Nous avons déjà présenté le concept de cette série dans un précédent article : vulgariser le contenu des lois canoniques des Églises Réformées huguenotes, que l’on appelle la Discipline. En effet, à Privas en 1612, les pasteurs des Églises réformées de France ont juré de vivre et mourir fidèles non seulement à la confession de foi, mais aussi à ces lois. Outre l’intérêt historique, elles sont aussi un exemple de comment on peut bâtir une Église de dimension nationale fidèle à l’Évangile, et témoignent de la doctrine de l’Église réformée. Cette semaine, nous abordons les lois autour des écoles, dont l’organisation était la tâche des Églises, et non de l’État jusqu’au XIXe siècle.
Rappel: les consistoires sont les conseils d’anciens des assemblées locales. Les colloques sont des assemblées de consistoires, qui regroupent les Églises d’une agglomération, comme Grenoble par exemple : entre trois et une douzaine d’Églises. Au-dessus de cela, il y a les synodes provinciaux qui sont les assemblées à l’échelle d’une région, comme Auvergne-Rhône-Alpes, et enfin, les synodes nationaux qui sont l’échelon suprême.
Etablissement et financement des écoles
Lors du synode national de Sainte Foy en 1578, les Églises Réformées se donnent pour loi que les Églises doivent établir des écoles, car l’école est la pépinière de l’Église. Reste alors à les organiser, et surtout trouver leurs moyens de financement. Les écoles réformées du XVIIe siècle sont une histoire d’improvisation, essai et adaptation qui fait que les règles varient beaucoup selon l’époque et le retour d’expérience. Dans cet article je serais obligé de parler en termes généraux, un peu comme si les écoles réformées avaient toujours fonctionné d’une certaine façon, mais il faut bien avoir conscience qu’en réalité, lorsque la révocation de l’Édit de Nantes est venue, le système éducatif protestant était toujours un chantier en cours.
Sur la question du financement, en 1607 chaque province sans académie reçoit 300 livres tournois pour établir un collège (éducation secondaire). D’après ce convertisseur, qui ne calcule pas le pouvoir d’achat, mais la valeur patrimoniale, cela représente 15 mille euros par province. Cela paraît peu, mais il faut savoir que les professeurs sont des pasteurs ayant charge d’enseignement, et qu’ils ont déjà leur traitement par ailleurs. C’est donc une somme destinée à l’infrastructure. Une province est d’ailleurs censurée en 1617 pour n’avoir pas utilisé ces 300 livres pour un collège. A Charenton en 1631, il est décidé de consacrer dans chaque Église 20% des offrandes à la rénovation et l’entretien des collèges et lycées. Cela n’est guère suffisant puisqu’en 1637 on publie une grande exhortation à l’offrande. En 1644, on organise un réseau de levée de taxe dont les colloques sont la cheville ouvrière:
Bien qu’il soit connu de tous que l’instruction de la jeunesse, et l’entretien des écoles où elle est instruite, sont absolument nécessaire à la subsistance de l’Église, au maintien de la piété et la propagation de la doctrine salutaire au milieu d’elle et que tous fidèles, par l’intérêt de la gloire de Dieu, par l’amour de sa vérité et pour leur commune édification, doivent à qui mieux mieux se sentir émus à rechercher des moyens convenable à l’avancement d’un dessein, d’une justice et d’une utilité si évidente…
Appel à l’offrance du synode d’Alençon 1637
En guise d’exemple, voici le bâtiment abritant l’académie de Puylaurent, après son déménagement depuis Montauban. Pour plus de détails, je vous renvoie vers cet article du Musée Protestant.
Professeurs et programmes
Les régents et maîtres d’école doivent adhérer et signer la confession de foi et la discipline tout comme les pasteurs. Les professeurs de théologie sont proposés au recrutement par l’académie, et validés par le synode provincial. Leur examen d’entrée consiste en interprétation du Nouveau Testament en grec et l’Ancien Testament en hébreu, et plusieurs disputes théologiques. Techniquement, ce sont des pasteurs comme les autres mais ils sont dispensés du devoir d’assister aux colloques et aux synodes, sauf si ces derniers font appel à leur expertise. De même, ils sont dispensés de devoir gérer la discipline locale, et n’ont qu’à faire quelques prêches dans leur Église locale. Ainsi, si on manque temporairement de professeur, un pasteur local peut faire des heures de cours.
Pour ce qui concerne le cursus:
- Il faudra au moins deux professeurs par académie: un pour exposer la Bible, un autre pour exposer les lieux communs, que l’on appelle aujourd’hui cours de dogmatique/théologie systématique.
- S’il y en a trois, il y en un pour exposer l’Ancien Testament, l’autre le Nouveau Testament, et le troisième pour exposer les lieux communs.
- Ces études durent trois ans, aussi brièvement et solidement que pourra se faire en forme scolastique. Vous avez bien lu : forme scolastique. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est le synode d’Alès en 1620, qui s’est beaucoup occupée de l’organisation des académies réformées.
- Ils travailleront 4 jours par semaine et qu’ils exercent outre cela, les écoliers en propositions toutes les semaines, tant en Latin qu’en Français selon l’ordre et le jour qui seront choisis par le conseil académique. Que de plus, il y ait une dispute particulière en théologie chaque semaine ; et une publique, par chaque professeur, une fois le mois.
- Les docteurs et professeurs sont encouragés à s’abstenir autant qu’il sera possible, de quelques questions curieuses, et de vaine recherche des scolastiques romains, et de ne s’étendre en la réfutation d’hérésie, non connues entre nous, qu’autant qu’il est nécessaire pour l’interprétation des passages de l’Écriture Sainte, qu’ils expliqueront, gardant, en leurs leçons, la gravité et la simplicité qui se remarque dans les écrits de ceux dont Dieu s’est servi, en ces derniers termes, pour rallumer le flambeau de son Evangile1.
Gestion des étudiants
Côté élèves, les colloques sont encouragés à identifier des étudiants prometteurs et les seigneurs protestants à offrir de l’argent pour des bourses d’études afin de fournir l’Église en pasteurs. Les fils de « pasteur pauvre » sont explicitement ciblés, ce qui explique l’existence de « dynasties » pastorales comme celle de mon arrière-grand-père. Les Églises qui ont entretenu tel élève pasteur sont prioritaires pour qu’il leur soit attribuée.
Au synode de Loudun en 1659, on adresse une critique à des élèves au sujet de leur longue chevelure, leurs habits mondains et d’autres vanités et excès de cette nature et leur appelle à avoir une conduite décente. De même, d’autres synodes rappellent l’obligation d’assiduité aux élèves. Bref, au XVIIe comme au XIXe siècle, des adolescents sont toujours des adolescents.
- Notons que Petrus Van Maastricht recommande pareillement aux pasteurs de ne pas réfuter dans leurs sermons des hérésies inconnues de leurs auditeurs, de peur qu’en les réfutant ils les enseignent.[↩]
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