Personne ne nie que Dieu est amour. Même les musulmans l’ont tout le temps à la bouche. Mais cet amour est sans jugement, absolument égalitaire, et ne fait absolument aucune distinction pas même entre les élus et les non-croyants, ce serait de la discrimination et donc pas de l’amour. Voyons ce que Thomas le médiéval en dit:
1. L’amour se trouve-t-il en Dieu? Oui
2. Dieu aime-t-il toutes choses? Oui
3. Aime-t-il quelqu’un plus qu’un autre? Oui
4. Aime-t-il davantage les meilleurs? Oui.
Prévenez les révolutionnaires de Tolbiac: il faut faire un raid dans la BU pour purger cet hérétique de Thomas d’Aquin. Ils le trouveront au 5e étage, sur une mezzanine, coincé entre le zohar et « Your best life now » de J. Osteen, rayon « mysticisme »… Passons au commentaire.
Article 1: L’amour se trouve-t-il en Dieu?
on lit dans S. Jean (1 Jn 4, 16) : “ Dieu est amour. ” – Ia, Q20, a1
Que voulez vous dire après cela? Et bien le confirmer par le raisonnement.
Nous venons d’étudier le savoir en Dieu et la Volonté en Dieu. Dans la suite logique, nous nous intéressons à l’élan en lui-même, l’énergie de cette volonté. Dieu sait le bien donc il veut le bien, et s’il veut le bien c’est parce qu’il… aime le bien. Donc il y a de l’amour en Dieu, sinon il n’y aurait même pas de volonté.
Mais il y a tout de même une objection possible, parce qu’on peut avoir l’impression d’un « bug » considérant l’impassibilité de Dieu:
Il n’y a en Dieu aucune passion. L’amour est une passion. Donc il n’y a pas d’amour en Dieu.
Thomas précise alors que l’amour qui se trouve en Dieu n’est pas un amour sensitif comme le jour où je suis tombé amoureux de ma femme, mais un amour intellectuel. Avant de monter sur vos grands chevaux écoutez ce que signifient les deux pour la théologie médiévale.
Comment suis je tombé amoureux de ma femme? En la voyant -pour simplifier-. Cette vision sensible (=qui vient des sens) a déclenché un appétit sensitif (=qui concerne les sens). En langage ordinaire: ma langue est tombée par terre, mon cou s’est raidi en mode « tournesol » ou « je-la-suis-tout-le-temps-du-regard » etc… [Oui j’étais bizarre. Il y a d’ailleurs deux mystères insondables qui résistent à ma compréhension: la Sainte Trinité, et comment ma femme a pu m’épouser]
L’amour que j’ai ressenti pour ma femme lors de ce coup de foudre a un nom en métaphysique aristotélicienne: l’appétit sensitif. Appétit comme dans « j’ai envie de [manger] ». Sensitif parce qu’il passe par les sens. C’est cet amour là qui est une passion, parce que nous sommes principalement passif dans son exécution.
On avance maintenant de cinquante ans: aurais je toujours la langue qui pend et l’appétit sensitif au maximum quand j’aurais 80 ans? Probablement pas. Aurais je arrêté d’aimer ma femme? Certainement pas! Mais l’amour que je ressentirais pour elle ne sera plus une passion, mais un acte. Il ne sera plus tant avec mon corps qu’avec mon âme. Plus tant des sens que de mon intellect (=capacité à discerner la vérité).
En effet, j’aurais appris à davantage la connaître au fil des années. Je saurais davantage ses points forts et ses défauts, ses forces et ses fragilités, ce qu’il y a de beau en elle et ce qui est agaçant. Ce ne sera plus seulement mes sens qui seront titillés par elle: mon intellect même, c’est à dire la partie de mon âme qui appréhende la vérité, se sera formé définitivement à elle, autour d’elle, et son âme à elle autour de la mienne.
Cet amour durable, enraciné, profond, résistant au temps, intime… c’est de ce genre d’amour là qu’est l’amour de Dieu.
Article 2: Dieu aime-t-il toute choses?
on lit au livre de la Sagesse (11, 24) : “ Tu aimes tout ce qui existe ; tu ne hais rien de ce que tu as fait. ”
Dieu aime tout ce qui existe ; car tout ce qui existe, en tant qu’il existe, est bon ; en effet, l’être même de chaque chose est un bien, et toute perfection de cette chose est également un bien.
Or, on a montré plus haut que la volonté de Dieu est cause de toute chose ; ainsi faut-il que toute chose n’ait d’être et de perfection que dans la mesure où elle est voulue par Dieu.
Donc à tout existant Dieu veut quelque bien. Puisque aimer n’est autre chose que de vouloir pour quelqu’un une chose bonne, il est évident que Dieu aime tout ce qui existe.- Ia Q20 a2
Dieu contempla ce qu’il avait crée et il vit que cela était bon. Cela était bon parce qu’il avait donné la bonté à toutes ces choses, autrement dit il les as aimés.
Ici, le docteur universel fait remarquer qu’on voit une autre différence entre notre amour et l’amour de Dieu. Notre amour aime ce qui est bon dans l’autre. Dieu donne la bonté même de l’autre.
J’aime ma femme parce qu’elle sert avec dévouement? Mais Dieu, lui, aime ma femme au point de lui donner ce même sens du service pour commencer! Mon amour réagit à ce qui est déjà présent. L’Amour de Dieu donne ce qui est aimable. Son amour est infiniment supérieur au mien.
Il y a pourtant une objection qui pourrait être faite.
Objection: Dans le Psaume (5, 6) on dit à Dieu : “ Tu hais tous les artisans d’iniquité. ” Or on ne peut à la fois haïr et aimer quelque chose. Donc Dieu n’aime pas toutes choses.
Réponse: Rien n’empêche d’éprouver, à l’égard du même objet, de l’amour sous un certain rapport, et de la haine sous un autre. Dieu aime les pécheurs en tant qu’ils sont des natures déterminées et qu’ils sont par lui. Mais en tant qu’ils sont pécheurs, ils ne sont pas, ils manquent à l’être, et en eux cela n’est pas de Dieu : c’est pourquoi, sous ce rapport, ils sont haïs par Dieu. – Ia Q20 a2
Article 3: Dieu aime-t-il plus l’un que l’autre?
Est-ce l’égalitarisme de notre époque? Nous nous raidissons à cet idée. Et pourtant c’est bel et bien le cas:
Augustin écrit : “ Dieu aime toutes les choses qu’il a faites, et parmi elles, il aime davantage ses créatures raisonnables ; parmi celles-ci il aime davantage celles qui sont membres de son Fils unique, et beaucoup plus encore son Fils unique. ” – Ia Q20 a3
Rappelons d’abord la définition de l’amour selon Thomas (et d’autres): Aimer, c’est vouloir ce qui est bon pour quelqu’un. [En passant: comparez cette définition toute simple avec celle d’un philosophe moderne. Quand vous aurez fini de rire, faites passer]
Il y a alors deux façons de dire que Dieu aime plus l’un que l’autre:
- Dire que Dieu veut plus intensément un bien pour l’un que l’autre. Mais cela n’a pas de sens: il n’y a pas de degrés dans la volonté de Dieu, il aime toute choses de la même intensité.
- Dire que Dieu veut un bien plus grand pour un que pour l’autre. Par exemple, il veut la capacité de connaître Dieu – un grand bien- pour l’homme plutôt que pour le bloc de granite. Selon cette nuance particulière, nous sommes forcés de dire que Dieu aime plus certaines choses que d’autres.
Article 4: Dieu aime-t-il davantage les meilleurs?
C’est là que la commune libre de Tolbiac sortirait de ses gonds, si seulement les vacances scolaires n’avaient pas arrêté la Révolution.
Tout être aime son semblable, comme l’Ecclésiastique (13, 15) le dit de “ tout être vivant ”. Or, plus un être est bon, plus il ressemble à Dieu. Donc Dieu l’aime davantage. – Ia Q20 a4
Le raisonnement est simple, l’expression est claire:
Il est nécessaire, d’après ce qui précède, d’affirmer que Dieu aime davantage ceux qui sont meilleurs. En effet, c’est le vouloir de Dieu qui est cause que les choses soient bonnes et l’on dit que, pour Dieu, aimer quelque chose davantage, c’est vouloir pour lui un plus grand bien. Donc, si certains sont meilleurs, c’est uniquement parce que Dieu leur veut un bien plus grand, et il s’ensuit qu’il aime les meilleurs davantage.– idem
Si -comme moi vous avez cru un instant en lisant la question que les meilleurs « méritaient » davantage l’amour de Dieu, vous avez tout faux. Il n’y a aucun mérite, c’est même plutôt l’inverse.
Dieu aime davantage certains, c’est à cause de cette raison seule qu’ils sont « meilleurs ».
Synthèse:
Y-a-t-il de l’Amour en Dieu?
Oui, puisqu’il y a de la volonté, et que la volonté nécessite un élan que l’on appelle « amour ».
Dieu aime-t-il toutes choses?
Oui, parce qu’il aime les diverses bontés en elles (l’existence, la vie, la vérité etc)
Dieu aime-t-il certaines choses plus que d’autres?
Oui, non en intensité, mais dans le sens où il donne parfois de plus grands dons à certaines créatures qu’à d’autres: par ex: il donne la vie au chat et non au bloc de granite.
Dieu aime-t-il les meilleurs?
Oui, mais non parce que « les meilleurs » le méritent: s’ils sont en effet meilleurs, c’est parce que Dieu leur a donné un don plus grand.
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