Le nationalisme et le chrétien
14 juillet 2022

J’ai déjà abordé la théologie politique, sans aborder jusqu’ici les autres familles politiques. Or, si nous voulons définir une théologie politique chrétienne, il faudra à un moment examiner les diverses philosophies politiques en présence aujourd’hui, ne serait-ce que pour en expliquer les différences. Avec cet objectif en tête, j’ai consulté plusieurs ouvrages pour me faire une idée plus distincte de ce qui existe en France aujourd’hui. L’article qui suit est un travail préparatoire, destiné à être une ressource invoquée plus tard dans d’autres. Pardonnez-moi donc de ne pas être tout à fait dans la théologie aujourd’hui, mais c’est pour mieux s’y consacrer demain : je veux aujourd’hui exposer l’histoire du nationalisme français, puisqu’il est aujourd’hui, pour ainsi dire, la seule droite française.

Je m’appuie sur les livres suivants:

Je raconterai d’abord son histoire, car je trouve que tout sujet a tendance à être beaucoup plus simple à appréhender une fois que l’on a narré son histoire ; puis je rassemblerai ses points principaux et proposerai quelques points de critique.

Histoire du nationalisme

Une valeur de gauche

Le nationalisme naît du mouvement jacobin en 1789, et à ce titre, mérite qu’on attribue son origine à la gauche. J’ai été surpris de l’apprendre, la première fois, mais à la réflexion c’est évident : qui a écrit notre hymne national, sinon un révolutionnaire de 1792 ? Considérez aussi les paroles du Chant du départ, un autre chant révolutionnaire devenu hymne national sous le Premier Empire:

La république nous appelle
Sachons vaincre ou sachons périr
Un Français doit vivre pour elle
et pour elle un Français doit mourir.

Chant du départ

Et il en est resté ainsi tout au long du XIXe siècle : les républicains fondateurs de la IIIe république avaient toujours ce nationalisme jacobin. Considérez par exemple, ce que disait Paul Bert, ministre de l’instruction en 1880, un des fondateurs de l’école publique, laïque et obligatoire. Je précise qu’il est un républicain de la gauche gambettiste, férocement anti-chrétien.

Restez français ! Aimez notre noble, notre chère patrie de toutes les forces de votre âme ; aimez-la d’un amour si ardent, exclusif , chauvin comme on disait autrefois ; et si jamais quelque sage, à la tête bien équilibrée, vient vous reprocher ce qu’il peut y avoir d’excessif dans ces sentiments, répondez-lui qu’on ne discute pas les mérites d’une mère, surtout lorsqu’elle a perdu des enfants. Et si ce sage — comme j’en connais — est né sur la terre de France, chassez-le, bannissez-le, appelez-le traître, car traître est celui qui mesure l’amour à sa patrie, et qui en parle froidement.

Paul Bert, Discours prononcé à la distribution des prix de l’Union française de la jeunesse 1/05/1880
Paul Bert


Mais je ne passerai pas beaucoup plus de temps sur cela, car, comme je l’ai dit, l’objectif est de parler du « nationalisme de nationalistes » que l’on appelle aujourd’hui « la droite nationale ».

La crise boulangiste

La guerre de 1870, qui vit à la fois l’avènement de la IIIe république et la perte de l’Alsace-Lorraine fut un traumatisme national dont on comprend mal l’étendue aujourd’hui. Les sentiments de revanche prennent le pays tout entier, de la droite à la gauche. Et pour vous donner l’idée de l’intensité de ce sentiment, voici le genre de poème publié peu après 1870, qui appelle à une sorte de djihad national:

Puisqu’ils sont venus dans la France outragée
Des hordes d’Attila promener la terreur ;
Puisqu’ils ont – leur injure étant trois fois vengée ! –
Des guerres du vieux temps ressuscité l’horreur ; […]
Pour être fort comme eux redevenons barbares,
Égoïstes, jaloux, abjurons la pitié ;
Fermons aux opprimés, fermons nos coeurs avares ;
De tous les peuples méprisons l’amitié. –

Victor de Laprade, À la terre de France, dans Poèmes civiques, 1873.

Mais cette revanche ne vient pas tout de suite. Au contraire, alors que l’on a remboursé nos dettes et que l’on devrait être en train de s’armer à toute vitesse, le gouvernement de Jules Ferry préfère aller propager la doctrine de 1789 aux peuples africains à coups de canon. Clémenceau (radical, l’extrême gauche de l’époque) s’oppose à la colonisation en disant lors de débats parlementaires : Je déclare que je garde mon patriotisme pour la défense du sol national, et qu’au nom de mon patriotisme je condamne votre coupable imprévoyance.

Or, ce revanchisme contrarié est la source de la crise boulangiste. Du point de vue du nationalisme, c’est une scission du revanchisme qui se retourne contre les institutions. Mouvement d’origine radicale, il finit par balayer des socialistes aux royalistes dans un rêve de révision de la constitution. Même si la crise boulangiste est éphémère, elle est le point de naissance du parti nationaliste, anti-parlementaire bien que toujours républicain en ses instincts.

Le général Georges Boulanger

Le général Georges Boulanger rentre au ministère de la Guerre avec l’aide de Clémenceau, dans le gouvernement de Charles Freycinet, le 7 janvier 1886. En tant que ministre de la guerre, il modernise l’armée, acquiert une immense popularité chez les militaires par les réformes qu’il y fait, chez les ouvriers en gérant l’ordre des grèves de Decazeville sans faire tirer une seule balle à ses troupes, et chez tout le monde en ayant un discours des plus revanchards et belliqueux. Il va jusqu’à développer un réseau d’espionnage en Allemagne qui manque de déclencher la guerre en 1887. Il est évincé du gouvernement, au choc de toute un parti qui deviendra le mouvement boulangiste.

La Ligue des patriotes s’organise autour de Paul Déroulède. Elle propose au nom du général un programme en 1889 qui contient :

  • La suppression du régime parlementaire, vu comme impuissant et corrompu.
  • La séparation complète entre pouvoir législatif et exécutif, soumis tous deux à suffrage universel.
  • L’usage du référendum (d’initiative populaire) pour les questions les plus importantes.
  • Divers « vœux » plutôt socialistes (caisse de retraite, syndicats, etc.).

Bref, le boulangisme est un républicanisme déçu, qui trouve que la République est trop oligarchique et pas assez démocratique, d’où la révision demandée. Aux yeux de Mermeix (un cadre boulangiste de l’époque), l’intervention des royalistes dans cet épisode était une erreur et un détournement. On y voit la toute première mention d’un référendum d’initiative citoyenne:

Ce référendum n’aurait pas été une prérogative réservée au pouvoir exécutif. La Chambre aurait pu demander l’appel au peuple dans certaines conditions déterminées. Enfin un million de citoyens auraient le droit de provoquer sur une question déterminée une consultation nationale. […] En faisant intervenir le peuple directement pour le règlement de la grande querelle des Eglises et de l’Etat, par exemple, mettrait-on la liberté en péril? Fourbes ceux qui le disent. Les boulangistes ne voulaient pas de maîtres pour eux et ne prétendaient pas en donner à la France. Ils se replacaient seulement dans la vraie tradition révolutionnaire. Démocrates, en donnant à la Nation la facilité de parler elle-même, ils lui donnaient une sauvegarde contre l’oligarchie des parlementaires qui, recrutés dans les classes supérieures, ont sous toutes leurs apparences jacobines des instincts conservateurs.

Mermeix, Les antisémites en France, 1892.

En bref, les boulangistes sont les gilets jaunes de la fin du XIXe siècle. Le parti boulangiste avance, avec des votes socialistes et des fonds royalistes. Le 27 janvier 1889 Boulanger remporte les élections à Paris : il est au zénith. Le peuple est avec lui, des soldats sont prêts à faire un coup d’état pour lui, la IIIe République est encore paralysée et embarrassée. Ses soutiens l’exhortent à accepter de faire un coup d’état. Boulanger refuse, voulant rester dans la stricte légalité. Sa fenêtre se referme : la ligue des patriotes est dissoute, Boulanger est menacé de procès, et il fuit en Belgique. Aux élections législatives de septembre 1889, il n’y a que 72 députés boulangistes contre 366 républicains. Boulanger se suicide peu après.

Un colporteur d’imprimés diffuse des portraits du général Boulanger auprès d’une famille paysanne. Jean-Eugène Buland, Propagande, huile sur toile, 1889.

L’affaire Dreyfus

On a vu donc l’émergence de tout un « parti national », encore très fluide, qui regroupe aussi bien des socialistes que quelques royalistes. On y trouve un tas de marginaux politiques qui vont du bonapartiste et partisan de l’Ancien Régime à l’ancien communard et à l’anarchiste. Autour du « révisionnisme » démocratique des boulangistes de première heure s’ajoute l’antisémitisme qui désigne un ennemi à combattre et un monde opposé à construire, socialiste. Mais vers la fin de cette période le nationalisme va perdre son emprise à gauche face à l’internationalisme pacifique des socialistes purs, le parti nationaliste va garder deux pôles incompatibles: un pôle révolutionnaire et jacobin, et un pôle conservateur et « parti de l’ordre ».

L’affaire Dreyfus (1897-1900) est décisive pour l’histoire du nationalisme français. Elle est le paroxysme de tout ce qui existe dans le camp national : paroxysme du militarisme, de l’antiparlementarisme, de l’antisémitisme, etc. C’est à ce genre d’époque qu’un curé de Bayeux, anti-dreyfusard, envoie une souscription en écrivant : À bas les républicains de tout acabit : youpins, huguenots, francs-maçons et tous enjuivés comme eux !

Après l’Affaire, le nationalisme sera définitivement de droite, voire d’extrême droite : sous l’effet de l’incroyable chaleur et pression du débat, le nationalisme s’est amalgamé l’antisémitisme, l’antimaçonnisme, la défense de l’Église et de l’armée. Le nationalisme est devenu totalement antidreyfusard, et donc totalement aligné contre les politiciens de gauche, les ouvriers, les syndicats et autres forces dreyfusardes. Nationalisme et conservatisme sont désormais alignés.

Caricature du Pèlerin, un journal nationaliste du début XXe siècle

Après l’affaire Dreyfus, une doctrine pour durer

Après l’affaire Dreyfus, et la sédimentation à droite du nationalisme, il devient nécessaire d’avoir une doctrine pour durer. C’est là que l’apport de Maurice Barrès et Charles Maurras est important. Maurice Barrès le définit comme l’acceptation du déterminisme, et notamment la détermination du passé.

Pour Barrès, être nationaliste, c’est se rendre compte que nous ne vivons pas pour nous-mêmes mais pour notre histoire et pour être les descendants de nos ancêtres :

Les catholiques voient dans le patriotisme un prolongement de la morale. C’est sur les commandements de l’Église que s’assure l’idée de patrie. Mais si je ne suis pas un croyant ? Pour un certain nombre de personnes le surnaturel est déchu. Leur piété qui veut un objet n’en trouve pas dans les cieux. J’ai ramené ma piété sur terre, sur la terre de mes morts. […] C’est ma filiation qui me donne l’axe autour duquel tourne ma conception totale, sphérique de la vie. Tant que je demeurerai, ni mes ascendants, ni mes bienfaiteurs ne seront tombés en poussière. Et j’ai confiance que moi-même, quand je ne pourrai plus me protéger, je serai abrité par quelques-uns de ceux que j’éveille. Ainsi je possède mes points fixes, mes repérages dans le passé et dans la postérité. Si je les relie, j’obtiens une des grandes lignes du classicisme français.

Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, 1902.
Maurice Barrès

La doctrine de Charles Maurras

Là où Barrès fournit une éthique et une esthétique au mouvement nationaliste, Charles Maurras, quant à lui fournit un système doctrinal : il est aussi celui qui réussit pour la première fois à souder ensemble nationalisme et traditionalisme. Si vous avez résolu d’être patriote, vous serez royaliste … la raison le veut. Il fournit une doctrine unie à un camp antidreyfusard jusqu’ici accidentellement uni. À partir de 1905 est fondée la ligue de l’Action française puis un quotidien et des réseaux de groupes d’action des camelots du Roi. C’est une sorte d' »école » et d’organe d’agitation très visible au début du XXe siècle, même si tous les nationalistes ne seront pas maurassiens.

C’est toujours du royalisme, mais il est très fort en synthèse dogmatique (un peu comme Thomas d’Aquin qui a peu innové par rapport à Albert le Grand mais a grandement systématisé). Maurras fait la synthèse entre :

  1. le nationalisme : Il a une conception anti-démocratique et fondée sur l’histoire longue de la France. La France est une nation à protéger et préserver des influences étrangères.
  2. le traditionalisme [de Bonald, de Maistre] : il en retire l’anti-individualisme, l’organicisme (concevoir un système politique comme un écosystème vivant plutôt qu’une abstraction), le régionalisme.
  3. le positivisme : il délaisse l’idée de « droit divin » et veut s’appuyer sur la science, un peu à la manière du marxisme, avec la restauration monarchique à la place de la dictature du prolétariat. Il insiste sur la logique scolastique du XVIIe siècle plutôt que le scepticisme du XVIIIe. Bien qu’athée, il défend le catholicisme comme principe de civilisation :

Sa conception d’un ordre classique immuable où chacun doit être à sa place sans pouvoir en sortir le conduit à assigner une place éminente à l’Église catholique. Pour le païen qu’il este, l’Église n’est qu’un temple de définition des devoirs, un magnifique modèle d’ordre et de hiérarchie, un tuteur incomparable de la société civile. Si cela avait été possible, Maurras eût volontiers conserver un catholicisme expurgé de toute référence judaïque et biblique, un catholicisme sans christianisme. L’Évangile, avec son esprit d’amour et de charité, son éloge des humbles et sa condamnation des puissants de ce monde, est finalement ce qui le gêne le plus dans la religion. Comme Joseph de Maistre, il estime que « l’Évangile hors de l’Église, est un poison ». Par contre, la pompe triomphaliste de l’Église romaine, revigorée par la Contre-Réforme, ses rites multiséculaires, ses traditions vénérables qui défient le temps, ses appels à l’obéissance, ses anathèmes contre la société moderne, son organisation monarchique, voilà ce qui plaît au jeune positiviste.

Jean-Christian Petitfils, L’Extrême droite en France, p. 20.
  1. le socialisme anti-étatique. Anticapitaliste par haine des libéraux orléanistes, anticonformiste par mépris des bourgeois, l’Action française chercher d’abord à se rapprocher des syndicalistes révolutionnaires, des anarcho-syndicalistes (p.20-1)
  2. sa sensibilité esthétique personnelle fortement attirée par le classicisme.

Et de toutes ces choses contradictoires, il a réussi à faire un bloc cohérent.

L’incontestable génie doctrinaire du maître de Martigues est d’avoir su fondre ces éléments disparates en un système intellectuel apparemment logique et cohérent, et en tout cas profondément corrosif : un « bloc » contre-révolutionnaire en littérature, en politique et en philosophie, s’opposant aux trois formes de la subversion, la Réforme, le romantisme et la Révolution. La république est l’anti-France par excellence, le règne des quatre « états confédérés » (juifs, protestants, francs-maçons et métèques). Seule un monarchie « traditionnelle, héréditaire, anti-parlementaire et décentralisée » pourra redonner au pays sa gloire et sa grandeur passées, œuvre des « quarante rois qui en mille ans firent la France ». Comme tout pouvoir faible, soumis à l’influence de l’argent et du clientélisme, la république ne tolère aucun privilège, aucun particularisme. Elle est une et indivisible. Ainsi a-t-elle brisé le cadre vivant des provinces anciennes, anéanti les traditions populaires, supprimé les corporations et asservi l’Université. La monarchie héréditaire au contraire, pouvoir fort, indépendant des factions et des groupes de pression, pourra se permettre de décentraliser. Pour faire la Contre-Révolution, point n’est besoin d’ailleurs de faire table rase pour refonder la société. Dans ses profondeurs la nation n’a pas été corrompue par le mal révolutionnaire : le pays légal est artificiellement plaqué sur le pays réel.

Ibid, pp..21-22.

Historiquement, les contradictions internes de la doctrine ont fait éclater l’Action française :

  • Là où Maurras n’avait en tête que l’ordre et la mesure de la France classique, les camelots du roi (troupes de choc de l’Action française) se sont fait connaître pour leur violence et leur méconduite.
  • Comment peut-on être pour la décentralisation et admirer Richelieu ?
  • La doctrine est faite par un athée pour des athées, mais ce sont les catholiques qui en sont grand fans, au point où il a gêné l’émergence d’un parti démocrate-chrétien.
  • Avec la révolution en Russie, l’élément le plus socialiste part pour que l’Action française rejoigne les bourgeois les plus conservateurs.
  • L’échec le plus grave est celui de la fusion entre nationalisme et contre-révolution.

Plus que l’alliance contre nature du positivisme et du traditionnalisme, l’amalgame entre nationalisme et la contre-révolution se révèlera inefficace. D’un côté, il dénaturera l’idée royale en France, faisant du mouvement monarchiste un parti politique, parti d’autant plus totalitaire qu’il sera persuadé d’incarner la France. D’un autre côté, cet amalgame ne parviendra pas à convaincre les nationalistes français de la nécessité d’un retour à l’Ancien Régime.

Ibid., p. 23.

Comme le dit Barrès : quitte à exalter l’héritage historique, pourquoi ne pas exalter aussi l’héritage révolutionnaire ?

En définitive, par le curieux mélange doctrinal du maurassisme, l’Action française parviendra seulement à retarder le déclin du traditionnalisme en France, prolongeant de quelques décennies son agonie, une agonie qui dure encore, alors même qu’a disparu la société rurale et patriarcale qui l’avait vu naître.

Ibid, p.24

Dans les années 20, l’Action française se fait déborder par d’autres ligues plus populaires et activistes et enfin, le prétendant au trône désavoue l’Action française en 1937, lorsque le prétendant au trône essaie de suivre un royalisme non nationaliste et prend son indépendance intellectuelle et médiatique. Son influence n’est plus que par « diffraction ». Élu à l’Académie française en 1938, Charles Maurras apparaîtra à l’apogée de sa carrière comme le maître à penser de toute la droite qu’on salue avec vénération, mais qu’on se garde bien de suivre.

Charles Maurras

Conclusion sur l’histoire du nationalisme jusqu’à 1914

Après cette petite incursion dans les années 20, je ne vais pas fatiguer le lecteur plus longtemps avec l’histoire du nationalisme de la Première Guerre mondiale à nos jours (je peux partager mes notes sur demande).

Récapitulons donc : Il est remarquable de voir qu’en un siècle, on est passé d’un nationalisme associé à la monarchie de Juillet — de gauche en 1830 — à un programme d’extrême droite en 1930. C’est d’abord parce qu’il a ses racines dans le programme révolutionnaire et impérial de 1789-1815, dans des guerres qui avaient pour objectif de libérer les nations du joug des tyrans. En 1848, cet esprit s’exprime toujours dans une sorte de messianisme cocardier, où le rôle de la France est de libérer toutes les nations de leurs rois étrangers. Ce messianisme est réactivé par l’humiliation de 1870 où l’on vise la revanche. Mais le premier « schisme » dans le nationalisme français a lieu lors des conquêtes coloniales de l’Afrique autour de 1885 où deux conceptions de patriotisme s’affrontent : une conception traditionnelle plus revancharde et disciplinée (exemple : Clémenceau), et une autre autre plus internationale et expansionniste. À ceci s’ajoute quasi en même temps un nationalisme « de nationaliste » qui se cristallise avec Boulanger. Drumont, Barrès, Maurras. Ce nouveau nationalisme forme bientôt une synthèse originale avec Maurras, une « méditation sur la décadence ».

Loin d’avoir la perspective optimiste des premiers nationalismes, le nationalisme de nationalistes est un mouvement de réaction blessée. En allant vers 1914, les différents nationalismes vont tout à fait réussir à s’entendre.

Points principaux

Au final, qu’est-ce que le nationalisme ? Raoul Girardet propose deux définitions :

  • Dans le cadre d’un État-nation déjà constitué : le souci prioritaire de conserver l’indépendance, de maintenir l’intégrité de la souveraineté et d’affirmer la grandeur de cet État-nation.
  • Sur le plan moral ou idéologique : l’exaltation du sentiment national.

Les différences entre nationalisme de droite (maurassien) et nationalisme de gauche (jacobin) ne doivent pas faire oublier qu’ils sont tous deux républicains, au point où les nationalistes sont inclassables aux yeux des gens de la IIIe république. Cette parenté commune s’exprime dans une ferveur commune à l’armée et la gloire militaire de notre pays. Les deux nationalismes ont aussi une même idée de ce que signifie la grandeur nationale.

Le nationalisme français est un mouvement de « perdants de la modernité » depuis le départ. On disait du journal nationaliste La libre parole que c’était un étrange journal lu à la fois par des curés et des communards. C’est un mouvement qui parle aux « déracinés » (le mot est de Barrès) : des jeunes gens préparés pour un monde disparu et désireux de s’insérer dans un ordre social qui n’est pas le leur. C’est une réaction au sécularisme, où l’on rattrape le terrain perdu par Jésus au profit de la déesse France.

Critique chrétienne

Et alors ? Que doit en garder le chrétien ? Faut-il, comme l’Alliance évangélique mondiale, s’alarmer que de « soi-disants valeurs chrétiennes soient utilisées pour susciter de la haine, voire des discriminations ? » Faut-il, comme les catholiques maurassiens, compter sur un athée pour rétablir les apparences de la chrétienté, mais pas ce qui en fait la force ? C’est un exercice que nous avons déjà fait sur un héritier contemporain du nationalisme français : Éric Zemmour. Je ne fais ici que généraliser des remarques déjà faites par Maxime Georgel.

Nous sommes d’accord avec les nationalistes en ceci :

  • La politique n’est pas une affaire de parti, mais de bien commun à notre nation. La cause nationale est plus grande que toutes les causes individuelles ou collectives.
  • La nation est l’espace final de notre réflexion politique, contre les mondialistes bâtisseurs de Babel.
  • Les nationalistes sont plus faciles à convaincre de défendre des moeurs compatibles avec la loi de Dieu que leurs opposants.
  • Dans le contexte particulier de la France des années 2020, et en particulier vu notre rivalité séculaire et terrible avec l’Islam, les nationalistes sont ici plutôt du côté des chrétiens.

Je suis en désaccord avec les nationalistes sur ceci :

  • Je l’ai laissé glisser dans les citations, mais le nationalisme est, depuis les origines jusqu’à nos jours, un projet profondément laïque, c’est-à-dire politiquement athée. Je ne peux souscrire à cela, car Dieu a dit à Jésus-Christ : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession ; Tu les briseras avec une verge de fer, tu les briseras comme le vase d’un potier. (Psaumes 2,7-9)
  • Je refuse que la nation soit une déesse de remplacement à la place de Jésus-Christ. Je préfère encore dire les nations sont comme une goutte d’un seau, elles sont comme de la poussière sur une balance ; Voici, les îles sont comme une fine poussière qui s’envole. (Ésaïe 40,15)
  • À cause de l’héritage maurassien et catholique, il y a encore chez les nationalistes un réflexe anti-protestant qui était encore présent même chez Éric Zemmour. C’est un accident du nationalisme, mais un accident irritant, pour le moins. Peut-on désirer une France protestante et être nationaliste ? Heureusement que la réponse est oui, comme le montre l’exemple de l’association Sully, une association royaliste protestante, à laquelle se rattachait par exemple Pierre Courthial, fondateur de la faculté Jean Calvin.

Il est temps de conclure : un chrétien peut être nationaliste pour s’opposer au projet néfaste des bâtisseurs de Babel. Un chrétien peut être nationaliste pour conserver et défendre l’héritage de ses pères, que la providence de Dieu lui a fait hériter. Un chrétien peut être nationaliste en désirant que sa nation revienne à Jésus-Christ. Un chrétien ne peut pas être nationaliste s’il considère la France comme égale ou supérieure à Jésus-Christ.

Quant à moi, quand je regarde la France, je pense à ces paroles de Jérémie :

Elle est assise solitaire, cette ville si peuplée ! Elle est semblable à une veuve ! Grande entre les nations, souveraine parmi les États, elle est réduite à la servitude. Elle pleure durant la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes ; de tous ceux qui l’aimaient nul ne la console ; tous ses amis lui sont devenus infidèles, ils sont devenus ses ennemis. […] Éternel, regarde ma détresse ! Mes entrailles bouillonnent, mon cœur est bouleversé au-dedans de moi, car j’ai été rebelle. Au-dehors l’épée a fait ses ravages, au-dedans la mort. On a entendu mes soupirs, et personne ne m’a consolée ; tous mes ennemis ont appris mon malheur, ils se sont réjouis de ce que tu l’as causé ; tu amèneras, tu publieras le jour où ils seront comme moi. Que toute leur méchanceté vienne devant toi, et traite-les comme tu m’as traitée, à cause de toutes mes transgressions ! Car mes soupirs sont nombreux, et mon cœur est souffrant.

Lamentations 1,1-2, 20-22.

Illustration de couverture : Claude Monet, La rue Saint-Denis, huile sur toile, 1878 (musée des beaux-arts, Rouen).

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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3 Commentaires

  1. R.Ilan

    Un exercice difficile, voir perilleux. Mais je salue l’effort, sur un sujet qui n’est pas simple.

    Qu’est ce que le nationalisme, c’est la question. Si on s’en tient à Girardet, c’est une idée qui passe de gauche à droite. Dans la réalité, il y a des familles politiques qui s’identifie à une Histoire et des personnages sans forcément que ça crée une consistance théorique. Quelles caractéristiques leur donne leur unité et identité à travers les époques ? C’est une des questions des sciences politiques.

    La droite nationale en France ne se définie pas par son adhésion à la théorie « nationalisme » que décrit Girardet. René Rémmond à tenté de décrire les trois grandes familles de la droite en France de la révolution à aujourd’hui.

    Le Bonapartisme est porteur d’un idéal national et patriote de droite, bien avant Boulanger.
    D’ailleurs, faire de Boulanger le moment de bascule du nationalisme de la gauche à la droite montre bien qu’elles sont les intentions de Girardet : réduire le nationalisme de droite au populisme.

    Je conseille plutôt de baser ses réflexions sur
    Les droites en France de René Rémmond
    Et
    Le fascisme en France, ni droite ni gauche, de Seev Sternhell.

    Réponse
    • Étienne Omnès

      Merci pour ce gentil commentaire, et désolé du retard dans ma réponse.

      Je note ces réserves et je me suis procuré René Rémond. Seev Sternhell, il se trouve que je l’avais déjà. Si je dois faire un correctif – et ce sera probable, je ne m’en priverai pas 🙂 Merci pour ces idées.

      Réponse
  2. R.Ilan

    Désolé pour les fautes de grammaire. J’écris sur un téléphone ce qui complique tout…

    Réponse

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