Cet article est une traduction de Calvinist Iconoclasts? A Mixed Message from the Reformers on Images of Jesus de Eric Parker. Ses recherches portent sur la réception du néoplatonisme au début de la période moderne, avec un intérêt particulier pour l’influence de Nicolas de Cues et des platoniciens de Cambridge. Eric a publié des articles universitaires sur Martin Luther et sur divers aspects de la théologie réformée. Il vit dans l’état du Mississippi avec sa femme et ses deux enfants.
Note de l’éditeur : pour ne pas blesser nos amis qui seraient convaincus que représenter le corps du Christ serait une violation du deuxième commandement, nous nous abstiendrons de telles illustrations sur le blog.
Le deuxième commandement et les pratiques des églises contemporaines
Ici, dans le Sud1 hanté par le Christ, les calvinistes sont en minorité et il y a partout des images de Jésus. J’ai grandi dans une église baptiste rurale du Sud qui était ornée de vitraux représentant la vie du Christ. Ma grand-mère avait une de ces images électroniques en trois dimensions de Jésus marchant sur l’eau. J’admets que c’était vraiment cool. Mais n’imaginez-vous pas Jean Calvin se retourner dans sa tombe en voyant cette pratique ? Dans les milieux réformés, nous ne fabriquons pas et nous n’utilisons pas d’images de Jésus — c’est du moins ce que nous prétendons.
Les catéchismes de Heidelberg et de Westminster indiquent clairement que faire des icônes enfreint le deuxième commandement. Et pourtant, les images de Jésus sont monnaie courante dans les programmes scolaires, à tel point qu’il est difficile de trouver une église presbytérienne qui en soit exempte. Et si Westminster est la norme, imaginez (ou non) combien d’enfants et d’adultes réformés la violent chaque dimanche lorsqu’ils imaginent Jésus « dans [leur] esprit », un acte que la question 109 du Grand catéchisme interdit.
La question du second commandement est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était au XVIe siècle. Pourtant, si nous pouvions transporter une poignée de réformateurs du XVIe siècle à nos jours et leur demander s’il est approprié pour nous de faire des images de Jésus, nous serions probablement surpris par leurs réponses.
Luther contre Zwingli
Par exemple, Luther serait sans aucun doute le premier à prendre la parole. « Ja, disait-il, comme je l’ai dit à Karlstadt, les images sont un excellent outil pour enseigner aux non-initiés la différence entre la Loi et l’Évangile. C’est une plus grande idolâtrie que de les retirer de l’église, car leur retrait obligerait les consciences des hommes à penser que ce qui est licite est maintenant interdit. »
Zwingli répondait alors : « Nein ! nous devons retirer toutes les images des églises parce que la simple fabrication d’une image en vue d’un usage sacré constitue une violation du second commandement ! »
L’ambiance risquerait alors de sombrer dans le chaos tandis que Luther s’offusquerait personnellement de l’accusation implicite de blasphème proférée par Zwingli. Dans le barrage d’exclamations et d’insultes qui s’ensuivrait (et que Luther gagnerait probablement), Martin Bucer pourrait tenter une position de médiateur avant de se retrouver avec des œufs sur la tête, tandis que Jean Calvin et Theodore de Bèze quitteraient les lieux sans que personne ne s’en aperçoive.
Ainsi, Luther et Zwingli nous donnent une réponse équivoque. Zwingli à lui seul est porteur d’un message ambigu, car la Bible de Zurich qu’il a contribué à produire comprend une image de Jésus tirée de l’Apocalypse de saint Jean.
La fermeté de Calvin, de Bucer et d’Ursinus
L’affaire manque également de clarté chez ceux qu’on appelle calvinistes. La position de Bucer aboutit en 1530 avec la publication de « Aucun type d’icône n’est permis »2, dans laquelle il affirme que toutes les images de Jésus sont interdites. Nous pourrions naturellement remettre en question cette interprétation du commandement et demander : « Mais si Dieu ne voulait pas que nous fassions des images de lui, pourquoi est-il devenu en Jésus-Christ un être humain visible, vivant, respirant ? » Bucer répond : « En vérité, nous ne nions pas que la mort du Christ, dont il souffrait lorsqu’il était parmi les hommes, nous a apporté quelque chose de sain et de profitable… et pourtant, le même Christ a clairement témoigné que sa présence corporelle n’était pas profitable. C’est l’Esprit (dit-il) qui vivifie3. » Oui, il est vrai que nous ne tirons aucun bénéfice du corps physique du Christ en dehors de son Esprit. Mais est-il pour autant vrai, comme le dit Bucer, que sa présence corporelle n’a « rien rapporté » ? Cette hypothèse ne sous-estime-t-elle pas la signification de l’incarnation ? Compte tenu de ses conclusions, il est très déroutant que, quinze ans plus tard, Bucer a publié sa « Défense constante » à Bonn avec une représentation très proéminente d’un crucifix sur le frontispice4 !
Dans ses principaux écrits, Calvin ne déclare pas explicitement que les images de Jésus violent les commandements de Dieu. Il note cependant que la fabrication d’images de Dieu est idolâtre, car il est impossible de saisir la divinité infinie dans un portrait physique5. Mais qu’en est-il de la nature physique que Dieu s’est donnée dans l’incarnation de Jésus ? Calvin n’est explicite sur ce concept que dans ses sermons sur le Deutéronome, dans lesquels il s’interroge sur les peintures de Jésus : « N’est-ce pas un effacement de ce qui est le plus important dans notre Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire de sa divine Majesté ? », ce à quoi il répond avec force par un « Oui » retentissant6 (Ironiquement, cependant, l’impression anglaise de 1583 des sermons de Calvin comporte une image de Jésus sur le frontispice !). Ainsi, il est clair pour Calvin que les représentations artistiques de Jésus violent le commandement explicite de Dieu. Elles sont également hérétiques, dit-il, parce qu’elles séparent la nature divine du Christ de son humanité, puisque seule l’humanité peut être représentée. Ainsi, quiconque fait une image du Christ est coupable de l’hérésie nestorienne, une conclusion à laquelle est également parvenu Zacharius Ursinus7.
Un avis contraire : Pierre Martyr Vermigli & Jérome Zanchi
Malheureusement pour notre dilemme, les connaissances de Calvin n’étaient pas toutes d’accord avec sa conclusion. Les deux Italiens, Pierre Martyr Vermigli et son disciple Jérome Zanchi — tous deux amis de Calvin et d’Ursinus et influencés par eux — ne croient pas que les images de Jésus soient intrinsèquement mauvaises. Vermigli dit seulement que les images des saints et du Christ ne doivent pas être placées dans les églises où elles deviennent des tentations d’idolâtrie, mais qu’elles peuvent être utilisées dans des cadres privés et publics. Il affirme que ces images « peuvent apporter un plaisir honnête, auquel peut s’ajouter une certaine utilité, si elles représentent les choses qui sont des monuments et des exemples de piété8 ». Zanchi, étant à bien des égards le « second Ursinus » (ayant succédé à la chaire de théologie d’Ursinus à Heidelberg), est en désaccord avec l’accusation de nestorianisme soulevée par Ursinus, en disant : « Il n’est pas impie de peindre [une image du] Christ, dans la mesure où il est un homme, tant que l’image n’est pas adorée9. » Zanchi poursuit : « L’âme humaine ne peut pas non plus être peinte, et pourtant ne peint-on pas les formes des corps humains10 ? » Zanchi soutient ici que si nous appliquons à la personne humaine la logique de Calvin (et d’Ursinus) concernant les images du Christ, nous devrons alors conclure qu’aucune représentation d’êtres humains n’est autorisée non plus, puisque l’âme ne peut pas être peinte.
Ainsi, nous nous retrouvons avec un message ambigu de la part de certains des réformateurs, et des plus éminents, concernant la fabrication d’images de Jésus. Comment pourrait-il y avoir un désaccord sur une question aussi fondamentale ?
Ce n’est pas une question indifférente (adiaphoron). La fabrication d’images de Jésus, selon Calvin, est un acte d’idolâtrie et est strictement interdite par Dieu. Par conséquent, ceux qui commettent de tels actes sont des pécheurs volontaires au pire et des nestoriens au mieux. On peut se demander comment ce que Calvin perçoit comme de l’idolâtrie peut être considéré par Vermigli, Zanchi et d’autres comme un acte de piété.
Conclusion
Ainsi, en tant que réformés, nous pouvons choisir de quitter la salle et de laisser Luther et Zwingli s’exprimer sur cette question. Mais, si nous nous faufilons avec Calvin et son équipe, nous ne ferons que reporter le débat jusqu’à notre arrivée au pub. Nous verrons alors qui sera le premier à critiquer le Jésus électronique en trois dimensions placé malencontreusement derrière le bar.
- des États-Unis[↩]
- Il ne s’agit pas du titre de l’oeuvre en français mais d’une traduction du titre anglais, nous n’avons en effet pas pu retrouver le titre de l’oeuvre originelle en français. NdE[↩]
- BUCER, Martin, A Treatise Declaryng and Shewing Dyvers causes that Pyctures and Other Ymages Which were wont to be Worshypped ar in no Wise to be Sufred in the Temples or Church of Cristen Men, (London, T. Godfray for W. Marshall, 1535)[↩]
- Bien sûr, il est possible que Bucer ait négligé de demander une image différente pour le frontispice, mais il aurait très probablement pu faire une telle demande.[↩]
- voir CALVIN, Jean, Institution de la religion chrétienne I.1.13[↩]
- CALVIN, Jean, sermon du 23 mai 1555, in Sermons de M. Jean Calvin à propos du cinquième livre de Moïse appelé Deutéronome, édition anglaise par Arthur Golding (Londres : Henry Middleton pour Thomas Woodcocke, 1583), p. 138.[↩]
- URSINUS, Zacharie, Commentaire du Dr Zacharius Ursinus sur le Catéchisme de Heidelberg, trad. de G.W. Williard, 2e édition, (Columbus : Scott & Bascom, 1852), p. 527[↩]
- VERMIGLI, Pierre Martyr, Commentaires très savants et fructueux du Dr Martir Vermilius, professeur de divinité à l’école de Tigure, sur l’Épître de S. Paul aux Romains, trad. Sir Henry Billingsley (Londres, John Daye, 1568), p. 32[↩]
- ZANCHI, Jérome, Tractationum theologicarum volumen de statu peccati et legali. (Neustadt : Nicolaus Schrammius impensis haeredum Wilhelmi Harnisii, 1603), p. 501. Trad. personnelle.[↩]
- Ibid., p. 502[↩]
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