Une histoire du parler en langues, de l’an 30 à 1748 — Charles A. Sullivan
8 avril 2021

L’article qui suit est une traduction d’un article de Charles A. Sullivan, un pentecôtiste passionné par les langues anciennes qui a monté le « Gift of Tongues Project » décrit ci-après. L’original s’appelle : « A Catholic History of Tongues: 30 to 1748 AD ».  Le site entier est une ressource d’extrême qualité, que je vous encourage à visiter.


Une courte observation sur les langues de la Pentecôte

Le vaste corpus de matériel étudié et comparé montre que la doctrine chrétienne des langues a été liée aux langues humaines pendant près de 1800 ans. La compréhension de leur mécanisme, de la façon dont cela se produisait différait. Il était tantôt compris comme un miracle de la parole, de la compréhension, ou impliquant les deux à la fois. Jusqu’au dix-neuvième siècle, il n’y avait aucune référence à la parole angélique, au langage de prière, à la glossolalie ou à des états extatiques. L’aspect glossolalia est traité dans la deuxième partie de cette série.

L’événement de la Pentecôte, tel que décrit par Luc dans la première partie du livre des Actes, a beaucoup plus de couverture que l’allocution de Paul sur ce sujet dans toute la littérature ecclésiastique. Les anciens auteurs chrétiens étaient divisés sur le symbolisme théologique de la Pentecôte. La Pentecôte était soit comprise comme un symbole de l’Évangile qui devenait un message universel au-delà des limites de la communauté juive, soit comme un symbole théologique pour que la nation juive se repente.

Le but de cet article est d’exposer la nature et la mécanique derrière le parler en langues. L’exploration des langues en tant que symbole théologique se retrouve dans toutes les sources indexées dans le Gift of Tongues Project.

La doctrine des langues du premier au troisième siècle

La première Pentecôte eut lieu quelque part entre 29 et 33 après J.-C., selon la tradition que l’on choisit pour dater la Passion du Christ. L’événement a été répertorié au début d’un récit écrit par un médecin devenu écrivain, Luc, dans ouvrage qui est universellement appelé aujourd’hui le livre des Actes des Apôtres. Le récit de la Pentecôte est très bref. Comme mentionné dès l’introduction, la version anglaise de ce texte décrivant le miracle de la Pentecôte contient environ deux cents mots. Peut-être huit cents si on inclut le sermon de Pierre. 206 mots qui ont résonné tout au long de l’histoire et qui ont conduit des centaines de millions de personnes à réfléchir à cet événement et souvent à le reproduire dans leurs propres vies.

Les Pères de l’Église qui vécurent entre le premier et le troisième siècle mentionnaient la doctrine chrétienne des langues : ainsi Irénée, qui affirmait qu’il s’agissait de parler dans une langue étrangère. Il y avait également Tertullien qui reconnut que le rite continuait dans son Église, mais n’explique rien de plus que cela. Ni l’un ni l’autre de ces auteurs n’en parlent suffisamment pour plaider en faveur d’autre chose que de son existence.

Le débat conduit inévitablement à Origène – l’une des figures les plus controversées sur la façon de parler en langues. Les théologiens, commentateurs et écrivains modernes de tout le spectre académique soutiennent qu’Origène soutient leur point de vue. Ceci a créé un Origène plein de contradictions. 1 Après une enquête minutieuse sur sa façon de parler en langues, on remarque qu’Origène n’en a guère parlé. Si l’on doit tirer une conclusion à partir de ce peu d’informations, c’est la suivante : il ne pensait pas qu’il y avait quelqu’un de suffisamment pieux pendant son temps pour cette tâche, et si c’était le cas, ce serait pour la prédication interculturelle.

L’âge d’or de la doctrine chrétienne sur les langues : le IVe siècle

À cause des effets dévastateurs de la persécution par l’empereur romain Dioclétien au troisième siècle, il n’y a guère de littérature chrétienne à étudier entre le premier et le troisième siècle. Cela change énormément au quatrième siècle, quand le christianisme devient une religion reconnue, et plus la plus importante dans l’Empire romain. C’est là que les choses deviennent vraiment intéressantes.

Le quatrième siècle commença par explorer plus en détail le parler en langues. Cyrille de Jérusalem écrit que Pierre et André ont parlé miraculeusement en perse et en mède à la Pentecôte et que les autres apôtres ont reçu la connaissance de toutes les langues. Le fondateur du mouvement égyptien cénobite, Pacôme, de langue maternelle copte, a miraculeusement reçu la capacité de parler latin.

La doctrine des langues s’est divisée en cinq courants au IVe siècle.

  • La première interprétation était de parler hébreu et que l’audience l’entende comme sa propre langue.
  • La seconde était que la Pentecôte était un phénomène temporaire.
  • La troisième était la théorie « une voix-plein de sons » formulée par Grégoire de Nysse.
  • Quatrièmement, la transition d’une pratique personnelle à une pratique communautaire représentée par Augustin,
  • et la dernière d’entre elles était le paradoxe des langues présenté par Grégoire de Nazianze. Certains en reconnaîtraient peut-être deux de plus – la cessation des miracles et l’interprétation montaniste. Le montanisme et le cessationnisme verront tous les deux leurs perceptions se développer pendant le XVIIIe siècle. Ces théories viendront après la période de temps couverte par cet article.

L’hébreu comme première langue de l’humanité et celle de la Pentecôte

Il y a un corpus substantiel sur l’hébreu comme langue première de l’humanité dans la littérature chrétienne ancienne, et une petite allusion à la Pentecôte comme la prononciation de sons hébreux que le public entendait dans sa propre langue. Cette position sur la Pentecôte n’apparaît pas dans la masse de la pensée chrétienne, mais uniquement dans les marges.

L’idée que l’hébreu est la première langue de l’humanité commence avec les premiers chrétiens comme Clément au premier siècle, l’évêque de Rome, Augustin au quatrième siècle, l’évêque d’Hippone, pour au moins une partie de sa vie (il changea sa position plus tard). Le concept selon lequel l’hébreu est la langue originelle de l’humanité a été répudié par Grégoire de Nysse au IVe siècle, puis repris par l’historien et théologien du VIIIe siècle, Bède le Vénérable. Œcumenius (Xe siècle), évêque de Trikka (Trikala, Thessalie), croyait que l’hébreu était une langue divine, parce que lorsque le Seigneur parla à Paul sur la route de Damas, ce fut en hébreu.

Le philosophe et théologien du XIe siècle, Michel Psellos, évoquait cette idée de l’hébreu comme première langue commune. Il propose qu’à la Pentecôte, les orateurs s’exprimèrent en hébreu alors que le public entendait dans leur propre langue. C’était une possibilité selon lui, et non une opinion définitive. Thomas d’Aquin a également mentionné cette explication, mais s’est rapidement tourné vers des théories meilleures et plus rationnelles.

Le parler en langues, au sens d’émettre des énoncés hébreux que le public entend dans sa propre langue est une théorie marginale qui n’a jamais retenu l’attention. Elle a été évoquée, mais n’est jamais devenue une doctrine reçue au niveau local ou international.

La Pentecôte comme phénomène temporaire

Un écrit attribué avec réserve au pape d’Alexandrie du Ve siècle, Cyrille d’Alexandrie2, décrit la Pentecôte comme le « changement de langues ». La Pentecôte était l’utilisation de langues étrangères comme un signe pour les Juifs. Cet événement était un don miraculeux et ceux qui ont reçu cette bénédiction en 31 après J.-C. ont continué à avoir ce pouvoir tout au long de leur vie, mais il n’a pas persisté après leur génération.

Les idées de Cyrille sur la Pentecôte proviennent peut-être d’une tradition plus ancienne, transmise et renforcée par lui. La théorie d’un miracle temporaire limité à la première génération des dirigeants chrétiens est difficile à affirmer car il y a peu d’informations sur cette théorie avant ou après son temps. Cependant, la théorie est réapparue au XIIIe siècle sans aucune référence intermédiaire. Thomas d’Aquin, célèbre écrivain scolastique et mystique, a réfléchi à cette question3.

Il a tenu une position similaire sur la Pentecôte à celle de Cyrille d’Alexandrie, bien qu’il ne le dise pas explicitement. Il croyait que les apôtres étaient dotés du don des langues pour ramener tous les peuples à l’unité. Ce n’était qu’une action temporaire dont les générations futures n’auraient plus besoin. Plus tard, les dirigeants auront accès à des interprètes, ce que la première génération n’avait pas.

L’argument de Thomas d’Aquin est bon et logique, mais l’histoire des langues chrétiennes ne concorde pas avec cette conclusion. Après le temps de Thomas, il y a de nombreux témoignages de dons miraculeux qui contredisent ce point de vue. La pensée de Cyrille ne peut pas non plus être considérée comme un enseignement universel ou quasi universel.

L’idée de la Pentecôte temporaire se limitait à ce seul miracle. Il n’ y a aucune insinuation que cette temporalité s’étende aux miracles de guérison, aux exorcismes ou à d’autres interventions divines.

Augustin sur les langues se transformant en pratique communautaire

La thèse de la pratique chrétienne du parler en langues, passant d’une expression personnelle à une expression corporative, a été soutenue par Augustin, évêque d’Hippone (354-450). Il l’a forgée dans le contexte d’une longue et difficile bataille avec le mouvement donatiste dominant, qui pratiquait le parler en langues4.

L’Église catholique s’opposait aux prétentions donatistes, qui disaient être la véritable Église. L’une des thèses avancées par les donatistes en faveur de leur supériorité était leur capacité à parler en langues. Cela obligea Augustin à prendre au sérieux les donatistes et leur doctrine des langues et à construire une défense vigoureuse contre eux. La polémique d’Augustin contre les donatistes a généré plus de données sur la doctrine chrétienne des langues que n’importe quel autre écrivain antique et donne une bonne idée des perceptions de ce phénomène au IVe siècle.

Il faut préciser davantage cette cessation. Augustin voulait dire que le don individuel de parler miraculeusement en langues étrangères avait cessé de fonctionner. Mais il a demeuré au niveau ecclésial. Il n’est pas question de signifier la cessation des miracles, des guérisons ou d’autres interventions divines. Augustin faisait exclusivement référence à l’individu parlant en langues. Rien de plus. En d’autres termes, l’expression individuelle du parler en langues s’est transformée en une expression collective – l’Église peut parler dans toutes les langues de toutes les nations. Il a décrit la Pentecôte comme étant un miracle de la parole : un seul homme parlant toutes les langues à la fois.

Il ne fait aucun doute que l’éventail sémantique de cette expérience s’inscrivait dans l’usage des langues étrangères. Il utilise le terme linguis omnium gentium, « dans les langues de toutes les nations », à au moins 23 reprises. Augustin ne cite pas non plus le mouvement montaniste dans ses œuvres.

L’évêque répond sans cesse à la question : « Si j’ai reçu le Saint-Esprit, pourquoi ne parle-t-on pas en langues ? » Chaque fois, il a une lecture légèrement différente.

  • « C’était un signe qui a atteint son but» – l’expression individuelle a atteint son but.
  • Il propose alors une orientation plus théologique dans ses commentaires des psaumes : 

Pourquoi alors le Saint-Esprit ne s’exprime-t-il pas maintenant dans toutes les langues? Pourtant, Il apparaît dans toutes les langues. Car à cette époque, l’Église n’était pas encore répandue à travers le nations, car les organes du Christ parlaient dans toutes les nations. Ensuite, il a été rassemblé en un seul organe, qui a ensuite proclamé dans chacune d’elles.

Il faut être très prudent avec Augustin sur ce sujet. Il considérait l’Église catholique comme la vraie à cause de son universalité et il en déduisait que les donatistes n’étaient pas ordonnés ainsi à cause de leur régionalisme. Ses réponses étaient polémiques plutôt que théologiques.

Ses diatribes polémiques contre le parler en langues donatiste ne sont jamais devenues des doctrines universelles. Le passage de l’expression individuelle à l’expression collective ne contient guère que des allusions indirectes aux œuvres de Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, mais rien de concret. Le concept a disparu en une génération, et les références à lui sur le sujet par des auteurs qui lui ont succédé ne sont pas très fréquentes.

Grégoire de Nysse, et la théorie « une seule voix — plusieurs langues »

Grégoire de Nysse représente le début de l’évolution de la doctrine chrétienne des langues qui a des échos encore aujourd’hui5

Grégoire voit des parallèles entre Babel et la Pentecôte sur la nature du langage, mais les deux événements produisent des résultats différents. Dans l’histoire de la Pentecôte, il a expliqué qu’il s’agissait d’un seul son émis, qui se divise ensuite en plusieurs langues que les destinataires entendent enfin.

L’homélie de Grégoire de Nysse sur la Pentecôte est une homélie joyeuse qui commence par une référence au psaume 95,1. Venez, chantons avec allégresse à l’Éternel ! Poussons des cris de joie vers le rocher de notre salut.. Au sujet du parler en langues, il parle du divin qui repose dans ce qui est unique et la production d’un son unique se démultipliait en langues pendant la transmission. Cette insistance sur la singularité peut être attribuée à l’influence de Plotin — un des philosophes les plus respectés et influents du IIIe siècle. Plotin n’était pas chrétien, mais un philosophe gréco-romain et égyptien qui élabora grandement à partir des œuvres d’Aristote et de Platon. Il a souligné que seul l’être suprême n’avait « ni division, ni multiplicité, ni distinction. » Grégoire de Nysse a strictement adhéré à cette idée néo-platonicienne par rapport au langage. La multiplication des langues s’est produite après l’émission du son, en conformité avec ce modèle philosophique. Cependant, Grégoire de Nysse ne mentionne jamais Plotin par son nom et ne mentionne jamais son système dans les écrits examinés jusqu’à présent, au point qu’il est difficile d’établir un lien direct. Ce n’est qu’une influence.

Quel était le son que les gens inspirés du Saint-Esprit parlaient avant qu’il ne se divise pendant la transmission? Grégoire n’est pas clair. Ce n’est pas un langage céleste ou divin parce qu’il croyait que l’humanité serait trop limitée en quelque capacité que ce soit pour produire un tel mode de communication divin. Il ne pensait pas non plus que c’était de l’hébreu. C’était peut-être la première langue que l’humanité parlait avant Babel, mais l’on peut en douter. Peut-être que les gens parlaient leur propre langue et le miracle s’est produit dans la transmission. C’est le plus probable. Quoi qu’il en soit, Grégoire de Nysse n’était pas clair sur ce point.

Grégoire de Nazianze sur le miracle du discours contra le miracle de l’écoute

Grégoire de Nazianze6 a envisagé la théorie d’un son unique qui émane et se multiplie pendant la transmission dans des langues réelles. Il s’est sérieusement penché sur cette solution et l’a comparée au miracle de parler en langues étrangères. Il a trouvé que la theorie du son unique était défaillante et a cru que le miracle était en fait de l’ordre de la parole. Ces deux positions de Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze ont ouvert la voie à un débat continu pendant près de deux millénaires.

La description de la Pentecôte comme un miracle de la parole ou de la compréhension devint le point focal de Grégoire Nazianze au IVe siècle quand il écrivit dans l’une de ses oraisons que ces deux possibilités étaient possibles, bien qu’il croyait clairement que la Pentecôte était un miracle de l’ordre de la parole. Malheureusement, un traducteur latin, Tyrannius Rufinus, a mal compris quelques subtilités de la grammaire grecque en traduisant et a supprimé la préférence de Grégoire pour un miracle de la parole, présentant les deux possibilités comme égales. La majorité des dirigeants d’Églises occidentales ne connaissaient pas le grec et s’appuyaient sur le texte latin de Tyrannius. L’erreur de Tyrannius a créé un débat de mille ans sur le fait que le miracle résidait soit dans la parole, soit dans la compréhension.

Le débat miracle dans la parole versus miracle dans la compréhension a été relancé au VIIe siècle par Bède le Vénérable, qui a écrit deux commentaires sur les Actes. Bède le Vénérable vivait dans le royaume de Northumbrie (nord de l’Angleterre, sud-est de l’Ecosse). Il était brillant en bien des domaines : astronomie, mathématiques, poésie, musique et la littérature étaient quelques-unes de ses passions. Son style d’écriture est très attirant et fluide – une bonne lecture. Son Histoire ecclésiastique du peuple anglais fait de lui la plus ancienne autorité sur l’histoire anglaise.

Son premier commentaire a plongé profondément dans le débat, et étudiant uniquement des textes latins, il en vint à la conclusion que le don des langues est un miracle de compréhension. Dans son deuxième commentaire, il n’est plus autant convaincu. Il a changé d’avis, faisant référence à la Pentecôte comme un miracle du discours et conjecturant qu’il peut avoir été à la fois un miracle du discours et de la compréhension. La conclusion importait peu pour lui. Peut-être a-t-il donné cette conclusion pour éviter de dire qu’il avait tort la première fois.

Une autre discussion digne d’intérêt à propos du paradoxe de Nazianze a été présentée par Michel Psellos au XIe siècle7. Qu’a donc écrit Psellos de si important ? Deux choses. D’une, il clarifie le paradoxe de Grégoire en affirmant que c’est un miracle de la parole. Deuxièmement, il clarifie en particulier les similitudes et les différences entre les anciennes prophétesses grecques parlant des langues étrangères inconnues d’elles auparavant, de façon exaltée et spontanée, et les disciples de Christ qui eux aussi spontanément parlent en langues étrangères.

Psellos avait une connaissance détaillée des prophètes grecs païens et explique que les anciennes prophètes femmes de Phœbé allaient dans une forme de frénésie et parler en langues étrangères. Il s’agit là d’une contribution très précoce et importante au débat sur les langues modernes, car il existe un lien académique sérieux entre les prophètes grecs de l’Antiquité qui entrent dans l’extase et produisent un discours extatique avec celui de la Pentecôte. Le miracle chrétien est appelé synergisme de l’ancienne pratique grecque du discours extatique afin de rendre la foi chrétienne universelle.

Psellos est peut-être le plus ancien commentateur sur le sujet et doit recevoir une attention significative. Sa connaissance de la philosophie et de la religion grecques anciennes est inégalée, même par les équivalents modernes. Elle est aussi antérieure de sept cents ans que la plupart des œuvres qui traitent de la relation entre l’événement chrétien et le rite grec païen.

Il a décrit les conférenciers pentecôtistes qui ont parlé comme ayant une compréhension totale et détaillé comment cela fonctionnait exactement. Le processus de pensée est resté intact, mais en essayant de parler, leurs lèvres ont été divinement inspirées. L’orateur peut changer de langue à tout moment, en fonction du groupe linguistique auquel appartient le public environnant. Il considéra cette action comme un miracle de la parole, et se rangea du côté de Nazianze.

Le contrôle total de son mental sous influence divine était ce qui différenciait l’événement chrétien de l’événement païen. Les prophétesses grecques, comme il l’a décrit, n’avaient aucun contrôle sur ce qu’elles disaient. Il y avait une dissociation cognitive complète entre leur esprit et leur parole alors que les Apôtres maîtrisaient parfaitement le leur.

Enfin, Psellos introduit un concept de pratique du parler en langues pratiqué dans le monde hellénique qui concerne l’utilisation des plantes pour arriver dans un état d’extase divine. Il a également rapidement décrit la pharmacologie aussi dans ce contexte, mais il semble que le texte laisse supposer qu’elle a été utilisée dans l’art de la guérison. Son texte n’est pas encore tout à fait clair, mais il y avait une relation entre les deux. Les langues pratiquées par les Grecs antiques faisaient peut-être partie de l’ancien rite de guérison. Il est difficile d’être définitif avec cela parce que son style d’écriture ici est si obscur. Il met en garde contre l’utilisation de choses exotiques qui aident à entrer dans un état d’extase divine.

Thomas d’Aquin a essayé de trancher le débat sur le miracle des langues comme miracle de la parole ou de la compréhension. Thomas d’Aquin a utilisé sa méthode dialectique pour examiner le paradoxe de Grégoire de Nazianze. En fin de compte, il a clairement déclaré que c’était un miracle de la parole. Son étude était bien faite. Cependant, cette tentative n’a pas réussi à dissiper la controverse.

Un autre aspect que Thomas d’Aquin a introduit est la relation entre le ministère des langues et la prophétie. Le sujet est apparu dès le IVe siècle, mais jamais au premier plan. Thomas a placé le sujet en priorité. Étant donné qu’il était un mystique et vivait dans un monde qui mettait fortement l’accent sur le surnaturel, cela n’est pas surprenant. Il croyait que le don des langues n’était qu’une façon systématique de parler et de traduire une langue dans une autre. Le processus n’exigeait aucune pensée critique, aucune illumination spirituelle ou compréhension de l’ensemble du discours. Il croyait que le prophète possédait les moyens de traduire et d’interpréter, mais il y ajoutait un autre élément important : la pensée critique. Il faut être conscient du fait que son idée de la pensée critique est légèrement différente de la nôtre. Il inclut l’illumination spirituelle avec l’acuité intellectuelle comme une formule pour la pensée critique. Le prophète avait la capacité de comprendre le sens du discours et comment il s’appliquait à la vie quotidienne. Par conséquent, il estimait que la prophétie était une fonction bien meilleure et supérieure que la simple parole et la traduction.

L’expansion de la doctrine chrétienne des langues du Xe au XVIIIe siècle

Les XVe-XVIe siècles pourraient être considérés comme l’âge d’or du parler en langues dans l’Église catholique, et sans doute la plus grande époque de la doctrine chrétienne des langues. Les deux cents années suivantes, jusqu’au dix-huitième siècle, furent la guerre civile qui fit rage entre protestants et les catholiques qui mettait les miracles, y compris le parler en langues, dans l’épicentre. Ces huit siècles ont été l’ère du surnaturalisme dans presque tous les domaines de la vie humaine. Parler en langues était commun et attaché à une variété de saints célèbres – d’André le Fou au Xe siècle à François-Xavier au XVIe. Cette période avait établi la doctrine des langues comme un miracle de la compréhension, de l’élocution ou une combinaison des deux.

Les récits médiévaux tardifs de parlers en langues

Par exemple, une légende du XIIIe siècle plus tard, Antoine de Padoue, un orateur populaire à son époque, parla dans la langue de l’Esprit à une assemblée ethniquement et linguistiquement mixte d’autorités catholiques qui l’entendirent chacune dans sa propre langue. Quel était le langage de l’Esprit ? Cela n’ a jamais été clarifié dans le texte ni par aucun autre auteur et reste un mystère.

Vincent Ferrer au XIVe siècle était un évangéliste bien connu, peut-être dans le top 50 de l’histoire de l’Église. Il a visité de nombreuses communautés ethniques et linguistiques tout en ne connaissant que sa langue maternelle valencienne. Ses oraisons étaient si grandes et puissantes qu’il était prétendu que les gens l’entendaient parler miraculeusement dans leur propre langue.

Il y eut également des révisions par des écrivains postérieurs à la vie antérieure de saints comme saint Matthieu l’Apôtre, Patiens de Metz dans le troisième siècle, et les saints gallois du VIe siècle, David, Padarn et Teilo. Ils auraient parlé miraculeusement en langues étrangères.

Le parler en langues a également été utilisé comme une arme politique. Les ordres religieux français, l’abbaye Saint-Clément et l’abbaye Saint-Arnould, se faisaient une forte concurrence au cours des XIIIeet XIVe siècles. L’abbaye Saint-Clément a proposé que leur ordre soit le plus important car leur lignée remonte à un fondateur très estimé et ancien. L’abbaye Saint-Arnould a riposté avec saint Patiens qui avait la capacité miraculeuse de parler en langues.

Le récit d’André le Fou a une tournure intéressante dans les annales de parler en langues. André le Fou, souvent cité sous le nom d’André de Constantinople, ou André Salus, était un adepte chrétien du dixième siècle connu pour son style de vie étrange qui serait classé sous une forme ou une autre de maladie mentale selon les normes d’aujourd’hui. Cependant, beaucoup de biographes croient que c’était une ruse faite exprès par André. Il y a une riche tradition de saints fous dans la littérature orthodoxe orientale qui feignaient la folie comme une forme de dispositif prophétique et d’enseignement. L’histoire du don miraculeux de langues d’André le Fou a été utilisée pour faciliter une conversation privée entre André et un esclave lors d’une fête. Cela leur a permis de s’exprimer librement sans que le patron du parti ne soit mis au courant de la conversation et qu’il ne se mette en colère à cause du sujet discuté.

La légende de François-Xavier parlant en langues

La canonisation de François-Xavier au XVIe siècle, et l’aspect incroyable de l’idée qu’il parlait miraculeusement dans des langues étrangères ont porté le don des langues au premier plan de la controverse théologique. Les protestants ont utilisé son exemple de la façon dont les catholiques étaient devenus corrompus, au point de faire des récits fictifs qui contredisent les preuves. Un examen plus attentif a montré que les témoignages au procès en canonisation comportaient des lacunes. Au contraire, un bon examen des faits a montré que Francis a eu du mal à apprendre la langue. Sa sainteté avec des bases faillibles sur le fait de parler en langues fut plus tard une gêne pour la Compagnie de Jésus à laquelle François appartenait. La Compagnie de Jésus est une organisation éducative, missionnaire et caritative au sein de l’Église catholique qui a été ambitieuse dans la Contre-Réforme des débuts. La Compagnie de Jésus existe encore aujourd’hui et est le plus grand ordre de l’Église catholique.

Le faux miracle des langues dans la vie de François fut aussi un casse-tête pour les dirigeants de l’Église catholique elle-même. Cela a conduit le Pape Benoît XIV à rédiger un traité sur le don des langues vers 1748 et à décrire ce qu’il est, n’est pas et quels critères devraient être utilisés pour enquêter sur une telle revendication. Il a conclu que le don des langues peut être de parler en langues étrangères ou un miracle de la compréhension.

Ce traité était un document bien écrit et bien documenté. Aucun autre chef d’Église ou organisation religieuse, même dans le mouvement de réveil, n’a pris le pas sur son travail pour valider une revendication de parler en langues. Après sa publication, l’enquête sur les revendications de langues parlées dans l’Église catholique diminua considérablement.


  1. Origène était un théologien du IIIe siècle qui peut être considéré comme l’un des plus grands écrivains chrétiens de l’histoire chrétienne, parce qu’il combinait une foi active et humble à une enquête intellectuelle approfondie sur les questions de foi. Cependant, après sa mort, il a été considéré par erreur comme un hérétique pour sa vision limitée de la Trinité. Il vécut à une époque où la doctrine de la Trinité en était à ses balbutiements et n’était pas complètement développée. Son point de vue n’était pas en accord avec la formulation ultérieure et il a été condamné à titre posthume pour cela.[]
  2. Cyrille représentait la ville d’Alexandrie au sommet de son influence et de sa puissance dans toute la chrétienté. Sa biographie conclut sur son limogeage à cause de son esprit querelleur et de sa violence. Il existe des affirmations non fondées qu’il aurait été responsable de la mort de la très respectée mathématicienne, astronome, philosophe et érudite Hypatie. Bien que son histoire s’achève tristement, sa stature antérieure et son influence quasi universelle nécessitent une attention particulière sur le sujet de la Pentecôte.[]
  3. Chaque fois qu’un sujet théologique a été abordé par Thomas, c’est qu’il vaut la peine d’ y réfléchir. Il n’y a personne dans l’histoire chrétienne qui ait rassemblé un si large panel de traditions chrétiennes, d’écrivains, de textes et des Écritures dans une forme systématique de pensée. Thomas était non seulement systématique, mais aussi mystique. La combinaison de ces qualités lui donne beaucoup d’intérêt pour l’étude de la doctrine des langues.[]
  4. Les donatistes étaient un groupe chrétien d’Afrique du Nord ; ils ont été séparés de l’Église catholique pour des raisons liées aux persécutions contre les chrétiens par un édit de l’empereur Dioclétien au IIIe siècle. Après la fin des persécutions, une controverse a éclaté dans la région sur la manière de traiter les dirigeants d’églises qui avaient collaboré avec les autorités laïques dans les persécutions. Cela déborda sur des questions de gouvernance ecclésiastique, de foi, de piété, de discipline et de politique. L’un des résultats fut un mouvement ecclésiastique schismatique appelé le donatisme. Au plus fort de leur popularité, les donatistes étaient statistiquement plus nombreux que les catholiques traditionnels de la région d’Afrique du Nord. À son apogée, l’église donatiste comptait plus de quatre cents évêques.[]
  5. Grégoire de Nysse était un évêque du quatrième siècle de Nysse, petite ville de Cappadoce. En termes géographiques actuels, la Turquie centrale. La ville d’influence majeure la plus proche était Constantinople, qui à l’époque était l’un des centres les plus influents du monde. Ce père de l’Église, ainsi que Grégoire de Nazianze et Basile le Grand ont été nommés ensemble comme les Cappadociens. Leur influence a jeté les bases de la pensée chrétienne dans l’Empire romain d’Orient. Grégoire de Nysse était un penseur clair et profond. Il ne s’est pas seulement inspiré de sources chrétiennes, mais a construit ses écrits autour d’un cadre philosophique grec.[]
  6. Grégoire de Nazianze, évêque de Constantinople au IVe siècle maîtrise tellement bien la langue et la culture grecque qu’il est difficile de le traduire. Ses œuvres apparaissent comme sèches et ésotériques en traduction alors qu’en grec, il est une source de réflexion profonde. Beaucoup de dirigeants d’Églises à son époque prêchaient et publiaient ensuite leurs homélies. Grégoire a probablement écrit d’abord et prêché ensuite. Ses œuvres ne se présentent pas comme de grands sermons, mais comme de grandes œuvres d’écriture. Tous ces facteurs ont contribué à ce qu’il soit relativement obscur dans les annales de l’histoire chrétienne – même si, au IVe siècle, il jouissait du même prestige qu’Augustin ou Jean Chrysostome. Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze étaient des amis dans la vie réelle, peut-être davantage à cause du frère aîné de Grégoire de Nysse, Basile le Grand. Grégoire de Nazianze et Basile le Grand eurent une relation personnelle et professionnelle qui influença grandement l’Église dans ses rapports avec l’arianisme et le développement de la doctrine de la Trinité. Malheureusement, une querelle intervint entre Grégoire Nazianze et Basile le Grand, qui n’a jamais été réparée.[]
  7. Sa propre biographie n’est pas celle d’un homme d’Église, mais d’un politique. Son poste le plus haut fut d’être secrétaire d’état à Byzance. Il était un chrétien qui avait une relation d’amour-haine envers l’Église. Un des plus mauvais quarts d’heure de cette relation fut lorsqu’il choisit Platon plutôt qu’Aristote. L’Église tolérait les écrits non-chrétiens d’Aristote, mais fronçait les sourcils sur Platon. Psellos a étudié la théologie mais adorait la philosophie, et cela fut une source de tensions continuelles.

    Il est surprenant que cette toile complexe de philosophie grecque et foi chrétienne dans un environnement chrétien très conservateur ne lui ait pas apporté plus d’ennuis qu’il n’en a eu au final. Il était en avance sur son temps. Son approche de la foi, des Écritures, et de la vie intellectuelle mit environ cinq cents ans avant d’être rattrapée par la société occidentale.

    Michel Psellos était coincé entre deux périodes très distinctes. Il a vécu au XIe siècle et était toujours connecté aux anciennes traditions de l’Église, mais aussi au début de la transition vers la pensée intellectuelle et scolastique sur laquelle tant de lecteurs modernes vinrent à s’appuyer. Il faisait le pont entre les deux mondes. Voici pourquoi son œuvre est si importante.

    Il avait une haute idée de ses propres opinions, et aimer faire un spectacle de son génie intellectuel. Après lecture de son texte, il n’est pas clair qu’il ait réellement cherché à résoudre l’énigme de Nazianze à propos du miracle de discours ou de compréhension, ou si ce n’était qu’une opportunité de montrer sa maîtrise intellectuelle. Indépendamment de ses motifs, il nous a laissé un riche dépôt de littérature historique sur le parler en langues.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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  1. L'origine ultra-libérale de la glossolalie – Par la foi - […] nous l’avons dit dans un précèdent article, tout au long de l’histoire de l’Église, on a compris le parler…

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