Trois miracles à Sarepta de Sidon
2 novembre 2021

Cet été, j’ai eu le privilège de prêcher sur quelques extraits du livre des Rois pour les communautés réformées de Lituanie : un sermon à Biržai et quatre à Panevėžys, dans le nord-est de la Lituanie. En voici un en traduction pour le public francophone.


7Au bout d’un certain temps le torrent fut à sec, car il n’y avait pas eu de pluie dans le pays. 8Alors la parole de l’Éternel fut adressée [à Élie] en ces mots : 9Lève-toi, va à Sarepta qui appartient à Sidon, restes-y. Voici que j’y ai ordonné à une veuve de te nourrir. 10Il se leva et s’en alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, voici qu’il y avait là une veuve qui ramassait du bois. Il l’appela et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d’eau dans un récipient, afin que je boive. 11Elle alla en chercher. Il l’appela de nouveau et dit : Va me chercher, je te prie, un morceau de pain dans ta main. 12Elle répondit : L’Éternel, ton Dieu est vivant ! Je n’ai rien de cuit, je n’ai qu’une poignée de farine dans un pot et un peu d’huile dans une cruche. Me voici en train de ramasser deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons. 13Élie lui dit : Sois sans crainte, rentre, fais comme tu l’as dit. Seulement, prépare-moi d’abord avec cela un petit gâteau et tu me l’apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils. 14Car ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : Le pot de farine ne s’épuisera pas, et la cruche d’huile ne se videra pas, jusqu’au jour où l’Éternel enverra la pluie sur la surface du sol. 15Elle alla faire selon la parole d’Élie et pendant longtemps elle eut de quoi manger, elle et sa maison, ainsi que lui. 16Le pot de farine ne s’épuisa pas, et la cruche d’huile ne se vida pas, selon la parole que l’Éternel avait dite par l’intermédiaire d’Élie.

17Après ces événements, le fils de la femme, maîtresse de la maison, tomba malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration. 18Elle dit alors à Élie : Qu’ai-je à faire avec toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de ma faute, et pour faire mourir mon fils ? 19Il lui répondit : Donne-moi ton fils. Il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il habitait, et le coucha sur son lit. 20Puis il invoqua l’Éternel et dit : Éternel, mon Dieu, est-ce que tu causerais du mal, même à cette veuve dont je suis l’hôte, en faisant mourir son fils ? 21Il s’étendit trois fois de tout son long sur l’enfant, invoqua l’Éternel et dit : Éterrnel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne en lui ! 22L’Éternel écouta la voix d’Élie, l’âme de l’enfant revint en lui, et il reprit vie. 23Élie prit l’enfant, le descendit de la chambre haute dans la maison et le donna à sa mère. Élie dit : Vois, ton fils est vivant.

24La femme dit à Élie : Maintenant je reconnais que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l’Éternel dans ta bouche est vérité.

1 Rois 17, 7-24.

Élie, un des grands prophètes, commence son ministère dans une remarquable sobriété : après avoir provoqué une longue famine contre le roi Achab, on le trouve par-delà les frontières d’Israël, dans la petite bourgade de Sarepta, où il rencontre une pauvre veuve et sa famille. L’auteur du livre des Rois nous relate trois miracles qui sont intervenus en ce lieu par son intermédiaire.

Le miracle du chemin : l’obéissance du prophète

Élie et son hôtesse endurent des difficultés. Élie avait prophétisé une famine sur le royaume d’Israël ; Dieu devait ainsi punir l’infidélité d’Achab et de son royaume. Mais c’est le peuple entier qui souffre des conséquences. Le prophète est lui aussi au milieu de son peuple, et il n’est pas totalement à l’abri des effets de la colère de Dieu. Après avoir confronté Achab, il doit se mettre en retrait ; il devient un exilé dans son propre pays. Des peuples voisins souffrent aussi de cette famine.

Comme son hôtesse, Élie est en proie à l’étonnement. Le prophète de Dieu est envoyé le servir loin de son peuple. Et il n’est envoyé nulle part ailleurs que dans le pays de Sidon ; c’est la patrie de Jézabel, du culte des faux dieux Baal et Achéra, c’est de là que provient l’idolâtrie en Israël. C’est une terre hostile ! Et il ne pourra pas compter là-bas sur un riche mécène, un baron puissant ou sur quelqu’un qui connaisse son Dieu : c’est une pauvre veuve qui doit le recevoir, et elle souffre elle-même de la famine. La famine a sans doute aggravé une situation déjà difficile suite à la perte de son mari ; être veuve était presque synonyme de pauvreté à l’époque. Elle semble en tout cas n’avoir plus aucun espoir : Je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons (v. 12). Et voilà qu’elle devrait se charger en plus d’un étranger ! D’un homme de Dieu, mais d’un Dieu qui lui est aussi étranger ! Quoi que dise la parole de Dieu adressée à Élie, la veuve semble bien mal préparée à sa venue…

Mais Élie et son hôtesse font aussi l’expérience de la fidélité de Dieu. Élie ne se détourne pas du chemin sur lequel le Seigneur l’envoie. Comme il avait nourri son peuple dans le désert, Dieu s’occupe de son prophète : Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, et du pain et de la viande le soir, et il buvait de l’eau du torrent. (1 Rois 7,6) Élie reçoit non seulement du pain, mais aussi de la viande, et même deux fois par jour : Dieu n’est pas seulement fidèle, mais aussi généreux. Lorsqu’au bout d’un certain temps le torrent fut à sec (v. 7), Élie continue à faire confiance au Seigneur, malgré les apparences défavorables. Il n’a pas peur, et commande à la veuve de ne pas avoir peur non plus. Elle aussi, contre toute attente, croit à la parole du prophète, qui lui assure que le pot de farine ne s’épuisera pas, et la cruche d’huile ne se videra pas (v. 14). Le Dieu d’Élie est un Dieu vivant, et tout peut changer à leur profit, bien que la veuve ne le connaisse pas encore. Elle accomplit son devoir d’hospitalité, et l’homme de Dieu est premier servi. La parole de Dieu se réalise et l’obéissance au Seigneur sauve toute sa maison. C’est le premier miracle que nous rencontrons ici : le prophète Élie est allé son chemin et la veuve l’a accompagné dans un chemin de foi.

Le miracle de la vie : la résurrection du fils

À peine s’est-elle sortie, grâce à Dieu, de cette longue famine, que la maison de la veuve retombe dans un nouveau malheur. La veuve va de Charybde en Scylla avec la perte de son fils. Il peut en aller ainsi dans notre vie aussi. Souvenons-nous ne serait-ce que du début du second confinement : c’était un nouveau défi, un désespoir plus grand encore qui s’abattait sur des gens qui en sortaient déjà difficilement, ne connaissant que trop bien ce qui les menaçait à nouveau. Élie est d’abord pris de compassion pour sa protectrice. Jusque là, le prophète et la veuve ne s’épanchaient guère, ils gardaient pour eux leurs soucis, n’en parlant qu’avec une grande pudeur, sans se plaindre. Mais à ce moment où l’on prend la vie du fils de sa bienfaitrice, Élie ne comprend plus le sens de tout cela. Quel est le plan de Dieu ? Dieu ne l’a pas envoyé pour ça ! Ce n’est pas ce qui lui avait été prophétisé ! Il s’adresse à lui sincèrement dans la prière. À son Dieu, il peut tout dire, il n’a pas honte de ses sentiments, de son humanité. C’est qu’il voudrait apporter à cette pauvre veuve la grâce, et non le jugement. Est-ce que ce décès vient vraiment de Dieu ? Éternel, mon Dieu, est-ce que tu causerais du mal ? (v. 20) Quelle fin sert-il ? Et quelle est sa place à lui, dans cette situation insoutenable ?

Élie intercède en faveur du fils de la veuve, il le confie au Seigneur. Il lui prend le corps de cet enfant. Il le traite comme le sien, il l’allonge dans son propre lit, il ne craint pas de toucher son cadavre. Il n’est déjà plus l’hôte que reçoit la veuve, c’est lui qui reçoit cet enfant. Et il s’adresse à Dieu pour sa guérison, c’est-à-dire pour qu’il revienne à la vie. Qu’on ne s’y méprenne pas : Élie n’est pas en train de le réanimer. Il est tout à fait clair pour lui que l’enfant est déjà mort, il demande que le souffle de cet enfant revienne en lui (v. 21) du séjour des morts. Il prie le Seigneur pour la résurrection de cet enfant. Pour nous qui sommes chrétiens, cela peut nous sembler normal. La Résurrection est l’événement fondamental de notre foi. Dans le Nouveau Testament (les Évangiles et les Actes des apôtres) nous rencontrons quantité d’exemples de résurrections : la fille de Jaïre, Lazare, et bien sûr, Jésus-Christ lui-même. Nous croyons fermement à notre propre résurrection, corps et âme. Mais à l’époque, c’était loin d’être aussi évident. De toutes les Écritures, c’est en fait le premier exemple de résurrection que l’on rencontre. Élie a l’audace de demander dans la prière quelque chose de tout à fait inédit : il supplie le Dieu vivant pour la vie de cet enfant.

Dieu exauce la prière d’Élie et rend la vie à ce jeune homme. L’Écriture précise bien que c’est là l’œuvre de Dieu, et non du seul Élie. Certes, Élie s’étendit trois fois de tout son long sur l’enfant (v. 21). Les livres prophétiques fourmillent d’actes et de gestes qui semblent bizarres, dont le sens précis nous échappe. Les prophètes ne sont pas de simples prédicateurs, ils font l’expérience de la parole et de la puissance de Dieu jusque dans leur chair. Quelle que soit la manière dont on explique ces gestes, ils ne se substituent jamais à la prière, mais ne font que l’accompagner. C’est bien Dieu et non Élie qui ressuscite cet enfant. Il est le seigneur de la vie, c’est lui qui a fait ce miracle de la vie. Rendons-lui toute gloire.

le miracle de la vérité : la conversion de la veuve

Le troisième et dernier miracle se cache à la toute fin de la rencontre et pourrait rester inaperçu si l’on n’y prenait garde, mais c’est pourtant sans doute le plus important des trois : La femme dit à Élie : Maintenant je reconnais que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l’Éternel dans ta bouche est vérité. (v. 24) La venue d’Élie à Sarepta et son séjour chez la veuve l’a aidée (ainsi que sa maison) à comprendre trois choses. Tout d’abord, elle prend conscience de son péché. Il est vrai qu’elle commence par se plaindre à Élie : Qu’ai-je à faire avec toi, homme de Dieu ? (v. 20) Comprenons quelle est sa douleur. Mais elle sait aussi pourquoi elle risque d’être jugée et punie. Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de ma faute, et pour faire mourir mon fils ? La veuve a conscience de ses fautes. Elle ne fait pas semblant d’être sans péché. Elle se plaint à Dieu et au prophète qu’il lui envoie, mais elle s’accuse elle-même plutôt que Dieu. Ce temps de famine et de deuil devient aussi un moment de repentance.

Après avoir compris et confessé son péché, après avoir été témoin du Dieu qui rend miraculeusement la vie, la veuve est en mesure de discerner en Élie un homme de Dieu : Maintenant je reconnais que tu es un homme de Dieu. Élie n’est plus pour elle un fardeau, mais un allié. Elle ne lui donne plus seulement l’hospitalité, mais c’est aussi lui qui la sert, en lui annonçant la parole et la grâce de Dieu. Nous voyons ici comment Dieu a utilisé tout ce temps pour préparer la veuve à recevoir Élie. Dieu ne lui a pas donné pour cela de la nourriture ou d’autres moyens supplémentaires, mais a changé son cœur. Les miracles de la survie et de la résurrection qu’a connus la maison de la veuve servaient un même but : qu’elle pût reconnaître l’œuvre de Dieu en son prophète. La maladie et la mort de cet enfant sont intervenues pour que les œuvres de Dieu se manifestassent en lui (Jean 9,3), pour montrer au grand jour la grâce agissante de Dieu. Ce temps de famine et de deuil pour la veuve et sa maison devient aussi un moment de grâce. Tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, les miracles aident toujours à recevoir la Parole, la révélation divine. À qui possède la Parole, la mort et la résurrection pour nous de Jésus qu’elle renferme, de pareils miracles ne sont pas indispensables. Face à la maladie ou à la perte de nos chers enfants, nous n’attendons pas et nous n’exigeons pas de Dieu la guérison et la résurrection sur cette terre. Il n’est pas certain qu’il nous les accorde. De fait, le fils ressuscité de la veuve est mort le temps venu, il n’est pas avec nous aujourd’hui. En Jésus-Christ, nous avons une résurrection plus excellente, qui nous appartient par la foi.

Enfin, la veuve (et sa maison) confessent le Seigneur comme leur Dieu. Lorsqu’elle rencontra Élie pour la première fois, la veuve parlait de ton Dieu (v. 12). Ce Dieu d’Israël lui était étranger. Elle pouvait certes le craindre. Les païens du temps croyaient souvent que lorsqu’un fidèle d’une autre religion pénétrait chez eux, ses dieux pouvaient y agir. Lorsqu’elle reconnaît Élie comme son prophète, elle confesse le Dieu d’Israël comme le sien. La parole de l’Éternel dans ta bouche est vérité. C’est désormais son Seigneur. Ses dieux de jadis, Baal et Achéra — tout dieux de la fertilité, du soleil et de la tempête qu’ils fussent — ne l’aidèrent pas le moins du monde pendant la famine. Et voici que le Seigneur des Israélites l’a choisie parmi toutes les veuves : car il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, lorsque le ciel fut fermé trois ans et six mois et qu’il y eut une grande famine sur tout le pays ; et cependant Élie ne fut envoyé vers aucune d’elles, mais vers une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon, comme nous l’apprend l’Évangile (Luc 4,25-26). Ce Dieu l’a choisie, et il a choisi aussi son fils, pour accomplir un miracle très spécifique, encore inouï. Par le ministère d’Élie, c’est en Dieu, au Dieu de toutes les nations qu’a cru la veuve. Ce temps de famine et de deuil pour la veuve devient aussi un moment de salut. Le moment de son salut.

Au milieu de cette crise profonde, la veuve, avec l’aide d’Élie, a trouvé un chemin pour survivre à la famine. Son fils, avec l’intercession d’Élie, a trouvé une vie nouvelle. Renouvelées par l’Esprit saint, ces deux personnes ont aussi trouvé la plus grande vérité de leur existence. En Jésus-Christ, nous avons la plénitude du chemin, de la vérité et de la vie. Confrontés à des crises, nous avons tout ce qu’il nous faut. Que cette crise aux multiples facettes, dont notre monde ne finit pas de sortir, soit pour nous l’occasion d’acquérir cette même espérance, cette même foi, et ce même salut — incorruptible.

Amen.


Illustration : Rembrandt, Le prophète Élie chez la veuve de Sarepta, esquisse (Paris, musée du Louvre).

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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