La loi naturelle selon Jean Calvin
18 octobre 2022

Cet article ne prétend pas faire une analyse exhaustive des œuvres de Calvin relatives à la loi naturelle mais porter à votre connaissance quelques textes de ce dernier relatifs à celle-ci accompagnés de brèves remarques.

Avant de considérer ces quelques textes, je rappelle comment Andrew Fulford, après avoir décrit l’ordre naturel de la création, définit ce qu’est croire en la loi naturelle. C’est croire :

  1. Qu’il existe un ordre objectif de l’univers du type décrit ci-dessus ;
  2. Que cet ordre est objectivement visible, présent pour être observé, que l’on porte ou non les lunettes de l’Écriture ;
  3. Qu’au moins certaines personnes non régénérées perçoivent cet ordre.

Il s’agit ici d’un usage large de l’expression “loi naturelle”, comprenant à la fois la révélation naturelle externe (l’ordre objectif du monde créé) et la révélation naturelle interne (qui comprend la conscience et la raison). Ainsi les docteurs de Leyde disent-ils dans leur Synopsis purioris theologiae, au premier locus, que la révélation naturelle interne comprend la vérité naturelle (que j’ai appelé plus tôt “raison”) qui est une connaissance théorique et la loi naturelle (que j’ai appelé plus tôt “conscience”) qui est une connaissance pratique ou éthique faisant impression sur la volonté de l’homme en vue d’une action. Dans cet article, c’est l’usage large qui sera utilisé, mais gardons en tête qu’un usage plus précis existe. Croire à la loi naturelle, selon Fulford, c’est donc croire que ces divers éléments existent et que même des personnes irrégénérées et ignorant tout des Écritures peuvent les percevoir, même imparfaitement.

Définition de la loi naturelle selon Calvin

Le premier texte qu’il est intéressant de considérer, c’est une portion de l’Institution sur les conséquences de la chute où Jean Calvin définit la loi naturelle. Plus tôt, il a affirmé que la connaissance des choses célestes consiste à (1) connaître Dieu, (2) connaître sa volonté paternelle et sa faveur et (3) connaître comment nous devons nous conduire. On pourrait résumer en disant : Dieu, l’Évangile et la Loi.

Il reste à parler du troisième membre de la définition donnée au paragraphe 18 : savoir comment bien mener notre vie, c’est-à-dire connaître la vraie justice des œuvres.

Il semble que l’intelligence humaine est plus adaptée dans ce domaine qu’en ce qui concerne les choses évoquées ci-dessus. L’apôtre indique que les gens qui n’ont point de Loi sont loi à eux-mêmes et manifestent qu’ils ont les œuvres de la Loi écrites dans leur cœur, car leur conscience leur en rend témoignage et leurs pensées les accusent ou les défendent devant le jugement de Dieu par rapport à leurs actes (Romains 2.14-15). Si les Gentils ont naturellement la justice de Dieu imprimée dans leur esprit, ils ne sont donc pas entièrement aveuglés en ce qui concerne la manière de vivre. En fait, c’est une chose bien connue que l’être humain connaît suffisamment la bonne manière de vivre par la loi naturelle, dont parle l’apôtre.

Il nous faut considérer pour quel but cette connaissance de la loi a été donnée aux hommes ; il apparaîtra alors jusqu’où elle peut nous conduire dans la recherche de la raison et la vérité. Cette pensée devient claire dans les paroles de Paul, si nous considérons sa démarche dans le contexte de Romains 2. Il dit juste avant le texte déjà cité que ceux qui ont péché sous la Loi seront jugés par la Loi, et que ceux qui ont péché sans la Loi périront sans la Loi. Comme ce dernier point semblait déraisonnable – que les pauvres peuples ignorants, sans aucune lumière de vie, périssent -, il ajoute aussitôt que leur conscience leur servira de loi, parce qu’elle est suffisante pour les juger selon la justice.

L’objectif de la loi naturelle est donc de rendre l’homme inexcusable. Aussi peut-on la définir convenablement ainsi : elle est un sentiment de la conscience qui lui permet de discerner entre le bien et le mal de façon suffisante pour empêcher l’homme de s’abriter derrière son ignorance, étant condamné par son propre témoignage. Il existe, en l’être humain, un tel désir de se flatter qu’il essaye en permanence, autant que cela lui est possible, d’écarter de sa conscience la connaissance de son péché.

Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, II, II, 221.

Pour Calvin, l’intelligence humaine est plus adaptée pour discerner la façon dont il convient d’agir que pour en apprendre sur Dieu et sur sa faveur envers nous. En fait, l’homme connaît “suffisamment” la bonne manière de vivre. Suffisamment pour quoi ? Pour être inexcusable. C’est ce que déclare aussi la Confession belge, rédigée par Guy de Brès :

Nous le connaissons par deux moyens. Premièrement : Par la création, conservation et gouvernement du monde universel, d’autant que c’est devant nos yeux comme un beau livre, auquel toutes créatures, petites et grandes, servent de lettres pour nous faire contempler les choses invisibles de Dieu, savoir sa puissance éternelle et sa divinité, comme dit l’Apôtre saint Paul. Toutes lesquelles choses sont suffisantes pour convaincre les hommes, et les rendre inexcusables. Secondement : Il se donne à connaître à nous plus manifestement et évidemment par sa sainte et divine Parole, tout autant pleinement qu’il nous est de besoin en cette vie pour sa gloire et le salut des siens.

Confession Belge, article 2.

Commentaire sur Romains

Dieu en soi-même est invisible ; mais parce que sa majesté reluit en toutes ses œuvres et créatures, les hommes devraient le connaître par là, car elles montrent clairement quel est l’ouvrier qui les a faites. Et pour cette raison, l’Apôtre dit aux Hébreux (11.3) que les siècles sont les miroirs ou démonstrations des choses invisibles. Il ne déduit pas par le menu toutes les choses qui peuvent être considérées en Dieu, mais il montre qu’on parvient jusqu’à connaître sa puissance et sa divinité éternelle, car il faut nécessairement que celui qui l’auteur de toutes choses soit sans commencement et subsiste de soi-même. Quand on y est parvenu, alors se montre sa divinité qui ne peut être sans toutes les vertus de Dieu, vu qu’elles y sont toutes comprises.

De ceci il apparaît facilement dans quelle mesure les hommes peuvent profiter par cet démonstration : c’est qu’ils ne peuvent alléguer aucune défense au jugement, ni échapper, qu’à bon droit ils ne méritent d’être condamnés.

Commentaire sur Romains 1.202.

Si la citation précédente, tirée de l’Institution, avait trait à la connaissance des exigences éthiques de Dieu, celle-ci concerne plutôt ce qu’on appelle théologie naturelle, à savoir la connaissance que l’on a de Dieu lui-même par la nature. Selon Calvin, l’homme peut par un raisonnement a posteriori, c’est-à-dire partant des effets et remontant à la cause, savoir que le monde a été créé, que son ouvrier est éternel et tout-puissant et, partant de là, qu’il possède la divinité et tous les attributs (ou vertus) qui sont toutes comprises en cela (bonté, justice, sagesse, vérité, etc.). Là encore, l’effet est de rendre l’homme inexcusable car, comme il l’explique ensuite, l’homme n’a pas rendu l’honneur à ce Dieu qu’il peut pourtant connaître.

Calvin fait encore référence à l’ordre moral dans ce chapitre non pas uniquement pour ce qui est de la conscience de l’homme (révélation naturelle interne pratique) mais aussi pour ce qui est de l’ordre moral externe (révélation naturelle externe). En effet, traitant de l’homosexualité en Romains 1,26, il relève que les hommes “se sont débordés plus que les bêtes, vu qu’ils ont renversé tout l’ordre de la nature”.

En Romains 2,14, il ajoute les remarques suivantes :

Il prouve que les païens ne gagnent rien d’alléguer leur ignorance pour excuse, vu qu’ils montrent par leurs actes qu’ils ont quelque règle de justice. Car il n’y eut jamais nation si barbare et éloignée de toute humanité, qui ne se soit rangée sous quelque forme de lois. Comme toutes les nations d’elles-mêmes s’adonnent à s’établir des lois, on voit donc clairement par là, qu’il y a quelques conceptions premières de justice et droiture imprimées naturellement dans les esprits des hommes. C’est pourquoi on peut bien dire qu’ils ont loi sans Loi, parce que, bien qu’ils n’aient point la Loi écrite de Moïse, toutefois ils ne sont pas dépourvus de toute connaissance de droiture et d’équité. Car autrement ils ne pourraient pas discerner entre la méchanceté et la vertu ; or ils répriment la première par des punitions, ils mettent l’autre en estime et, l’approuvant par leur jugement, ils la récompensent et lui ordonnent un loyer honorable.

Il était courant chez les théologiens, lorsqu’il s’agit de démontrer l’existence de la loi naturelle, de faire appel au jus gentium, au droit des nations. Il ne s’agit pas de confondre la loi naturelle avec les lois des nations mais de relever que ces lois sont une preuve qu’une loi naturelle est gravée dans les hommes. Comme l’a démontré David Sytsma, Jean Calvin utilisait le droit romain comme l’exemple le plus abouti, bien qu’imparfait, d’interprétation du droit naturel. Il considérait que ce droit incarnait avec excellence la loi naturelle et y faisait appel dans son interprétation de la loi mosaïque ainsi que pour discerner ce qui, en elle, relevait du droit positif et ce qui relevait du droit naturel.

Commentaire sur le livre des Actes

Paul et Barnabas ostent yci toute couverture d’ignorance aux Gentils. Car quoy que les hommes se plaisent en ce qu’ils ont controuvé, si est-ce toutesfois que finalement se sentans convaincus d’erreur, ils vienent à ce refuge, qu’il ne leur faut imputer aucune coulpe : mais plustost que Dieu a esté cruel, qui n’a point daigné seulement siffler pour retirer de péril et ruine ceux qu’il voyoit périr. Paul et Barnabas prévienent ceste objection frivole, quand ils monstrent que Dieu s’est tellement caché, que cependant il a rendu tesmoignage de soy et de sa divinité. Or toutesfois il nous faut veoir comment ces deux choses s’accordent ensemble. Car si Dieu a donné tesmoignage de soy, il n’a point laissé le monde errer, entant qu’en luy estoit. A cela je respon que ceste espèce de tesmoignage, de laquelle mention est yci faite, a esté telle, qu’elle ostoit toute couverture d’excuse aux hommes, et non pas qu’elle fust suffisante à salut.

Commentaire sur Actes 14,.173.

Ici Calvin fait une remarque sensiblement similaire à ce que nous avons lu plus haut, à savoir que les hommes, mêmes ceux qui ont été laissé dans l’ignorance quant à la révélation spéciale, sont toutefois sans excuses car ils ont reçu une connaissance suffisante bien que celle-ci ne suffise pas à les mener au salut.

L’intention de Paul est de monstrer quel est le vray Dieu. Or pource qu’il ha affaire, et adresse sa parole à des gens profanes, il veut prouver son dire par la nature mesme de Dieu. Car il n’eust rien proufité d’alléguer les tesmoignages de l’Escriture. J’ay dit que la délibération du sainct Apostre estoit, d’amener les Athéniens au vray Dieu : car ils estoyent persuadez qu’il y avoit quelque Divinité : il ne faloit seulement que corriger leur religion qui estoit corrompue.

Commentaire sur Actes 17,24.

Les Athéniens qui écoutaient le discours de Paul reconnaissaient déjà l’existence d’une divinité mais le culte qu’ils rendaient à Dieu pour ainsi dire, comme tout culte qui n’est pas éclairé de la révélation spéciale, était entièrement à corriger. L’apôtre, dans ce contexte apologétique, ne fait pas appel aux Écritures (ce qui n’aurait pas été profitable, selon Calvin) mais à la connaissance naturelle que les Athéniens avaient de ce qu’est Dieu. Si Dieu est tel que vous savez qu’il est, comment pouvez-vous croire qu’il peut être servi par des mains humaines et dignement représenté par des statues ? Les interlocuteurs païens de Paul, ignorant les Écritures et irrégénérés, avaient néanmoins accès à la création de Dieu et l’apôtre ne se privait certainement pas de cette arme apologétique :

Et qu’est-ce que sainct Paul recueille de ceci, que Dieu est créateur, ouvrier et Seigneur du monde : Asçavoir qu’il n’habite point es temples faits de main. Car veu qu’on peut bien cognoistre par la création du monde, que la justice, la sapience, la bonté et puissance de Dieu, sont espandues outre les limites et bornes du ciel et de la terre : il s’ensuit qu’il ne peut estre enclos en aucunes espaces de lieux.

Commentaire sur Actes 17,24.

Cette connaissance naturelle que Dieu offre à l’homme dans la création rend son incrédulité d’autant plus coupable :

Et d’autant plus est vilein l’aveuglement des hommes, et moins tolérable, de ce qu’en une manifestation de Dieu si claire et évidente, ils ne sont toutesfois touchez d’aucun sentiment de la présence de Dieu. Qu’ils tournent et dressent les yeux de quelque costé qu’ils voudront, et haut et bas, il faut nécessairement qu’ils rencontrent, des vives images de la bonté, sagesse et puissance de Dieu, voire en nombre infini. Car Dieu n’a point couvert sa gloire d’ombrages obscurs en cest ouvrage du monde : mais il a engravé par tout des marques si apparentes, que les aveugles mesmes les pourront recognoistre en tastonnant.

Commentaire sur Actes 17,27.

Calvin s’empresse de préciser toutefois que la vraie connaissance de Dieu, celle qui est à salut, “est un don singulier de sa bonté : veu aussi que la foy, par laquelle seule il est droitement cognu, ne procède que de l’illumination du sainct Esprit : il s’ensuit que nos esprits ne peuvent pénétrer jusques là par la seule conduite de nostre nature.”

Conclusion

Le survol que nous avons proposé était, comme annoncé, bref. On peut relever néanmoins les points suivants, sur la pensée de Calvin :

  1. Les hommes irrégénérés et sans l’Écriture ont accès par la création à une théologie naturelle, c’est-à-dire à une connaissance de l’existence de Dieu, de sa puissance, de son éternité, de sa bonté, de sa sagesse, bref de sa divinité ;
  2. Les hommes irrégénérés et sans l’Écriture ont aussi accès par la création à un ordre moral externe objectif, qu’ils renversent toutefois ;
  3. Les hommes irrégénérés et sans l’Écriture sont encore dotés d’une connaissance naturelle du bien et du mal, imparfaite mais suffisante pour les condamner ;
  4. Le droit des nations est une des preuves de l’existence de ce droit naturel ;
  5. En contexte apologétique avec des personnes ne connaissant pas les Écritures, s’il n’est pas profitable d’en tirer des témoignages, on peut toutefois faire appel comme l’apôtre à la théologie naturelle et à la loi naturelle pour corriger leurs erreurs.

Sur la base de ces témoignages, il est raisonnable de conclure que Calvin croyait en la loi naturelle telle que définie par Andrew Fulford et qu’il était favorable à un usage apologétique de ces considérations. Si une étude plus poussée de la pensée de Calvin sur ce sujet vous intéresse, je vous renvoie à l’étude de Scott Clark à ce propos.


Illustration en couverture : Thomas Doughty, Paysage romantique avec un temple, 1834.

  1. Paul Wells et Marie de Védrines, Institution de la religion chrétienne, mise en français moderne, Kerygma, Excelsis, 2009, pp. 223-224.[]
  2. Toutes les citations du commentaire sur l’épître de Paul aux Romains sont issues de l’édition Kerygma, 1978.[]
  3. Toutes les citations du commentaire de Calvin sur les Actes sont issues de cette édition.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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