Une espérance en ces temps troublés — Timothy Keller — Recension
25 octobre 2022

Je remercie les Editions Clé d’avoir répondu favorablement à ma demande en m’envoyant gratuitement ce livre pour cette recension.


Croyants ou non, nous sommes tous préoccupés et impactés par les événements actuels. À savoir la pandémie qui fait resurgir la peur de la mort, mais qui accentue aussi la solitude, le mal être, la corruption, etc. Ou aussi la guerre : celle en Ukraine, ou en Arménie. Avec, en ce qui nous concerne, l’éventuelle pénurie d’énergie qui nous attend en Europe. Que de raisons pour désespérer face à l’idéal d’un soi-disant monde meilleur qui irait constamment de progrès en progrès. Timothy Keller montre justement dans son livre comment la résurrection de Jésus-Christ peut nous offrir une espérance solide en ces temps troublés.

Comme d’habitude, c’est un livre passionnant et agréable à lire. Keller y combine sa bonne connaissance académique (exégèse, théologie, culture, philosophie, littérature) à ses réflexions pratiques et compatissantes. En cela, c’est un ouvrage interdisciplinaire qui mêle de nombreux sujets (théologie, apologétique, prédication). On en sort encouragé et bien équipé pour affronter les temps durs que nous traversons. Voici un résumé des quatre parties du livre.

I. Une défense de la résurrection de Jésus-Christ

Dans ce premier chapitre, Keller offre une défense concise de la résurrection tout en rappelant en quoi il est crucial qu’elle soit historique et physique, et non pas spirituelle ou une métaphore comme le croient les chrétiens libéraux (par exemple Friedrich Schleiermacher, Albert Ritschl). Il s’appuie principalement sur les arguments de N. T. Wright, un spécialiste du Nouveau Testament, et d’autres comme James Dunn, Peter Williams et Craig Evans. Comme dans ses précédents livres (La raison est pour Dieu et Dieu, le débat essentiel), il reprend trois éléments concluants lorsqu’ils sont pris ensemble :

  1. Le tombeau vide ;
  2. Les témoins oculaires de la résurrection ;
  3. L’impossibilité pour les païens et les juifs de l’époque de croire de manière naïve en la résurrection de Jésus.

Il en conclut qu’il ne suffit pas de reconnaître que la résurrection comme un fait bien avéré par des preuves rationnels. Il faut aussi faire confiance à Dieu, placer sa foi en lui et remettre en question son orgueil. Point qu’il approfondira par la suite.

II. Que signifie la résurrection ?

Dans les chapitres suivants (2 à 5), Keller explique la signification de la résurrection : elle n’est pas juste un simple fait historique comme les autres. Mais c’est un événement radical porteur de sens et d’espérance. Il s’appuiera pour cela sur les travaux de grands noms de la théologie biblique (notamment des réformés) comme Geerhardus Vos (Pauline eschatology, The Kingdom of God and the Church), Herman Ridderbos (Paul, an Outline of his Theology), G. K. Beale (Redemptive Reversals and the Ironic Overturning of Human Wisdom, The Temple and the Church’s Mission).

A. La résurrection : signe d’une espérance à venir (chapitre 2)

Dans ce chapitre, Keller présente le thème du royaume de Dieu dans la Bible et la fameuse distinction du déjà et du pas encore. Christ par sa résurrection a inauguré une nouvelle ère (l’ère du royaume de Dieu, celui dont parle Jésus au début de son ministère). Mais ce royaume pour l’instant n’est partiel et ne deviendra complet qu’à sa seconde venue, quand il viendra pour juger le monde au jugement dernier.

B. La résurrection : signe d’une espérance glorieuse (chapitre 3)

Dans ce chapitre, Keller raconte l’histoire de la Bible en prenant pour fil conducteur le temple et la présence glorieuse de Dieu. Il vulgarise en fait l’œuvre magistrale de Beale sur le sujet (The Temple and the Church’s Mission) qui montre que la Bible entière parle partout du sujet du temple et de la présence de Dieu. Puis il montre comment le fait que Dieu vienne habiter avec nous change les choses radicalement : à la fois dans nos vies individuelles, dans nos Églises et dans le monde en général. Il donne notamment deux exemples concrets : une communauté d’un bidonville à Nairobi au Kenya et toute l’œuvre des missionnaires Francis et Édith Schaeffer envers les étudiants en Suisse.

C. La résurrection : signe d’une espérance subversive (chapitre 4)

Dans ce chapitre, Keller s’inspire de la thèse de Beale selon laquelle un « grand renversement » serait le thème principal de la Bible. Dans toute la Bible, Dieu ne cesse en effet de renverser la prétendue sagesse humaine par la faiblesse (en tout cas ce qui culturellement considéré comme telle). L’exemple le plus frappant est bien sûr le message de l’Évangile dans sa substance même : c’est celui qui repend, reconnaît sa faiblesse, son péché et se tourne vers Dieu pour lui demander sa grâce qui est pardonné. Et non pas celui cherche à mériter sa faveur par de bonnes actions. On trouve énormément d’autres exemples de renversements de ce type :

  1. Le choix par Dieu des fils cadets au lieu des aînés pour recevoir l’héritage du père alors que, dans la culture ambiante, c’était systématiquement l’aîné qui le recevait. Par exemple : Abel au lieu Caïn, Isaac au lieu d’Ismaël, Jacob au lieu d’Ésaü, Juda au lieu de Ruben, Éphraïm au lieu de Manassé, etc.
  2. Le choix par Dieu de femmes stériles, insignifiantes ou méprisées pour être les aïeules de Jésus. Par exemple : Sarah et Rébecca qui étaient stériles, Tamar qui s’est déguisée en prostituée pour trompée Juda son oncle, Ruth une Moabite, membre d’une nation ennemie du peuple de Dieu de l’époque, Anne une autre femme stérile, Bath-Schéba forcée de commettre une adultère avec le roi David contre son mari Urie le Hittite.
  3. Le choix par Dieu du peuple d’Israël non pas malgré, mais précisément pour sa faiblesse.
  4. Le choix par Dieu d’individus faibles pour accomplir des exploits ; par exemple, Gédéon qui était rempli de doute et de peur, Moïse qui n’avait pas la parole facile, le jeune David pour terrasser l’énorme Goliath, l’esclave Joseph pour sauver le monde de l’époque et en particulier son peuple de la famine.

Évidemment, ce schéma se répète encore à notre époque dans nos sociétés actuelles. Ce sont les personnes les plus influentes et les plus aisées qui croient pouvoir se passer de Dieu alors que la foi touche beaucoup plus facilement des gens de catégories sociales plus modestes.

D. La résurrection : le grand renversement à son comble (chapitre 4)

Dans ce chapitre, Keller montre comment le plus grand des coups de théâtre a lieu avec Jésus. Jésus a lui-même vécu et enseigné le grand renversement. Dans son enseignement, il élève ceux qui sont abaissés et abaisse ceux qui sont élevés : ce sont les pécheurs que Dieu accepte, pas ceux qui se croient parfaits et meilleurs que les autres. Et il vainc Satan, la mort et le péché par sa mort sur la croix qui a pourtant l’air d’être une défaite. Keller défend sa thèse à partir du message principal des Évangiles de Marc et de Luc.

III. Des gens du Nouveau Testament qui ont trouvé l’espérance dans le Jésus ressuscité

Dans ces deux prochains chapitres (6 et 7), Keller décrit comment différentes personnes du Nouveau Testament ont trouvé l’espérance grâce au Ressuscité (Pierre, Marie, etc.). Toutes ces rencontres nous questionnent sur notre attitude face à Jésus et montrent qu’il y a plusieurs manières de rencontrer Jésus selon notre arrière-plan :

  1. Marie-Madeleine : Jésus nous offre une relation intime et nous console.
  2. Jean : La foi en la résurrection de Jésus n’est rien de moins qu’un assentiment intellectuel mais il s’agit aussi d’une confiance profonde et personnelle qui donne le salut.
  3. Thomas : Il représente le sceptique qui refuse de reconnaître que Jésus est réellement ressuscité sans le rencontrer en personne, il nous représente aussi, nous qui n’avons pas non plus vu Jésus ressuscité de nos propres yeux mais pouvons quand même croire en lui.
  4. Pierre : La foi en Jésus nécessite de reconnaître sa grâce, qu’on ne peut s’approcher de lui qu’en avouant notre péché, en nous dépouillant de notre orgueil. Exactement comme l’a fait Pierre, lui qui se prenait pourtant avant pour le meilleur des disciples (« Je mourrais pour toi » avait-il dit à Jésus avant de le renier trois fois et même de maudire son nom).
  5. Paul : La foi consiste à abandonner ses croyances trompeuses en un Dieu qu’on s’est façonné à son image. Ici, Paul s’était inventé un Dieu à qui il pouvait plaire et qui le récompenserait s’il était assez bon et pieux. Une fausse conception que Jésus ressuscité est venu corriger en personne.

IV. L’impact de la résurrection dans tous les domaines de notre vie

Enfin, dans les cinq derniers chapitres (8 à 12), Keller explique comment la résurrection du Christ impacte tous les domaines de notre vie. Que ce soit ce sur quoi notre vie est centrée (Dieu ou nos propres désirs), notre progression dans la sainteté, la souffrance et les difficultés de la vie, l’argent, la sexualité, la justice sociale, les relations humaines (offenses, pardon), le rapport à l’avenir. Je serai ici plus long car c’est la partie du livre que j’ai le plus appréciée.

A. La résurrection : l’espérance pour vous personnellement (chapitre 8)

Après avoir expliqué comment plusieurs personnes de l’époque du Nouveau Testament ont trouvé l’espérance en Jésus, Keller va nous montrer comment chacun d’entre nous peut aussi la trouver en lui.

1. La résurrection spirituelle

Tout d’abord, chaque croyant est par définition ressuscité spirituellement le jour de sa conversion, même s’il n’est pas encore ressuscité corporellement : notre vie change radicalement. Alors qu’avant nous étions incapables d’écouter Dieu parce que nous le détestions et préférions les ténèbres, nous sommes désormais réceptifs à sa Parole. Nous sommes enfin capables de l’aimer sincèrement (bien qu’imparfaitement) ainsi que notre prochain. Keller reprend beaucoup les commentaires sur Éphésiens du célèbre prédicateur britannique Martyn Lloyd-Jones.

Ainsi, la résurrection est une réalité que nous pouvons déjà vivre partiellement ici-bas, même avant la résurrection physique après notre mort (2 Corinthiens 5,7 ; 4,6). Au-delà d’une vérité abstraite que l’on peut juste confesser, c’est quelque chose que l’on peut vivre (Éphésiens 1 et 31) : des moments forts et une joie particulière lorsqu’on médite sur l’œuvre rédemptrice de Christ accomplie pour nous à la croix.

2. La sanctification

La résurrection produit aussi en nous un changement du péché vers la sainteté (le processus de « sanctification ») : la progression dans le bien et l’amour de Dieu et dans le rejet du péché tout au long de notre vie. Les deux passages principaux (Éphésiens 4,22-24, Colossiens 3,1-5) décrivent ce changement de deux manières. D’abord comme un « mouvement vers le bas » (« se dépouiller du vieil homme » et « faire mourir nos mauvaises pratiques d’en bas ») puis comme « un mouvement vers le haut » (« se revêtir de l’homme nouveau » et « s’attacher aux réalités d’en haut »).

L’un est forcément lié à l’autre, ce qui est crucial car on ne peut pas abandonner le péché sans aimer Dieu, ni aimer Dieu sans abandonner le péché. L’homme par nature cherchera toujours à fonder son identité sur et à aimer quelque chose de toute sa force. Par conséquent, l’amour mal placé du péché ne peut être éradiqué et remplacé que par un amour supérieur pour Dieu, le meilleur objet de notre amour. Keller dénonce ensuite trois erreurs pratiques :

  1. Croire que la sanctification, c’est juste réussir à dire non au péché. Il veut que nous changions les affections les plus profondes de notre cœur : un changement intérieur et pas juste superficiel. Il faut que nous cherchions les causes profondes de notre péché et les remplacer en Dieu.
  2. Croire que la sanctification, c’est juste faire un maximum d’efforts pour faire le bien. Au fond, Dieu ne désire pas une liste d’actions de notre part. Mais plutôt que nous nous centrions sur lui, que nous méditions sur sa gloire et son oeuvre rédemptrice pour qu’il ait toute la place dans nos vies.
  3. Croire que la sanctification se résume à se culpabiliser au maximum pour ensuite être motivé de faire plus d’efforts. Au contraire, le pardon gratuit de Dieu en Christ nous libère de notre culpabilité et nous remplit ainsi suffisamment de gratitude pour l’aimer encore plus.

Ici, Keller reprend l’analyse de la morale du Nouveau Testament réalisée par Richard Hays, en lien avec les politiques des Etats-Unis de son époque (républicains et démocrates). L’éthique du Nouveau Testament basée sur le « grand renversement » (la croix et la résurrection) tient lieu d’équilibre parfait entre un optimisme naïf (basé exclusivement sur la résurrection) et un ascétisme, voire un dolorisme (basé exclusivement sur la croix).

  1. La résurrection seule ne suffit pas car elle nous fait croire que tout est déjà accompli alors qu’elle n’est que partielle (optimisme naïf) .
  2. La croix seule non plus ne suffit pas car elle nous ferait tomber dans une sorte de désespoir en oubliant la victoire de Christ qui après sa mort est bel et bien sorti du tombeau (pessimisme/ascétisme).

B. La résurrection : l’espérance pour les relations (chapitre 9)

1. La résurrection et le racisme

Keller reprend ici en gros le message principal de la lettre de Paul aux Galates : l’égalité de tout homme dans l’Église quelque soit son origine ethnique2. Étant donné que nous obtenons la faveur de Dieu par pure grâce (gratuitement), il est absurde de chercher à fonder notre identité et notre valeur sur nos origines.

C’est justement pourquoi Paul reprend Pierre pour être temporairement à ses « mauvaises habitudes ». Ce dernier avait refusé de partager un repas avec des chrétiens non-Juifs car il les considérait pour cette raison comme impurs. Ce qui encore n’a pas de sens vu que Pierre lui-même et les non-Juifs sont acceptés par grâce et non par quelqu’autre critère qui dépendrait d’eux. Ici l’ethnie rendue visible par la circoncision ou l’incirconcision.

C’est une problématique très actuelle aux États-Unis, pays depuis lequel Keller écrit son livre. L’Église, comme elle regroupe des croyants de toute origine, est justement le cadre idéal pour manifester une humanité qui s’aime sans faire attention à l’origine de l’autre. Ainsi, les Églises multiculturelles sont celles qui reflètent le mieux le projet de Dieu pour l’Église. C’est une vérité que nous vivrons pleinement au paradis selon ce qui est écrit dans l’Apocalypse. Il y aura des gens et de rois de tout peuple (diversité) qui viendront adorer Dieu mais ensemble unis d’un même cœur (unité).

2. La résurrection et les classes sociales

Les principes moraux du Nouveau Testament vont à contre-courant de la culture prédominante de l’époque. Dans l’Empire romain, il était courant de s’inviter réciproquement à des fêtes pour se créer un réseau. Durant ces repas, toute rencontre était faite seulement par intérêt : j’offre un service à quelqu’un qui me rendra la pareille plus tard. C’est pourquoi comme Jésus le mentionnait (Luc 14,12-14), les invités cherchaient systématiquement à s’asseoir aux meilleures places à table pour avoir accès aux VIP de la soirée. Mais comme évidemment les pauvres n’avaient rien à offrir, ils étaient exclus de la vie sociale.

C’est exactement cette situation que Jésus vient renverser : il invitait ses contemporains à inviter ceux qu’il ne servait pourtant « à rien » d’inviter. Inviter son prochain n’était plus une action à but purement égoïste mais l’occasion de faire preuve de générosité gratuite. On remarquera que cette mentalité règne toujours dans nos sociétés présentes et que cette parole de Jésus reste donc toujours d’actualité. Dans notre culture individualiste où l’égocentrisme est encore plus marqué qu’avant avec par exemple les réseaux sociaux (Instagram, TikTok…), Jésus nous appelle à renoncer à ce paradigme malsain et à vivre l’amour désintéressé.

3. La résurrection et les richesses

La résurrection nous invite à ne pas accorder une importance excessive aux richesses terrestres car notre vrai trésor est dans la vie d’après notre résurrecion avec Dieu. Elle nous invite aussi à déborder de reconnaissance envers Dieu en lui donnant notre offrande (argent) non pas selon une logique de règle (donner absolument ça et ça) mais selon une logique de générosité (« J’aimerais donner plus pour remercier Dieu encore plus »).

4. La résurrection et les relations brisées

La résurrection nous pousse vers des relations restaurées : à imiter le pardon que Dieu nous a accordé en Jésus-Christ en pardonnant ceux qui nous offensent. En particulier dans l’Église (en tant que « communauté des pardonnés par Dieu »). Jésus lui-même n’a éprouvé aucune rancœur envers ses bourreaux.

5. La résurrection et les relations sexuelles

Beaucoup de gens prennent avec joie ce que la Bible a à dire sur l’égalité des hommes tous créés à l’image de Dieu et la justice sociale (l’importance de prendre soin du pauvre, de l’orphelin, l’étranger et la veuve). Mais dès qu’il s’agit de son message sur le sexe, ils sont réticents. Ce qui n’a pas de sens étant donné que dans le Nouveau Testament, l’union du couple est comparée à l’union spirituelle entre le Christ ressuscité et l’Église.

  1. Il faut exclure tout comportement qui ne reflète de façon adéquate cette union, c’est-à-dire tout ce qui contredit le mariage (adultère, relations hors mariage, etc.).
  2. Dit dans l’autre sens, il faut prendre exemple sur Jésus qui a abandonné sa liberté par amour pour l’Église. De même, chaque conjoint est appelé à faire des sacrifices pour le bien de l’autre et à « aimer sans compter ». Ce qui est complètement contraire à la logique de la « révolution sexuelle moderne » qui nous encourage à aimer seulement quand ça nous arrange et que ça « rapporte assez ».
  3. Dieu accorde de l’importance au sexe car pour lui nos corps sont bons. Contrairement à la culture gréco-romaine de l’époque qui méprisait tout ce qui est matériel (donc pas de problème pour utiliser nos corps n’importe comment). En cela, notre société qui considère le sexe comme une simple manière de satisfaire nos appétits animaux est un retour en arrière (mentalité des Romains). La preuve, c’est que Dieu lui-même a daigné prendre chair parmi nous et ressuscité avec un corps glorieux.

C. La résurrection : l’espérance pour la justice (chapitre 10)

En étant les prémices de la nouvelle création, d’un monde parfait où la justice habitera (Pierre), la résurrection nous montre que Dieu se soucie non seulement de notre péché mais aussi de ses conséquences destructrices sur notre société. Famines, guerres, maladies, injustices : tout cela Dieu s’est engagé à les éradiquer du paradis quand il a ressuscité Jésus. Il appelle l’Église à commencer à œuvrer dans ce sens pour annoncer jour où Christ restaurera tout. Ainsi, Dieu accorde une grande importance à la justice.

L’Ancien Testament nous donne une idée de la mission de l’Église. Israël devait être un témoignage puissant de la sagesse et la justice de Dieu parmi les nations qui l’entouraient (Deutéronome). De même, l’Église est appelée à former une Cité qui reflète la justice de Dieu par son amour dans la société. Keller donne quatre aspects sur lesquels travailler :

  1. La justice, c’est traiter tout le monde avec égalité (par exemple ne pas favoriser le riche par rapport au pauvre, Jacques 2,1-7).
  2. La justice, c’est une générosité radicale (par exemple, en Israël, les propriétaires des champs devaient laisser les pauvres glaner une partie de leurs champs, ils devaient abandonner l’idée d’un « profit maximal »).
  3. La justice, c’est plaider pour ceux qui n’ont pas de pouvoir (Dieu ne nous appelle jamais à défendre les riches car ils ont déjà du pouvoir, ceux qui ont manquent dans la Bible sont la veuve, l’orphelin, l’étranger et le pauvre).
  4. La justice, c’est une responsabilité collective et individuelle.
1. La richesse de l’analyse sociale de la Bible

Sur le point de la responsabilité personnelle, La Bible tient le parfait équilibre entre deux écueils : l’individualisme contemporain et le marxisme. Le premier réduit tout à l’individu : « C’est toujours la faute de l’autre, jamais la mienne. » Le second consiste à dire que les actions humaines sont inévitablement prédéterminées par des structures sociales (la société). La Bible au contraire, affirme l’importance de ces deux influences. Nous sommes à la fois :

  1. Acteurs de nos propres choix (Romains 7) ;
  2. Effectivement influencés par des forces extérieures qui peuvent être sociétales mais aussi spirituelles comme le diable (Éphésiens 6,10-13).

La résurrection annonce que Dieu résoudra ces deux problèmes. Il change nos cœurs individuellement et il restaure l’humanité dans une nouvelle humanité (l’Église) : ce qu’il achèvera de faire au paradis.

2. La justice en pratique

Keller donne trois pistes pour passer à l’acte :

  1. Faire preuve de discernement quand on s’engage en politique. Ce n’est pas parce qu’un parti a des convictions en commun avec la Bible que tout le reste est aussi biblique. Keller pense au contexte états-unien où l’échiquier politique oppose les républicains aux démocrates (Keller est membre du parti démocrate).
  2. Servir les autres et considérer tout le monde comme son égal.
  3. Œuvrer au niveau local plutôt que national : le local permet d’agir concrètement alors que souvent le national se réduit à des débats qui ne découlent pas sur des actes.

D. La résurrection : l’espérance dans la souffrance (Chapitre 11)

Dans le sermon sur la montagne (Matthieu 5-8 et Luc 6), Jésus a proposé un système de valeurs à l’opposé de ce qu’on trouve habituellement dans nos sociétés. Au lieu de chercher la richesse et le pouvoir, la luxure, le succès et la renommée, Jésus nous conseille d’opter pour la pauvreté (« Heureux ceux qui sont pauvres d’esprit. »), la faim (« Heureux qui ceux qui sont affamés… »), la défaite (« Heureux ceux qui pleurent… ») et l’exclusion (« Heureux ceux qui sont persécutés… quand on dira du mal de vous… »). Est-ce à prendre au sens littéral (chercher par exemple à perdre tout son argent) ? Le reste de la Bible nous montre que non. Premièrement Dieu a accepté des riches comme Abraham et Job, et deuxièmement les Proverbes contiennent des maximes qui disent de faire attention à notre gestion de l’argent.

1. Les bonnes choses et les choses difficiles

La première liste (richesse, pouvoir, abondance, succès, renommée) correspond aux bonnes choses (les valeurs habituelles de nos sociétés). La seconde (la pauvreté, la faim, la défaite, l’exclusion) aux choses difficiles. En gros, ce que Jésus dit, c’est qu’il faut s’attacher aux choses difficiles avec l’aide de Dieu au lieu de mettre son espérance dans les bonnes choses. En effet, sinon, le jour où les temps difficiles arriveront, nous nous retrouverons déçus, vides et désespérés. Par exemple, dans l’histoire de Jésus avec Lazare et l’homme riche, ce dernier avait beau être riche mais il n’était plus rien après sa mort comme il avait construit toute son identité sur ses richesses.

2. Les choses difficiles et les choses les meilleures

Alors que les choses difficiles reçues avec gratitude, deviendront des bénédictions (« les choses les meilleures » : le royaume de Dieu, être rassasié, rire, une grande récompense dans le ciel) même si au départ on les prenait plutôt comme des malédictions inutiles. La méthode de Jésus est différente du diction courant « Les épreuves nous permettent d’apprendre leçons pour le futur ». S’il n’y a pas de résurrection et de monde après mais seulement notre vie sur terre, cela ne suffira pas à compenser toutes nos souffrances parfois incompréhensibles et insoutenables. Mais le paradis avec Dieu peut renverser la balance.

3. Le reste de la Bible et la souffrance

Comme exemple des béatitudes de Jésus, on a :

  1. Joseph dans Genèse qui est devenu esclave seul loin de sa famille à cause de la méchanceté de ses frères jaloux, mais ensuite premier ministre de l’Égypte, réuni à sa famille réconciliée.
  2. Jacob qui a toujours ressenti le besoin « d’aider Dieu » par ses ruses à accomplir ses plans (Genèse 25 ; 27), . Il a fini par reconnaître pour la première fois que Dieu agit comme il veut lorsqu’il a inversé la bénédiction des fils de Joseph (le cadet au lieu de l’aîné : premier acte de foi de Jacob d’après Hébreux 11,21).

Le reste de la Bible nous donne ces conseils pour rester serein face à la souffrance :

  1. Ne gaspillez pas vos chagrins : Dieu nous fait la promesse dans les Psaumes (126 par exemple) de transformer notre tristesse en joie. Ces moments insupportables finiront tôt ou tard par porter du fruit.
  2. Une joie indicible : d’après 2 Corinthiens 1,8-9, l’épreuve nous permet 1) de vivre un réconfort en Dieu que nous n’aurions jamais pu goûter le cas échéant et 2) d’aider les autres qui vivent aussi des moments d’affliction. Voir aussi 2 Corinthiens 4,16-18.
  3. Ma puissance rendue parfaite dans ma faiblesse : 2 Corinthiens 12,9.

E. La résurrection : l’espérance pour l’avenir (chapitre 11)

Dans ce chapitre, Keller compare l’espérance de nos sociétés sécularisées à l’espérance chrétienne de la résurrection. C’est mon préféré car je trouve que Keller est particulièrement pertinent et clairvoyant quand il analyse la culture séculière occidentale.

1. La dette de l’espérance séculière envers la foi chrétienne

L’espérance séculière doit d’abord son existence à l’espérance chrétienne qui l’a précédée (et que l’Occident a ensuite rejetée à l’époque des Lumières). En effet, avant l’arrivée du christianisme, tout le monde voyait le monde comme une succession sans fin de cycles qui se terminent par une catastrophe puis un recommencement (la palingénésie chez les Grecs, le Ragnarok chez les peuples nordiques, le confucianisme en Chine, etc.). Le christianisme a apporté l’idée possible d’un progrès linéaire : un progrès qui peut continuer sans devoir tout le temps être interrompu et recommencé. Le progrès linéaire est possible parce qu’un Dieu tout-puissant et bon dirige l’histoire de l’humanité qu’il a créée unie. Le seul « recommencement » est le jugement final après quoi s’achève la nouvelle création. Mais il peut quand même y avoir des périodes « mauvaises ».

2. L’essence de l’espérance séculière

En résumé, l’espérance séculière affirme que chaque génération connaîtra une vie plus prospère et meilleure que la précédente. Par exemple, voir la constante synthèse de la thèse et l’antithèse de Hegel, la lutte des classes entre la bourgeoisie et le prolétariat qui aboutit à une justice croissante chez Marx et la sélection naturelle qui aboutit vers des formes de vie de plus en plus évoluées pour Darwin. Pourtant, cette conception optimiste de l’homme a été remise en cause le dernier siècle. Par exemple par l’écrivain H. G. Wells avec les guerres mondiales et les existentialistes tels que Camus et Sartre. Il y a certes parfois de nouvelles paroles d’espérance (discours politiques d’Obama, espoir en la technologie). Mais globalement, on voit toujours beaucoup de craintes (changement climatique, guerre, famine, pandémie, etc.).

3. L’échec de l’espérance séculière et l’alternative de l’espérance chrétienne

L’espérance séculière s’est écroulée parce qu’on s’est rendu compte que la technologie n’est pas synonyme de progrès mais est seulement un moyen qu’on peut utiliser soit pour faire le bien soit le mal. Mais si c’est le mal, il permet malheureusement de le commettre dans des proportions énormes jamais connues auparavant (guerres mondiales, génocides, etc.). Le problème c’est au fond notre nature mauvaise. L’espérance chrétienne est convaincante et meilleure que l’espérance séculière car :

  1. Elle est raisonnable : elle est fondé sur un fait concret et rationnellement attesté qu’est la résurrection de Jésus-Christ (exemple : la défense de N. T. Wright, The resurrection of the Son of God).
  2. Elle est complète : Dieu sauve pas seulement le « spirituel » (le cas de beaucoup de religions qui méprisent la matière) ni seulement le « matériel » (le cas de nos sociétés occidentales séculières matérialistes) mais les deux à la fois.
  3. Elle est efficace : elle ne déçoit mais s’appuie sur un fondement solide qu’est Dieu lui-même.

Illustration en couverture : Anton Joseph von Prenner, La tour de Babel, gravure, 1728-1731 (musée du Louvre, Paris).

  1. Keller reprend l’exégèse de Martyn Lloyd Jones, Archibald Alexander et John Owen.[]
  2. Sa « race » même si ce mot est aujourd’hui très connoté.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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