Jean s’est précédé lui-même — Pierre Chrysologue
25 septembre 2022

Pierre de Ravenne (v. 380-450), surnommé Chrysologue (« dont le verbe est d’or ») est un des plus brillants prédicateurs du Ve siècle romain. Après sa mort, une collection de nombreux sermons fut éditée et nous est parvenue. Prédicateur, Pierre recherche la concision (d’où la brièveté de ses sermons), les implications morales, cède parfois à l’allégorie et au plaisir de la rhétorique. Il sera nommé archevêque de Ravenne en 433 ; ce grand port de l’Adriatique abritait une large communauté juive, ce qui explique aussi l’intérêt de Pierre pour les métaphores nautiques et la polémique antijuive, fréquente dans sa prédication (il eut aussi à lutter contre l’arianisme et le monophysisme). Pierre prêche quotidiennement, et un même thème court souvent sur plusieurs sermons (lectio continua). Nous reproduisons ici les sermons 86 à 92 qui traitent de la nativité de Jean-Baptiste. L’ensemble des sermons attribués à Pierre Chrysologue est disponible gratuitement sur le site jesusmarie.com (traduction amateur anonyme ?) ou aux éditions La caverne du pèlerin.


Sermon 86

Le discours du monde, parce qu’il provient de la raison humaine, répond aux besoins de la nature et est à sa portée. Mais le sermon divin est au pouvoir de celui qui donne de dire, non de celui qui dit. Vous avez entendu dire que Zacharie qui était la gloire du sacerdoce suprême, est devenu muet en priant. Il s’est tu, le père de la voix : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert1. Le géniteur de celui qui crie est devenu muet. Et celui qui était entré pour en rapporter des réponses est sorti en rapportant le silence.

Vous voyez donc que mon silence, qui vous avait jadis contristés, vient d’un antique usage pontifical, non de l’amour de la nouveauté. Quand Zacharie réalisa que ce qui enchaînait sa langue fermait la porte à son discours, il interdit par signes à qui que ce fût de s’enquérir des causes de son mutisme, car celui qui avait appris à dire le mystère n’avait pas appris à le savoir. Mais ce n’était que pour un temps, parce que le sermon du prêtre était différé, non supprimé ; s’il était caché, il n’était pas interdit ; il était mis en suspens, mais n’était pas rejeté. Il ne faut pas considérer comme une punition le fait que Zacharie ne puisse plus parler, mais comme un signe. Ce n’est pas le fait d’une débilité terrestre, c’est un secret céleste. Le même Dieu qui donne que l’on parle fait aussi que l’on ne puisse plus parler. Il impose le silence, celui qui communique la parole. Le sermon divin est autonome : il ne sert pas, car Dieu est le Verbe. Il ne parle donc pas quand il en reçoit l’ordre, mais quand il le décide ; non quand on l’exige de lui, mais quand il donne de lui-même ; non quand on cherche à le contraindre, mais quand il vient spontanément. Mes frères, écoutez-le donc quand il vient, et quand il ne vient pas, supportez-le patiemment. Accueillez-le quand il se donne, et quand il se refuse à vous, priez. Parce que le docteur reçoit ce que mérite l’auditeur. Tant pour vous que pour moi, le sermon a été brusquement interrompu dans son cours, comme le flux de sang de l’hémorroïsse, comme s’il avait été la cause d’une blessure honteuse, afin qu’augmente notre honte comme a augmenté sa pudeur, et que ce qu’elle a tu soit enfermé par notre silence. Mais revenons à ce que nous avons commencé. Cette fontaine de Jérusalem coule avec abondance, quand l’ange lui donne une impulsion, non quand l’auditeur a soif. Ainsi le sermon du prêtre épanche ses flots abondants quand Dieu donne, non quand il parvient par lui-même à exposer de bout en bout son sujet. C’est pourquoi Zacharie lui-même qui enseignait les prophéties au peuple, cesse de se parler à lui-même, pour que nous ne cessions pas de rendre grâce à Dieu, s’il veut que nous nous taisions parfois, nous à qui il a toujours accordé libéralement un discours que rien n’incommodait. Il n’a pas trouvé qu’il serait indigne de recevoir la parole du Verbe, à qui il remettait la lumière. Et vous, mes fils, priez pour que nous ayons la voix, afin que vous puissiez entendre le sermon. Remettez en état ma joie de prêcher, pour que vous puissiez posséder votre allégresse habituelle, et réaliser cette parole de l’Apôtre : Qui est celui qui me réjouit si ce n’est celui qui exulte à cause de moi.

Qu’il vienne donc, qu’il prenne place au milieu de nous pour que son pieux exemple console notre taciturnité, et pour que son silence ne vous permette pas de vous attrister de notre silence. Qu’il vienne, qu’il vienne le précurseur de la parole, le modèle du sacerdoce, l’exemple de la sainteté, le premier des évangélisateurs, le dernier des prophètes. Il y a eu au temps d’Hérode, qui était roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie. En disant sous quel roi tel prêtre a vécu, on soulage les maux : il y a toujours une consolation dans la souffrance, et la consolation ne manque pas à qui voit imminente la persécution. Il y eut au temps d’Hérode qui était roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie. Jusqu’à Hérode, le peuple juif bénéficiait à sa tête de la sainteté sacerdotale, de la gravité des vieillards, et de la piété des ancêtres. Le droit était la loi divine ; l’ambition, la témérité, la présomption n’aboutissaient à rien là où tout était géré par un ordre divin, non humain. Mais Hérode vint, s’empara du pouvoir, alors qu’il était issu d’une nation étrangère. Il viola le sacerdoce, troubla l’ordre, changea les mœurs, méprisa les vieillards, tua les jeunes gens, et mélangea les tribus. Il a détruit la noblesse héréditaire, a corrompu la nation, enlevé complètement toute discipline humaine et divine. Mais quel rapport cela a-t-il avec saint Zacharie ? Pour qu’on ne pense pas que de pareilles énormités sont attribuées à Zacharie, l’évangéliste est forcé de rapporter les choses ainsi : Il y a eu au temps d’Hérode, roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie, de la lignée d’Abia. Parce que jusqu’à lui, le genre de sacerdoce transmis par les ancêtres, les anciens et les pères était demeuré intact, toute la discipline du sacrifice avait été conservée, de telle sorte que la vie méritoire du prêtre refrénait l’impiété du roi, l’iniquité de l’époque, la rage de l’ambition et la fureur de la témérité.

Mais écoutons ce qui suit. Et il arriva que, après être entré dans le temple du Seigneur, il offrit l’encens, pendant que toute la multitude du peuple priait. À l’heure de l’encens, mes frères, le soleil se couchait déjà dans le temple judaïque, pour qu’il se levât de bon matin dans l’Église ; et comme l’aurore de l’Évangile était imminente, le soir descendait sur la doctrine judaïque. Le jour de la loi s’obscurcissait pour qu’il reluisît à nouveau dans la grâce. Voilà pourquoi Zacharie, dans un esprit prophétique, présente de l’encens à l’heure de l’encens, au dernier temps des cérémonies légales. Il offre des prières, il lance au ciel ses désirs, confie à Yahvé ses vœux, lui fait remarquer que le temps est arrivé, lui rappelle ses promesses, réclame avec insistance la venue du Christ. Et toute la multitude priait à l’extérieur. Il prie pour que le peuple qui se tenait dehors puisse pénétrer à l’intérieur. Un ange du Seigneur lui apparut, qui se tenait à droite de l’autel de l’encens. À sa vue, Zacharie fut troublé, et la peur s’empara de lui. Il n’y a donc pas à s’étonner si le prêtre se trouble, si le docteur est stupéfié, si le chef est épouvanté ; si, après avoir vu de grandes choses, il fait le silence sur des petites ; et s’il désespère des mots après avoir contemplé les signes. Et pour que Zacharie ne paraisse pas être le seul à être effrayé, écoute un autre Prophète qui dit : Seigneur, j’ai entendu ta parole, et j’ai eu peur. J’ai considéré tes œuvres et j’en ai été épouvanté. Celui qui parle avec Dieu est rempli d’effroi. D’où vient la parole à l’ange ? Il l’ignore ; et que pouvons-nous en comprendre ? D’où vient que le prêtre se tait ? Nous l’avons déjà dit. Et l’ange, répondant, lui dit : Je suis Gabriel, qui me tiens en présence de Dieu, et je suis envoyé vers toi pour te dire ceci, pour te donner cette bonne nouvelle. Et voici que tu seras muet et que tu ne pourras pas parler. Où est la faute de celui qui se tait, si c’est le pouvoir de celui qui commande qui impose le silence ! Quand donc nous nous taisons et tous ceux qui comme nous se taisent, n’allez pas penser que c’est par oubli, mais ce sont les circonstances qui le veulent ainsi. Voyez-y à l’œuvre non la raison humaine, mais une œuvre divine. Ne soyons donc pas tristes car, avec le don de Dieu, un silence momentané sera compensé par un long discours, et le peu de tristesse qui sera nôtre sera changé en grande joie. Je rends grâce à mon Dieu qui a transformé le tort à vous infligé en un accroissement de charité à mon endroit. Car quelle est la grandeur de l’amour que vous me portez, votre pâleur le trahit, vos acclamations l’attestent, vos larmes en font foi, l’épanchement de vos sentiments le démontre.

Sermon 87

Si en raison d’une douleur excessive ou d’une longue maladie les lampes ont été éteintes, la lumière, à moins d’être introduite graduellement, blesse la vue, bien qu’il soit certain que la lumière du soleil soit adaptée aux yeux, qu’elle soit une lumière qui leur est bénéfique , et c’est par les yeux qu’elle est apportée ou refusée au reste du corps. De la même façon, à moins que ne soit peu à peu restituée la clarté de la foi aux esprits enténébrés par la maladie diurne de la perfidie, l’exposition subite à la pleine clarté de la foi ne fait qu’épaissir l’obscurité de la perfidie, qu’un long usage transforme en une seconde nature ou émousse. Voilà pourquoi le Seigneur, pour faire briller le sacrement2 de l’enfantement virginal aux cœurs aveuglés par la sombre nuée de l’infidélité, présente d’abord le concept de la stérilité âgée désespérée. Pour que qui voyait, après une longue vieillesse, revivre ses membres desséchés, et qui, après avoir parcouru le cycle d’une vie avancée en âge voyait refleurir sa prime puberté, et la nature elle-même à l’âge du déclin être rappelée aux étendards d’un jeune serviteur, crût que peut être conservée la fleur de la pudicité, le titre de la pudeur, l’insigne de la chasteté, que le sceau de la virginité pouvait demeurer intact, quand l’Auteur lui-même s’est avancé hors de l’utérus. Et pour que notre comparaison du début que nous avons tirée des yeux fatigués par une longue maladie, fût confirmée par une autorité qui démontre que les yeux des hommes enténébrés par une déplorable accoutumance à la nuit, sont rappelés insensiblement à la lumière, le Seigneur allume en saint Jean et envoie avant lui la lampe de sa lumière, pour que le dégoût de la lampe leur fasse préférer la splendeur du divin Soleil ; pour qu’ils puissent percevoir la clarté elle-même de la déité. Il était la lampe ardente et brillante. Pour que sa placide lumière pénètre les épaisses ténèbres de la nuit ; pour qu’il ramène à la lumière éternelle ceux qui ont déjà le désir d’un jour qui ne connaît pas de nuit.  C’est pourquoi les mages qui demeuraient encore dans la nuit, et qui avaient la vue complètement paralysée, une étoile d’un faible éclat les a accoutumés à la lumière, et petit à petit, les a attirés jusqu’à la source elle-même de la lumière et des jours.

Le Seigneur allume en saint Jean et envoie avant lui la lampe de sa lumière, pour que le dégoût de la lampe leur fasse préférer la splendeur du divin Soleil, pour qu’ils puissent percevoir la clarté elle-même de la déité.

Et à la vérité, mes frères, rien n’est plus convenable puisque le quadrige du temps parcourt toutes les bornes de l’année entière, et nous rappelle aux fêtes de la naissance du Sauveur, et ramène les joies. Nous parlons maintenant de la naissance de Jean, de la maternité d’une stérile, pour qu’en récompense de cette foi, nous puissions parvenir, avec l’étoile pour guide, à la lumière de la lampe du précurseur, au milieu des lumières hivernales affaiblies par les nuages et la brume, là où l’enfantement se fait sans accouchement, où est créé l’Auteur de la procréation, là où naît l’Origine elle-même de la génération.

Il y avait un prêtre du nom de Zacharie, et sa femme s’appelait Élizabeth, et ils n’avaient pas de fils, parce qu’Élizabeth était stérile, et ils étaient tous deux avancés en âge. La stérilité est amplifiée par l’extrême vieillesse, et tout ce qui tient du corps et de la nature dément l’espoir d’engendrer. De peur qu’aucune pensée de rejeton ne demeure, quand on est parvenu au temps et à l’âge où, après le retrait de la chaleur vitale, le froid mortel de la stérilité possède déjà les viscères. Le géniteur lui-même réalise alors qu’il n’est plus possible à l’homme de donner naissance à l’homme, quand les forces vitales se sont retirées. C’est de cette façon mes frères, c’est de cette façon qu’aux têtes dures est présentée la croyance, que leur est infusée la foi. Et alors on croit que tout est divin là où il n’y a rien eu d’humain. Après avoir été choisi par le sort pour aller offrir l’encens, Zacharie entra dans le temple du Seigneur. Il s’est bien exprimé quand il a dit : il est entré dans le temple, et non le temple est entré, parce que l’ami de Dieu était lui-même un temple, portant dans la pureté de son cœur tous les secrets de la loi, n’offrant pas tellement l’encens de l’encensoir que celui de sa pure supplication. Car Dieu trouve plus volontiers son repos dans son temple à lui que dans celui qui est l’œuvre des hommes ; et il ne hume jamais avec autant de bon cœur les essences des plantes d’Arabie que la sainteté d’un cœur sincère.

Un ange de Dieu lui apparut qui se tenait à droite de l’autel de l’encens. Il suffisait de dire qu’un ange était apparu. Quel besoin y avait-il d’ajouter qu’il se tenait à la droite de l’autel de l’encens ?  Pour que tu comprennes, toi qui m’écoutes, que dans les anges de Dieu il n’y a pas de gauche, au dire même de l’Écriture : Les voies qui sont à droite, Dieu les connaît. Un ange lui est apparu. C’est parce que tout homme avait échoué, que, avant que Jean naquît d’une stérile, et que le Christ naquît d’une vierge, il avait été dit au sujet de Jean : Voici que, moi, j’envoie mon ange. Heureuse nature celle qui, pour qu’elle crût en Dieu, s’est atrophiée dans ses sens. Bienheureuse celle qui a corrigé les torts apportés à la stérilité par la fécondité virginale. Bienheureuse celle qui par un seul enfantement, a pris en charge toute la confusion qu’elle déplorait dans le monde. Bienheureuse celle qui est devenue la mère féconde des vivants, après avoir été l’origine misérable des mortels. Elle a enfanté les douleurs dans la douleur, a mangé le gémissement en gémissant, a produit, au péril de la mère, un homme destiné au malheur, et dans chaque naissance a produit une mort, au péril de la génitrice. Dans chaque enfantement, elle annonçait un décès par des lamentations et des larmes. Toujours, elle dévorait sa progéniture, consciente qu’elle était d’avoir engendré ses enfants pour qu’ils mourussent dans de grandes souffrances. C’est par la stérilité de préférence que la nature se conservait, de crainte que la fécondité ne la poussât à sévir avec plus de violence, et qu’elle ne mît au monde des chagrins plutôt que des enfants. Par ses larmes, sa tristesse, ses gémissements, pendant combien de temps n’a-t-elle pas cherché et interpellé son Auteur, comprenant très bien que cela lui était arrivé par sa faute, et que l’Auteur très pieux n’avait pas disposé les choses ainsi au moment de sa création. C’est pour cela que le Seigneur, le Créateur lui-même de la nature passe par le chemin d’une conception virginale, de la naissance d’une vierge, par un sentier inconnu aux traces invisibles. Il marche d’un pas divin, non humain, sur le chemin de la naissance humaine, pour affranchir d’abord à sa naissance, la nature de la servitude de la mort. Pour qu’elle soit libérée de celui qui la retenait esclave pour dettes, et, pour qu’après avoir purifié la fontaine, il rende la pureté surnaturelle aux ruisseaux. C’est avec raison que Jean exulte dans le sein de sa mère, lui qui a mérité que la liberté de son origine existât avant qu’il la connût, et qui a mérité de vivre avant de comprendre. À l’heure de l’encens, l’ange rend féconde la stérilité, ordonne la conception, promet la naissance, et au milieu des vases sacrés une naissance sacrée est procurée. C’est pour cela que la prophétie est présente dans Jean quand qu’il n’est encore que dans l’utérus, et avant que le fœtus n’atteigne son plein développement. Sur un signe de Dieu, il parle avant d’exercer sa mission de voix.  Pour ne pas nous laisser emporter par le désir de conclure par un bref sermon le commentaire des choses profondes et merveilleuses de la dernière lecture, remettons à plus tard les choses les plus importantes à expliquer, et bientôt, s’il plaît à Dieu, nous traiterons de ce qui reste.

Sermon 88

Toujours devoir quelque chose à quelqu’un est stressant. Il est déprimant, mes frères, d’être obligé de toujours payer les intérêts d’une dette. Mais moi, que ma promesse a rendu votre débiteur, je suis flatté et charmé par la nature et l’obligation d’une telle dette, car celui qui promet donne, mais ne reçoit pas. Et celui qui continue à devoir, tout en donnant, fait en sorte que son créancier lui soit redevable. Mais quand c’est le prêteur qui doit, et quand c’est le débiteur qui prête, c’est l’amitié qui est à l’origine du contrat plutôt qu’un besoin impérieux. Et quand les intérêts de la dette sont de nature spirituelle, ces intérêts qui courent ne sont pas un fardeau mais un honneur et un charme.

Après que le récit évangélique a décrit qu’un ange était apparu au prêtre Zacharie, il continue par ces mots : Et Zacharie fut troublé en le voyant, et la crainte s’empara de lui.  S’il est troublé par la pouvoir du juge celui qui frémit et tremble à l’arrivée d’un huissier, et s’il juge avec crainte de la gravité du mandat d’après la personne qui l’exerce, la crainte persiste en lui, même s’il n’est conscient d’aucune faute, jusqu’à ce qu’il comprenne quelle est la dignité de la personne qui vient le voir, et pour quelle raison elle vient. Que fera l’imbécile nature humaine, de quelle épouvante ne sera-t-elle pas saisie quand elle verra une puissance céleste, quand l’homme regardera l’ange, et verra le ministre du trône divin ? La chair ne peut jamais être sure de sa conscience. Comme Zacharie, dont nous parlons maintenant, l’a démontré, lui qui a achoppé au moment même où il cherchait à apaiser Dieu ; qui a douté en croyant, au dire de l’ange : Parce que tu n’as pas cru à mes paroles. Quand il mérite d’obtenir ce qu’il demande, il fond dessus comme sur un ennemi. Il est condamné au moment même où on lui accorde des faveurs. Il perd la voix en percevant la voix. Voilà pourquoi l’ange avant de lui indiquer les motifs de son ambassade, avant de lui accorder des dons, avant de lui offrir ce qu’il avait demandé, s’en prend à la crainte, chasse la peur, sécurise les âmes troublées par l’appréhension d’un danger, pour que l’âme qu’une trop grande frayeur avait mise hors d’elle-même, une fois revenue à elle-même, apprécie à sa juste valeur la largesse des bienfaits divins.  C’est pour cela que l’ange a dit : Ne crains pas Zacharie, parce que ta demande a été exaucée. Et ta femme t’enfantera un fils, et tu l’appelleras Jean. Penses-tu qu’un tel prêtre ait oublié le peuple et l’ensemble de l’humanité, pour demander qu’une vieille épouse conçoive, qu’une stérile désespérée enfante ; que le légat de l’univers ne soit présent au Temple que pour lui ; que l’avocat du monde entier ne prie que pour lui personnellement ? Penses-tu qu’il est entré dans le saint des saints pour ravaler un tel pontificat aux soucis domestiques, le limiter et le réduire aux seuls drames familiaux ? Et l’encens, qui est celui de tout le peuple, il l’aurait offert pour la réalisation de ses désirs, et pour son seul avantage personnel ? Ce vénérable chef des prêtres, qui a vieilli avec ce désir, voyant le temps propice, serait tout feu tout flamme à l’idée d’un enfantement hors saison ?

Ce vénérable chef des prêtres n’était pas dans le temple pour lui-même mais pour tous. La réponse de l’ange concerne tous les hommes.

Loin de nous cette pensée, mes frères ! Loin de toute âme fidèle de suspecter une telle chose de saint Zacharie ! Et pourtant l’ange lui apporte la réalisation de toute sa demande quand il dit : Ta demande a été exaucée, et ta femme t’enfantera un fils. Si l’ange a donné une réponse favorable à sa demande, si le prêtre a intercédé en sa faveur et si sa supplication portait également sur tous, pourquoi l’ange ne fait-il allusion qu’aux bienfaits qui le concernent personnellement ?  Pourquoi tenir en suspens plus longtemps les âmes de nos auditeurs ? Ce vénérable chef des prêtres n’était pas dans le temple pour lui-même mais pour tous. La réponse de l’ange concerne tous les hommes. Dieu, il est vrai, veut assurer une descendance à cette lignée sacerdotale. Un fils avait été accordé aux parents et à la nature elle-même, pour qu’ils en fissent don à toute l’humanité ; pour qu’ils le prodiguassent aux hommes de tous les siècles ; pour qu’ils en fissent don au peuple. Pour que parmi les choses consacrées, il devînt le fils du sacrement, et parmi les sacrements le consacré ; pour qu’il fût le chef religieux engendré par le vénérable chef religieux ; pour qu’il fût un ange avec la bouche sainte d’un ange conçu dans un sein maternel ; pour qu’il fût la voix du Christ. Je suis la voix de celui qui crie dans le désert1. Pour qu’il fût la voix du Christ que le Christ s’était réservée pour son temps. Pour qu’il fût le héraut qui devait annoncer la présence du Christ, et qui devait, par la pénitence, appeler les peuples au pardon du Christ. Nous apprendrons bientôt, par ce qu’ajoute l’ange, que ce prêtre oublieux de lui-même, déjà mort à lui-même, qui avait renoncé à l’espoir d’une descendance, agissait au nom de tous, demandait pour tous : Et plusieurs se réjouiront de sa naissance.

Celui qui est né du saint corps du prêtre très âgé, est exempt de tous les vices, est à l’abri des passions ardentes de la jeunesse. Il ne connaît pas le vin, ignore les boissons enivrantes, qui enfantent les vices de la luxure et de l’ébriété, et corrompent les mœurs honnêtes, qui sont les ornements des vertus. Il ne but ni vin ni boisson enivrante, mais il a été rempli du Saint-Esprit quand il était encore dans le sein de sa mère. Conformément à ce mot de l’Apôtre : Frères, ne vous enivrez pas de vin ,dans lequel se trouve la luxure. Mais remplissez-vous du Saint-Esprit3. Et il sera rempli du Saint-Esprit, étant encore dans le sein de sa mère. Que bienheureux soit Jean, lui qui a mérité de faire retentir sa voix avant de vagir avec les pleurs de l’homme ! Bienheureux celui qui a possédé les choses divines avant d’hériter des humaines ! Bienheureux celui qui a mérité le ciel avant la terre ! Bienheureux celui qui a mérité d’annoncer les choses futures avant de voir les choses présentes ! Bienheureux celui qui a saisi Dieu avant d’être saisi par son corps ! Bienheureux et singulièrement bienheureux celui qui a conquis le mérite avant de savoir demander ! Bienheureux celui qui n’est pas parvenu à la grâce par un travail pénible, mais qui est descendu à des travaux pénibles eu égard à cette grâce ! Et il convertira un grand nombre de fils. À qui ?

Que l’ange le dise, parce que l’hérétique le blasphème, le renie, l’injurie. Qu’il le dise l’ange, pour que le fidèle entende, et se réjouisse. Que l’hérétique croie et se rétracte ! Il convertira. À qui ? Au Seigneur leur Dieu. Qui est donc ce Dieu ? Celui de qui le Prophète dit : Celui-ci est notre Dieu, et il n’y en a pas d’autre en dehors de lui4 à avoir trouvé toute la voie de la discipline, et il l’a donnée à Jacob son enfant, à Israël son bien-aimé. Quand l’a-t-il donnée ? De toute évidence, c’est quand il écrivit sur les tables de la Loi la règle de toute la vie, et la norme totale de la discipline. Sois bien attentif, toi qui m’écoutes, afin de savoir qui est ce Dieu qui est le nôtre, en dehors de qui il n’y en a pas d’autre. Qui est-il ? Après cela, il a été vu sur la terre, et a vécu en compagnie des hommes. Qui d’autre a été vu sur la terre en dehors du Christ, lui qui s’est changé en notre chair ? Qui d’autre a vécu en compagnie des hommes, si ce n’est celui qui a demeuré avec les hommes dans un corps humain ?  Et si c’est lui notre Dieu, et s’il n’y en a pas d’autre en dehors de lui, hérétique, qui auras-tu si tu n’as pas celui-là ? Il n’y en a pas d’autre en dehors de lui. Et maintenant, ne dis pas : où est donc le Père ? Le Prophète dit : Il n’y en a pas d’autre en dehors de lui. Et où est-Il ? Dans le Fils, évidemment, parce que sans un Fils il n’y a pas de Père. Je suis dans le Père et le Père est en moi5. Le Prophète ne dit pas : il n’y en pas d’autre, mais il n’y en pas d’autre en dehors de lui. Ce qui signifie : Il est. Mais il est en lui-même. Mais tu diras : s’il est en lui-même, comment est-il un autre ? Hérétique, il est un autre dans la personne pour être le même dans la substance. Ainsi, il est lui-même la substance, pour qu’il n’y ait pas de confusion dans la Trinité. La Trinité est une, car il n’y a pas de diversité dans la déité. Mais elle est en elle-même ; et sans elle, la Trinité entière n’existe pas. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit possèdent une personnalité propre, mais la divinité est sans divisions. Et il le précèdera. Qui ?  Le Christ, qui est leur Dieu. Notre Dieu, le Dieu de tous : il n’y a pas d’autre Dieu en dehors de lui. Dans la vertu d’Élie. Que personne, entendant cela, ne croie qu’il s’agit de la métempsychose. L’esprit dont il parle est celui qu’il a mérité par la grâce divine, non celui qui revient donner vie à une chair. Et la vertu dont il parle est celle qu’il a reçue d’en haut, non celle qu’il aurait obtenue grâce à sa force physique. Jean vint donc dans l’esprit d’Élie, et a marché sur les pas de sa vertu, lui qui, en toutes choses, représente tout à fait Élie et le Christ par la nourriture, le vêtement, l’honnêteté, la chasteté et l’abstinence. Il préparera pour le Seigneur un peuple parfait. Que Dieu et Notre-Seigneur daigne le préparer et le fortifier à la gloire de son nom !

Sermon 89

Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes pour nous, et même excellentes, au dire même de l’Écriture : Et Dieu vit que toutes les choses qu’il avait faites étaient bonnes, qu’elles étaient très bonnes6. Donc, toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes, et même très bonnes. Et il y a des choses placées entre les vices et les vertus, comme en leur milieu, qui offrent aux moralistes matière à enseignement, et qui sont une cause d’erreur pour les inexpérimentés. Car les savants connaissent le Créateur par la contemplation de la création. En pensant que les créatures sont des dieux, les fous ne peuvent découvrir le Créateur. C’est pourquoi les Gentils ont déifié le soleil, la lune, les étoiles, l’or, les pierres, le bois, toutes choses que les chrétiens savent être assujetties au service d’un Maître. Il ne faut pas s’étonner qu’il existe une créature intermédiaire entre le bien et le mal, quand le Créateur lui-même de tous, le Christ, est placé pour le salut des fidèles et la ruine des infidèles, au témoignage de l’évangéliste : Il est placé pour la ruine et le relèvement d’un grand nombre7. Même les Apôtres sont pour les uns cause de mort, pour d’autres une cause de vie. L’Apôtre le confirme en disant : Pour quelques-uns nous sommes une odeur de mort pour la mort. Pour d’autres nous sommes une odeur de vie pour la vie8. Donc, même les lectures de l’Évangile sont pour les mauvais une occasion d’erreur, et aux bons, ils apportent un enrichissement salutaire. Le bienheureux évangéliste rapporte que Jean-Baptiste a été enchaîné, mis à mort par les adultères d’Hérodiade, décapité pour récompenser une danseuse. Nous savons par expérience que ce récit déconcerte certains. Ils se demandent pourquoi Dieu a livré un saint à une sacrilège, un homme chaste à une adultère, un ange à une danseuse. Mes frères, nous traiterons plus au long dans un autre sermon des vertus de Jean et des crimes d’Hérode. Maintenant, parlons de la cause de l’incarcération, de la nécessité de l’emprisonnement, et de l’utilité de la mort de Jean. Après être né par un privilège singulier, Jean ne pouvait mourir comme les autres hommes. Comme le Christ est Dieu né dans la chair, Jean est un ange engendré sur la terre. Pour que les services et les fonctions célestes se mêlent aux terrestres, comme les choses divines se mêlent aux choses humaines ; pour que sur la terre, un ange ne fasse pas défaut à Dieu, et qu’au Seigneur ne manque pas un culte céleste bien ordonné. Mais écoutons le récit ordonné de la naissance de Jean pour pouvoir découvrir les causes de sa mort.

Il y eut au temps d’Hérode, roi de Juda, un prêtre du nom de Zacharie, de la lignée d’Abia. Et sa femme descendait des filles d’Aaron, et son nom était Élizabeth. Ils étaient tous les deux justes devant le Seigneur, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, sans se plaindre. Les grands orateurs, ceux qui excellent dans leur art, combien de fois n’ont-ils pas raconté les vertus des hommes illustres, n’ont-ils pas rappelé à la mémoire les ancêtres, pour que le prestige des anciens ajoute à l’honneur rendu aux contemporains, et que les louanges données aux pères rejaillissent sur les fils, pour leur plus grand honneur. La gloire innée est plus grande que la gloire acquise. Ce qui est donné au tout début l’emporte sur ce qui couronne le labeur. Il y a plus de bonheur à posséder la gloire qu’à la rechercher. Voilà pourquoi l’évangéliste, dans le but de relever la gloire de Jean, indique la lignée du père Zacharie et de la mère Élizabeth, remémore les ancêtres, décrit leurs mérites, dit quels sont leurs titres, discerne des degrés, ouvre un voile sur leur vie, met en évidence ce qui les distingue, proclame leur sainteté. Il y eut au temps d’Hérode, roi de Judée. Il indique l’époque d’un roi impie qui a violé l’honneur sacré du sacerdoce, qui a amené le désordre, qui a abrogé les décrets et renversé les institutions. Et cela concourt au mérite de Zacharie, parce que, bien qu’Hérode ait étendu l’audace de sa témérité sur à peu près tout le monde, il n’a rien osé entreprendre sur Zacharie, empêché qu’il était par ses vertus. Pour que l’héritage immaculé du prêtre contribue à la gloire du fils. Et sa femme descendait des filles d’Aaron. Le premier pontife Aaron fut, dans la loi, l’origine du sacerdoce. C’est donc à juste titre qu’on omet tous les autres ancêtres pour la dire fille d’Aaron, en souvenir de qui elle a choisi, avant toutes choses, la sainteté qu’elle a glorieusement transférée à son fils, en tant que gardienne de l’héritage d’une telle lignée. L’évangéliste chante les louanges d’une telle mère. Ils étaient tous les deux justes devant Dieu. C’est un bonheur inouï, une union conjugale tout à fait singulière quand demeure entre deux êtres une unité de pensée, une sainteté à deux. L’esprit rapprochait ce qu’éloignait le sexe, les mœurs rendaient semblable l’aspect différent de l’homme et de la femme, et la vertu rendait égaux ceux que la nature avaient faits inégaux. Ils étaient justes tous les deux. Trouver grâce devant les jugements humains, être juste aux yeux des hommes, c’est l’œuvre de la vertu humaine et d’un immense labeur. Être juste devant Dieu qui scrute les cœurs, passe au peigne fin les pensées, voit ce qui motive les esprits, ce n’est pas le résultat d’un travail humain pénible, mais d’un don divin.  S’il est grand celui qui ne pèche pas dans son corps, que dire de celui qui ne pèche pas dans son cœur ? Jean est donc né de ces parents-là, au-dessus de la chair, eux qui n’ont péché devant Dieu ni dans leurs corps ni dans leurs cœurs. L’évangéliste ajoute ces paroles : marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur sans se plaindre. Marchant ou avançant. Il avance, celui qui ne se tient pas dans les endroits fréquentés par les pécheurs, qui se sent un itinérant en ce monde, qui entre avec intrépidité dans les maisons austères des vertus, qui, en voyageur infatigable, gravit les montagnes des conseils évangéliques, les collines des dix commandements, pour pouvoir jouir de la présence de Dieu le Père dans la béatitude de la patrie céleste. Marchant dans tous les commandements et ordonnances.  Ils ont marché, eux, dans tous les commandements, ce que personne n’a pu faire, ou un petit nombre seulement.  Dans tous les commandements et ordonnances. Qui peut traverser les incendies des cupidités s’il ne connaît pas la fumée ? Qui a jamais échappé aux chûtes dans les sentiers glissants de la vie ? Qui a jamais circulé dans les gorges des vices sans se souiller ? Qui a jamais expérimenté les occupations terrestres, tout ce qui fait vivre, tout ce que fait le monde sans se lamenter, quand la naissance elle-même est remplie de larmes et de lamentations ? Car celle qui enfante se lamente à cause de la douleur qu’elle ressent, et celui qui naît se plaint, dans les larmes, de la nature. Mais dans Zacharie et Élizabeth, la faute meurt, la plainte disparaît, toute cause de lamentation est enlevée, car en eux se préparait ce d’où devait naître la sainteté totale. Mais cela a déjà été mis en lumière par la lecture déjà faite. Et ils n’avaient pas de fils parce qu’Élizabeth était stérile.  Cette stérilité n’était pas causée par une malédiction. C’était un mystère, car l’enfantement ne lui avait pas été enlevé mais différé. Elle ne fermait pas la porte à l’enfant mais au temps. Elle cultivait avec le temps, elle semait avec les vertus, elle murissait avec l’âge, croissait pendant la vieillesse, pour que toute la fécondité fût concentrée sur ce fils singulier, où dans un seul naissaient entassées les vertus en grand nombre. Bienheureuse stérilité qui n’en a conservé qu’un seul pour l’enfantement, et qui attendait Jean. Celui à qui le premier rang en tout était dû ne perdrait pas la dignité de premier-né. Et les deux étaient avancés en âge. Ils avançaient, ils ne reculaient pas. L’âge a vécu dans des saints, il n’a pas décliné, mais est allé de l’avant. Qu’est-ce qui a jamais périclité chez ceux qui ont toujours progressé par l’augmentation des vertus ? Donc, chez Zacharie et Élizabeth, le sexe s’engourdit, la chair se refroidit, les membres s’assoupissent, le temps s’écoule, les années passent au travers, tout ce qui tient au mariage normal et aux relations conjugales est supprimé, pour que l’ange naisse des hommes non par un enfantement, mais par l’opération de Dieu. Nous avions promis de relier les causes de la mort de Jean à sa naissance, mais parce que le sermon d’aujourd’hui a pris plus d’ampleur qu’il n’avait été prévu, et que pour en faire la démonstration nous avons besoin de ce qui suit, que ce qui a été dit maintenant sur sa naissance soit employé à sa gloire. Nous ne serons pas ingrats envers vous, nous ne vous refusons pas ce que nous vous devons, mais le remettons à plus tard. Car le retard à payer augmente le mérite du créancier.  Attendez donc ce qu’a promis le débiteur, et attendez en toute confiance, car les promesses ne peuvent pas être enfreintes quand les stériles obtiennent si généreusement ce qui leur était refusé.

Sermon 90 

L’hésitation du prêtre Zacharie nous enseigne aujourd’hui que notre foi a pour fondations les faux-pas et les inquiétudes des saints. Car Zacharie n’a pas cru aux promesses de Dieu ; il les a jugées impossibles. Il n’a pas accueilli dans la foi les œuvres divines, mais les a examinées avec sa raison. Il a dû expier la faute de manque de foi par une longue condamnation au silence. Il avait entendu l’ange lui dire : Ta demande a été exaucée, et ta femme Élizabeth enfantera un fils. Celui-ci répondit : Qu’est-ce qui me le fera savoir ? Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge. Comme une vieillesse avancée lui avait fait perdre l’espoir d’une postérité, la longue vie qu’il avait vécue ne lui avait-elle pas appris que rien n’est impossible à Dieu ?  Un prêtre si âgé avait lu et relu la Bible. Ce vénérable pontife savait que la nature pouvait être paralysée par la loi du vieillissement, mais que l’Auteur de la nature ne le pouvait pas ; que l’âge pouvait imposer sa loi à l’homme, mais non au Créateur. Il avait appris que des corps morts d’Abraham et de Sara, qu’une extrême vieillesse avait desséchés, — et que la stérilité a rendus célèbres — Isaac avait surgi, porteur de toute la fécondité de la race juive. La déficience de la nature ne lui fut pas aussi nuisible que ne lui fut profitable, à sa naissance, le bienfait de l’Auteur, que la nature ne lui avait pas donné. Zacharie avait appris que Dieu avait donné ce que la stérilité avait refusé à des femmes depuis longtemps incapables d’avoir des enfants, depuis longtemps dépourvues des bons offices de la nature, et qui s’appelaient Rébecca et Anne. Fort de tels exemples, pourquoi dit-il : Comment le saurai-je ? Car je suis vieux, moi, et ma femme est avancée en âge. Mes frères, devant les choses divines, la nature se révèle imbécile et tremblante de surprise et de crainte ; et personne, après tenté l’expérience, ne se découvre tel qu’il s’imaginait être. Et chacun s’ignore lui-même avant d’avoir été éprouvé par les évènements, et avant de s’être confronté à des cas particuliers. On demande le ciel, on demande ce qu’il y a de plus haut, on scrute les étoiles, on déplace et bouscule le ciel. Mais après avoir mis le ciel en branle, on ne peut pas en supporter le poids. Chacun ambitionne de monter jusqu’au faîte de la foi, brûle du désir de pénétrer dans le ciel par sa propre force. Mais dans les voies spirituelles où l’on commence à avancer à pas de tortue, quand on prend conscience que la nature humaine est située en bas, on redoute plus la ruine qu’on ne met sa confiance dans les exemples passés. Ainsi en est-il allé de Pierre. Quand il imitait les prouesses divines en marchant sur les flots, et quand, voyageur novice, il foulait un chemin vaporeux avec ses pieds pesants, il a imploré Dieu pour ne pas s’enfoncer, avant de se réjouir du don de marcher sur les eaux.

Zacharie avait longtemps déploré que le diable eût pu faire en sorte que la mort régnât par la faute d’un seul homme, que les hommes naquissent pour des travaux pénibles, pour les gémissements, les périls ; qu’ils n’espérassent qu’une vie pleine d’agitation et tourmentée, sans pouvoir mériter de gage de survie pour tout ce qui est voué à la mort. Les hommes, déplorait-il, étaient nés pour voir les étendards sublimes des vertus, l’espoir que donne la loi, la liberté qu’apporte la grâce, sans que jamais personne ne pût y parvenir par ses propres forces. Ils étaient condamnés à vouloir le bien et à ne pas le faire ; à haïr les crimes, mais à ne pas pouvoir en triompher ; à avoir besoin de la miséricorde de Dieu, et à attendre l’aide de Dieu comme des captifs enchaînés. Comme le pontife harassait les oreilles de Dieu par une lamentation continuelle et par ce genre de complainte, Dieu, dans sa réponse qui portait sur un germe, choisit et établit un exemple admirable pour celui qui demandait des choses si pieuses et si justes. Cette réponse devait faire croire que Dieu peut donner la vie, rendre la santé aux morts dont on désespère, puisqu’il donne à la vieillesse morte un rejeton, un fils à la stérilité désespérée, comme la parole évangélique le déclare par ces mots : Ta demande est exaucée, et ta femme t’enfantera un fils, le messager de notre rédemption, le précurseur du salut. Lui qui, n’entend pas Dieu lui parler comme toi, qui ne le fléchit pas par des gémissements. Il ne se soucie pas, comme toi, d’obtenir nos suffrages, mais lui, un homme véritable, mais soutenu par une dignité angélique, tiendra par la main, embrassera dans le sein de sa mère le Dieu tant désiré par les hommes, mais jamais connu par personne. Il le présentera à la vue de tout le monde sur ses avant-bras, lui décernera les plus belles palmes. Il fera en sorte que Dieu soit vu partout par les yeux humains, qu’il soit connu par tous. Il amènera le Seigneur à s’associer avec ses petits esclaves ; il mêlera le Juge aux coupables ; il témoignera en lui-même que celui qui s’est fait l’associé des pécheurs a assumé leur personne.  Et il fera ainsi la preuve que la sentence de la condamnation humaine a été cassée. Quand il est mû par Dieu, il court au pardon, celui qui aurait envoyé les coupables à la peine.

Pour que flamboie ce mystère d’immense piété, Zacharie, ton fils immergera le Seigneur dans le baptême de pénitence, par lequel il purifie pour la rémission des péchés. Parce que la Fontaine a voulu être purifiée ; parce que celui qui plaide pour tous les coupables a voulu recevoir la rémission des fautes ; parce que le Juge lui-même a voulu subir la sentence de mort, pour qu’il ne condamne par les coupables, pour qu’il ne punisse pas sévèrement les criminels. Il est monté sur la croix, il a goûté à la mort, il s’est soumis à l’ensevelissement, il a pénétré dans l’enfer, lui qui a voulu être puni pour ne pas punir, lui qui a voulu être aimé plutôt que craint.

Quand Zacharie entendit qu’il avait mérité par ses prières un tel sacrement, terrifié par la seule idée de la chose, troublé par l’estime qu’il avait de ce sacrement, il ne crut pas avoir tant mérité, et douta que Dieu accepte de descendre à de tels abaissements. Voilà pourquoi il a dit : Comment le saurai-je ? Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge. Ce qui revient à dire : Comme la raison humaine ne me permet pas d’avoir un fils, de la même façon, la majesté éternelle ne permet pas que Dieu naisse et meure. L’ange imposa une punition, par manière de signe, à celui qui n’avait péché que véniellement en ne croyant pas. Ce n’est pas de la perfidie mais de la prudence qu’être lent à croire de Dieu des choses basses, d’être lent à penser de Dieu des choses viles. L’ange ajouta ces paroles : Je suis Gabriel. Pour qu’à cause d’un si grand nom et du mérite d’un tel ministre, il pèse le pour et le contre de la foi dans la promesse, et s’en remette à la qualité du légat. Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler. En disant son nom, il décline ses titres. Il déclare qu’il se tient devant Dieu celui qui se dit envoyé. Il admet n’être qu’un serviteur, de peur que la prérogative du nom ne fasse ombrage à l’honneur dû au Maître. Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer ceci. Dieu est vraiment grand et sa sagesse n’a pas de limite. L’ange guérit l’infirme par une blessure, confirme l’hésitant par une punition, et il complète son ambassade par l’annonce du châtiment dû au manque de foi : Voici que tu seras muet, et que tu ne pourras pas parler. Pour que, de toi et en toi, tu atteignes la règle de foi, et que tu croies, par un cas arrivé dans ta maison, que Dieu peut faire ce qu’il promet. Car quand il le veut, l’organe de ta voix se ferme, et quand il le veut, il peut sur-le-champ redonner à ta bouche d’exercer son devoir de la parole. Quand il le veut, celui qui accorde la charge d’enfanter a le pouvoir de refuser de rendre honneur à la nature. L’ange a agi ainsi pour que le pontife, instruit par un tel exemple, ne dise plus de nouveau : Comment le saurai-je ? Gabriel aurait pu donner toutes les créatures en preuve que Dieu peut tout. Et Zacharie aurait dû croire que celui qui a choisi de donner l’existence, à partir de rien, au ciel, à la terre, à la mer, et à tous ceux qui y habitent, pouvait faire ce qu’il voulait à partir de quelque chose ; et rendre ce qu’il avait promis à quelqu’un qui désespérait de l’obtenir. Et que celui qui a tout fait à partir de ce qui n’était pas n’éprouve pas de difficulté à faire quelque chose à partir de ce qui existe déjà.

Et la foule attendait Zacharie, et les gens s’étonnaient qu’il s’attarde dans le templeQuand il fut sorti, Zacharie ne pouvait pas leur parler. Il était aphone, et il demeura muet.  Le pontife sort exhibant dans sa bouche l’indice de la stérilité ; portant dans son cœur l’image de la conception, pour que, au moment où la mère donnera naissance à son fils, le fils rende la voix à son père. La voix du père proclamera alors le sacrement, et le nouveau-né accordera le pardon à son père, avant d’effacer les crimes encroutés des peuples. Et parce que celui qui n’a pas cru est devenu muet, le prophète a raison de se glorifier parce qu’il a cru, par ces paroles :  J’ai cru, et c’est pour cela que j’ai parlé9.  Mes frères, la foi donne la parole, l’infidélité retire la parole. Si donc, mes frères, comme je l’ai dit au début, les défaillances des saints et les doutes des bienheureux nous font progresser et nous raffermissent, nous jugerons que rien n’est jamais impossible à Dieu ; nous ne chercherons pas à savoir comment il fera pour accomplir ses promesses, celui pour qui vouloir est faire, et pour qui promettre est avoir déjà donné.

Sermon 91

Les prospecteurs qui savent détecter la présence de l’or dans le sol ne ménagent ni leur art ni leur labeur, quand ils repèrent une veine prometteuse. Et nous qui savons qu’en saint Zacharie se cache un trésor céleste, nous nous appliquons avec soin à tout ce qu’exige la composition d’un tel sermon et à ce que demande votre instruction. De cette façon, le profit nous sera commun à vous et à moi, dans la mesure même où nous aurons partagé la quête de la vérité, en nous imposant le même travail ardu.

Il y eut, au temps d’Hérode roi de Judée, un prêtre du nom de Zacharie de la lignée d’Abia. Cela, nous l’avons déjà vu. Et sa femme descendait des filles d’Aaron. C’est ainsi que commence l’évangéliste pour que, dans l’épouse du prêtre, soit conservée la bonne qualité de l’origine antique du sacerdoce. Ils étaient justes tous les deux devant Dieu.  Ils étaient tous les deux justes, parce que, dans les deux, il n’y avait qu’une seule justice. Tous les deux justes. Ce n’est pas par l’effort des époux mais par leur sainteté que leur justice se maintenait. Tous les deux justes. Parce qu’ils étaient dissemblables par le sexe, mais semblables par la vertu. Tous les deux justes. Car, comme il n’y avait entre eux deux qu’une seule chair, il n’y avait entre les deux qu’une seule âme. Ils sont proposés en exemple, ces époux que rapproche l’affection et qu’unit la vertu. Ils étaient tous les deux justes devant Dieu. Tous les deux justes devant Dieu. Et où donc a-t-il été écrit : Aucun vivant ne sera justifié en ta présence ? C’est devant les hommes, peut-être, que quelqu’un est réputé juste, car les hommes connaissent les fautes visibles, mais ils ne savent rien des vices de l’âme. Or devant Dieu qui pénètre les secrets des cœurs, à qui n’échappe aucune des pensées les plus intimes, qui peut être estimé innocent et juste ? Est-il un homme qui ne pèche pas dans son cœur, qui ne commette pas de faute en pensée, qui n’offense pas Dieu en doutant, qui ne trébuche pas par une parole irréfléchie ? Moïse doute, Aaron s’écarte du droit chemin, Pierre renie. Qui donc est juste ? Alors, comment pouvaient-ils être tous les deux justes devant Dieu ? Devant Dieu, mais par Dieu. Tous les deux justes devant Dieu. Cette justice n’était pas le fruit d’une ascèse rigoureuse, mais de la grâce. Écoute l’Apôtre : Justifiés gratuitement par sa grâce10. Et de nouveau : Cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu. Cela ne vient pas de vos œuvres, pour que personne ne se glorifie11. Voici un autre texte : Qu’as-tu que tu n’as reçu ? Si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu12? Ce que l’évangéliste rapporte ce n’est donc pas ce qui était leur bien propre, mais ce qu’ils avaient reçu ; non ce qu’ils avaient découvert , mais ce qui leur avait été donné.

Comment pouvaient-ils être tous les deux justes devant Dieu ? Devant Dieu, mais par Dieu.

Ils étaient tous les deux justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur, sans se plaindre. Avançant (marchant), l’évangéliste emploie ce mot pour montrer qu’ils n’étaient pas stagnants, mais qu’ils couraient de vertu en vertu ; qu’ils n’étaient pas figés à la même place, mais qu’ils marchaient dans la voie de la justice. Ils ne s’étaient pas contentés de se maintenir dans le chemin des commandements, mais ils étaient parvenus à la perfection de leur observance. Marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, sans se plaindre. Bienheureux sont-ils, mes frères, ceux que la faute n’a pas transpercés, que le crime n’a pas blessés. Mais encore plus heureux ceux que la récrimination n’a jamais effleurés ! Sans se plaindre. S’il n’existe pas d’enfance, d’adolescence, ou de jeunesse sans protestation, sans réclamation, puisqu’il n’y a que cela, que dire de la vieillesse ? La fin n’est-elle pas conforme au commencement ? Gravir les montagnes des conseils évangéliques et les collines des commandements sans perdre pied est l’œuvre d’une grâce toute particulière ; elle est le signe d’une félicité unique.

Et ils n’avaient pas de fils parce qu’Élizabeth était stérile. Il ne dit pas : ils n’avaient pas de fils (au pluriel), mais ils n’avaient pas de fils (au singulier), car celui qui allait naître de tels parents était unique en son genre. Écoute le Seigneur dire : Parmi ceux qui sont nés des femmes, il n’en est pas apparu de plus grand que Jean-Baptiste13. Parce qu’Élizabeth était stérile. Stérile de corps, mais féconde en vertus ; tardive à enfanter un fils, mais non tardive à suivre Dieu ; non interdite de germe, mais attendant l’heure ; non pas celle à qui est refusée une progéniture, mais celle qui est conservée pour un mystère. Et les deux étaient d’un âge avancé. Avançaient (en âge). C’est ainsi qu’est décrit le sacrement de cette vieillesse qui n’avait pas chuté dans la course aux mérites, que l’âge n’avait pas affaiblie, mais qui allait de l’avant. Il ne ressent pas les défaillances du corps, celui qui bénéficie de l’accroissement des vertus. Mes frères, l’accouchement de sainte Élizabeth n’avait pas été supprimé, mais retardé jusqu’à ce que fussent passés l’âge de la chair, la passion corporelle, les besoins du conjoint, la cause de la volupté, la concupiscence, et tout ce qui trouble, alourdit et empêtre la conscience. La demeure sacrificielle a été purifiée pendant longtemps, l’hôtel de la sainteté. Elle avait été harmonieusement construite, la demeure de celui qui devait construire la maison du Christ. C’était le domicile de l’ange, le palais du Saint-Esprit, le temple de Dieu. Ne savez-vous pas, a dit l’Apôtre, que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit Saint habite en vous14? Donc, là où toute récrimination du corps a été apaisée, et tout l’être libéré des critiques, la stérilité ne tarde pas à fuir, la vieillesse à revivre ; la foi conçoit, la chasteté enfante. Quelqu’un de plus grand que les hommes naît, égal aux anges. Il est la trompette céleste, le héraut du Christ, le trésor du Père ; celui qui fait connaître le Fils, le porte-étendard du Roi suprême. Il est aussi celui qui pardonne aux pécheurs, qui corrige les déviations des Juifs, qui appelle les Gentils. Et, pour le dire en un mot, il est le lien de la loi et de la grâce, celui, qui, dans son cœur, désirait que se rejoignissent en son père les deux faces du sacerdoce suprême.

L’évangéliste décrit donc les vertus du père et de la mère pour que les immenses mérites des parents fassent connaître la dignité du fœtus; et pour établir qu’il était plus grand qu’un homme celui qui, à sa naissance, renversait la loi de la nativité humaine. Mais s’il veut précéder, qu’il se hâte de naître Jean, parce que la naissance du Christ est imminente ! Que surgisse le nouveau Lucifer, parce que déjà point la lumière du vrai Soleil ! Que le héraut donne de la voix, car le Juge est présent ! Que la trompette retentisse, car le Roi est venu ! Et parce que Dieu était sur le point de se mettre en chemin, l’ange part avant Lui. En toute vérité, mes frères, c’est une entreprise au-dessus des forces humaines, l’homme n’a pas ce qu’il faut pour célébrer les vertus de l’ange naissant.  L’ange l’avait déjà dit : Ne crains pas, Zacharie, ta demande a été exaucée. Voici qu’Élizabeth t’enfantera un fils qui sera ta joie. Et tu l’appelleras Jean. Et il sera pour toi un fils et une immense joie. Et plusieurs se réjouiront de sa nativité. Car il sera grand devant le Seigneur, et ne boira ni vin ni boisson alcoolique. Et il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Et parmi les fils d’Israël, il en convertira un grand nombre au Seigneur leur Dieu. Et il marchera devant Lui dans l’esprit et la vertu d’Elie pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, et les incrédules à la prudence des justes, pour qu’il prépare au Seigneur un peuple parfait.

Que chôme le sermon humain, que se taise la prédication du commentateur biblique quand la gloire de Jean a pour apologète un ange. La vertu est magnifiée, la louange a atteint son comble. Il n’y a rien que l’homme puisse ajouter à celui à qui Dieu a tout accordé. Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère.  Vous voyez comment Jean parvient au ciel avant de toucher la terre ; comment il a reçu l’Esprit divin avant d’avoir l’âge de raison ; comment il a reçu les dons divins avant les membres de son corps ; comment il a commencé à vivre pour Dieu avant de vivre pour lui-même. J’irais même jusqu’à dire qu’il a vécu en Dieu avant que Dieu vive en lui, selon le mot de l’Apôtre : Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi15. Au sixième mois de la grossesse de sa mère, il exulte dans l’utérus ; et il annonce que dans l’utérus de la Vierge est venu le Seigneur. Fervent messager qui a eu la joie d’annoncer avant de vivre ; général impatient, qui avant de parvenir au corps de l’armée, se rend au Roi. Il s’est emparé des armes avant d’avoir des bras. Il a reçu une vue pénétrante avant de voir la lumière du jour. Et pour vaincre le monde, il vit avant sa naissance. Il excite les viscères de sa mère avant d’en avoir. Et parce que le corps tardait, il remplissait son devoir d’évangéliste avec le seul esprit. Que dirai-je ? Avant de précéder le Christ, Jean s’est précédé lui-même. Un seul et même Esprit saint emplit les cœurs du père, de la mère, et du fils unique. Pour que par un seul organe de sainteté, résonne l’hymne de la nativité du Seigneur. Il n’est pas étonnant, mes frères, que les naissances des rois soient célébrées par des fêtes, qu’elles soient égayées de suaves symphonies.  Et nous, mes frères, glorifions par des cantiques la naissance du Christ ; honorons-le par nos dons. Parce qu’il se moque de la foi, le chrétien qui ne fait pas ce que fait le magicien.

Et pour vaincre le monde, il vit avant sa naissance. Il excite les viscères de sa mère avant d’en avoir. Et parce que le corps tardait, il remplissait son devoir d’évangéliste avec le seul esprit. Que dirai-je ? Avant de précéder le Christ, Jean s’est précédé lui-même.

Sermon 92

Insensiblement, le sermon évangélique nous rend capables de choses de plus en plus hautes, nous élève jusqu’aux choses célestes. Il ne faut pas s’étonner, mes frères, qu’un char éthéré ait transporté Élie jusqu’au ciel, puisque, à chaque jour, le quadrige des Évangiles transfère et conduit au ciel le genre humain. Il nous a déjà rapprochés de lui, mes frères, depuis l’enfantement de la stérile jusqu’à l’enfantement de la Vierge, depuis la naissance de Jean jusqu’à la naissance de notre Sauveur. Mais ce qui reste encore à dire du pontife Zacharie, écoutons-le patiemment, pour que nous puissions parvenir à la crèche de notre Roi par un chemin royal. Faisant confiance au quadrige céleste, montons à l’audience, pour éviter les sentiers encombrés et abrupts en prenant des raccourcis.

Mais voici ce qu’on lit : Et il arriva que prirent fin les jours de son service au temple, et il retourna dans sa maison. Ainsi, dans un seul temple, une tribu entière exerçait le sacerdoce. Des milliers de prêtres s’y présentaient. L’exercice de la fonction pontificale était répartie entre plusieurs, à des jours différents, et à tour de rôle, de peur que la confusion du grand nombre ne troublât l’ordre sacerdotal; ou que l’élection plus fréquente de l’un ne déniât à un autre le droit d’exercer son ministère. Après cela, Élizabeth, sa femme, conçut. Les prêtres avaient le droit de se marier, ils étaient autorisés à avoir des enfants. Ils en étaient encore à l’adolescence de la Loi, à l’enfance de la religion. La Loi, mes frères, a interdit les choses illicites, mais n’a pas dénié le droit aux choses licites. Le bienfait qu’elle apportait trouvait sa place dans le champ du licite ; elle ne pouvait rien donner dans ce qui se situait au-dessus du licite. Elle régulait la nature, mais ne pouvait pas élever l’homme au-dessus de la nature. La Loi est la porte de la foi, l’annonciatrice de la grâce, le précurseur de l’Évangile, la pédagogue de l’enfance de la religion. Elle a attribué au sacerdoce légal la chasteté conjugale, pour annoncer la gloire prochaine de la vertu perpétuelle dans le pontificat de la grâce. En vue de celle-là, il a renouvelé, par un saint enfantement, sa bienveillance envers Élizabeth, quand le temps d’enfanter était passé ; et il a redonné de la vigueur aux membres ridés et desséchés, pour en faire des viscères fécondes. Il a ramené la fertilité au corps qui l’avait perdue. Et la maison de l’utérus, passablement délabrée par la vieillesse, il l’a rapidement remise à neuf. L’ordre qui préside aux choses est stupéfié, la coutume défaille, la nature n’en revient pas, et reconnaît la dignité et le rang de l’hôte par l’apparat de la maison. Il est vrai que Jean aurait constaté avec étonnement qu’il était un étranger dans n’importe quelle habitation. Lui que l’âge des parents avait exclus, que la nature avait rejeté, ne fut pas long à apprendre qu’il était accueilli comme hôte dans cette maison par un bienfait du Créateur plutôt que par un don de ses parents.

Elle se tint cachée pendant cinq mois, disant que c’était le Seigneur qui lui avait fait cela. Elle a bien raison de reconnaître que c’est le Seigneur qui a tout fait, parce qu’elle voyait bien qu’elle n’avait rien reçu de l’homme. Et elle se cacha pendant cinq mois, car c’était le fruit d’un don divin que son âge démentait. Elle s’est cachée pendant cinq mois. La vieille rougit de se découvrir féconde ; la femme âgée était mise à la gêne par son premier enfantement ; et l’extrême vieillesse cherchait à dérober à la vue la grossesse, pour que les railleries portant sur la fécondité de la vieillesse n’augmentassent pas l’opprobre de la stérilité. Que le fait qu’une aïeule conçoive prête à risée la stérilité de Sara, qui était du même âge qu’elle, le démontre. Elle a elle-même ri de sa grossesse quand elle a appris, par la promesse de Dieu, que l’enfantement serait rendu, qu’un fils serait donné à celle que la vie avait après presque abandonnée. Et qu’une femme enceinte puisse être un objet de risée pour tous, et onéreuse la vieillesse, le nom lui-même du fœtus l’atteste, au dire de l’Écriture : Et elle donnera à son fils le nom d’Isaac16. Mot qui signifie : rire. Et elle ajoute : Le Seigneur m’a fait rire17. Voilà pourquoi Elizabeth a voulu cacher le mystère sacré, en disant : Car c’est ce que Dieu m’a fait. Pour que maintenant la honte d’avoir conçu à un âge avancé importune celle qu’affligeait la souffrance du déni de grossesse. Le père se tait parce qu’il est puni ; la mère se cache parce qu’elle a honte. Quelle grande voix est née dans le silence ! Dans quelle taciturnité a été engendrée la trompette qui devait résonner dans tout l’univers ! C’est le secret du divin Juge qui donne le héraut. Parce que c’est ce que le Seigneur m’a fait aux jours où il a décidé d’enlever mon opprobre aux yeux des hommes. L’honneur du conjoint, la dignité du mariage, c’est la procréation de beaux et bons enfants. C’est déjà suffisamment grave et triste d’être privé de la récompense de la virginité, quand on n’a pas la consolation d’avoir des enfants ; de porter le joug du mariage, quand on ne jouit pas du fruit du mariage. Voilà pourquoi Élizabeth se réjouit que l’opprobre de la stérilité lui ait été enlevé. Dieu ne voit aucune faute dans ce que les hommes estiment une chose misérable, car il faut y voir un jugement mystérieux de celui qui refuse la maternité, et non la culpabilité de la mère. Si c’est quelque infirmité corporelle qui mène à la stérilité, la volonté n’est pas en cause, mais les lois de la nature.

Mais que soit maintenant éloignée loin de nous toute stupidité et toute apathie provenant de la chair ; et que toute infirmité des sens soit rejetée.  Que tout projet de l’esprit humain soit foulé aux pieds ; que les yeux de la foi se dessillent ; que les oreilles du cœur s’ouvrent ; que notre esprit avance par bonds et par sauts ; pour que nous puissions parvenir au mystère de la conception virginale, pénétrer le sacrement de l’enfantement virginal, avec l’aide du Seigneur Jésus-Christ, qui, né de la Vierge, vit maintenant dans les royaumes célestes avec le Père et Saint-Esprit pendant les siècles infinis des siècles. Amen.

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Illustration de couverture : Reynaud Levieux, L’archange Gabriel apparaissant à saint Zacharie, huile sur toile, 1811 (Avignon, musée Calvet).

  1. Jean 1,23.[][]
  2. Pierre Chrysologue emploie le mot dans un sens non technique.[]
  3. Éphésiens 5,18.[]
  4. Ésaïe 45,5.[]
  5. Jean 14,11.[]
  6. Genèse 1,31.[]
  7. Luc 2,34.[]
  8. 2 Corinthiens 2,16.[]
  9. 2 Corinthiens 4,13.[]
  10. Romains 3,24.[]
  11. Éphésiens 2,8-9.[]
  12. 1 Corinthiens 4,7.[]
  13. Luc 7,28.[]
  14. 1 Corinthiens 3,16.[]
  15. Galates 2,20.[]
  16. Genèse 17,19.[]
  17. Genèse 21,6.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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