Le passage ci-dessous est extrait de l’homélie LXXXIII de saint Jean Chrysostome sur l’évangile de Jean. Nous reproduisons aussi la péricope de l’arrestation de Jésus (Jn 18,1-11).
Lorsqu’il eut dit ces choses, Jésus alla avec ses disciples de l’autre côté du torrent du Cédron, où se trouvait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait ce lieu, parce que Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas donc, ayant pris la cohorte, et des huissiers qu’envoyèrent les principaux sacrificateurs et les pharisiens, vint là avec des lanternes, des flambeaux et des armes. Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança, et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi. Et Judas, qui le livrait, était avec eux. Lorsque Jésus leur eut dit : C’est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre.
Il leur demanda de nouveau: Qui cherchez-vous ? Et ils dirent : Jésus de Nazareth. Jésus répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Il dit cela, afin que s’accomplît la parole qu ‘il avait dite : Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l’oreille droite. Ce serviteur s’appelait Malchus. Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire ?
La mort est vraiment une chose effrayante et terrible pour les hommes qui ne sont pas initiés à la divine philosophie. Celui qui n’a point de notion claire touchant l’avenir, qui ne voit dans la mort que l’évanouissement en quelque sorte et le terme de la vie, la considère à juste titre avec épouvante et frayeur, parce qu’elle est pour lui le seuil du néant.
Mais nous qui, par la grâce de Dieu, avons été instruits des mystères, des merveilles cachées de sa sagesse, qui voyons dans la mort un départ, nous avons le droit de ne pas la redouter ; nous avons même le devoir de la considérer avec joie et courage, parce qu’elle est le passage de cette vie misérable à une vie bien meilleure, beaucoup plus glorieuse, et qui de plus n’aura pas de fin. C’est là ce que nous enseigne le Christ ; car c’est dans sa pleine volonté, non par contrainte ou par nécessité, qu’il se présente à la passion.
« Jésus parla de la sorte », dit l’évangéliste, « et s’en alla avec ses disciples au delà du torrent de Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples. Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu-là, parce que Jésus y avait souvent été avec ses disciples ». Le Sauveur se met en marche vers le milieu de la nuit ; il passe le torrent, il se hâte d’arriver à ce lieu que le traître connaissait, pour exempter ceux qui lui dressent des embûches de la peine et de la fatigue du chemin ; il fait voir à ses disciples qu’il marche volontairement à la mort, ce qui devait beaucoup les consoler ; et il se constitue comme en prison dans ce jardin.
« Jésus dit ces choses ». Jean, que dites-vous ? le Sauveur avait prié son Père, il lui avait fait sa prière ? Pourquoi ne dites-vous donc pas que l’ayant finie, il vint en ce lieu ? Parce que ce n’était point là une prière, mais un entretien qu’il eut avec son Père, au sujet de ses disciples. Et ses disciples entrèrent dans le jardin ; ainsi il les délivra de la crainte où ils étaient, de sorte qu’ils ne refusèrent pas d’aller au jardin, et qu’ils y entrèrent sans difficulté. Qu’est-ce qui porta Judas à y venir ? ou d’où apprit-il qu’il y fallait aller ? Par là on voit que Jésus passait souvent les nuits dehors ; s’il les eût passées dans la maison, Judas ne le serait pas venu chercher dans ce désert, mais il serait allé à la maison pour le trouver endormi.
Mais de peur qu’entendant parler de jardin, vous ne croyiez que Jésus avait voulu se cacher, l’évangéliste ajoute : « Judas connaissait ce lieu-là ». Et il ne se contente pas de vous le faire remarquer ; mais il dit encore que Judas le connaissait, « parce que Jésus y avait souvent été avec ses disciples ». Il y allait souvent avec ses disciples, pour les entretenir en particulier de choses nécessaires, que nul, excepté eux, ne devait entendre. Jésus se retirait sur des montagnes et dans des jardins, cherchant toujours les lieux éloignés du bruit et du tumulte, afin que rien ne pût distraire ses auditeurs de sa doctrine et de ses instructions.
« Judas ayant donc pris » avec lui « une compagnie de soldats, et des gens envoyés par les princes des prêtres et par les pharisiens, il vint en ce lieu ». Plus d’une fois déjà, les princes des prêtres et les pharisiens avaient envoyé des gens pour le prendre, mais ils ne l’avaient pu. D’où il est visible que c’est volontairement qu’il se livra. Et comment purent-ils engager cette cohorte à faire une pareille action ? C’étaient des soldats toujours prêts à tout faire pour de l’argent.
« Mais Jésus, qui savait tout ce qui lui devait arriver, vint au-devant d’eux, et leur dit : Qui cherchez-vous ? » C’est-à-dire, ce n’est point par l’arrivée de ces gens-là, que Jésus apprit ce qu’on voulait faire de lui ; mais, sans se troubler, comme sachant tout, il s’avança, et leur parla, se comporta de la sorte. Pourquoi vinrent-ils avec des armes pour le prendre ? Ils craignaient le peuple qui avait coutume de le suivre ; et c’est aussi pour cela qu’ils vinrent de nuit.
« Étant venu au-devant d’eux, il leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth ». Ne voyez-vous pas cette puissance invincible ? Il est au milieu d’eux, ils ne peuvent pas le voir, il les rend tous aveugles. Que cela ne vint point des ténèbres de la nuit, l’évangéliste le montre assez, en disant qu’ils avaient des flambeaux ; mais quand même ils n’en auraient point eu, ils auraient pu le reconnaître à sa voix. Que si elle était inconnue aux soldats, comment l’aurait-elle été à Judas, qui était continuellement avec lui ? En effet, Judas était avec eux, et ne reconnut pas plus Jésus que les autres, il tomba avec eux à la renverse. Or, Jésus fit cela pour montrer que, quoiqu’il fût au milieu d’eux, non-seulement ils ne pouvaient le prendre, mais même le voir, s’il ne le permettait.
« Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? » Ô folie ! Jésus les a tous renversés par une seule parole, ils viennent d’éprouver sa redoutable puissance, et ils ne rentrent point en eux-mêmes, ils ne s’amendent point, ils poursuivent encore leur entreprise. Mais quand Jésus a fait ce qui était en lui, pour les détourner de leur dessein, alors, enfin il se livre à eux et leur dit : « Je vous ai déjà dit que c’est moi. Or, Judas qui le trahissait, était aussi là présent avec eux ». Remarquez, mes frères, la modération de l’évangéliste : il ne maudit point le traître, il fait simplement le récit de ce qui s’est passé, ne s’attachant qu’à faire connaître qu’il n’est rien arrivé que par la permission de Jésus.
Mais, de peur qu’on ne prît de là occasion de dire que Jésus-Christ s’étant lui-même fait connaître et livré à eux, les avait poussés à commettre ce crime, il a fait d’abord tout ce qui les en pouvait détourner ; et comme ils persévéraient dans leur méchanceté, et qu’ils étaient sans excuse, alors seulement il s’est livré lui-même et il leur a dit : « Si c’est donc moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci », leur donnant jusqu’à la dernière heure des témoignages et des marques de sa bonté. Si c’est de moi que vous avez besoin, dit-il, qu’il n’y ait rien de commun avec ceux-ci ; je me livre moi-même à vous.
« Afin que cette parole qu’il avait dite fût accomplie : il n’a perdu aucun d’eux ». Au reste, cette perte, Jésus-Christ l’entendait, non de la mort du corps, mais de celle de l’âme, mais de la mort éternelle. L’évangéliste a en vue, en même temps, celle du corps.
Mais il y a lieu de s’étonner qu’ils ne se soient pas saisis aussi des disciples, et qu’ils ne les aient pas tous massacrés ; surtout Pierre les ayant fortement irrités, en blessant un des serviteurs. Qui les a retenus, qui les en a empêchés, sinon cette même puissance qui les a renversés et jetés par terre ? C’est pour montrer que ce n’est point par leur volonté, mais par la volonté et la vertu de celui même qu’ils ont réussi à prendre, que l’évangéliste ajoute : « Afin que cette parole qu’il avait dite fût accomplie : Aucun d’entre eux ne s’est perdu ».
Lecture suggérée par Daniel Bourguet, L’Évangile médité par les Pères. Jean, Lyon : Olivétan, 2010, p. 272.
Illustration d’en-tête : Jacob Jordaens (1593-1678), L’Arrestation du Christ, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Valenciennes.
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