Thomas d’Aquin contre le fidéisme — Somme contre les gentils
20 janvier 2022

Je vous propose un extrait de la Somme contre les Gentils où Thomas d’Aquin critique le fidéisme (correspondant à une partie de la Somme théologique1 qu’Etienne a vulgarisée ici). Le fidéisme est une position sur l’existence de Dieu (et plus généralement sur la foi chrétienne) qui consiste à affirmer qu’on peut savoir que Dieu existe seulement sur la base de la foi (sans preuves) et qu’il est impossible de le prouver par la raison2. Il s’agit douzième chapitre du premier tome portant sur Dieu (la raison et la foi, l’existence de Dieu et ses attributs).

C’est un texte de référence qui servira potentiellement à de futurs articles ou vidéos sur les arguments en faveur de l’existence de Dieu, plus généralement la théologie naturelle ou la philosophie de la religion3. Le texte provient du site de l’Institut docteur angélique4.


CHAPITRE 12 : DE L’OPINION SELON LAQUELLE ON NE PEUT DÉMONTRER L’EXISTENCE DE DIEU, MAIS SEULEMENT LA RECEVOIR DE LA FOI

D’autres soutiennent une opinion contraire à la position précédente ; d’après eux ce serait également une entreprise inutile que de vouloir prouver l’existence de Dieu. Cette vérité, disent-ils, ne peut être atteinte par la raison ; nous ne pouvons la recevoir que de la foi et de la révélation. 

Ceux qui parlent ainsi y sont poussés par la faiblesse des arguments que certains ont utilisés pour établir l’existence de Dieu. 

Toutefois cette erreur pourrait aussi s’appuyer indûment sur l’affirmation, avancée par certains philosophes, de l’identité en Dieu de son essence et de son acte d’être, c’est-à-dire de ce qui répond à la question : qu’est-ce que Dieu? et à cette autre : Dieu est-il? Puisque nous ne pouvons arriver par la raison à connaître ce qu’est Dieu, on en conclut qu’elle ne nous aide pas davantage à démontrer qu’il existe. 

Si le principe qui permet de démontrer qu’une chose existe doit comporter ce qu’en signifie le nom, s’il est vrai par ailleurs que ce qui est signifié par le nom est la définition, il ne reste aucune voie pour démontrer l’existence de Dieu, la connaissance de l’essence ou quiddité divine étant écartée. 

Si, comme le montre Aristote, les principes démonstratifs prennent leur origine dans la connaissance sensible, il semble bien que tout ce qui dépasse le pouvoir de celle-ci ne puisse être démontré. Or telle est assurément l’existence de Dieu. Elle ne peut donc être démontrée. 

Mais la fausseté de cette proposition ressort : – de la méthode démonstrative d’abord, qui nous apprend à remonter des effets jusqu’à leur cause ; – de l’ordre même des sciences : s’il n’existe aucune substance connaissable au-dessus de la substance sensible, il faut en conclure qu’il n’y a de sciences que la science de la Nature ; – du travail des philosophes, qui se sont efforcés d’établir l’existence de Dieu ; – enfin de la vérité proposée par l’Apôtre : Les oeuvres de Dieu rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles. 

Or ceci ne fait nullement échec au principe que nous proposait le premier argument, à savoir l’identité en Dieu de l’essence et de l’acte d’être ; seulement cet argument l’entend de cet acte d’être par lequel Dieu subsiste en lui-même, et qui nous est aussi inconnu que son essence. Mais il ne l’entend pas de cet acte d’être signifié par l’intellect quand celui-ci compose. Or si on le comprend ainsi, l’existence de Dieu est objet de démonstration, puisque par une démarche démonstrative notre esprit s’avère capable de former une proposition concernant Dieu, par laquelle il en affirme l’existence. 

De plus, quand on veut démontrer rationnellement l’existence de Dieu, ce n’est pas l’essence divine, ou quiddité, qu’il faut prendre pour moyen terme comme le proposait le deuxième argument ; mais au lieu de l’essence il faut prendre l’effet, ainsi que l’on procède dans les démonstrations du type quia (a posteriori), et de cet effet on tire la signification de ce nom : Dieu. Car tous les noms de Dieu lui sont donnés d’après ses effets, soit par voie d’élimination, soit par voie de causalité. La réponse au troisième argument en ressort clairement.

Bien que Dieu échappe au pouvoir des sens, nous pouvons démontrer son existence à partir de ses effets qui, eux, leur restent accessibles. De la sorte, notre connaissance des réalités qui dépassent la capacité de la connaissance sensible trouve encore en elle son origine.


Illustration de couverture : Antoine Nicolas, Saint Thomas d’Aquin, Fontaine de Sagesse, 1648.

  1. Une autre autre oeuvre, la principale de Thomas d’Aquin[]
  2. Bien sûr philosophiquement (et non pas scientifiquement par la méthode scientifique ni mathématiquement) par déductions de prémisses à une conclusion conformément à la logique classique[]
  3. La discipline de la philosophie qui étudie l’existence de Dieu (la réalité ultime de l’univers) et ses attributs[]
  4. Un institut d’étude catholique qui propose des formations en philosophiques et en théologie pour découvrir Thomas d’Aquin. On trouve toutes ou quasiment toutes les œuvres de Thomas gratuitement en ligne sur leur site.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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