d’allégeance individuelle. La formation des alliances antiques était un processus visant à placer sous l’autorité d’un seigneur des maisons entières ayant pour tête un vassal-confessant.
Cette façon de fonctionner est difficile à concevoir pour nous qui sommes dans le contexte d’une culture ultra-individualiste, où les structures d’autorité instituées par Dieu (famille et nation) sont en danger et fragilisées. Mais nous devons nous souvenir que la famille et la nation sont des institutions divines, créationnelles et que Dieu ne by-pass pas l’ordre qu’il a lui-même établi quand il fait alliance.
Merci pour cet article et les justes conclusions que vous tirez à propos de ce qu’écrit M. Kline : en effet, Dieu ne « contourne » pas l’ordre qu’il a lui-même établi quand il conclut une alliance. Gen. 17:7 souligne le caractère perpétuel de cette alliance de Grâce: « J’établirai mon alliance avec toi et ta descendance après toi, dans toutes leurs générations : ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi. » C’est sur ce fondement que Paul (lui-même circoncis !) nous donne en Rom. 4:11 la signification véridique de la circoncision : « Et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice qu’il avait obtenue par la foi, quand il était incirconcis. Il est ainsi le père de tous ceux qui croient, bien qu’incirconcis, pour que la justice leur soit comptée. » Le lien entre la circoncision et la foi est ici affirmé avec force. Voilà notamment pourquoi l’argumentaire fréquemment mis en avant par certains chrétiens évangéliques selon lequel la circoncision a surtout été donnée par Dieu à Abraham pour séparer ethniquement le peuple d’Israël des autres peuples en tant que peuple élu (indépendamment de la justification par la foi seule donc, qui s’est pourtant appliquée tout au long de l’Ancien Testament à des membres non israélites greffés par la foi dans la communauté de foi qu’était censé être Israël), ne tient pas un instant la route. Notamment aussi du fait que la circoncision était pratiquée par bien d’autres peuples dans l’Antiquité (les peuples sémitiques de l’est – pas les Cananéens ou les Philistins, mais les Moabites et les Ammonites, voire les Égyptiens, tout comme elle est du reste pratiquée aujourd’hui par d’autres peuples, par exemple en Afrique sub-saharienne, sans aucun lien avec le signe donné à Abraham).
L’une des grandes faiblesses de la théologie évangélique consiste à souligner exagérément la discontinuité dans la dispensation de l’Alliance de Grâce au détriment de la continuité, sans en saisir l’accomplissement progressif des promesses. Cela aboutit malheureusement à confondre la déformation de l’Alliance telle que l’ont pratiquées les Israélites (attirant justement sur eux les malédictions exprimées en Deut. 28) et l’institution de cette Alliance de Grâce par le Dieu juste et saint. Comme si au fond Dieu « réparait » dans le Nouveau Testament, avec la nouvelle alliance dans le sang de Jésus-Christ ses propres « erreurs de jugement » ou « imperfections » dans l’institution de son Alliance! A ce sujet j’ai tâché de rendre compte du sens de l’expression « les ombres à venir » qu’on trouve dans Col. 2:17 et Héb. 10:1 dans l’article suivant récemment posté sur mon blog : http://www.foietviereformees.org/lombre-choses-a-venir/
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