La virginité de Marie – Thomas d'Aquin
18 janvier 2020

Cette semaine encore, nous allons être dans un apparent affrontement entre Thomas d’Aquin et la tradition protestante. En effet, c’est une position courante chez les évangéliques de non seulement ne pas reconnaître le fait que Marie était sans péchés, mais qu’elle est restée vierge après la naissance de Jésus. C’est-à-dire qu’habituellement, les évangéliques nient la virginité perpétuelle. Comme tous les protestants, n’est ce pas ?

Et bien vous verrez que ca dépend.

  1. La Mère de Dieu a-t-elle été vierge en concevant le Christ ? Oui.
  2. Est-elle demeurée vierge en l’enfantant ? Oui.
  3. L’est-t-elle demeurée après l’enfantement ? Oui.
  4. Avait-elle fait vœu de virginité ? Oui.

Article 1 : La mère de Dieu a-t-elle été vierge en concevant le Christ ?

 il y a l’oracle d’Isaïe (7, 14) : « Voici que la Vierge concevra. »

C’est un des articles fondamentaux de notre foi, celui qui nous sépare entre autre des libéraux et que nous devons conserver, parce que c’est la divinité de Christ qui est liée à cette naissance virginale. Rappelons par ailleurs que la naissance de Jésus est unique dans la littérature, car aucun mythe grec ne présente la même chose. En effet, nous ne disons pas que Dieu a eu une étreinte physique avec Marie, dont est né Jésus, à l’image de Persée fils de Zeus et Danaé. Nous disons que Marie a conçu miraculeusement un œuf fécondé, sans aucune étreinte d’aucune sorte.

Thomas d’Aquin donne 4 arguments :

  1. Pour sauvegarder la dignité de celui qui envoie le Christ. Si Jésus est le Fils de Dieu, il ne convient pas qu’il soit aussi le fils de Joseph, ou d’un quelconque autre humain.
  2. Parce que c’est ce qui convient au Fils de Dieu. Jésus étant le Verbe de Dieu, ce serait une « tâche » que d’être engendré par une simple relation sexuelle. Il fallait au contraire que Jésus vienne « sans aucune atteinte à l’intégrité (!)  de sa mère ».
  3. Cela convient aussi à la dignité de l’humanité de Jésus. En effet, Jésus étant parfait et sans péché, il ne pouvait pas en conséquence venir au monde par une relation sexuelle qui lui aurait fait hériter le péché originel.
  4. C’est conforme au but même de l’incarnation, qui est de faire renaître les hommes par l’esprit. Comme le dit Augustin : « Il fallait que notre tête naquit selon la chair, d’une vierge par un miracle insigne, pour montrer que ses membres devaient naître, selon l’esprit, de cette vierge qu’est l’Eglise. »

Je ne reçois pas l’argument 2, parce qu’ils sont le relais d’une vision de la sexualité comme intrinsèquement perverse que je ne reçois pas. Au point où j’en suis, j’ai même du mal à comprendre des excès comme ceux de Méthode d’Olympie, mis à part en blâmant le platonisme présent chez les pères.

Pour la réponse à la même question, voilà ce qu’en dit Turretin :

Ici, deux questions se posent tout spécialement : (1)Pourquoi le Christ devait-il naître d’une vierge ?[…] A la première on répondre qu’en général c’était nécessaire pour l’accomplissement des anciennes prophéties qui l’avaient expressément prédit (Esaïe 7.14) […] Mais plus particulièrement, plusieurs raisons ont été donnée pour cette dispensation. (a) un nouveau mode de génération était adapté à un nouvel homme et une personne extraordinaire exigeait une naissance extraordinaire. Auparavant, le premier homme avait été créé immédiatement par Dieu. Ensuite, Eve avait été tirée de l’homme sans l’aide d’une femme. Après cela, tous les hommes sont nés ordinairement de l’homme et de la femme. Un quatrième mode restait pour afficher l’admirable sagesse de Dieu dans la production des hommes : qu’un homme puisse naître d’une femme sans un homme (accompli par Christ seul) (Jérémie 31.22). (b) Il voulait que le Christ naisse d’une femme pour prouver qu’il était un vrai homme. Il ne voulait pas être de la semence de l’homme « pour que nouus croyons qu’il était quelque chose d’autre qu’un homme » comme le dit Ambroise. […] (c)Il ne convenait pas qu’un même fils ait deux pères, mais tout comme il n’a reconnu aucune mère dans le ciel (en tant que fils de Dieu, ainsi il ne devait reconnaître aucun père sur la tère (en tant que fils de l’homme) et ainsi être réellement sans père (apater) et sans mère (amater). (d) S’il avait été concu à partir de la semence d’un homme, on n’aurait pas pu dire qu’il était conçu du Saint Esprit, et il aurait été le fils naturel d’Adam et donc l’héritier de tous ses maux. Donc, pour qu’il soit évident qu’il n’avait rien de commun avec le péché (qui nous vient par génération ordinaire) il devait naître d’une façon extraordinaire.

ITE, Loc 13 Q11§19

Article 2 : La mère de Dieu est-elle resté vierge en enfantant ?

on dit dans un discours du Concile d’Éphèse : « La nature, après l’enfantement, ne connaît plus de vierge. Mais la grâce a montré une mère qui enfante sans que sa virginité en souffre. »

Thomas d’Aquin mentionne alors la prophétie d’Esaïe qui indique que non seulement la vierge concevra un enfant, mais qu’elle enfantera un fils (sous-entendu : en restant vierge). Par-dessus, il rajoute :

  1. C’est ce qui convient au Fils de Dieu, car il ne suffit pas que la conception soit miraculeuse mais la naissance doit l’être aussi.
  2. « Cela convient quant à l’effet de l’Incarnation. Car le Christ est venu pour enlever notre corruption. Aussi n’aurait-il pas été convenable qu’il détruisît par sa naissance la virginité de sa mère » -sic-
  3. « Celui qui a prescrit d’honorer ses parents ne pouvait en naissant diminuer l’honneur de sa mère. »

Face à cela, Turretin est plus réaliste :

Cette gestation, bien qu’elle soit miraculeuse parce que virginale peut tout aussi bien être dite naturelle parce qu’elle a eu le même travail que les mères. Ainsi donc on ne peut pas dire qu’elle a accouché sans douleurs. Car puisqu’elle n’était pas sans péchés, elle devait endurer la punition du péché aussi dans cette partie particulière et primitive des mères : « Tu enfanteras dans la douleur » (Genèse 3.16) et « Une mère en travail est dans le désarroi » (Jean 16.21). Et l’on doit encore moins dire –comme les papistes qui en dérivent la pénétration des corps- que Marie a donné naissance à partir d’une matrice fermée. L’Ecriture déclare explicitement le contraire (Luc 2.22-23 quand elle applique à Christ le passage « tout ce qui ouvre la matrice entre les enfants d’Israël» Exode 13.2) et aussi la nature de la chose même (qui ne permet pas cette pénétration et cette existence de deux corps au même endroit). Pour autant, il n’y a pas lieu de douter de la virginité de Marie, car elle ne consiste pas en ce que Christ est né d’un utérus fermé, mais qu’elle était une vierge qui n’avait pas connu d’hommes.

Turretin, ITE, Loc13 Q11 §16

Article 3 : La Mère de Dieu est-elle demeurée vierge après l’enfantement ?

En gros, Joseph a-t-il engendré des enfants à Marie après Jésus ?

il est écrit dans Ézéchiel (44, 2) : « Cette porte sera fermée; elle ne s’ouvrira point; et l’homme n’y passera pas parce que le Seigneur Dieu d’Israël est entré par elle. » S. Augustin explique ainsi ce texte : « Que signifie cette porte fermée dans la maison du Seigneur, sinon que Marie sera toujours intacte? Et que « l’homme n’y passera pas » sinon que Joseph ne la connaîtra pas? Que signifie : « Seul le Seigneur entre et sort par elle », sinon que le Saint-Esprit la fécondera et que le Seigneur des anges naîtra d’elle? Et « elle sera fermée pour toujours », sinon que Marie est vierge avant l’enfantement, vierge dans l’enfantement et vierge après l’enfantement? « 

Thomas ajoute les arguments :

  1. Si Marie avait des enfants après Jésus, cela porterait atteinte à sa perfection : tout comme il était fils unique de son père, il convenait qu’il soit fils unique de sa mère.
  2. « Cette erreur fait injure au Saint-Esprit, car le sein virginal fut le sanctuaire où il forma la chair du Christ; aussi aurait-il été indécent qu’il fût ensuite profané par une union avec l’homme. »
  3. « Elle rabaisse la dignité et la sainteté de la Mère de Dieu, qui aurait paru très ingrate si elle ne s’était pas contentée d’un Fils pareil et si elle avait voulu perdre par une union chamelle la virginité qui s’était miraculeusement conservée en elle. »
  4. « On devrait encore reprocher à Joseph la plus grande audace s’il avait essayé de souiller celle dont l’ange lui avait révélé qu’elle a conçu Dieu par l’opération du Saint-Esprit. C’est pourquoi il faut affirmer sans aucune réserve que la Mère de Dieu, qui était restée vierge en concevant et en enfantant, est encore restée perpétuellement vierge après avoir enfanté. »

Quant à Turretin (et une bonne part de la tradition réformée avec lui), il est…. D’accord avec la conclusion !

Marie est-elle toujours restée vierge après [la naissance de Christ] ? Ce n’est pas explicitement déclaré dans l’Ecriture, mais pourtant c’est ce qui est pieusement cru à partir du consensus de l’église primitive. Ainsi il est probable que la matrice dans laquelle notre Sauveur a reçu les auspices de la vie était si consacrée et sanctifiée par un tel invité qu’elle est toujours restée intouchée par un homme ; et Joseph n’a jamais cohabité avec elle. – Turretin, Instituts de théologie elenctique t2, sujet 13 Q11 §21

Turretin, ITE, Sujet 13 Q11 §21

Plus des arguments traditionnels que je ne remets pas ici, par manque de place. On retrouvera des positions semblables chez Calvin dans son commentaire sur Matthieu 1.25. Et après François Turretin, on trouve aussi dans la bouche de Wilhelm A Brakel : « Il est crédible que la vierge soit resté perpétuellement vierge jusqu’au jour de sa mort. » Il y a donc un espace dans la tradition protestante pour cette position, et elle ne devrait pas être l’occasion de débats inutiles.

A noter cependant que François Turretin rejette l’interprétation traditionnelle, relayée par Thomas d’Aquin :

Le passage concernant  » la porte fermée  » (Ez. 44, 2), par laquelle personne ne pouvait entrer sauf le prince, est ici faussement évoqué. En plus d’être allégorique et, de ce fait, non argumentatif (comme le confessent nos adversaires), il est étranger au sujet traité ici. Car l’édifice montré au prophète n’était pas un type de la vierge bénie, mais un type de l’église universelle. La porte du ciel (fermée pour cause de péché) est ouverte à l’église et est débarrée par le Christ, son souverain sacrificateur et prince.

Turretin, ITE, Sujet 13 Q11, §17

Article 4 : La Mère de Dieu avait-elle fait vœu de virginité ?

 S. Augustin, écrit  » A l’annonce faite par l’Ange, Marie répond : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme? »  » Ce qu’elle n’aurait certainement pas dit si elle n’avait pas antérieurement consacré à Dieu sa virginité.

Comme nous l’avons dit dans la deuxième Partie, les oeuvres de perfection méritent plus de louanges quand elles sont solennisées par un voeu. Or, chez la Mère de Dieu, c’est la virginité qui devait avoir le plus d’éclat, comme cela apparat d’après nos arguments. Il convenait donc que sa virginité fût consacrée à Dieu par un voeu. Il est vrai qu’au temps de la loi il fallait pousser à la fécondité les femmes aussi bien que des hommes, parce que c’était par la descendance charnelle que se propageait le culte de Dieu, avant que le Christ naquit de ce peuple. Aussi ne croit-on pas que la Mère de Dieu, avant ses fiançailles avec Joseph, ait fait catégoriquement le voeu de virginité; mais bien qu’elle en ait eu le désir, elle a remis sur ce point sa volonté à la décision de Dieu. Plus tard, quand elle eut pris un époux, comme l’exigeaient les moeurs du temps, elle fit avec lui voeu de virginité.

Contre cela, toute la tradition réformée affirme, avec Turretin :

Cependant, bien qu’on puisse pieusement croire que sa virginité était perpétuelle, c’est à tort que les papistes lui attribuent un vœu de virginité. Car elle ne pouvait pas promettre en même temps la virginité à Dieu et le mariage à Joseph, ni faire vœu d’absence d’enfants comme une chose agréable à Dieu (ce qu’elle savait être à la fois maudit dans la loi [Dt. 7:14] et en contradiction avec la coutume de sa nation et mentionné par une épithète opprobe de sa cousine Elisabeth [Lc. 1:25]). Encore une fois, elle n’aurait pu faire ce vœu ni avant, ni après son mariage. Pas avant, car si elle avait fait un tel vœu, pourquoi donc s’est-elle mariée (car autrement elle pourrait plus sûrement garder sa virginité) ? Et avec quelle conscience pouvait-elle abuser du nom de mariage pour tromper Joseph et, en souffrant elle-même d’être unie à un mari, avoir méprisé l’alliance sacrée du mariage sans se moquer de Dieu ? Et pas après, car le vœu aurait été sans valeur sans le consentement de son mari (ce qui ne peut être prouvé par aucun argument).

Les paroles de Marie n’établissent pas non plus un tel vœu (« Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? », Lc. 1, 34) comme si elle indiquait son incapacité morale à partir d’un vœu, et non pas sa capacité naturelle (« Je ne sais pas », c’est-à-dire Je ne suis pas habitué à savoir, et je ne peux pas savoir) ; en effet, ce ne serait pas la nature, ni la loi qui interdit, mais le vœu (comme le soutient Maldonatus, Commentaria in quatuor evangelistas [1863], 2:44 sur Lc.1:34). Ces mots sont faussement arrachés à un vœu dont il n’y a pas la moindre trace. Elles ne sont que celles d’une personne qui s’interroge sur la nouveauté et la grandeur de la chose et qui s’interroge sur le mode. Car il ne pouvait qu’être merveilleux pour une vierge de pouvoir prédire la conception et la naissance immédiates, sans qu’il soit fait mention de la consommation du mariage ou de son époux Joseph, comme s’ils étaient déjà mariés (alors qu’elle-même était consciente de sa virginité et ne connaissait pas encore de mari).

Turretin, ITE, Sujet 13 Q11 §26-27

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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  1. Zwingli et la virginité perpétuelle de Marie — Romel Quintero – Par la foi - […] contraire de Turretin, opposé à la lecture allégorique, cf. cet article d’Étienne Omnès (note du […]

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