L’origine divine de l’institution étatique – Meredith G. Kline
16 juin 2020

Le dévoilement de cette institution de grâce commune qu’est la cité devait trouver son expression la plus accomplie (pour autant que le livre de la Genèse en retrace l’histoire) dans la révélation divine accordée à Noé, au moment où l’humanité allait prendre un nouveau départ après le jugement du vieux monde par le Déluge. La mise en place de cette institution prit alors la forme d’une alliance, dans laquelle la cité était l’objet à la fois d’un commandement de Dieu et de sa bénédiction (Gn 8 :21-9:7). Dieu avait toutefois déjà, dans sa grâce commune, institué la cité dans l’ancien monde, bien avant le Déluge. En effet, certaines des composantes nécessaires à l’élaboration de cette cité de grâce commune avaient été énoncées dès la Chute. Car, comme nous l’avons vu, la parole de la malédiction de Dieu adressée à l’ensemble de l’humanité lors du jugement en Eden (Gn 3 :16 ss.) comportait implicitement l’indication que l’institution du mariage et la tâche d’assujettir la terre devaient se perpétuer. Et, peu après, la structure de l’autorité judiciaire de la cité allait être établie dans une communication divine digne d’attention, donnée à celui-là même qui allait devenir le fondateur de la cité des hommes. Genèse 4:15 rapporte en effet la réaction divine à la plainte que Caïn lui a adressée. Cette déclaration divine constitue l’origine, par oracle divin, de l’institution de la cité, c’est-à-dire de l’État 1.


Caïn venait tout juste d’entendre Dieu prononcer sur lui la sentence judiciaire de la malédiction que lui valait le meurtre de son frère. Et il répugne à l’idée d’une existence de fugitif dans ce qu’il supposait être un monde sauvage totalement dénué de loi. Caïn se plaint donc à Dieu de cette perspective insupportable d’un monde abandonné par Dieu à la terreur de l’anarchie, d’un monde dont le Juge de toute la terre aurait détourné le visage, qui ne porterait plus attention aux injustices galopantes ou aux appels à ce que justice soit rendue. Caïn déplore que, dans un tel monde sans loi ni ordre, il soit exposé à la vengeance effrénée de la famille humaine, dont chaque membre pourrait chercher à venger le sang de leur frère Abel (Gn 4:11-14).


Dieu répond à la plainte de Caïn en rectifiant sa supposition erronée que l’humanité allait désormais n’être sous le contrôle d’aucun système judiciaire formel. Le Seigneur s’est en fait saisi de l’occasion pour promulguer une ordonnance selon laquelle il y aurait parmi les hommes une administration de la justice voulue par Dieu. Dans le cadre de cet ordre judiciaire envisagé par Dieu, le meurtre en particulier devrait désormais être l’objet d’une vengeance entièrement sanctionnée par Dieu. Dans le langage de Genèse 4:15a, cela est formulé d’une manière appropriée à la circonstance du moment : « Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois. » Le verset 15b réfère à cette déclaration divine comme à un engagement solennel pris par Dieu, un serment divin envers Caïn (le texte n’ayant en vue aucune « marque » physique posée par Dieu sur Caïn). Le verset pourrait être paraphrasé ainsi : « C’est ainsi que le Seigneur assura par serment à Caïn qu’il n’adviendrait pas qu’on lui ôte la vie impunément ».  Dieu annonçait ainsi que la situation d’anarchie envisagée par Caïn n’aurait pas lieu. Dieu ne cacherait pas son visage. Son objectif était bien au contraire d’instituer la fonction judiciaire pour qu’elle exerce une vengeance septuple, c’est-à-dire une rétribution divine complète (cf. Lv 26:24 ; Ps 79:9-12). Une reprise ultérieure de ce thème de la septuple exécution divine de la justice par la médiation humaine se trouve dans la désignation des agents humains du jugement comme « dieux » (cf. par exemple Ps 82:6). De même, l’Écriture identifie la fonction vengeresse de l’État à une exécution de la colère de Dieu (cf. par exemple Rom 12:19 ; 13:4).


L’ordre judiciaire promulgué en Genèse 4:15 correspond bien sûr à la structure d’autorité de la cité. Dans le contexte de Genèse 4, l’oracle divin prononcé sur Caïn concernant l’ordonnancement d’une vengeance septuple sert de prélude au récit des débuts historiques de la cité (v.16ss.). Lémec, roi-tyran de la cité des hommes, fait allusion aux termes de cet oracle dans l’orgueilleuse apologie qu’il propose de son règne.

Meredith G. Kline, Kingdom Prologue. Genesis Foundation for a Covenantal Worldview, Overland Parks, Two Age Press, 2000, p. 164-165.

Illustration : Caïn maudit, peint par João Maximiano Mafra en 1851.


  1. Sur Gn 4:15 voir M.G. Kline, « The Oracular Origin of the State » in G.A. Tuttle (sous dir.), Biblical and Near Eastern Studies, Eerdmans, Grand Rapids, 1978, p. 132-141[]

Pierre-Sovann Chauny

Pierre-Sovann est professeur de théologie systématique à la Faculté Jean Calvin, à Aix-en-Provence. Il s'intéresse particulièrement à la doctrine des alliances, à l'interprétation des textes eschatologiques, à la scolastique réformée, aux prolégomènes théologiques et aux bons vins. Il est un époux et un père heureux.

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