Nous avons parlé de l’essence de Dieu en elle-même, et nous avons commencé à aborder son action dans les choses. Première étape: est-il présent? Oui, avec toutes les finesses habituelles. Deuxième étape: Dieu change-t-il?
Plus nous avançons, et plus nous délaissons le consensus: les athées nous ont abandonnés à la question 2, et les panthéistes à la question 3 et on vient de perdre les déistes et les musulmans à la question 8. A la question 9, il n’est pas exclus que nous perdions aussi une fraction des évangéliques: En effet, deux forces intellectuelles semblent s’être liguées de façon surprenante pour redéfinir l’immutabilité de Dieu à l’intérieur de la communauté intellectuelle évangélique. D’un côté, les analytiques comme William Lane Craig et Alvin Platinga, de l’autre les réformés plus ou moins présuppositionnalistes comme John Frame, Scott Oliphint, J.I Packer, et autres. Ces deux écoles ont normalement peu de choses en commun, sinon un mépris marqué pour la théologie historique. Thomas d’Aquin est une figure de mépris commune entre William Lane Craig et John Frame, et la scholastique fait office de « suspect habituel ».
Cette question même est énormément d’actualité, puisque nous avons eu droit à une controverse flash en décembre dernier. Tout a commencé avec la sortie du livre de All that is in God de James Dolezal, qui a pour but de défendre et rétablir la doctrine historique de la simplicité divine. Dans ce livre, James Dolezal citait notamment John Frame, J.I Packer, Wayne Grudem et d’autres pour « mutualisme théiste », qu’il critiquait vertement comme un éloignement de l’orthodoxie. John Frame a donc lu et critiqué le livre et écrit un article critique où il réfute l’immutabilité divine. C’était le 25 novembre 2017.
L’intellectuel évangélique a la particularité d’avoir le pire des deux mondes: en tant qu’intellectuel, il se passionne pour des points de détails complètement abscons au commun des mortels. En tant qu’évangélique, il est prêt à dépenser une quantité phénoménale d’énergie pour ces mêmes points de détails. D’où une immense activité très soudaine de posts de réponses à John Frame. Le 28 novembre, Jordan Cooper a posté une autre réponse défendant la vision traditionnelle. Le 29 novembre, c’est au tour de Kevin deYoung de soutenir James Dolezal. Le 30 novembre, un article de Keith Mathison dans le Tabletalk magazine (proche de Ligonier – RC Sproul) défend lui aussi la doctrine traditionnelle d’un Dieu qui ne change absolument pas. Le même jour, John Frame répond à Jordan Cooper dans un autre article où il cherche à discréditer la doctrine traditionnelle parce que trop grecque et pas assez biblique. Il publiera encore deux autres articles dans la même veine avec un angle différent.
Si on avait eu Internet à l’époque de Nicée ou de la réforme, la dispute n’aurait même pas duré un mois.
Retenons ceci: John Frame, à mon avis, a été lourdement discrédité dans cette controverse, particulièrement par son insistance à critiquer la tradition historique de l’église. Le pire de ses arguments reste encore celui où il a critiqué James Dolezal pour sa remise en cause du consensus d’une douzaine de théologiens contemporains… alors que cette douzaine est en contradiction avec toute l’histoire de l’église, de Clément d’Alexandrie à Turretin! Quand un homme qui se considérait comme un bastion de l’orthodoxie et du conservatisme biblique est trouvé en défaut de cette même orthodoxie, surpris avec des arguments de progressistes…
Mais laissons-là cette histoire. Je la raconte uniquement pour montrer que la théologie médiévale n’a rien d’archaïque et qu’elle est encore aujourd’hui une composante vivante de notre christianisme, au point d’être le support à des querelles passionnées. Venons en à ce que dit Thomas sur l’immutabilité divine, c’est à dire, le fait que Dieu ne change pas.
Article 1: Dieu est-il absolument sans changement?
Avant de savoir comment, il faut savoir si ça existe etc… Et parmi tous les versets habituels, il cite:
Il est dit dans Malachie (3, 6) : “ Je suis Dieu et je ne change pas. ” – Ia, Q9, a1
C’est le plus clair qui soit. Mais il aurait pu citer aussi:
« Tu as anciennement fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. Ils périront, mais tu subsisteras; Ils s’useront tous comme un vêtement; Tu les changeras comme un habit, et ils seront changés. Mais toi, tu restes le même, et tes années ne finiront point » – Psaumes 102.26-27
« Toute grâce excellente et tout don parfait descendent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation » – Jacques 1.17
Il vient confirmer cette affirmation biblique par trois arguments:
- Il a été prouvé que Dieu est acte pur ce qui signifie qu’il n’y a rien de potentiel en lui. S’il n’y a rien de potentiel en lui, alors c’est qu’il est pleinement réalisé et ne peut pas changer.
- Si Dieu change, mais qu’il reste Dieu, alors cela veut dire que certaines parties de lui changent, mais pas tout. Sauf que Dieu est simple, il n’est pas fait de parties. Donc Il ne peut pas changer. S’il change, ce serait tout d’un bloc, il passerait de Dieu à autre chose que Dieu, ce qui est impossible.
- Dieu contient en lui-même toutes les perfections possibles, au point où les choses sont en Dieu. Que deviendrait donc Dieu qu’il n’a pas déjà? Il est donc impossible qu’il change.
Pour ceux qui ne sont pas encore convaincus, je vous invite à voir directement la question 9 dans l’original par eux-même. Passons au second article de cette très courte section.
Article 2: Dieu est-il le seul à être immuable?
Oui, et Thomas d’Aquin le prouve en montrant que toutes les autres créatures, même les anges et les âmes humaines sans corps, changent d’une façon ou d’une autre. Et ils changent même sous deux rapports: ils changent par rapport à eux-même, ou ils changent sous l’influence d’une puissance extérieure.
Occupons nous d’abord de leur changement « par rapport à une puissance qui est dans un autre ». Dieu. Toutes les créatures de Dieu dépendent de la puissance de Dieu non seulement pour venir à l’existence, mais pour rester en existence. Cela signifie qu’elles sont mobiles, ne serait-ce que parce qu’elles peuvent passer de l’existence à la non-existence par simple volonté de Dieu.
Mais elles sont aussi mobiles « par une potentialité qui sont en elles ». Par exemple, Charles Ingalls a pris des cheveux blancs entre la saison 1 et la saison 9 de la petite maison dans la prairie. Il avait le potentiel d’avoir des cheveux blancs et il les a eu.
Les êtres matériels, comme les caillous ou les animaux sont mobiles, c’est évident. D’une ils sont mobiles parce que leurs formes peuvent prendre n’importe quelle matière: la forme du siamois peut être concrétisée dans un chaton new-yorkais aussi bien que thaïlandais. Elle n’est donc pas à l’abri d’un changement. Deuxièmement, parce que les accidents liés à cette forme peuvent changer eux aussi, c’est même un peu le principe: les cheveux blancs de Charles Ingalls par exemple. Donc Charles Ingalls ou le chat siamois sont sujets aux changement.
Thomas d’Aquin fait un paragraphe aussi sur les corps célestes comme le soleil, qu’il considérait visiblement comme sans changement de substance, mais changeant tout de même de lieu. Mis à part une mention rapide, ce point ne mérite pas plus de commentaire étant donné qu’il est acquis maintenant que le soleil est très très changeant au contraire, et même promis à la disparition.
Mais les anges alors? Ne sont-ils pas sans changement? Et bien d’une, ils peuvent aussi bien apparaître que disparaître grâce à Dieu, ce qui est une mobilité assez énorme, vous le reconnaîtrez. D’autre part, ils peuvent aussi bouger d’eux même, en agissant à un certain endroit ou non. Quand Gabriel est apparu auprès de Marie, il a bien eu un mouvement non?
Une fois qu’on a fini la liste, il ne nous reste plus qu’à dire: De tous les êtres possibles, seul Dieu est sans changement.
Synthèse
Dieu est-il sans changement?
Oui, parce qu’il est déjà pleinement réalisé, qu’il est entièrement simple, et qu’il a déjà toutes les perfections.
Dieu est-il le seul sans changement?
Oui, car toutes les autres créatures changent d’au moins une façon.
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