Brève histoire des Églises réformées de Hongrie
10 janvier 2022

J’ai eu à cœur de résumer une lecture récente : Christ’s Churches Purely Reformed de Philipp Benedict, que je recommande fortement.. C’est une somme académique qui raconte l’histoire « sur le terrain » de la Réforme. Je vais dans une série de prochains articles synthétiser le contenu de ce livre en « brèves histoires » de la taille d’un article de blog, afin de vous partager les richesses de ce livre, et de l’histoire de nos pères. Cette semaine : un résumé de l’histoire des Églises réformées de Hongrie, dont est issu son premier ministre, Viktor Orbán.


Au début du XVIe siècle la Hongrie est un royaume multi-ethnique et multi-confessionnel (Hongrois, Slovaques, Roumains, Croates, Saxons, Tchèques, Allemands, minorité orthodoxe en Transylvanie, etc.). Tous les habitants cherchant à faire de bonnes études supérieures doivent aller à l’étranger : ils sont un millier à Wittemberg entre 1522 et 1600. Plus tard, ce sera la Hollande.

La Réforme s’engouffra par la brèche ottomane

Les élites hongroises sont tout de suite exposées aux idées luthériennes. Mais la menace des Ottomans fait que la papauté soutient financièrement et politiquement la Hongrie en tant que rempart de la chrétienté, ce qui freine l’adhésion à la Réforme. Avant la bataille de Mohács, il n’y a guère que dans l’escorte allemande de la reine que la Réforme progresse. La diète hongroise passe des lois dures contre le luthéranisme en 1523 et 1525.

Puis vint Mohács en 1526. C’est une défaite totale de la Hongrie par les Ottomans, avec une grande partie de l’élite du pays qui y meurt. En suit l’annexion d’un tiers du pays -les plaines centrales- par les ottomans, et une querelle de succession entre Ferdinand de Habsbourg et Zapolyai, d’où la partition du pays en trois :

  1. La Hongrie royale contrôlée par les Habsbourg, à l’ouest et le nord.
  2. La Transylvanie à l’est, indépendante.
  3. La Hongrie ottomane.

Pour faire le lien avec d’autres articles: c’est cette partition qui a privé Jan Łaski de l’évêché que sa famille avait obtenu pour lui, ce qui l’a amené à faire un deuxième voyage en Occident, où il acheva de devenir protestant et pasteur de Emden.

Carte des pays hongrois en 1572, après la bataille de Mohács. Les Hongrois sont divisés entre la Hongrie royale (Magyar Királyság, en orange), la principauté de Transylvanie (Erdélyország), en vert, vassale des Ottomans mais largement indépendante, et l’Empire ottoman (Török császárság, en jaune), avec ses vassaux de Roumanie (Oláhország) et de Moldavie (Moldvaország) à l’est (jaune foncé).

La hiérarchie ecclésiale a globalement disparu de Hongrie. Les quatre cinquièmes des paroisses de la Hongrie ottomane sont sans prêtres, ils ont fui. En conséquence, les Ottomans sont prêts à coopérer avec n’importe quel prédicateur tant qu’il n’attaque pas le pouvoir. En dehors du domaine ottoman, les rois n’ont tout simplement pas la capacité de chasser l’hérésie. La papauté prend partie pour Ferdinand Ier de Habsbourg en excommuniant son rival Zápolya (soutenu par la noblesse locale), ce qui brise la digue patriote qui empêchait précédemment la diffusion de la Réforme. Mieux encore : les nobles hongrois voient la purification du culte comme la réponse appropriée au châtiment de la défaite ottomane. La voie n’est pas seulement ouverte : le pays se convertit tout seul.

La Réforme progresse si bien en Hongrie que Mélanchthon songe à se mettre à l’abri en Hongrie pendant l’intérim d’Augsburg. Dans les régions ottomanes, la liberté est totale. Un évangéliste hongrois dit dans une lettre de 1551 dit qu’en sept ans il a fondé 120 églises dans la Hongrie royale. Dans la fin des années 1540, Ferdinand de Habsbourg souhaite punir l’hérésie, mais le protestantisme est déjà si bien intégré que seule la sacramentologie réformée est condamnée. La réforme liturgique se fait sans rupture ni révolution. La hiérarchie réformée suit les réseaux de prêtres médiévaux, avec un surintendant qu’ils appellent d’ailleurs évêque (püspök).

L’orientation confessionnelle est complètement indéterminée : il y a beaucoup de pasteurs formés à Wittemberg, qui apportent donc une influence philippiste. Mais il y a suffisamment d’idées réformées pour qu’elles soient condamnées en 1530. Cette orientation grandit surtout dans les années 1550, quand Bullinger y consacre des efforts de correspondance importants. C’est la loi de 1548 qui force à se confessionaliser. Des organisateurs comme Márton Kálmáncsehi Sánta puis Péter Melius Juhász mettent sur pied une Église qui fait son premier synode national à Debrecen (la future “Genève hongroise” ou “Rome calviniste”) en 1567. Exclu de Debrecen en 1553, Juhasz prêche et établit l’Église réformée en Transylvanie basée sur la confession de Bèze et le catéchisme de Heidelberg. En Transylvanie, le premier synode national a lieu en 1561 à Eger. Dans la Hongrie royale, il faut attendre 1595 pour que soit établie une Église nationale réformée distincte. En Hongrie ottomane, il n’y a a jamais eu d’autre christianisme que le christianisme réformé à partir de Mohács.

Le Grand temple (Nagytemplom) de Debrecen.

Le choc anti-trinitaire en Transylvanie

Les choses se compliquent avec l’arrivée des anti-trinitaires en 1563, qui engloutissent l’Église de Transylvanie par la conversion de l’évêque Ferenc Dávid. Pire encore, en 1568, le prince Jean-Sigsimond Zápolya est lui aussi convaincu suite à une dispute censée vaincre l’arianisme. Il met en place une politique de tolérance religieuse totale, qui brise le pouvoir du surintendant en donnant tous pouvoirs aux Églises locales. Son règne se termine très rapidement, suivi par la famille catholique des Báthory. Cependant, ils n’ont pas l’assise politique qui leur permet de poursuivre très loin le renversement de la religion réformée. Après la guerre turque de 1594-1606, les Báthory sont renversés par Gábor Bethlen, un calviniste sincère qui emmène partout avec lui son Nouveau Testament en latin. Lui et ses successeurs prennent leur rôle de protecteur de la foi au sérieux, autant qu’ils le peuvent, aidant à l’établissement d’écoles et d’Églises, envoie les étudiants en Hollande. Il s’oppose aux unitariens, qui passent de 525 églises en 1595 à 200 à la fin du XVIIe siècle.

Gábor Bethlen, prince de Transylvanie, et protecteur de Église réformée en Transylvanie.

Situation au début du XVIIe siècle

Au début du XVIIe siècle, la Hongrie royale est un pays protestant.

  • Sur la quarantaine de membres de la Diète, il n’y a que trois catholiques.
  • On estime que sur quatre millions de Hongrois (Croates excepté) il y a 75 à 80 % de la population protestante, 2 000 Églises protestantes.
  • Le plus gros groupe protestant est le groupe réformé, 40 à 45 % de la population, de toutes classes sociales.
  • Les bastions luthériens se trouvent dans les villes saxonnes germanophones, ils représentent 25 % de la population.
  • Le reste se partage entre unitariens, orthodoxes et catholiques.
  • Il n’y a presque plus de catholiques dans le pays, sauf en Croatie, le dernier bastion de Rome en Hongrie. On est passé de 70 monastères franciscains et 1 500 frères en 1500 à 5 monastères et 30 moines à la fin du siècle.
  • Les documents fondateurs de l’Église réformée hongroise sont la Confession helvétique postérieure, le catéchisme de Calvin, le catéchisme de Heidelberg. Une politique de tolérance religieuse n’arrive en Hongrie royale qu’en 1606, après que Rudolf II de Habsbourg ait annexé la Hongrie et tâché de réprimer le protestantisme durement.

Le mouvement puritain de Hongrie

Ce sont les étudiants revenant de Hollande qui vont mener le “mouvement puritain de Hongrie”, influencés par la nadere reformatie qui est elle-même la version néerlandaise du mouvement puritain d’Angleterre, introduit et popularisé aux pays-bas par Willem Teelinck.

En 1638, dix étudiants hongrois menés par János Tolnai Dali à Londres jurent de réformer leur culte (réformé) vers une pleine pureté. Pour rappel, la réforme hongroise n’avait pas été très développée au niveau liturgique. Ledit János est nommé professeur à l’académie de Sárospatak, où il provoqué une controverse en s’opposant au baptême d’urgence, à divers festivaux, et en instaurant une discipline puritaine chez ses étudiants. Il est viré du séminaire, mais son protecteur lui donne un pastorat local. La querelle entre puritains et anti-puritains hongrois est vidé lors du synode de Szatmár 1646, où les Églises de toutes les parties de la Hongrie démembrée sont représentées. Les puritains sont censurés, et l’on demande aux étudiants revenant d’Occident de renoncer à enseigner l’anabaptisme, le socinianisme, l’arminianisme… et le puritanisme (!)

En Transylvanie cependant, Pál Medgyesi publie en 1650 Dialogue politico-ecclésiastique où il défend une organisation presbytéro-synodale sur le modèle genevois, contre le modèle de Jan Łaski. D’abord rejeté par un synode transylvanien en 1651, il y a suffisamment de soutien autour du fief de la protectrice de Pál Medgyesi pour essayer ce modèle de gouvernement. Cependant, les jeux sont faits en 1653 lorsque la population, consultée par le roi, s’exprime contre les réformes de leur suzeraine. Comme le dit la guilde des chapeliers de Marosvásárhely au sujet de la religion presbytérienne (sic) : Nous ne savons pas ce que c’est, nous ne la comprenons pas, et donc nous ne voulons pas qu’elle soit amenée ici.

En fin de compte, le présbytéranisme hongrois est un mouvement d’étudiants expatriés qui a eu le soutien de quelques aristocrates, mais sans le soutien de la population, soit l’exact inverse des presbytériens écossais. Les tentatives de réformes presbytériennes en Hongrie prirent fin lorsque Georges II Rákóczi intervient dans la guerre suédo-polonaise de 1655 : ignorant les avertissements des Ottomans, il rentre en guerre au moment précis où ses alliés suédois en sortent, et se retrouve seul face aux Ottomans qui l’envahissent. Un roitelet fantoche est installé sur le trône, jusqu’à ce que la Transylvanie soit intégrée à l’empire Habsbourg en 1691. Les principales figures du mouvement puritain hongrois sont déjà mortes depuis les années 1660.

Après la réunification de la Hongrie sous les Habsbourg

Revenons au début du XVIIe siècle, et dans un autre espace : la Hongrie royale. Ils sont sous le règne des très catholiques Habsbourg, mais bénéficient du traité de Vienne (1606) qui leur garantit une liberté de culte. Les Habsbourg, très militants, préfèrent les catholiques aux nominations d’officiers, et n’hésitent pas à essayer de fermer des Églises par la force. Mais les protestants se défendent vigoureusement et maintiennent un statu quo, certes moins favorable qu’au départ.

Léopold Ier Habsbourg

La Contre-Réforme est au départ menée par l’archevêque Pázmány, un ancien réformé qui propose aux nobles hongrois qui se convertiront de les recommander auprès de l’Empereur. Il obtient la conversion de trente d’entre eux, soit la fermeture de 300 Églises.

Péter Pázmány, contre-réformateur en Hongrie

Léopold Ier y consacre ensuite sa pleine attention, surtout après un complot râté en 1670. Il profite de la punition pour envahir la Hongrie et redéfinir sa constitution et ses privilèges, une affaire commandée par l’évêque Léopold Karl von Kollonitsch (un vétéran de l’ordre de Malte). 750 pasteurs sont condamnés par un tribunal spécial présidé par Pázmány. La noblesse hongroise se soulève pour défendre ses libertés, dirigés par Imre Thököly, rejoints par les Transylvaniens et… Louis XIV, adversaire décidé des Habsbourg !

Imre Thököly, qui défendit les droits des protestants hongrois.

Cette petite guerre de religion se termine à l’avantage des rebelles en 1681, et la liberté de religion est conservée. Cela n’empêche pas Léopold plus tard de limiter ces droits lorsqu’il reconquiert les morceaux de Hongrie sous contrôle ottoman. Beaucoup de gens de haute noblesse hongroise se sont convertis dans cette période : sur les trente familles protestants siégeant à la Diète en 1600, il n’y en a plus que six en 1645. Chacune de ces conversions en amène des milliers par la suite. La petite noblesse est partagée : certains se convertissent, d’autres restent fièrement réformés. Les villes restent réformées. On passe de 40-45 % de réformés en Hongrie en 1600 à 33 % en 1700. Bien moins que ce que l’on pourrait croire en considérant la conversion de la haute noblesse.

Alors qu’en Pologne, un groupe autrefois nombreux d’Églises réformées ont virtuellement disparu au dix-huitième siècle et seront plus tard à la marge de l’histoire de leur pays, en Hongrie, les fidèles réformés restèrent une composante majeure de la population à travers l’Ancien Régime et jouèrent un rôle central dans l’apparition du nationalisme hongrois du dix-neuvième siècle.

Conclusion

Comme pour les autres articles de cette série, il y aurait d’autres choses à dire sur l’Église réformée hongroise ; l’histoire ne se finit pas en 1700. Mais c’est déjà assez pour retenir les conclusions suivantes :

  • Les alliés de l’Évangile sont parfois inattendus. J’ai été choqué de découvrir que les Turcs avaient été une tutelle plus favorable que les Habsbourg.
  • La différence de destin entre la Pologne et la Hongrie confirme le diagnostic donné pour la Pologne : la persévérance d’une Église se situe dans son assise populaire. Mais qu’on n’aille pas mépriser pour autant le protecteur politique : en ayant perdu ses protecteurs, l’Église réformée hongroise a perdu un quart de ses membres.

Illustration de couverture : La bataille de Mohács, miniature turque (château de Szigetvár).

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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