J’ai entrepris de lire de manière suivie les œuvres de saint Augustin et proposerai sur le blog des recensions de chacune des œuvres lues, si Dieu le permet.
Date et contexte
Il s’agit d’un sermon, probablement donné entre 408 et 412, puisqu’il parle longuement du schisme donatiste, possiblement autour de 411 (en raison de son insistance sur l’unité de l’Église, qui s’accorde avec le contexte de la conférence de Carthage…).
Contenu
Ce sermon concerne l’intérêt de priver la chair d’un de ses biens. Son titre peut être traduit par “Au sujet de l’utilité du jeûne”. Augustin considère, contre les Manichéens, que le corps est digne d’amour, mais que la meilleure manière de l’aimer est d’en faire le serviteur de l’intelligence qui doit, elle, servir Dieu. Ainsi, il faut renoncer aux plaisirs illicites et se priver parfois même des licites, afin de mieux résister aux illicites.
La nourriture fait partie des plaisirs licites. Bien plus, c’est un besoin nécessaire pour le corps car nous ne sommes pas encore dans la glorification avec les anges. Les anges ont bien une nourriture, Dieu lui-même : “Dieu est le pain des Anges et il s’est fait homme pour que l’homme pût en manger. Ici-bas toutes les âmes, ayant en charge un corps terrestre, remplissent son estomac des fruits de la terre. Là-haut les esprits raisonnables, gouvernant un corps céleste, remplissent de Dieu leur intelligence […] C’est de cette nourriture que le Christ nous a prescrit d’avoir faim quant il a dit : “Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés (Mat. 5:6)”1”.
Il rejette au passage ce que disent les Manichéens sur la nature mauvaise du corps. Et il se tourne enfin vers le jeûne des païens, des Juifs et finalement des Donatistes. Le jeûne n’a de vertu qu’en lien avec la foi et l’obéissance de celui qui jeûne, ainsi le jeûne des incrédules n’a pas de valeur (il s’appuie ici sur Ésaïe 58). Le jeûne des Donatistes, lui, est hypocrite, puisqu’ils troublent l’unité de l’Église : “Pensez-vous dompter à bon droit vos membres, vous qui déchirez les membres du Christ ?2”
Au milieu de ces réfutations, il lance un avertissement à ceux qui jeûnent sans se soumettre à Dieu : “Quoi, si votre chair vous obéit et si vous n’obéissez pas vous-mêmes à Dieu, ne vous condamne-t-elle pas par son obéissance ?3”. En effet, dans “l’ordre de l’amour” qu’Augustin développe ailleurs4, il faut soumettre le corps à l’âme et l’âme à Dieu. Mais la soumission de l’âme à Dieu est première et primordiale. Soumettre le corps à la volonté dépravée de l’âme n’est pas vertueux. Cela ne le devient que lorsque l’âme est soumise à Dieu. Et, d’ailleurs, Dieu mérite plus encore l’obéissance de l’âme que l’âme ne mérite celle du corps. Si donc vous jeûnez et soumettez votre corps à votre esprit par cette restriction de ses désirs, sans vous soumettre à Dieu, la soumission de votre corps ne fait que mettre en lumière l’insoumission de votre âme.
Réflexion
La notion d’ordre de l’amour est féconde en théologie morale. Elle permet d’examiner sa conduite et ses intentions afin de ne pas réduire la morale à un code fixant la conduite du corps et les actions externes de l’homme. Elle permet aussi de reconnaître ce qu’il y a de vertueux dans une pratique que respectent les païens ou les incrédules tout en dénonçant la vanité de celle-ci en ce qu’elle est vécue en dehors de la soumission à Dieu. Elle rend justice à la façon dont l’amour guide les réflexions bibliques sur la conduite humaine5 et à la psychologie de l’être humain.
Thomas d’Aquin portera plus loin cette réflexion sur l’ordre de l’amour. Comme l’a expliqué Parpaillot sur ce blog, l’ordre de l’amour chez le scolastique est défini par la relation des biens à Dieu :
Dans la Secunda Secundæ Partis de la Summa theologiæ, à la vingt-sixième question, le docteur angélique défend l’existence et le contenu de l’ordre de la charité. Dans le premier article, il argumente que l’amour de la charité tend vers Dieu en tant que principe de la béatitude. Dieu est le premier principe de cet amour et les choses aimées par charité se positionnent en fonction de leur relation avec le Premier principe, Dieu.
Je vous encourage à lire l’intégralité de son article pour approfondir la portée morale de cette notion augustinienne.
Edition
Je poursuis ma lecture dans l’édition de la Bibliothèque Augustinienne, que je recommande à tout point de vue. De utilitate jejunii est traduit dans le volume 2 de la série des opuscules. Une autre traduction est accessible gratuitement en ligne.
Illustration en couverture :
0 commentaires