Commentaire de la lettre IV de Cyrille d’Alexandrie
30 juin 2022

En lisant et discutant avec de jeunes protestants, et parfois aussi avec des pasteurs, j’ai pu constater combien l’enseignement de l’Église sur l’unique personne du Christ (et les doctrines connexes : l’union hypostatique, la communication des idiomes, la maternité divine de Marie, etc.), était méconnu, quand il n’était pas remis en cause ouvertement dans les milieux évangéliques. C’est pourquoi il me semble nécessaire de le rappeler avec force.

L’an dernier, j’ai eu le privilège de suivre un cours de patristique sur la christologie de Cyrille d’Alexandrie (375-444), donné par Damien Labadie (UMR 5648 CNRS) pour la faculté Jean Calvin. Je reproduis ci-dessous, avec quelques nécessaires adaptations, le commentaire qu’il nous était demandé de composer sur une lettre dogmatique de Cyrille à Nestorius, son collègue et bientôt son adversaire de Constantinople. C’est un bon texte pour comprendre la querelle qui mena au concile œcuménique d’Éphèse (430-431) et à la dogmatisation de la christologie de Cyrille, qui triomphera au concile de Chalcédoine (451).


Texte et traduction

Deuxième lettre de Cyrille à Nestorius (lettre IV)

Traduction inédite de Damien Labadie, publiée avec son aimable autorisation.

  1. Τῷ εὐλαβεστάτῳ καὶ θεοφιλεστάτῳ συλλειτουργῷ Νεστορίῳ, Κύριλλος ἐν Κυρίῳ χαίρειν.
  1. Καταφλυαροῦσι μὲν, ὡς ἀκούω, τινὲς τῆς ἐμῆς ὑπολήψεως ἐπὶ τῆς σῆς θεοσεβείας · καὶ τοῦτο συχνῶς τὰς τῶν ἐν τέλει συνόδους καιροφυλακοῦντες μάλιστα · καὶ τάχα που καὶ τέρπειν οἰόμενοι τὴν σὴν ἀκοὴν, καὶ ἀβουλήτους πέπμπουσι φωνὰς, ἠδικημένοι μὲν οὐδὲν, ἐλεγχθέντες δὲ καὶ τοῦτο χρησίμως · ὁ μὲν, ὅτι τυφλοὺς ἠδίκει καὶ πένητας · ὁ δὲ, ὡς μητρὶ ξίφος ἐπανατείνας · ὁ δὲ, θεραπαίνῃ συκγεκλοφὼς χρυσίον ἀλλότριον · καὶ τοιαύτην ἐσχηκὼς ἀεὶ τὴν ὑπόληψιν, ἣν οὐκ ἂν εὔξαιτό τις συμβῆναί τισι καὶ τῶν λίαν ἐχθρῶν. Πλὴν οὐ πολὺς τῶν τοιούτων ὁ λόγος ἐμοὶ, ἵνα μήτε ὑπὲρ τὸν Δεσπότην καὶ διδάσκαλον, μήτε μὴν ὑπὲρ τοὺς πατέρας τὸ τῆς ἐνούσης μοι βραχύτητος ἐκτείνοιμι μέτρον. Οὐ γὰρ ἐνδέχεται τὰς τῶν φαύλων διαδράναι σκαιότητας, ὡς ἂν ἕλοιτό τις διαβιοῦν. Ἀλλ’ ἐκεῖνοι μὲν ἀρᾶς καὶ πικρίας μεστὸν ἔχοντες τὸ στόμα, τῷ πάντων ἀπολογήσονται κριτῇ.
  1. Au très pieux et ami de Dieu Nestorius, collègue dans le sacerdoce, de la part de Cyrille, salut dans le Seigneur !
  1. J’entends dire que certains portent atteinte à ma réputation auprès de ta Sainteté, notamment en prenant constamment prétexte des synodes qui se tiennent dans la capitale. Estimant, peut-être, rejouir tes oreilles, ils te font parvenir des paroles inconsidérées ; alors qu’ils n’ont subi aucun tort, ils furent accusés à juste titre, car l’un abusait des aveugles et des pauvres, l’autre leva l’épée sur sa mère et le dernier, ayant déjà une réputation dont on ne voudrait même pas accabler son pire ennemi, vola l’argent d’autrui avec la complicité d’une servante. Cependant, le discours de ces gens-là n’est pas d’une grande importance pour moi, de peur de me croire, moi qui suis petit, plus grand que le Seigneur et Maître, et aussi plus grand que les Pères. En effet, il n’est pas possible d’esquiver les inepties des gens grossiers, bien que l’on préférerait y passer à travers. Mais « leur bouche est pleine de malédictions et d’amertume » (Romains 3,14) et ils devront se justifier devant le juge de l’univers.
  1. Τετράψομαι δὲ πάλιν ἐγὼ πρὸς τὸ ὅτι μάλιστα πρέπον ἐμαυτῷ · καὶ ὑπομνήσω καὶ νῦν, ὡς ἀδελφὸν ἐν Κυρίῳ, τῆς διδασκαλίας τὸν λόγον, καὶ τὸ ἐπὶ τῇ πίστει φρόνημα μετὰ πάσης ἀσφαλείας ποιεῖσθαι πρὸς τοὺς λαούς · ἐννοεῖν τε, ὅτι τὸ σκανδαλίσαι καὶ μόνον ἕνα τῶν μικρῶν τῶν πιστευόντων εἰς Χριστὸν ἀφόρητον ἔχει τὴν ἀγανάκτησιν · εἰ δὲ δὴ πληθὺς εἴη τοσαύτη τῶν λελυπημένων, πῶς οὐχ ἁπάσης εὐτεχνίας ἐν χρείᾳ καθεστήκαμεν πρός τε τὸ δεῖν ἐμφρόνως περιελεῖν τὰ σκάνδαλα, καὶ τὸν ὑγιᾶ τῆς πίστεως κατευρῦναι λόγον τοῖς ζητοῦσι τὸ ἀληθές ; Ἔσται δὲ τοῦτο καὶ μάλα ὀρθῶς, εἰ τοῖς τῶν ἁγίων Πατέρων περιτυγχάνοντες λόγοις, περὶ πολλοῦ τε αὐτοὺς ποιεῖσθαι σπουδάζοιμεν, καὶ δοκιμάζοντες ἑαυτοὺς, εἰ ἐσμὲν ἐν τῇ πίστει κατὰ τὸ γεγραμμένον, ταῖς ἐκείνων ὀρθαῖς καὶ ἀνεπιλήπτοις δόξαις τὰς ἐν ἡμῖν ἐννοίας εὖ μάλα συμπλάττοιμεν.
  1. Mais je reviendrai au sujet qui me concerne en particulier. Je te demanderai maintenant, en tant que frère en Christ, que tu précises, à l’intention des gens, ton enseignement et ta conception de la foi avec toute la rigueur souhaitée, et que tu te rappelles aussi que « scandaliser un seul des plus petits » (Matthieu 18,6) de ceux qui croient en Christ entraîne l’irrépressible colère (de Dieu). Et si ceux qui sont affligés à cause de celle-là deviennent de plus en plus nombreux, comment n’aurions-nous pas recours à tous les moyens pour dissiper prudemment les scandales et exposer le discours de la saine doctrine à ceux qui cherchent la vérité ? Cela sera fait avec la plus grande rectitude si, en trouvant les paroles des Pères, nous nous empressons de les tenir en grande estime. « Soumettons-nous à la critique, si nous sommes dans la foi » (2 Corinthiens 13,5), comme le dit l’Écriture, et conformons parfaitement les pensées qui sont en nous à leurs opinions droites et infaillibles.
  1. Ἔφη τοίνυν ἡ ἁγία καὶ μεγάλη σύνοδος, αὐτὸν τὸν ἐκ Θεοῦ Πατρὸς κατὰ φύσιν γεννηθέντα Υἱὸν μονογενῆ, τὸν ἐκ Θεοῦ ἀληθινοῦ Θεὸν ἀληθινόν, τὸ φῶς τὸ ἐκ τοῦ φωτός, τὸν δι’ οὗ τὰ πάντα πεποίηκεν ὁ Πατήρ, κατελθεῖν, σαρκωθῆναί τε καὶ ἐνανθρωπῆσαι, παθεῖν, ἀναστῆναι τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ, καὶ ἀνελθεῖν εἰς οὐρανούς. Τούτοις δὲ καὶ ἡμᾶς ἕπεσθαι δεῖ καὶ τοῖς λόγοις καὶ τοῖς δόγμασιν, ἐννοοῦντας, τί τὸ σαρκωθῆναι, καὶ ἐνανθρωπῆσαι δηλοῖ τὸν ἐκ Θεοῦ λόγον. Οὐ γάρ φαμεν ὅτι ἡ τοῦ Λόγου φύσις μεταποιηθεῖσα γέγονε σάρξ · ἀλλ’ οὐδὲ ὅτι εἰς ὅλον ἄνθρωπον μετεβλήθη, τὸν ἐκ ψυχῆς καὶ σώματος · ἐκεῖνο δὲ μᾶλλον, ὅτι σάρκα ἐψυχωμένην ψυχῇ λογικῇ ἑνώσας ὁ Λόγος ἑαυτῷ καθ’ ὑπόστασιν, ἀφράστως τε καὶ ἀπερινοήτως γέγονεν ἄνθρωπος, καὶ κεχρημάτικεν Υἱὸς ἀνθρώπου, οὐ κατὰ θέλησιν μόνην, ἢ εὐδοκίαν · ἀλλ’ οὐδὲ ὡς ἐν προσλήψει προσώπου μόνου · καὶ ὅτι διάφοροι μὲν αἱ πρὸς ἑνότητα τὴν ἀληθινὴν συναχθεῖσαι φύσεις · εἷς δὲ ἐξ ἀμφοτέρων Χριστὸς καὶ Υἱός · οὐχ ὡς τῆς τῶν φύσεων διαφορᾶς ἀνῃρημένης διὰ τὴν ἕνωσιν · ἀποτελεσασῶν δὲ μᾶλλον ἡμῖν τὸν ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστὸν καὶ Υἱὸν, θεότητός τε καὶ ἀνθρωπότητος, διὰ τῆς ἀφράστου καὶ ἀποῤῥήτου πρὸς ἑνότητα συνδρομῆς.
  1. Ainsi, le saint et grand concile1 dit que le Fils unique, engendré naturellement de Dieu le Père, vrai Dieu du vrai Dieu, lumière de la lumière, à travers lequel le Père a tout fait, descendit, s’incarna, devint homme, souffrit, ressuscita le troisième jour et monta aux cieux. Or, il faut que nous suivions ces paroles et enseignements, et réfléchir à ce que signifie « le Verbe de Dieu incarné et devenu homme ». En effet, nous ne disons pas que la nature du Verbe, en se changeant, est devenue chair ; nous ne disons pas non plus qu’il se transforma en homme complet, fait d’une âme et d’un corps. Nous disons plutôt que le Verbe, s’étant uni hypostatiquement à une chair animée d’une âme rationnelle devint, d’une manière ineffable et incompréhensible, homme et prit le titre de « Fils de l’homme ». Cela ne résulta pas d’un acte de volonté seul, ou d’une faveur, ou du fait qu’il aurait assumé une seule personne. Bien que les natures associées en une véritable unité fussent différentes, il n’y a, à partir des deux, qu’un Christ et Fils. Cela ne signifie pas que l’on doive nier la différence des natures à cause de l’union ; plutôt, cela signifie que la divinité et l’humanité, à travers une combinaison ineffable et indicible vers l’unité, accomplirent pour nous un seul Seigneur Jésus-Christ et Fils.
  1. Οὕτω τε λέγεται, καίτοι πρὸ αἰώνων ἔχων τὴν ὕπαρξιν, καὶ γεννηθεὶς ἐκ Πατρός, γεννηθῆναι καὶ κατὰ σάρκα ἐκ γυναικὸς, οὐχ ὡς τῆς θείας αὐτοῦ φύσεως ἀρχὴν τοῦ εἶναι λαβούσης ἐν τῇ ἁγίᾳ Παρθένῳ · οὔτε μὴν δεηθείσης ἀναγκαίως δι’ ἑαυτὴν δευτέρας γεννήσεως, μετὰ τὴν ἐκ Πατρός. Ἔστι γὰρ εἰκαῖόν τε ὁμοῦ καὶ ἀμαθὲς τὸν ὑπάρχοντα πρὸ παντὸς αἰῶνος, καὶ συναΐδιον τῷ Πατρὶ, δεῖσθαι λέγειν ἀρχῆς τῆς εἰς τὸ εἶναι δευτέρας. Ἐπειδὴ δὲ δι’ ἡμᾶς, καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν ἑνώσας ἑαυτῷ καθ’ ὑπόστασιν τὸ ἀνθρώπινον, προῆλθεν ἐκ γυναικός, ταύτῃ τοι λέγεται γεννηθῆναι σαρκικῶς. Οὐ γὰρ πρῶτον ἄνθρωπος ἐγεννήθη κοινὸς ἐκ τῆς ἁγίας Παρθένου · εἶθ’ οὕτω καταπεφοίτηκεν ἐπ’ αὐτὸν ὁ Λόγος · ἀλλ’ ἐξ αὐτῆς μήτρας ἑνωθεὶς, ὑπομεῖναι λέγεται γέννησιν σαρκικήν, ὡς τῆς ἰδίας σαρκὸς τὴν γέννησιν οἰκειούμενος.
  1. C’est pourquoi l’on dit, quoiqu’il existât avant les siècles et fût engendré du Père, qu’il fut aussi engendré d’une femme selon la chair. Cela ne signifie pas que sa nature divine reçût son commencement d’existence dans la sainte Vierge, ou quelle eût nécessairement besoin pour elle d’une deuxième naissance apres celle du Père. Car il est idiot et insensé de dire que celui qui existait avant tous les siècles et qui est coéternel avec le Père avait besoin d’un second commencement pour exister. Ainsi, puisque c’est pour nous et notre salut que, s’étant uni hypostatiquement à l’humanité, il sortit d’une femme, on dit qu’il a été engendre, en elle, de manière charnelle. En effet, ce n’est pas un homme ordinaire qui aurait d’abord été engendré de la sainte Vierge, puis le Verbe serait ensuite descendu sur lui. Au contraire, il devint uni à partir du sein même et l’on dit ainsi qu’il se chargea d’une naissance charnelle, car il s’appropria la naissance de sa propre chair.
  1. Οὕτω φαμὲν αὐτὸν καὶ παθεῖν, καὶ ἀναστῆναι, οὐχ ὡς τοῦ Θεοῦ Λόγου παθόντος εἰς ἰδίαν φύσιν, ἢ πληγὰς, ἢ διατρήσεις ἥλων, ἤγουν τὰ ἕτερα τῶν τραυμάτων · ἀπαθὲς γὰρ τὸ θεῖον, ὅτι καὶ ἀσώματον · ἐπειδὴ δὲ τὸ γεγονὸς αὐτοῦ ἴδιον σῶμα πέπονθε ταῦτα, πάλιν αὐτὸς λέγεται παθεῖν ὑπὲρ ἡμῶν. Ἦν γὰρ ὁ ἀπαθὴς ἐν τῷ πάσχοντι σώματι. Κατὰ τὸν ἴσον δὲ τρόπον, καὶ ἐπὶ τοῦ τεθνάναι νοοῦμεν · ἀθάνατος γὰρ κατὰ φύσιν καὶ ἄφθαρτος καὶ ζωὴ καὶ ζωοποιός ἐστιν ὁ τοῦ Θεοῦ Λόγος · Ἐπειδὴ δὲ πάλιν τὸ ἴδιον αὐτοῦ σῶμα χάριτι Θεοῦ, καθά φησιν ὁ Παῦλος, ὑπὲρ παντὸς ἐγεύσατο θανάτου, λέγεται παθεῖν αὐτὸς τὸν ὑπὲρ ἡμῶν θάνατον · οὐχ ὡς εἰς πεῖραν ἐλθὼν τοῦ θανάτου, τό γε ἧκον εἰς τὴν αὐτοῦ φύσιν (ἀποπληξία γὰρ τοῦτο λέγειν ἢ φρονεῖν), ἀλλ’ ὅτι, καθάπερ ἔφην ἀρτίως, ἡ σὰρξ αὐτοῦ ἐγεύσατο θανάτου. Οὕτω καὶ ἐγηγερμένης αὐτοῦ τῆς σαρκός, πάλιν ἡ ἀνάστασις αὐτοῦ λέγεται · οὐχ ὡς πεσόντος εἰς φθοράν · μὴ γένοιτο · ἀλλ’ ὅτι τὸ αὐτοῦ πάλιν ἐγήγερται σῶμα.
  1. En conséquence, nous disons, à la fois, qu’il a souffert et qu’il est ressuscité, cela ne signifiant pas que Dieu le Verbe ait pâti, dans sa propre nature, des coups, de la perforation des clous ou des autres supplices ; en effet, la divinité ne souffre pas parce qu’elle est aussi incorporelle. Mais parce que le corps qui est devenu le sien propre a pâti de ces choses-là, on dit qu’il a souffert lui-même pour nous, car Celui qui ne souffre pas était dans un corps souffrant. De la même manière, nous comprenons aussi sa mort. En effet, le Verbe de Dieu, par nature, est immortel et incorruptible, il est la Vie et il donne la vie. Or, puisque son propre corps a, « par la grâce de Dieu, goûté la mort en faveur de tous » (Hébreux 2,9), comme le dit Paul, nous disons qu’il a lui-même souffert la mort pour nous. Cela ne signifie pas qu’il ait fait l’expérience de la mort, cela touchant sa propre nature (ce serait une folie de dire et concevoir cela !) mais cela signifie, comme je l’ai dit tout à l’heure, que sa chair a goûté la mort. De même, sa chair étant ressuscitée, on dit que la résurrection est sienne. En aucun cas cela ne signifie qu’il soit tombé dans la corruption, mais cela signifie que son corps a été ressuscité.
  1. Οὕτω Χριστὸν ἕνα καὶ Κύριον ὁμολογήσομεν · οὐχ ὡς ἄνθρωπον συμπροσκυνοῦντες τῷ Λόγῳ, ἵνα μὴ τομῆς φαντασία παρεισκρίνηται διὰ τοῦ λέγειν τὸ, σὺν · ἀλλ’ ὡς ἕνα καὶ τὸν αὐτὸν προσκυνοῦντες, ὅτι μὴ ἀλλότριον τοῦ λόγου τὸ σῶμα αὐτοῦ, μεθ’ οὗ καὶ αὐτῷ συνεδρεύει τῷ πατρί, οὐχ ὡς δύο πάλιν συνεδρευόντων υἱῶν, ἀλλ’ ὡς ἑνὸς καθ’ ἕνωσιν μετὰ τῆς ἰδίας σαρκός. Ἐὰν δὲ τὴν καθ’ ὑπόστασιν ἕνωσιν ἢ ὡς ἀνέφικτον ἢ ὡς ἀκαλλῆ παραιτώμεθα, ἐμπίπτομεν εἰς τὸ δύο λέγειν υἱούς. Ἀνάγκη γὰρ πᾶσα διορίσαι, καὶ εἰπεῖν τὸν μὲν, ἄνθρωπον ἰδικῶς, τῇ τοῦ Υἱοῦ κλήσει τετιμημένον · ἰδικῶς δὲ πάλιν, τὸν ἐκ Θεοῦ Λόγον, υἱότητος ὄνομά τε καὶ χρῆμα ἔχοντα φυσικῶς.
  1. Ainsi confessons-nous un seul Christ et Seigneur. Nous ne disons pas que nous coadorons un homme avec le Verbe, de peur que ne s’introduise l’ombre d’une division en disant « avec » ; cela signifie que nous adorons un seul et le même, car son corps, avec lequel il siège avec son Père, n’est pas étranger au Verbe. De nouveau, nous ne disons pas que deux Fils siègent, mais un seul avec sa propre chair selon l’union. Mais si nous rejetons l’union hypostatique comme étant impossible ou inconvenante, nous finissons par parler de deux Fils, car il faudrait distinguer chacune des deux (natures) et dire de l’un qu’il était spécifiquement un homme, honoré du titre de Fils, et de l’autre qu’il était spécifiquement le Verbe de Dieu, possédant le nom et la richesse de la divinité selon la nature.
  1. Οὐ διαιρετέον τοιγαροῦν εἰς υἱοὺς δύο τὸν ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστόν. Ὠφέλησε κατ’ οὐδένα τρόπον τὸν ὀρθὸν τῆς πίστεως λόγον εἰς τὸ οὕτως ἔχειν, κἂν εἰ προσώπων ἕνωσιν ἐπιφημίζουσί τινες. Οὐ γὰρ εἴρηκεν ἡ Γραφὴ ὅτι ὁ Λόγος ἀνθρώπου πρόσωπον ἥνωσεν ἑαυτῷ, ἀλλ’ ὅτι γέγονε σάρξ. Τὸ δὲ σάρκα γενέσθαι τὸν Λόγον, οὐδὲν ἕτερόν ἐστιν, εἰ μὴ ὅτι παραπλησίως ἡμῖν μετέσχεν αἵματος καὶ σαρκὸς. Ἴδιον δὲ σῶμα τὸ ἡμῶν ἐποιήσατο, καὶ προῆλθεν ἄνθρωπος ἐκ γυναικός, οὐκ ἀποβεβληκὼς τὸ εἶναι Θεὸς, καὶ τὸ ἐκ Θεοῦ γεννηθῆναι Πατρός · ἀλλὰ καὶ ἐν προσλήψει σαρκὸς μεμενηκὼς ὅπερ ἦν. Τοῦτο πρεσβεύει πανταχοῦ τῆς ἀκριβοῦς πίστεως ὁ λόγος · οὕτως εὑρήσομεν τοὺς ἁγίους πεφρονηκότας Πατέρας · οὕτω τεθαρσήκασι Θεοτόκον εἰπεῖν τὴν ἁγίαν Παρθένον, οὐχ ὡς τῆς τοῦ Λόγου φύσεως ἤτοι τῆς θεότητος αὐτοῦ τὴν ἀρχὴν τοῦ εἶναι λαβούσης ἐκ τῆς ἁγίας Παρθένου · ἀλλ’ ὡς γεννηθέντος ἐξ αὐτῆς τοῦ ἁγίου σώματος, ψυχωθέντος τε λογικῶς, ᾧ καὶ καθ’ ὑπόστασιν ἑνωθεὶς ὁ Λόγος, γεγεννῆσθαι λέγεται κατὰ σάρκα.
  1. On ne doit donc pas séparer le Seigneur Jésus-Christ en deux Fils. Maintenir une telle chose n’a, en aucune manière, été utile à l’exposé correct de la foi, même si certains prétendent qu’il y eut une union des personnes. Or l’Écriture ne dit pas que le Verbe a uni à lui la personne d’un homme, mais qu’il est devenu chair (Jean 1,14). Que le Verbe devînt chair, cela ne signifie rien d’autre si ce n’est « qu’il prit part, de la même manière que nous, au sang et à la chair. » (Hébreux 2,14) Il se fit un corps propre, qui est le nôtre, et un homme sortit d’une femme. Il ne renia pas qu’il était Dieu ni qu’il avait été engendré de Dieu le Père, et il resta ce qu’il était, même en revêtant la chair. Partout prévaut cet exposé de la foi orthodoxe. Nous découvrirons ainsi que les Pères, qui avaient les mêmes idées, ont dit avec assurance que la sainte Vierge est la Mère de Dieu. Cela ne signifie pas que la nature du Verbe, ou bien sa divinité, reçût le commencement de son existence de la sainte Vierge, mais cela signifie que, engendré de son saint corps et doté d’une âme rationnelle, auquel le Verbe fut uni hypostatiquement, il fut engendré selon la chair.
  1. Ταῦτα καὶ νῦν ἐξ ἀγάπης τῆς ἐν Χριστῷ γράφω, παρακαλῶν ὡς ἀδελφὸν, καὶ διαμαρτυρόμενος ἐνώπιον τοῦ Θεοῦ καὶ τῶν ἐκλεκτῶν ἀγγέλων αὐτοῦ, ταῦτα μεθ’ ἡμῶν καὶ φρονεῖν καὶ διδάσκειν · ἵνα σῴζηται τῶν Ἐκκλησιῶν ἡ εἰρήνη, καὶ τῆς ὁμονοίας καὶ ἀγάπης ὁ σύνδεσμος ἀῤῥαγὴς διαμένοι τοῖς ἱερεῦσι τοῦ Θεοῦ. Σὲ ἡ σὺν ἡμῖν ἐν Κυρίῳ προσαγορεύει.
  1. J’écris ces choses pour l’amour qui est en Christ, t’implorant, en tant que frère, et « t’adjurant devant Dieu et ses anges élus » (1 Timothée 5,21) de penser et d’enseigner ces choses-là avec nous, afin que la paix des Églises soit préservée et que le lien de concorde et d’amitié demeure infrangible entre les prêtres de Dieu. Salue tous les frères qui sont auprès de toi ; ceux qui sont avec moi te saluent aussi.

Commentaire

1. Circonstances de la rédaction de la lettre IV

Le texte étudié est connu sous le nom de Lettre IV (le nom par lequel nous y ferons référence dans ce commentaire), de Deuxième lettre à Nestorius, ou simplement par le premier mot du corps de la lettre (Καταφλυαροῦσιν). Cette épître a été écrite et adressée à Nestorius, évêque de Constantinople, par Cyrille, évêque d’Alexandrie, au début de l’an 430 ; son authenticité n’est pas remise en cause. Intéressons-nous d’abord aux circonstances de sa rédaction.

1.1. Le contexte épistolaire

La correspondance de Cyrille a été bien conservée, et les lettres environnantes permettent de comprendre le contexte immédiat de sa rédaction.

La première lettre du corpus, dite Lettre aux moines, est avant tout de caractère pastoral : Cyrille entend rassurer ses ouailles face à des rumeurs qui mettent en cause la validité du titre marial de Θεότοκος (Theotokos). Ce faisant, il est aussi amené (à partir du § 15 notamment) à leur présenter un résumé de sa théorie de l’Incarnation. Dans la deuxième lettre, Cyrille s’adresse à Nestorius et l’accuse d’être à l’origine de ces troubles. Il lui demande notamment de ne plus remettre en cause le bien-fondé de ce titre. La troisième lettre est la réponse de Nestorius à Cyrille : il semble prêt au dialogue, tout en étant conscient du caractère belliqueux de Cyrille, qui s’est déjà manifesté plusieurs fois dans son ministère.

La cinquième lettre est la réponse de Nestorius à la lettre étudiée : il s’y montre plus véhément (et accuse même Cyrille de manichéisme) ; la discussion est surtout exégétique, et est l’occasion pour Nestorius d’exposer sa propre conception de l’Incarnation. Cette lettre est précieuse pour comprendre ses positions avant le concile d’Éphèse. (Le seul traité de Nestorius dont nous disposons aujourd’hui, par une traduction syriaque, étant de beaucoup postérieur, et témoignant d’une doctrine que Nestorius a pu parfaire et corriger pendant ses années d’exil.) On y trouve notamment la proposition du terme de Χριστότοκος (Christotokos), alternative à Θεότοκος. Nestorius adopte une posture sans doute plus modeste que celle de son interlocuteur, notamment dans les passages exégétiques : on y trouve des modalisations qui précisent qu’il ne s’agit peut-être que de son interprétation.

Les lettres VI et VII, de Cyrille, mettent fin à la discussion cordiale et accusent directement Nestorius de blasphème. Les lettres VIII, IX et X sont adressées à des partisans de Nestorius, ou du moins à des personnes qui regrettent la virulence des lettres précédentes de Cyrille : on voit donc que sa position, même parmi les siens, ne faisait pas l’unanimité. Enfin, la lettre XI est une lettre de saisine de l’évêque de Rome Célestin (422-432). Il avait déjà été prévenu de la querelle par une épître parallèle envoyée par Nestorius, mais il se rangera du côté des positions de Cyrille.

1.2. Le contexte théologique de 430

Pour résumer à très grands traits les débats théologiques du IVe au VIIe siècle, on pourra dire que c’est la question de la Trinité, et partant de la divinité de Jésus, qui occupe le IVe siècle (du concile de Nicée en 325 à celui de Constantinople en 381). La divinité pleine et entière de Jésus y est reconnue contre les ariens. Ensuite, la théologie (catholique ou hérétique) se préoccupe de la coexistence des éléments divin et humain au sein du Christ : les conciles d’Éphèse (431 ; Cyrille et Nestorius en sont les protagonistes, avec Jean d’Antioche) et de Chalcédoine (451) y formulent la doctrine du Christ, qui sera précisée ensuite (Constantinople II et III aux VIe et VIIe siècles respectivement) contre les nestoriens, les monophysites et les monothélites.

Cyrille en 430 est déjà un théologien confirmé lorsqu’éclate la controverse nestorienne, et a déjà eu l’occasion de développer sa pensée christologique. Néanmoins, ses premiers travaux sont de nature principalement exégétique : des commentaires sur l’Ancien Testament (essentiellement Ésaïe et les petits prophètes) et les Évangiles (ceux de Luc et de Jean ; son commentaire de Jean est particulièrement riche pour la christologie). Il manque donc un traité consacré au sujet, à l’instar du traité Sur l’Incarnation du Verbe de son illustre prédécesseur saint Athanase (vers 318). Cependant, il semble que Cyrille en ait déjà rédigé un — le De Incarnatione —, qu’il évoque à la fin de la lettre II (§ 3). La controverse lui donne l’occasion de le publier. Le De Incarnatione, sans doute rédigé en 428 ou 429, représente donc un premier état de la christologie cyrillienne, antérieur de peu au concile d’Éphèse.

Une différence importante semble néanmoins apparaître lorsqu’on compare ce texte avec la polémique de l’année 430 : le terme Θεότοκος est peu présent dans la production antérieure de Cyrille, et même totalement absent du De Incarnatione (il est présent à quatre occurrences dans le De Recta fide). Cette rareté est d’autant plus remarquable que le terme est connu à Alexandrie depuis Origène au moins, qu’on le trouve occasionnellement chez Athanase, et qu’il est typique de l’ensemble du monde grec : dans le Contra Julianum, qui entend réfuter les erreurs du siècle passé de l’empereur Julien l’Apostat, Cyrille fait dire à Julien que « Vous [les Grecs] ne cessez d’appeler Marie Theotocos. » Comme le dit le traducteur du De Incarnatione, G. M. de Durand, « l’oriflamme brandi à Éphèse, et même dès la Lettre aux moines, n’est pas un bien traditionnel, mais une acquisition faite tout exprès pour la controverse, qu’il s’agit là plutôt d’un emprunt aux discussions de Constantinople que d’un trésor jalousement conservé à Alexandrie2». L’intention de Cyrille est donc au moins autant polémique que pastorale : davantage qu’il défend ses fidèles attachés à ce titre, Cyrille trouve dans le terme Θεότοκος un exemple qui lui permet de polariser le débat, et tire parti de la polémique lancée à Constantinople par le prêtre Anastase pour prendre clairement position. En invoquant cette épithète, il revendique également pour lui l’autorité de la Tradition et de la dévotion populaire (c’est à cette époque, dans l’Église latine, qu’est formulé l’adage lex orandi, lex credendi). Enfin, après le concile d’Éphèse, Cyrille poursuivra son œuvre christologique jusqu’à la fin de sa vie, d’abord dans les cinq livres du Contra Nestorium, mais aussi dans le dialogue Quod unus sit Christus plus tardif.

Les influences de Cyrille sont multiples ; en tant qu’alexandrin, il est évidemment le continuateur de ses prédécesseurs, au premier rang desquels saint Athanase. Les pères cappadociens, notamment Grégoire de Nazianze, ont également exercé une certaine influence. Malgré lui, il doit sa formule μία φύσις τοῦ Θεοῦ λόγου σεσαρκωμένη une seule nature incarnée du Verbe de Dieu à l’hérétique Apollinaire de Laodicée, bien qu’il la modifie légèrement (σεσαρκωμένη [nature] incarnéee au lieu de σεσαρκωμένου [Verbe] incarné, ce qui donne au terme φύσις nature un sens également quelque peu différent) pour la rendre conforme à son système.

Saint Athanase et saint Cyrille, patriarches d’Alexandrie.

1.3. La forme de la lettre : ton et structure

Tout au long de la lettre, le ton adopté est plutôt respectueux. Après tout, aucun anathème n’a encore été jeté, et au-delà de l’appartenance à un même ordre dans l’Église (cf. le terme de συλλείτουργος collègue dans le sacerdoce en en-tête des lettres que s’échangent Cyrille et Nestorius), l’importance des fonctions de chacun des deux évêques invite à la révérence. Alexandrie et Constantinople sont en effet deux des cinq plus grands évêchés de l’Empire (pentarchie), avec Antioche, Rome et Jérusalem. Que Cyrille ait fait réellement un effort de modération, cela semble évident en comparant la lettre IV avec la Lettre aux moines ou la lettre II (qui initie la correspondance entre les deux prélats), où Cyrille se montre particulièrement virulent, tant sur la forme (nombreuses exclamations et interrogations rhétoriques) que sur le fond : il ne ménage pas ses accusations envers l’entourage de Nestorius, allant jusqu’à laisser entendre que la divinité du Christ serait remise en cause par certains (c’est comme cela qu’il perçoit l’interprétation du Christ comme homme théophore). Dans la lettre IV, et face aux tentatives de conciliation de la lettre III, Nestorius n’est pas mis aussi directement en accusation. L’argumentation ad personam qu’ébauche Nestorius à son égard dans la lettre III — πολλῶν παρὰ τῆς θεοσεβείας οὐ κατὰ ἀδελφικὴν ἀγάπην (δεῖ γὰρ εἰπεῖν εὐφημότερον) γεγονότων bien que votre Révérence ait fait beaucoup de choses contraires à l’amour fraternel, pour le dire poliment, qui fait allusion aux scandales passés de l’épiscopat de Cyrille — est minorée : Cyrille ne daigne pas réellement y répondre et impute la mauvaise opinion qu’il a de lui au compte de son entourage médisant (l. 5). Surtout, les idées hérétiques que Cyrille combat dans la lettre ne sont jamais attribuées à Nestorius (aucun théologien n’y figure d’ailleurs nommément). Pour cette raison, certains patrologues, comme Mgr Duchesne3 ont pu parler d’un « Cyrille diplomate » (dont relèverait cette lettre, mais aussi l’acceptation par Cyrille de la formule d’union après la victoire à la Pyrrhus que fut le concile d’Éphèse) et d’un « Cyrille naturel » (qui transpirerait dans la Lettre aux moines ou dans les anathématismes).

Malgré ces efforts de forme, Cyrille n’infléchit pour autant ni ses opinions, ni sa stratégie. Il se montre particulièrement pressant en demandant à Nestorius un exposé précis (μετὰ πασῆς ἀσφαλείας avec toute la rigueur souhaitée) de sa doctrine, et le prévient aussitôt que ses propos pourraient faire scandale et lui attirer la colère divine. C’est là une allusion aux troubles posés par la remise en cause du terme Θεότοκος auquel est attachée la foule des « petits » (et les moines d’Égypte). L’allusion fait place à des menaces à peines voilées dans la phrase suivante, où il est question de recourir à d’autres moyens (ἁπάση εὐτεχνία tous les moyens) qu’un simple échange épistolaire pour résoudre le différend. On le voit, la perspective de l’anathème (acquise en pratique dès la lettre suivante de Cyrille) est donc présente dès l’introduction. Si Cyrille adopte un ton plus complaisant, c’est uniquement par charité chrétienne et sacerdotale, par considération de la paix des Églises, deux motivations qui étaient déjà présentes dans sa lettre précédente : les propositions de Nestorius lui semblent donc bel et bien dignes d’être combattues, au risque d’un affrontement ouvert entre évêques et d’un schisme, qu’il ne pourra finalement empêcher.

La lettre de Cyrille est assez clairement structurée : la formule de politesse initiale ouvre une introduction assez longue (§§ 1-2), où Cyrille défend sa réputation et insiste sur l’importance et la sensibilités des questions qui vont être discutées. Il formule ensuite (§ 3) sa thèse principale en christologie, écartant en même temps d’autres solutions — proposées par Nestorius ou par des hérésiarques plus anciens. Commence ensuite l’argumentation de Cyrille, en trois points : il évoque d’abord la conception et la naissance du Christ (§ 4), sa passion et sa résurrection (§ 5), qui sont les deux moments où la question de l’union des natures divine et humaine du Christ se pose de la manière la plus aiguë. Il insiste enfin sur la conséquence la plus inacceptable de l’opinion de Nestorius : l’existence séparée de deux Fils, deux Christs que sa théorie lui semble postuler (§ 6). La conclusion (§ 7) rappelle de manière concise les conclusions de Cyrille et exhorte Nestorius à les faire siennes.

2. Les thèses christologiques de la lettre IV

Sans attendre que Nestorius développe et justifie ses positions, Cyrille expose en ses propres termes ses vues sur le sujet, et délimite les positions qui lui semblent acceptables. L’essentiel de ses thèses se trouve au § 2 de la lettre, et est également résumé en conclusion (§ 7).

2.1. Les acquis de Nicée-Constantinople

Le début du Ve siècle, comme on l’a vu, est marqué par la fin (au moins au sein de la grande Église) de l’arianisme, condamné aux conciles de Nicée et de Constantinople. Les dogmes trinitaires, la pleine déité du Fils et la réalité de l’Incarnation sont désormais des acquis que ni Cyrille, ni Nestorius n’entendent discuter, et qui sont des prérequis au débat ; c’est donc sous l’autorité de ces Pères conciliaires que se place Cyrille dès l’introduction (τοῖς τῶν ἁγίων Πατέρων περιτυγχάνοντες λόγοις en trouvant les paroles des Pères) et au moment de formuler sa position (τούτοις δὲ καὶ ἡμᾶς ἕπεσθαι δεῖ καὶ τοῖς λόγοις καὶ τοῖς δόγμασιν il faut que nous suivions ces paroles et enseignements). La question qui se pose après Nicée-Constantinople est la suivante : comment aborder et exposer le fait de l’Incarnation, la coexistence d’une nature divine et d’une nature humaine, dissymétriques et aux attributs contradictoires, chez Jésus-Christ ? Ou, plus simplement, comme Cyrille aime la mettre dans la bouche de ses adversaires : Qui est Jésus-Christ ? « Qui dès lors la Vierge Sainte a-t-elle donc enfanté ? L’homme, ou le Verbe issu de Dieu4?» ; « Mais qui donc est réellement Jésus-Christ ? L’homme né de la Vierge, ou le Verbe né de Dieu5?» Toute l’entreprise de Cyrille est d’empêcher toute alternative de ce genre. Du reste, dans la suite des conciles de Nicée et Constantinople, tant Cyrille que Nestorius (ou leurs prédécesseurs directs) ont eu à faire face aux mêmes hérésies, en particulier l’apollinarisme.

Si quelqu’un répartit entre deux personnes ou hypostases les paroles contenues dans les Évangiles et les écrits des apôtres, qu’elles aient été prononcées par les saints sur le Christ ou par lui sur lui-même, et lui attribue les unes comme à un homme considéré séparément à part du Verbe issu de Dieu, et les autres au seul Verbe issu du Dieu Père parce qu’elles conviennent à Dieu, qu’il soit anathème.

Quatrième anathématisme de Cyrille d’Alexandrie.

Il y aurait du reste plus à dire qu’il ne semble à première vue sur les points communs des démarches de Cyrille et de Nestorius ; certains, d’ailleurs, seraient communs à presque tous les théologiens du temps. Par exemple, les deux théologiens ont une vision haute du Christ et une vision « descendante » de la christologie ; la perspective est d’abord celle de la divinité qui s’incarne, plutôt que de l’humanité exaltée. Tant Cyrille que Nestorius veulent aussi éviter l’idée d’un mélange (κρᾶσις) ou d’une contamination (σύγχυσις) des deux natures, qui était impliquée par exemple par la théologie d’Apollinaire (où l’humanité était amputée), ou qui aurait fait du Christ une sorte d’être hybride d’une tierce nature, ni tout à fait divine, ni tout à fait humaine. On notera toutefois qu’on trouve également l’idée de mélange chez un théologien plus orthodoxe comme Grégoire de Nazianze.

Cyrille ne nie tout d’abord pas les difficultés. Ce n’est pas un hasard si, au moment d’affirmer sa thèse centrale, nous trouvons par deux fois le rappel du caractère ultimement mystérieux et ineffable de l’Incarnation (ἀφράστως τε καὶ ἀπερινοήτως d’une manière ineffable et incompréhensible ; διὰ τὴς ἀφράστου καὶ ἀποῤῥήτου πρὸς ἑνότητα συνδρομῆς à travers une combinaison ineffable et indicible vers l’unité). C’est sans doute aussi pour cela qu’avant d’affirmer, il commence par des définitions négatives (οὐ γάρ φαμεν… en effet, nous ne disons pas… ). Deux idées sont rejetées : celle d’un changement ontologique (μεταποιεῖσθαι se changer) de la nature divine pour s’incarner, qui s’oppose à son immutabilité ; et celle, quelque peu plus subtile, d’une transformation ou métamorphose (μεταβάλλεσθαι se transformer) de celle-ci en homme complet, doté d’une âme et d’un corps. Sans attribution à un hérésiarque précis, il n’est pas forcément évident de relier ces idées à leur propriétaire : il est probable que l’une des deux fasse, au moins indirectement, référence à l’arianisme, puisque ces affirmations sont mises en regard des canons de Nicée : l’idée d’une dissolution de la nature divine dans l’acte de l’Incarnation ferait du Christ un être divin mais non Dieu lui-même (ὁμοιούσιος de nature semblable, similaire plutôt qu’ὁμοούσιος consubstantiel), comme l’enseignait Arius. Quant à la théorie de l’Incarnation-métamorphose6, elle semble venir d’Asie mineure, peut-être de groupes gnostiques, et avoir été déjà abordée dans la Lettre à Épictète. Dans les deux cas, il s’agit ici pour Cyrille de défendre une opposition radicale entre Dieu, immuable, et la créature (opposition entre deux οὐσίαι). La venue du Verbe ne peut donc se faire sur le mode du mélange ou de l’échange de deux natures.

2.2. L’enjeu central pour Cyrille : l’union hypostatique

Après le temps de la théologie négative vient le moment d’une affirmation positive (ἐκεῖνο δὲ μᾶλλον… c’est plutôt que…). Cyrille formule sa thèse de l’« union hypostatique » des deux natures dans la personne unique du Christ : le Verbe, en s’incarnant, a uni à lui (s’est approprié) une nature humaine (σάρξ, corps et âme), qui n’est pas une personne pré-existante ou sous-jacente (contrairement à ce que laissait suggérer la thèse précédente de la métamorphose, mais aussi à ce que Nestorius paraît poser). Cette union se fait dès lors que l’existence propre et séparée de l’homme-Dieu est envisagée ; les deux natures n’ont pas d’existence propre séparément dans la personne (unique) du Christ. Cette union est donc qualifiée de καθ’ ὑπόστασιν hypostatique ; cela signifie non seulement qu’elle se fait au niveau de l’hypostase, mais aussi qu’elle est réelle et véritable (synonyme de κατ’ ἀλήθειαν en vérité). À peine cette idée formulée, nous retrouvons une série de dénégations, qui visent cette fois plus directement les théories de Nestorius : l’acte de volonté seul, la faveur accordée, ou l’assomption (plutôt que l’association) de l’humanité par le Verbe désignent des formes moins parfaites de cette union, effectuée au niveau du πρόσωπον (ἕνωσις προσώπων union des personnes), le terme-clef de toute la christologie de Nestorius.

Le grand enjeu pour Cyrille est en effet de défendre l’unité fondamentale du Christ, et toute idée d’une nature humaine indépendante (ὑπόστασις hypostase), et a fortiori d’un πρόσωπον humain, implique pour lui qu’on reconnaisse deux Christs, deux Fils, quoique Nestorius s’en défende évidemment. C’est cette implication logique de la théorie nestorienne que Cyrille considère comme la plus insupportable, et donc comme sa plus grande faiblesse logique ; le πρόσωπον d’union posé par Nestorius ne lui semble guère plus qu’un subterfuge maladroit.

Si quelqu’un ne confesse pas que le Verbe issu du Dieu Père a été uni selon l’hypostase à la chair et qu’il est un unique Christ avec sa propre chair, c’est-à-dire le même tout à la fois Dieu et homme, qu’il soit anathème.

Deuxième anathématisme de Cyrille d’Alexandrie.

Durand (op. cit., pp. 118 n. 2) cite à ce propos l’idée de P. L. Scipioni, selon laquelle le “πρόσωπον d’union” de Nestorius n’était en réalité pas la réunion de deux πρόσωπα pré-existants : la divinité aurait donné son πρόσωπον et n’en aurait pas reçu, l’humanité en aurait reçu un sans en avoir donné ; on retrouve l’idée d’échange, cette fois au niveau du πρόσωπον et non de la φύσις (nature). Il serait alors plus exact de parler d’ἕνωσις ἐν προσώπῳ union dans la personne plutôt que d’ἕνωσις προσώπων ; quoi qu’il en soit, ces développements, s’ils ont existé, sont de toute façon vraisemblablement postérieurs à la querelle de 430.

Cyrille précise bien qu’il ne s’agit pas de nier la différence des natures ; toutefois, il sera prudent en l’évoquant et choisira avec soin les termes pour le faire, notamment après l’Incarnation : il semble de fait réticent à évoquer la nature humaine directement et à l’égal de la nature divine dans la personne du Christ, préférant pour cela d’autres termes (en premier lieu desquels σάρξ chair, mais aussi σῶμα corps, les abstraits ἀνθρωπότης humanité, τὸ ἀνθρώπινον ce qui est humain et la périphrase τὸ καθ’ ἡμᾶς ce qui est comme nous). Martin Jugie note que « sa délicatesse sur ce point est extrême » (art. cit., p. 26). C’est tout à fait compréhensible puisqu’il veut préserver l’unité du Christ, à partir d’une approche descendante ; les deux natures concourent à cette unité (συνδρομὴ πρὸς ἑνότητα combinaison vers l’unité) mais le Verbe est premier. On peut peut-être voir dans ce terme de συνδρομή une nuance finaliste : Cyrille, lorsqu’il parle du comment de l’Incarnation, ne perd pas pour autant de vue son pourquoi — le salut de l’humanité que le Verbe est venu assumer.

2.3. Les arguments déployés

Pour justifier ces thèses et réfuter celles qu’il prête à Nestorius, Cyrille en appelle à la fois à l’Écriture et à des arguments proprement systématiques. Là où il développe davantage ses idées (dans les traités et les dialogues), il n’hésite pas également à recourir à des comparaisons imagées, la plus fréquente étant celle de l’âme et du corps, unies inséparablement sans confusion ni mélange dans la créature humaine.

Le §4 est tout entier consacré à la mariologie (elle-même au service de la christologie ; il n’y a pas chez Cyrille, ni ici ni dans la Lettre aux Moines, d’indication explicite d’un culte particulier rendu à la mère de Dieu) : il s’agit avant tout, dans le contexte de la lettre, de défendre le terme Θεότοκος et d’en tirer les conséquences christologiques nécessaires. Cyrille ne nie pas que la nature divine du Christ pré-existe, et qu’elle n’ait donc pas été conçue dans la sainte Vierge. En revanche, en vertu de la subjectivité unique du Christ, il est pertinent de dire que le Verbe, ou Dieu lui-même, est né de la Vierge Marie. Plus que de légitimer le terme en lui-même (il s’agit d’une forme de communicatio idiomatum, même si l’expression est bien postérieure), c’est l’inadéquation des termes alternatifs qui semble poser problème à Cyrille : le terme proposé de Χριστότοκος Christotokos laisse entendre que le Christ n’aurait pas toujours été Dieu : « ce n’est pas un homme ordinaire qui aurait d’abord été engendré de la sainte Vierge, puis le Verbe serait ensuite descendu sur lui ». Ce serait donc une forme légère d’adoptianisme, un changement de nature après la conception, hérésie que Nestorius ne revendique pourtant pas pour lui-même. Là encore, ce sont aussi les implications des théories nestoriennes contre lesquelles s’élève Cyrille. Le cas de la naissance du Christ est l’occasion pour Cyrille de présenter sa théorie de l’appropriation ou de l’habitation (οἰκείωσις). Le seul ajout que Cyrille est prêt à faire sur ce plan est de reconnaître que le terme Θεότοκος porte sur la maternité de Dieu quant à l’humanité (κατὰ τὴν ἀνθρωπότητα, dans le symbole de Chalcédoine) ; mais cette concession n’en est pas vraiment une, puisque l’unique subjectivité du Christ n’oblige pas à faire la distinction.

Si quelqu’un ne confesse pas que l’Emmanuel est Dieu en vérité et que pour cette raison la sainte Vierge est Mère de Dieu (car elle a engendré charnellement le Verbe de Dieu fait chair), qu’il soit anathème.

Premier anathématisme de Cyrille d’Alexandrie.

La reconnaissance de Marie comme Θεότοκος allait amener ensuite d’autres questions pour l’Église, que nous ne discuterons pas ici en longueur ; on notera ici que l’allusion à l’engendrement charnel (σαρκικῶς charnellement) du Christ dans et de la sainte Vierge n’est pas la question de son enfantement (problème de la virginité in partu). À l’époque patristique, et également au Moyen Âge, il n’y a pas non plus de consensus sur le moment de l’animation du fœtus ; la position de Cyrille (ἐξ αὐτῆς μήτρας à partir du sein même) semble mieux se concilier avec l’hypothèse de l’animation instantanée ; il serait intéressant de regarder le traitement de la question par les théologiens qui défendent une animation tardive, au quarantième jour par exemple. On constate enfin que la perspective sotériologique est toujours présente dans ce paragraphe (δι’ ἡμᾶς καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν pour nous et pour notre salut).

La Theotokos, mosaïque, 867 (Constantinople, abside de la basilique Sainte-Sophie).

La question de la Passion et de la Résurrection (§ 5) se pose à peu près dans les mêmes termes. Sans le secours d’un terme comme Θεότοκος, elle donne lieu néanmoins à des affirmations qui sont plus violemment paradoxales : il a souffert sans qu’il ait pâti, celui qui ne souffre pas était dans un corps souffrant. Les passions sont en effet liées par définition au corps, et donc à la nature humaine (ἦν γὰρ ὁ ἀπαθὴς ἐν τῷ πάσχοντι σώματι car celui qui ne souffre pas était dans un corps souffrant), mais caractérisent le sujet tout entier en vertu de l’union hypostatique. Ces apories se manifestent jusque dans la grammaire (comparer ἀπαθὲς… τὸ Θεῖον la divinité ne souffre pas et ὁ ἀπαθής celui qui ne souffre pas ; l’union hypostatique se manifeste dans le libre passage du neutre au masculin). C’est là encore la théorie de l’appropriation qui permet ses énoncés et la résolution du problème. Dans le dialogue Quod unus sit Christus, Cyrille recourt à la comparaison du fer rougi : le métal subit le dommage, mais l’être du feu (c’est-à-dire la φύσις divine) qu’il a reçu n’est pas endommagé ; il reconnaît néanmoins aussitôt la relative inadéquation de cet exemple, qui n’est d’ailleurs pas de lui (il vient d’Origène, et Théodoret l’utilise pour prouver sa théorie de la κρᾶσις !) :

Νοοῖτο δ’ἄν, ὡς ἔφην, σαρκὶ τῇ ἰδίᾳ παθεῖν, καίτοι θεότητι μὴ παθὼν κατὰ τοιόνδε τινὰ τρόπον. Καὶ ἀσθενεῖ μὲν πᾶσα παραδειγμάτων δύναμις, καὶ τῆς ἀληθείας κατόπιν ἔρχεται. Πλὴν ἐνίησι τῷ νῷ φαντασίαν ἰσχνὴν τοῦ πράγματος, καὶ ὡς ἀπό γε τῶν ἐν χερσὶν ἀναβιβάσει πρὸς τὸ ὕψος καὶ τὸ πέρα λόγου. Ὥσπερ γὰρ ὁ σίδηρος ἢ γοῦν ἑτέρα τις ὕλη τοιαύτη, ταῖς τοῦ πυρὸς ὁμιλήσασα προσβολαῖς, εἰσδέχεται μὲν αὐτὸ καὶ κατωδίνει τὴν φλόγα, εἰ δὲ δὴ καὶ καταπαίοιτο τυχὸν ὑπό του, δέχεται μὲν ἡ ὕλη τὸ βλάβος, ἀδικεῖται δὲ ὅλως πρὸς τοῦ παίοντος οὐδὲν ἡ τοῦ πυρὸς φύσις, οὕτω πως συνήσεις καὶ ἐν τῷ σαρκὶ λέγεσθαι παθεῖν, θεότητι δὲ μὴ παθεῖν τὸν Υἱόν. Καὶ σμικρὰ μέν, ὡς ἔφην, τῶν παραδειγμάτων ἡ δύναμις, ἀποφέρει δέ πως τῆς ἀληθείας ἐγγὺς τοὺς τοῖς ἱεροῖς Γράμμασιν οὐκ ἀπειθεῖν ᾑρημένους.

Nous considérerons plutôt, comme je l’ai dit, qu’il a souffert en sa propre chair, et non pas en sa divinité, à peu près de la façon que voici. — Car toute espèce de comparaison demeure impuissante et bien en deçà de la vérité. Néanmoins, il me vient à l’esprit une faible image de la réalité : partant pour ainsi dire de ce que nous avons sous la main, elle nous haussera jusqu’aux sublimités qui dépassent tout discours. — Le fer, en effet, ou d’autres matériaux de même sorte, soumis aux assauts du feu, reçoit en lui ce feu et accueille avec douleur la flamme en son sein. Si on se trouve maintenant lui asséner un coup, le métal subit le dommage, mais l’être du feu n’est en rien lésé par celui qui frappe. De même en est-il à peu près, comprends-le, lorsqu’on dit du Fils qu’il a souffert dans la chair, mais qu’il n’a pas souffert en la divinité. Bien faible est, je l’ai dit, la portée des exemples, cependant ils rapprochent de la vérité ceux qui n’ont pas décidé de refuser crédit aux Écritures sacrées.

Quod unus sit Christus (Le Christ est un), 776a-776c

Du point de vue de la divinité, la comparaison du buisson ardent, qui brûle sans se consumer, peut aussi être invoquée.

L’exemple de la Passion est aussi l’occasion de la première citation biblique en défense des positions christologiques de Cyrille, tirée du début de l’épître aux Hébreux (2,9) ; d’autres versets de ce livre sont fréquemment cités par les deux parties (notamment 2,14 infra dans la lettre, 3,1). On note que Cyrille accorde peu d’importance à la mention de Jésus et/ou du Christ dans les versets bibliques, là où Nestorius y voit des allusions distinctes à l’un ou l’autre πρόσωπον. Le texte est du reste parfois incertain : en Hé 3,1, Cyrille a Ἰησοῦς Χριστός Jésus-Christ, mais la critique textuelle moderne donne raison à Nestorius en y retirant Χριστός. Du reste, pour Cyrille, le nom de Christ ne renvoie pas spécifiquement à la divinité (il y a après tout d’autres Christs dans l’Écriture, et ce nom ne convient au Verbe qu’en vertu de l’Incarnation), ni le nom de Jésus ne renvoie particulièrement à son humanité (quoi de moins divin qu’un Sauveur !) ; s’il est en revanche un nom sur lequel il insiste, c’est celui d’Emmanuel, plus apte à symboliser cette union étroite et indissociable de l’humanité et de la divinité.

L’argumentation de Cyrille s’achève enfin (§§ 6-7) sur le rappel de l’unité du Fils et du Christ, et le rejet de toute théorie qui, volontairement ou plus probablement involontairement, mènerait à la confession et à l’adoration de deux personnes en Christ. La mention de l’adoration (et du culte) fait peut-être écho aux efforts de Nestorius de rétablir une unité du Christ dans l’adoration qu’il recevait, malgré les deux hypostases et πρόσωπα humain et divin qu’il laissait séparés. Il présente l’union hypostatique comme la seule solution satisfaisante pour échapper à cet écueil. Dans son emphase, on peut sans doute constater un excès de langage : il présente comme un problème le fait de distinguer (διορίσαι) chacune des deux natures, alors qu’il en reconnaissait la possibilité plus haut ; le vrai problème, qui condamne Nestorius, est en réalité de les séparer (διαιρεῖν). Il y a là une légère incohérence dans le langage de Cyrille, qui n’est pas isolée ; il n’a pas le souci d’une terminologie fixe et absolument univoque (ce qui a donné lieu à des malentendus), en revanche, au-delà d’un usage parfois fluctuant, les idées-forces de son modèle théologique restent stables au cours du temps.

Si quelqu’un, au sujet de l’unique Christ, divise les hypostases après l’union, les conjuguant selon la seule conjonction de la divinité, de la souveraineté ou de la puissance, et non plutôt par la rencontre selon une union physique, qu’il soit anathème.

Troisième anathématisme de Cyrille d’Alexandrie.

3. Apport de la lettre IV et de la christologie de Cyrille

3.1. Les conséquences de la lettre IV

La suite de la correspondance entre Cyrille, Nestorius et leurs proches respectifs a déjà été évoquée en début de ce commentaire ; l’action énergique de Cyrille, parfois aux limites de la probité, aura à la fois pour conséquence de consolider la foi catholique (à Chalcédoine davantage qu’à Éphèse), mais aussi de diviser l’Église, à la fois du côté de Nestorius (exil du patriarche de Constantinople et création d’Églises nestoriennes en Orient, qui concurrenceront un temps par le nombre de fidèles le catholicisme) et parmi ses propres partisans (Eutyche et le monophysisme). L’usage parfois difficile à saisir, et polysémique de surcroît, qu’il fait des différents termes christologiques (les acceptions de φύσις, d’ὑπόστασις et de πρόσωπον se recoupent chez lui, sans toutefois se confondre totalement) compliquera l’avènement d’une terminologie claire dans les Églises grecques ; ce travail sera accompli peut-être un peu plus facilement en Occident, notamment avec l’œuvre de Boèce (Contra Eutychen et Nestorium).

Si l’on peut donc regretter ces divisions (qui, avec les Églises nestoriennes, semblent maintenant être en bonne voie de résorption, après plus de quinze siècles), on peut arguer au contraire qu’il fallait une plume aussi rigoureuse et intraitable que celle de Cyrille pour mettre au jour les erreurs de Nestorius et de ses disciples : en effet, l’hérésie nestorienne était nettement plus subtile que les précédentes, puisqu’elle n’attaquait directement ni la divinité, ni l’humanité de Jésus-Christ. C’est du reste aujourd’hui une des hérésies (avec le monophysisme et le monothélisme qui en dérivent) que le commun des fidèles comprend sans doute le moins et est le plus prompt à excuser.

3.2. Les protestants sont-ils nestoriens ?

Terminons ce commentaire par une question quelque peu inconfortable. Le protestantisme, et en particulier la foi réformée, sont assez régulièrement accusés de nestorianisme ou de crypto-nestorianisme. Plusieurs arguments peuvent être avancés dans ce sens : l’extra-calvinisticum, la prudence sur la communicatio idiomatum dont fait preuve Calvin (au contraire de Luther), et qui le conduit notamment à éviter le terme de Θεότοκος, tout en en reconnaissant le bien-fondé théologique. Plus fondamentalement peut-être, l’absence fréquente de toute idée de κένωσις (kénose) et de θέωσις (divinisation) dans la théologie réformée (au moins contemporaine) nous situe dans un paradigme assez différent de celui dans lequel évoluait saint Cyrille. Cela exige peut-être de comprendre à nouveaux frais l’union hypostatique, que Cyrille édifiait en lien permanent avec ses conceptions sotériologiques (sans toutefois souscrire à l’idée d’une rédemption qui serait avant tout physique).

Certains abus sont sans conteste à corriger et à réprimer : beaucoup de protestants, en particulier évangéliques, refusent presque rabiquement la maternité divine de Marie (alors même que les réformateurs recevaient aussi d’autres croyances mariales). Paradoxalement, ils agissent peut-être en partie en vertu du même réflexe de Cyrille, qui discernait les implications et dérives possibles d’un système théologique, y compris jusque dans le culte. Plus généralement, la tendance actuelle, notamment dans l’évangélisation, est de présenter un Jésus fondamentalement humain, et presque accidentellement ou accessoirement divin ; Cyrille, et presque tous les autres Pères avec lui, nous invitent à prendre le chemin inverse. Invitons donc nos frères et sœurs à redonner à la christologie chalcédonienne la juste place qui lui revient, et rappelons à nos coreligionnaires réformés que Cyrille fait partie des rares autorités nommément citées par la confession de foi de La Rochelle :

Nous acceptons donc, sur ce point [la Trinité], les conclusions des conciles anciens, et repoussons toutes les sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints docteurs, depuis saint Hilaire et saint Athanase, jusqu’à saint Ambroise et saint Cyrille.

Article VI (nous soulignons).

La condamnation du nestorianisme est explicite dans la confession helvétique postérieure de Bullinger, largement adoptée en Europe continentale :

Nous reconnaissons donc qu’il y a, dans notre seul et unique Seigneur Jésus-Christ, deux natures ou substances, l’une divine et l’autre humaine. Et nous disons qu’elles sont conjointes et unies de telle sorte qu’elles ne sont ni absorbées l’une par l’autre, ni confondues ou mélangées ; mais les propriétés de chaque nature sont permanentes, étant conservées et unies en une seule personne. Par conséquent, nous adorons un seul Christ, notre Seigneur, et non pas deux : un seul vrai Dieu et vrai homme, consubstantiel au Père quant à sa nature divine, et de la même substance que nous quant à son humanité, nous étant en toutes choses semblable, excepté le péché. De la sorte, de même que nous avons en horreur la doctrine de Nestorius qui, du seul Christ, en faisait deux et dissolvait ainsi l’unité de la personne, de même, nous rejetons la folie d’Eutychès et des monothélites, ou monophysites, qui abolissaient les propriétés de la nature humaine. Nous n’enseignons donc en aucune manière que la nature divine en Christ ait souffert, ou que le Christ soit encore dans ce monde ou partout présent selon sa nature humaine. En effet, nous ne pensons ni ne croyons que le corps du Christ ait cessé d’être un véritable corps suite à sa glorification, ou qu’il ait été déifié ou même divinisé au point d’avoir été dépouillé de ses propriétés corporelles et psychiques, ou qu’il ait été transformé en la nature divine et soit devenu avec elle une seule substance.

Chapitre XI (nous soulignons).

La confession de foi des Églises des Pays-Bas (Confessio Belgica) résume elle aussi la christologie chalcédonienne :

Nous croyons que par cette conception la personne du Fils a été unie et conjointe inséparablement avec la nature humaine, de sorte qu’il n’y a point deux Fils de Dieu ni deux personnes, mais deux natures unies en une seule personne, chaque nature retenant ses propriétés distinctes. Ainsi que la nature divine est toujours demeurée incréée, sans commencement de jours ni fin de vie, remplissant le ciel et la terre : la nature humaine n’a pas perdu ses propriétés, mais est demeurée créature, ayant commencement de jours, étant d’une nature finie et retenant tout ce qui convient à un vrai corps. Et encore que par sa résurrection il lui ait donné immortalité, néanmoins il n’a pas changé, la vérité de sa nature humaine ; attendu que notre salut et résurrection dépendent aussi de la vérité de son corps. Mais ces deux natures sont tellement unies ensemble en une personne, qu’elles n’ont pas même été séparées par sa mort. Ce qu’il a donné en mourant recommandé a son Père c’était un vrai esprit humain, lequel sortit de son corps, mais cependant la nature divine demeura toujours unie à l’humaine, même étant gisante au tombeau ; et la divinité ne laissait d’être en lui, comme elle était en lui quand il était petit enfant, quoique pour un peu de temps elle ne se démontrât pas ainsi. Voilà pourquoi nous le confessons être vrai Dieu et vrai homme : vrai Dieu pour vaincre la mort par sa puissance, et vrai homme, afin qu’il pût mourir pour nous selon l’infirmité de sa chair.

Article 19 (nous soulignons).

Plus précise encore est la confession de foi personnelle (quoiqu’initialement rédigée pour les Églises et sur demande de Théodore de Bèze) de Girolamo Zanchi, la De religione christiana fides, (chapitre XI) dont nous citons des extraits ci-dessous. Nous prévoyons de reparler de ce texte avec Maxime Georgel dans de prochains articles ; mieux que tout autre peut-être à l’époque de la Réforme (mais dans un style il est vrai très scolastique), Zanchi y explique la christologie orthodoxe :

Fatemur quidem cum Athanasio sicut anima rationalis et caro unus est homo, sic Deum et hominem, unum esse Christum, hoc est Christum unam tantum esse personam, licet duæ in eo sint naturæ. […]

Nous disons donc avec Athanase que puisque l’âme rationnelle et la chair sont un seul homme, de même il y a un seul Christ, Dieu et homme, c’est-à-dire que Christ n’est qu’une seule personne, bien qu’il y ait en lui deux natures. […]

Article 7 (traduction personnelle).

Nos itaque agnoscimus et confitemur in Christo, contra Nestorium, unam tantum personam eamque æternam simplicissimam et perfectissimam eandemque in sempiternum manentem, personam scilicet æterni Filii Dei. Deinde vero, huic æternæ personæ non aliam personam, sed aliam naturam, nempe humanam, in tempore accessisse eamque non ut partem ejus personæ, a qua assumta fuit, sed rem longe ab illa diversam, in illius tamen unitatem assumtam. Ac proinde tertio loco fatemur in una eademque Christi persona duas jam inesse naturas, divinam et humanam, in quibus eam subsistere, vivere et operari non dubitamus, quam ob causam etiam non veremur sic loqui Christum constare jam divina natura et humana in unitatem personæ assumta, atque ex iis quodam modo compositum esse.[…]

Par conséquent, nous reconnaissons et confessons contre Nestorius qu’il y a en Christ une seule personne, qu’elle est éternelle, tout à fait simple, parfaite, et demeurant pour l’éternité, à savoir la personne du Fils éternel de Dieu. De plus, à cette personne éternelle, ce n’est pas une autre personne, mais une autre nature, humaine, qui est venue s’y ajouter à un moment ; elle n’était pas la partie d’une personne dont elle aurait été prise, mais c’était une chose fort différente, qui a pourtant été assumée pour former une unité avec lui (in illius unitatem). Enfin, en troisième lieu, nous disons que dans cette unique personne du Christ deux natures sont sous-jacentes, la divine et l’humaine, dans lesquelles nous ne doutons pas qu’elle subsiste, vive et opère. Pour cette raison aussi, nous ne craignons pas de dire que Christ consiste en une nature divine et une nature humaine, assumée[s7] en une unité personnelle (in unitatem personae), et qu’il est en quelque sorte composé d’elles. […]

Article 8 (traduction personnelle ; nous soulignons).

Duas autem has naturas sic in unam Christi personam vere et inseparabiliter conjunctas et unitas esse credimus et confitemur, ut utramque tamen integram perfectamque et alteram ab altera vere distinctam permanere distinctasque suas retinere essentiales proprietates et operationes, omni prorsus remota confusione, non dubitemus. Ita ut, quemadmodum divina suas retinens proprietates mansit increata, infinita, immensa, simpliciter omnipotens, simpliciter sapiens, sic et humana suas retinens maneat creata, finita certisque finibus terminata. Et sicut divina suam habet voluntatem et potentiam, qua Christus ut Deus vult et operatur, quæ Dei sunt, sic humana suam, qua idem Christus ut homo vult et operatur, quæ hominis sunt; usque adeo, ut Christus, sicut qua Deus est, non vult nec operatur voluntate et potentia humana, sic neque idem, qua homo est, velit et operetur voluntate ac potentia divina, quemadmodum scite a patribus tum adversus Eutychen tum adversus Macarium definitum fuit. Itaque semper placuit nobis dictum Leonis primi ad Flavianum hac de re scribentis, cum ait : ‘Qui verus est Deus, idem verus est homo et nullum est in hac unitate mendacium, dum invicem sunt et humilitas hominis et altitudo deitatis. Sicut enim Deus non mutatur miseratione, ita homo (id est humana natura in Christo) non consumitur dignitate. Agit enim utraque forma cum alterius communione, quod proprium est, Verbo scilicet operante, quod Verbi est, et carne exsequente, quod carnis est.’ Hæc Leo ille magnus, quæ postea aliquot illustrat exemplis, quibus manifeste demonstratur sicut naturæ in Christo unitæ quidem sunt, sed distinctæ manent, non autem confusæ, sic etiam fuisse et esse actiones, quia, quæ Verbi erant, non præstabat caro, sed Verbum, et quæ carnis propria, non Verbum, sed caro. Suscitare Lazarum a mortuis proprium fuit Verbi, at clamare: ‘Lazare veni foras’, carnis ; ad suscitationem tamen Lazari unita fuit utraque actio, quia ab uno et in uno Christo fuit et ad unum opus tendebat, distinctæ tamen fuerunt. Remittere item peccata propria fuit actio divinæ naturæ, at dicere : ‘Remittuntur tibi peccata tua’, humanæ. Cœcum a nativitate illuminare actio fuit divinæ, at imponere lutum super oculos et dicere: ‘Vade et lava’, humanæ naturæ. […]

Nous croyons et nous confessons que ces deux natures ont été vraiment et inséparablement conjointes et unies dans la personne unique du Christ ; et ce sans que nous doutions pas que chacune demeure intègre, parfaite, quoique distincte l’une de l’autre, et qu’elles retiennent leurs propriétés et actes essentiels distincts, loin de toute confusion. De telle sorte que, de même que la nature divine, avec ses caractéristiques, demeure incréée, infinie, immense, simplement toute-puissante, simplement sage, de même la nature humaine, avec ses caractéristiques, demeure créée, finie et circonscrite à certaines limites. Et comme la nature divine a sa volonté et sa puissance, par lesquelles8 Christ en tant que Dieu veut et effectue ce qui relève de Dieu, de même la nature humaine a sa volonté et sa puissance propres, par lesquelles le même Christ veut et effectue ce qui relève de l’homme ; plus encore, de même que Christ, en tant qu’il est Dieu, ne veut pas et n’agit pas d’une volonté et d’une puissance humaines, de même, en tant qu’il est lui-même aussi un homme, il ne désire pas et n’agit pas d’une volonté et d’une puissance divines, comme les Pères l’ont adroitement défini contre Eutychès d’une part et contre Macaire d’autre part. C’est pourquoi nous avons toujours apprécié le mot de Léon Ier à Flavien, qui écrivait là-dessus : “Celui qui est le vrai Dieu, le même est un homme véritable, et il n’y a dans cette unité nul mensonge, tant que l’humilité de l’homme et la grandeur de la divinité y alternent. De même que Dieu ne change pas en prenant pitié, de même l’homme (c’est-à-dire, la nature humaine en Christ) ne s’éteint pas du fait de sa dignité. Chaque forme effectue en effet en communion avec l’autre ce qui lui est propre, le Verbe effectuant bien sûr ce qui relève du Verbe et la chair exécutant ce qui relève de la chair.” Voilà ce que dit le grand Léon, qui illustre ensuite son propos de quelques exemples qui montrent clairement que, tout comme les natures sont certes unies en Christ, mais demeurent distinctes, non confuses, il en fut et il en va aussi de même des actes, parce que ceux qui relevaient du Verbe, ce n’était pas la chair mais le Verbe qui y pourvoyait, et ceux qui étaient propres à la chair, ce n’était pas le Verbe, mais la chair. Ce fut le propre du Verbe que de ressusciter Lazare des morts, mais le propre de la chair que de crier “Lazare, sors !” ; chacun des deux actes concourut cependant à la résurrection de Lazare, parce qu’ils eurent lieu par un et en un seul Christ, et tendaient à une seule œuvre tout en étant distincts. De même, remettre les péchés fut un acte caractéristique de la nature divine, mais dire : “Tes péchés te sont pardonnés”, de la nature humaine. Guérir l’aveugle-né fut un acte de la nature divine, mais appliquer de la boue sur ses yeux et dire : “Va et lave-toi”, de la nature humaine. […]

Article 9 (traduction personnelle ; nous soulignons).

Puisque le refus de l’union hypostatique conduit, in fine, à adorer deux Fils, et donc à déformer la Trinité, les enseignements christologiques de Cyrille, rappelés au moment de la Réforme protestante, ont donc toute leur place dans la foi réformée.


Illustration de couverture : Joseph Wright of Derby, L’atelier du forgeron, huile sur toile, 1771 (musée de Derby).

  1. Concile de Nicée de 325.[]
  2. Cyrille d’Alexandrie, Deux dialogues christologiques, Paris, éd. du Cerf [Sources chrétiennes, n°97], 1964, p. 47.[]
  3. Martin Jugie, « La terminologie christologique de saint Cyrille d’Alexandrie », Revue des études byzantines 92, 1912, p. 15.[]
  4. De Incarnatione, 694e.[]
  5. Op. cit., 698a.[]
  6. Discutée par G. M. de Durand, op. cit., pp. 101-103 (notes non reproduites) :

    Nous ne pouvons, semble-t-il, la rattacher à aucun hérésiarque dont le nom soit venu jusqu’à nous. Mais, sans parler des temps plus anciens, nous trouvons son existence démontrée vers les années 350-380 par toute une série de textes réprouvant ceux qui voient dans l’Incarnation la transformation en chair du Verbe de Dieu. Plusieurs indices pointeraient vers l’Asie mineure comme lieu de développement de cette idée. Cependant il est au moins un écrit qui prouve que sa diffusion était plus vase et en même temps qui ne pouviat manquer de tomber sous les yeux de Cyrille. C’est la Lettre à Épictète, qui consacre quelques lignes à réfuter l’allégation que “le Verbe s’est transformé en chair, en os, en cheveux et en un corps tout entier, en échange de sa nature propre”. Il ne semble pas toutefois que Cyrille ait tenu grand compte du travail de son prédécesseur — pas plus, du reste, qu’il ne s’était inspiré du paragraphe 7 de la même lettre pour réfuter le docétisme, que S. Athanase, lui, rapproche explicitement du Manichéisme. Le Défenseur de Nicée assimile Jn 1,14 à Ga 3,13 et affirme que le verbe γενέσθαι a la même signification dans les deux cas (c’est-à-dire indique non pas une transformation en la chair ou en la malédiction, mais une assomption de ces réalités par le Verbe). Lorsque Cyrille comparera les deux versets dans le Quod unus sit Christus (719b-720c), ce sera pour y trouver deux sens très différents de γενέσθαι. Mais ici son argumentation repose sur un fondement plus métaphysique, si l’on peut dire, à savoir l’opposition radicale qu’il a toujours admise entre Dieu immuable et les créatures accessibles au changement. Notre auteur n’a pas de peine à appuyer ce principe sur des citations bibliques, et c’est évidemment en fonction de lui qu’il développera son exégèse de Phil 2,5-17 et précisera sa notion de la κένωσις : celle-ci ne pourra consister pour le Verbe qu’à “s’approprier” une nature humaine et les limitations qu’elle comporte, non à subir une transformation quelconque de la nature divine.[]

  7. Accord par proximité ici en latin : divina natura et humana in unitatem personae assumta est un syntagme tout entier au singulier.[]
  8. Au singulier en latin : encore un cas d’accord par proximité.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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