Nous avons déjà présenté l’idée de cette série dans un article précédent : vulgariser le contenu des lois canoniques des Églises réformées de France, que l’on appelle la Discipline. En effet, à Privas en 1612, les pasteurs ont juré de vivre et mourir fidèles non seulement à la confession de foi, mais aussi à ces lois. Outre l’intérêt historique, elles sont aussi un exemple de la manière avec laquelle a été bâtie une Église de dimension nationale fidèle à l’Évangile, et témoignent de la doctrine de l’Église réformée. Nous terminons ce passage en revue par les lois groupées sous le chapitre « Règlements particuliers », au vu de la diversité des thèmes, qui couvrent ce que peut faire un professionnel du droit aux loisirs.
Règlements particuliers
En français contemporain, on parlera de « Divers ». De fait, je vais suivre l’exposé des articles, sans dévier de leur ordre. Ils seront tantôt regroupés, tantôt non.
Article 1 Nul ne sera reçu à la communion sans avoir abjuré le catholicisme.
Des revenus ecclésiastiques
Article 2 Il est interdit de participer (financièrement) à l’entretien du culte catholique. Cependant, il sera toléré de continuer à percevoir des revenus ecclésiastiques, selon le jugement du consistoire et colloque. Par la suite, les synodes enrichissent cet article de différents cas :
- 1559 (Paris) : Il est interdit d’accompagner son maître à l’Église catholique. Le comportement de Naaman (2 Rois 5) n’est toléré que si l’on fait savoir publiquement son adhésion au protestantisme.
- 1596 (Saumur) : Peut-on se joindre aux cortèges catholiques pour les mariages et baptêmes, tout en s’arrêtant aux portes de l’église ? Non.
- 1626 (Castres) : La même situation trente ans plus tard est laissé au jugement des consistoires.
- 1598 (Montpellier) : Est-il permis d’acquérir des terres ecclésiastiques contre paiement de droit à un évêque ou autre clerc ? Oui, si c’est juste une compensation financière ordianaire. Mais si cela s’accompagne de conditiosn telles que de dire la messe, c’est blâmable.
- 1601 (Gergeau) : Les fermiers de la dîme (collecteurs de l’impôt de l’Église catholique) qui ne participent pas au culte romain ne sont pas exclus de la Cène, contrairement à une décision du synode de Basse-Guyenne.
- 1596 (Saumur) : Les magistrats réformés doivent encourager à ne pas faire de serment sur les autels, crucifix ou autre chose que le seul vrai Dieu. Cependant, les ordonnances du Roi restent la règle.
- 1603 (Gap) : On ne jurera pas la main sur la Bible [de crainte de superstition] mais simplement la main levée.
- 1631 (Charenton) : Dans certaines villes, les réformés participèrent à une cérémonie catholique par ordre du magistrat. Ils sont vigoureusement repris par le synode national, qui exige toute censures et repentances contre eux.
- 1644 (Charenton) : On publie une longue condamnation de ceux qui manifestent du respect ou un signe d’adoration devant l’hostie romaine.
Article 3 Seront suspendus de Cène:
- Ceux qui acquièrent des revenus ecclésiastiques par bulle papale ou « deniers » [achat direct].
- Ceux qui utilisent leurs revenus ecclésiastiques pour entretenir le culte catholique.
- On fera exception de ceux qui reçoivent leurs bénéfices par patronage, tant qu’ils les consacrent à l’Église réformée.
Des affaires et conflits légaux
Article 4 Les « imprimeurs, libraires, peintres et autres artisans » ne devront rien faire « qui dépende des superstitions de l’Église romaine » (icône, crucifix, etc).
Article 5 Les notaires, secrétaires, etc. ne seront pas punis pour avoir géré des affaires concernant l’Église romaine, vu que leur métier est d’enregistrer fidèlement ce qu’on leur demande. De même pour les juges protestants s’ils interviennent sur une affaire concernant l’Église catholique. Les notaires protestants doivent arrêter de gérer leurs affaires le dimanche, pour respecter le jour du repos.
Article 6 Les arbitres n’ont pas le droit de se mêler des affaires de l’Église romaine.
Article 7 Les avocats ne pourront pas, dans le cadre de leur profession, prêter assistance à l’Église romaine ou contre l’Église réformée.
Article 8 Autant que possible, on évitera les tribunaux ecclésiastiques et on n’aura recours qu’au tribunal civil.
Article 9 Les avocats ne doivent pas plaider devant les tribunaux ecclésiastiques, sauf si c’est nécessaire pour une autre affaire.
Article 10 Il n’est pas interdit ni illicite d’avoir recours à des tribunaux civils présidés par un clerc romain.
Article 11 Il est interdit de demander des « monitoires », c’est à dire des sommations de répondre sous peine de sanction romaine, et des excommunications à l’Église romaine.
Des affaires familiales
Article 12 Il est interdit d’aller écouter les prédications de l’Église romaine.
Article 13 Les aristocrates réformés n’accueilleront pas chez eux de personnes « incorrigibles et scandaleuses », ni, dans le même souffle, de prêtres ou conseillers théologiques romains.
Au synode de 1571 (La Rochelle), Jeanne d’Albret demande si elle peut recruter des officiers de religion papiste. Autant que possible, elle doit choisir des gens réformés. Quant aux papistes, qu’elle vérifie bien qu’ils sont « paisibles, de bonne vie ». Ceux qui l’ont trahie doivent être démis.
Article 14 Les parents doivent prendre soin de l’éducation de leurs enfants qui sont la pépinière et la semence de l’Église. Il est interdit de les mettre dans des écoles catholiques, ou d’en faire des pages dans les maisons des seigneurs et gentilshommes de religion contraire.
Au synode de 1603 (Gap), Paul La Ville avait mis son fils dans un collège jésuite : il est menacé d’excomunication s’il ne le retire pas. Même chose pour Antoine de Roussan et Achille Bouillon lors du synode de 1614 (Tonneins).
En fait, presque chaque synode doit rappeler cet article au XVIIe siècle, et apparemment de plus en plus en vain. Le dernier synode à Charenton en 1644 est une exhortation exaspérée.
Sur la plainte des censures décernées, contre ceux qui envoyent leurs enfants aux collèges des jésuites. Le Synode dit qu’en aucune Église de la province du Bas-Languedoc, les pères et mères qui envoient leurs enfants aux collèges des jésuites n’ont été suspendus des saints sacrements, que selon la discipline ecclésiastique permise par l’Édit à ceux de la Religion, pour l’observer en ce fait, qui regarde la paix de la conscience et les mœurs de leurs enfants. Qu’ils doivent porter par tous les enseignements convenable à l’obéissance de Dieu et du Roi, et à la détestation de toutes ces mauvaises impression qui tant de fois obligea la France au deuil et aux larmes.
Article 15 Les familles des anciens moines ayant quitté les ordres pour devenir réformés doivent leur porter assistance (synode de 1565, Paris).
Des écrits chrétiens
Article 16 Les pasteurs et autres auteurs en matière de religion ne publieront pas sans être approuvés par le colloque, voire le synode provincial.
Les synodes provinciaux peuvent choisir des « apologètes de référence », dont les frais d’écriture seront pris en charge par la province (synode de 1594, Montauban).
Article 17 Ceux qui écrivent des adaptations de l’Écriture sainte ne doivent pas y rajouter de légendes et ne rien rajouter à celle-ci de manière générale.
Article 18 On ne fera pas de comédies ni de tragédies à partir de l’Écriture sainte.
Article 19 Les imprimeurs doivent d’abord faire approuver les livres religieux par le consistoire, et il est interdit de vendre des livres catholiques.
Au synode de 1644 (Charenton), on dit qu’il est interdit d’éditer quoi que ce soit des textes fondateurs (version de l’Écriture sainte, psaumes, confession de foi, liturgie, catéchisme) sans l’ordre du consistoire et l’accord du synode provincial.
Relations avec les catholiques
Article 20 Il faut payer la dîme, non qu’elle soit légitime, mais par obéissance au Roi.
Article 21 Pas de scandale inutile en travaillant les jours chômés, même catholiques. On n’innovera pas sur les fêtes de Noël.
On n’enfreindra pas les festivaux catholiques, il est même libre d’en faire un jour de célébration réformée si les consistoires le jugent appropriés (synode de 1617, Vitré).
Article 22 Les paroles injurieuses et violences contre les prêtres et les moines seront punies. Plusieurs synodes (1560, Poitiers ; 1626, Castres ; 1637, Alençon) exhortent à la patience.
Divers, lois vestimentaires
Article 23 Les prêts bancaires sont interdit hors des limites de la loi.
Article 24 Les parjures seront avertis une ou deux fois avant d’être exclus de la Cène. Les blasphémateurs sont immédiatement exclus.
Article 25 On gardera de la modestie dans les habillements, masculins comme féminins.
Article 26 L’article 25 est précisé : ce ne sont pas les habits accoutumés qui sont concernés, mais ceux qui portent marque notoire d’impudicité, et nouveauté trop curieuse : comme fard, ouverture de sein et choses semblables. Cela peut aller jusqu’à la suspension de Cène. Commentaire des synodes :
- Que faire le mari est de religion contraire et exige que sa femme soit vêtue d’une façon immodeste ? On tolérera, sauf les jours de Cène et quand elle présente les enfants au baptême (1583, Vitré).
- Les soldats (protestants) du Roi portent des habits ayant une croix catholique dessus. On l’accepte, parce que ce n’est pas une marque de superstition, mais de condition. Qu’ils ne provoquent pas de scandale toutefois (1609, Saint-Maixent).
Des loisirs
Article 27 Pas de danse. Cela peut aller jusqu’à l’excommunion en cas de persistance et de rébellion.
Article 28 Pas de mommeries et batteleries ou de carnaval ou spectacle forain, parce que cela entretient la curiosité, apporte de la dépense et perte de temps. De même pour le théâtre, parce qu’il corrompt les bonnes mœurs. Une tolérance est accordée au collège pour l’utilité de la jeunesse, à condition que ce ne soient pas des pièces basées sur l’Écriture sainte qui est baillée pour être prêchée et non jouée?
- Les charivaris et rançonnement de mariages1 sont rajoutés à la liste (1617, Vitré).
Article 29 Les jeux de hasard sont interdits parce qu’il y a avarice, impudicité, perte notoire de temps, ou scandale. C’est passible de la discipline d’Église. On le voit, au niveau des loisirs les huguenots historiques sont à la hauteur des fondamentalistes américains.
Article 30 Assister aux festins de noces ou pour célébrer la naissance dans des familles catholiques est moralement indifférent. Les festins de réjouissances pour la première messe des prêtres sont exclus cependant (1567, Vertueil).
Article 31 Il est interdit de participer au repas de mariage d’un membre qui s’est détourné de l’Église réformée pour se marier avec un conjoint catholique. Pour ceux qui ont abjuré il y a longtemps ou les couples authentiquement catholiques, chacun est laissé à sa conscience.
Article 32 Toute participation à des duels est proscrite, passible de discipline d’Église.
Conclusion
Article 33 Tous ces articles peuvent être modifiés, mais pas sans l’accord du synode national. Le synode de 1594 (Montauban) refuse de fournir un abrégé de la discipline : les articles ne sont pas si longs. Celui de 1614 (Tonneins) précise ce que les synodes nationaux à venir ne sont pas censés changer sans consulter les synodes provinciaux et que la chose soit débattue dans chaque province au préalable :
- Version de l’Écriture sainte
- Rime des psaumes
- Texte de la confession de foi
- Liturgie
- Catéchisme
- Discipline
- etc.
La discipline ecclésiastique des Églises réformées de France, dans la rédaction que nous en avons présentée, a été dressée et reçue au synode de 1644 (Charenton).
- Un témoignage ethnographique du XIXe siècle sur cette coutume :
C’est aussi d’un rite de passage qu’il s’agit dans cette peinture d’Alfred Pabst intitulée La Rançon du marié ou Noce alsacienne : accompagné de son épouse, le marié est « rançonné » par les gens du village qui tendent une corde devant eux. Les musiciens qui jouent du tambour et de la trompette, les villageois qui assistent à la scène de leur fenêtre ou dans la rue, montrent bien que le mariage est une festivité collective.[↩]
Merci encore pour cet extrait.
C’est remarquable la recherche de justesse dans les distinctions :
Le cultuel est distingué des affaires civiles et économiques, la superstition de l’usage culturel commun.
Une grande sévérité sur certains sujets liés à la compromission mais une affirmation de la liberté de conscience et le renvoi de chacun à son choix sur d’autres sujets.
On trouve également un témoignage de la difficulté de vivre dans une société d’ancien régime, dans laquelle les biens de l’Eglise et sont système économique sont incontournables, mais aussi l’absence de neutralité des magistrats, et encore l’implication du culte romain dans l’économie.
Toujours et encore cette fidélité au Roi, jusqu’à accepter la Dîme.
Un effort de distinctions et de définitions qu’on peine à faire de nos jours, ce qui serait pourtant nécessaire.