Le danger de la Réforme — Holger Lahayne
31 octobre 2022

Holger Lahayne est un théologien et missionnaire allemand, pasteur de la paroisse réformée de Vilnius (Lituanie) ; il enseigne aussi dans un institut biblique. Cet article de circonstance, à l’occasion de la fête de la Réformation, a été publié pour le journal chrétien lituanien Bernardinai aujourd’hui.


On trouve dans l’Évangile de Luc une des plus belles paraboles de Jésus, celle de la brebis perdue : Quel homme d’entre vous, s’il a cent brebis et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve ? Lorsqu’il l’a retrouvée, il la met sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il appelle ses amis et ses voisins pour leur dire : « Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé mon mouton, qui était perdu ! » (Luc 15,4-6)

Jésus-Christ est celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Luc 19,10). L’Évangile de Jean l’appelle le Bon Pasteur, qui prend soin de ses brebis et donne sa vie pour elles (Jean 10,11). Ce mot de pasteur décrit le mieux du monde le rôle de Jésus comme sauveur (voir aussi le Psaume 23). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le Bon Pasteur, avec une brebis sur les épaules, ait été une des premières représentations de Jésus dans l’art chrétien (on le trouve en abondance dans les catacombes de Rome). Les chrétiens ont compris dès le début qu’ils étaient, chacun d’entre eux, cette brebis-là ; nous sommes tous des pécheurs égarés qui ne trouvont pas le chemin de retour qui mène à Dieu.

De nos jours, le travail des bergers dans les champs nous semble pittoresque et attirant, et les troupeaux de moutons ou d’autres animaux nous paraissent particulièrement romantiques. Il ne faut toutefois pas oublier que garder des animaux est une tâche très prenante, comme c’est le cas dans l’histoire que raconte Luc. Les moutons ne viennent pas d’eux-mêmes chercher leur berger pour être gardées ; c’est le berger qui va les chercher, les rassemble en un troupeau et les emmène en pâture. Luc raconte que le berger vient, cherche et trouve ; la brebis perdue est retrouvée.

Le célèbre écrivain chrétien C. S. Lewis (mort en 1963), dans son autobiographie Surpris par la joie raconte l’itinéraire qui l’a conduit à Dieu, comment, athée, il est devenu croyant. Mais le protagoniste du livre n’est pas son auteur — ce n’est pas Lewis qui cherche Dieu, mais bien Dieu qui le cherche, qui suit ses pas. Lewis n’utilise pas le champ lexical pastoral, mais d’autres métaphores. Il appelle Dieu « le grand pêcheur », qui l’appâte vers le bord, lui qui frétille comme une carpe. Il se compare aussi à un renard chassé de la forêt qui trace à travers un champ découvert, Dieu à ses trousses ; à une souris qui ne veut rien savoir du chat (Dieu) et prend les jambes à son cou.

Lewis décrit comment Dieu le poursuit et s’immisce dans sa vie. Comment cet écrivain britannique, étant incroyant, voulait « entourer de barbelés les recoins de son âme et mettre un écriteau ‘Accès interdit’. » Il désirait sans cesse « avoir un refuge, même tout petit, mais à lui, où il pourrait dire à tous les autres : ‘C’est mon affaire, ce n’est rien que mon affaire.’ » La sienne, et pas celle de Dieu ! C’est pourquoi il dut abattre ces barbelés.

Égaré dans sa liberté

À l’aube de la Réforme, Martin Luther a lui aussi découvert cette vérité biblique sur l’état de l’homme sans Dieu. En septembre 1517, avant de publier ses fameueses Quatre-vingt-quinze thèses fin octobre, le futur réformateur convia à une Controverse contre la théologie scolastique. « L’homme [déchu] ne peut par nature souhaiter que Dieu existe », écrit le professeur de théologie. Une autre thèse continue : « Il [l’homme] veut au contraire être lui-même Dieu, et que Dieu ne soit pas Dieu. »

L’homme déchu rejette Dieu ; la créature conspire contre le Créateur. Dieu a donné aux hommes sa Loi, mais ils s’en affranchissent. Luther dit : « La volonté de tout homme aimerait mieux que la Loi n’existât pas et qu’elle fût totalement libre. La volonté de tout homme déteste au plus haut point d’obéir à la Loi… » La brebis perdue qui nous paraît si charmante voulait sans doute elle aussi être “totalement libre”, libre du troupeau et des ordres du berger — être une brebis indépendante, une brebis autonome. Après la chute, l’homme est un égaré à cause de sa révolte. Égaré dans sa propre liberté.

Dans les Quatre-vingt-quinze thèses, Luther s’élevait contre les abus des indulgences, mais son combat ne franchissait pas encore les limites de l’enseignement de l’Église romaine de l’époque. Six mois plus tard, par contre, nous sommes en présence d’un vrai réformateur, qui a établi une théologie renouvelée en profondeur. La première fois que Luther la présente, c’est à la Dispute de Heidelberg. C’est dans la capitale du Palatinat, le 26 avril 1518, que le moine Luther expose publiquement ses nouvelles positions.

La dispute fit une forte impression sur l’auditoire. Dans la première partie, Luther examine les bonnes œuvres. Après la chute, elles ne sauvent pas, constate le jeune réformateur. Elles ont beau « briller extérieurement, mais de l’intérieur elles sont pourries », car elles viennent de l’absence de foi. Ensuite, Luther traite de la question du libre-arbitre. Pouvons-nous nous orienter vers le bien par nos propres décisions libres ? Non, car la volonté est prisonnière des griffes du mal, c’est pourquoi « elle n’est libre que de faire le mal ». L’homme a beau « faire tout ce qu’il peut », s’efforcer de toutes ses forces et tenter d’acquérir la justification, en fin de compte il ne commet qu’un « péché mortel ». La mauvaise nature empoisonne toutes les œuvres, comme un mauvais arbre ne porte que de mauvais fruits. L’homme sans Dieu n’est pas seulement égaré, mais prisonnier.

Que peut faire le pécheur pour son salut ? Cette question a séparé les réformateurs des humanistes du temps. Au début du XVIe siècle, le plus célèbre d’entre ces derniers était Érasme de Rotterdam. Lui, l’intellectuel le plus important de son époque, avait aussi constaté ce qui n’allait pas dans l’Église, s’était prononcé pour des réformes et avait de la sympathie pour l’enseignement de Luther. Mais bientôt les chemins allaient se séparer entre les partisans d’une réforme et ceux de la Réforme. En 1524, Érasme publia son traité Du libre-arbitre, l’année suivante Luther répliqua avec le sien, Du serf arbitre.

En s’opposant à Érasme, Luther insiste sur le fait que « le libre-arbitre sans la grâce de Dieu n’est pas libre, mais est en vérité esclave et prisonnier du mal, et ne peut d’aucune façon nous entraîner vers le bien ». Pour le réformateur, « notre compréhension est si obscurcie que nous ne sommes plus capables de connaître Dieu et sa volonté, pas plus que nous le sommes de comprendre et de faire les œuvres de Dieu. De plus, notre volonté est corrompue à tel point que nous ne sommes plus en mesure de faire confiance à la grâce de Dieu et de craindre Dieu. C’est pourquoi nous vivons dans l’indifférence, nous haïssons la parole de Dieu et sa volonté, nous sommes le jouet des désirs et des passions puissantes de notre chair. »

L’homme vit comme emprisonné dans sa nature pécheresse, sans aucun pouvoir de s’en sortir de lui-même. Luther estimait que cette impuissance totale de la volonté humaine à contribuer à son salut était “l’article essentiel” de son enseignement ! Et il loue Érasme pour avoir été “le seul à s’intéresser de lui-même à cette question” et “avoir compris tout seul l’essence de ce sujet”. Ce n’était pas une idée nouvelle ; dès 1520 le réformateur affirmait que l’article sur le serf arbitre “était le meilleur de tous et définissait le plus précisément toute notre affaire”. Tous les autres sujets — même les indulgences —, comparés à lui, ne seraient que “des bagatelles” (Assertion de tous les articles).

L’homme déchu, sans dieu, n’est pas libre car il est mort dans ses péchés (Éphésiens 2,1). De même qu’un cadavre ne peut se réanimer seul, de même l’homme est incapable de rétablir la relation avec Dieu. Il faut noter que les réformés sont entièrement d’accord avec Luther sur ce point. Pour Bullinger, le successeur de Zwingli à Zurich, l’homme n’a qu’une “volonté esclave” et “fait le mal de son propre gré” (Confession helvétique postérieure, IX.3).

Dans la culture contemporaine, différents experts en spiritualité dressent un tout autre portrait. Le XIVe Dalaï Lama, par exemple, déclare : “Tous [les hommes] ont la nature de l’éveillé [bouddha], il y a une semence d’illumination et de perfection en tous.” Cette semence “doit être élevée jusqu’à sa plénitude. Pour y parvenir, il faut que quelqu’un nous aide. Les bouddhistes demandent à un enseignant illuminé, un gourou, de les aider… Quoique nous ayons tous cette nature divine, les chrétiens pratiquants la manifestent, la mettent en œuvre et la perfectionnent par Jésus-Christ.” (Le Dalaï-Lama parle de Jésus : Une perspective bouddhiste sur les enseignements de Jésus)

Le Dalaï Lama a de jolis mots au sujet de Jésus. Le seul malheur est qu’ils n’ont rien à voir avec le christianisme. Les réformateurs n’ont jamais évoqué une semence divine, un potentiel divin en l’homme, mais bien plutôt la servitude de la chute et la misère de vivre sans Dieu (cf. la première partie du Catéchisme de Heidelberg !).

D’abord désespérer de soi-même

Luther approfondit encore dans son ouvrage Du serf arbitre. Il dit que la Bible montre l’homme « non seulement emprisonné, nécessiteux, captif, mal-en-point et mort ». L’homme est par nature également aveugle, ne voyant pas son handicap spirituel. Cet aveuglement se manifeste dans le fait que « l’homme se tient convaincu qu’il est libre, spirituel, sauvé, puissant, sain et vivant. Mais Satan sait : s’il savait à quel point il était miséreux, il ne pourrait garder personne dans son royaume. » Satan a besoin « que les hommes ne se rendent pas compte de leur misère et n’imaginent pas qu’ils peuvent tout faire ».

Dans ses œuvres Du serf arbitre (1525), les thèses de Heidelberg (1518), Controverse contre la théologie scolastique (1517) et ailleurs — partout —, le réformateur nie catégoriquement la capacité de l’homme à se préparer à la grâce de Dieu, à décider librement et par ses propres forces de croire et d’obtenir le salut.

Pourquoi Luther se soucie-t-il tant de ce sujet ? Il fait de son mieux pour faire comprendre à l’homme « que son salut, après tout, ne dépend ni de ses propres pouvoirs, désirs et efforts, ni de sa volonté et de ses actions, mais dépend uniquement de la décision, des intentions, de la volonté et des actions d’une autre personne, qui est Dieu » (Du serf arbitre). Quand quelqu’un comprend cela, il devient « complètement humilié ». Dans cet état, il cesse de se présenter comme meilleur qu’il ne l’est et n’essaie plus de se persuader qu’ « au moins de cette façon, il peut encore contribuer à son salut ». La dix-huitième des Thèses de Heidelberg résume : « En effet, l’homme doit d’abord désespérer de lui-même pour être prêt à recevoir la grâce du Christ. »

L’homme sans Dieu est égaré, prisonnier et aveugle. C’est une vérité qu’il est indispensable d’annoncer, à nouveau et à haute voix. Parce que nous nous sommes déjà habitués à une exaltation exagérée de l’homme, par exemple, dans les livres de Rhonda Byrne (Le secret, etc.). Le salut de soi-même est aussi ce que la grande majorité de la littérature « spirituelle » d’aujourd’hui nous offre. En elle, la grâce est subjuguée à tel point qu’elle se transforme en une sorte de boisson énergétique spirituelle pour renforcer des forces intérieures quelque peu affaiblies. La vision des réformateurs était différente. Ils nous disent que l’homme a besoin non seulement d’aide, mais plus que tout, d’un Sauveur tout-puissant qui puisse nous faire naître de nouveau.

Mais l’enseignement sur la faillite spirituelle, le handicap de l’homme et le besoin de désespérer de soi-même n’est pas populaire. Érasme le considérait même comme dangereux. Il a averti que la « proclamation publique » de l’enseignement de Luther sur le libre arbitre était très « inopportun » ; que pour beaucoup « il ouvrira une grande fenêtre… sur l’impiété. Selon lui, on ôte à l’homme toute incitation à vaincre le mal et à devenir meilleur. Selon Érasme, la méchanceté des gens est déjà suffisante, alors pourquoi déclarer que leurs efforts ne valent rien ?

Érasme se souciait principalement de la vie morale du peuple ; il cherchait à élever le niveau de moralité publique. Luther n’était pas non plus indifférent à l’éthique (voir son discours Sur la liberté chrétienne). Mais il a regardé plus profondément et a parlé avant tout de la vie éternelle. Même avec Érasme, il aurait pu tomber en partie d’accord : oui, mon enseignement est certainement dangereux, mais pas pour la moralité publique, mais pour l’ego de l’homme, pour l’égocentrisme de l’humanité, qui cherche à être indépendante de Dieu. L’enseignement de la Réforme est dangereux pour les gens, ou plutôt pour leurs cœurs endurcis !

Quand on parle parfois beaucoup de l’influence positive de la Réforme sur la société, l’éducation et la littérature, quand la Réforme est principalement associée à la culture et au progrès, quand il y a un grand débat sur la signification de la Réforme pour l’Europe et d’autres grandes choses, ce côté lumineux de la Réforme commence progressivement à couvrir le plan existentiel et personnel que j’ai mentionné. Après tout, c’est elle qui est l’axe cardinal de la Réforme luthérienne ! La Réforme est un défi personnel – avant tout !

Holger Lahayne.

Heureux échange

De l’enseignement de la Réforme sur l’homme, il découle directement que le salut ne réside pas en nous, puisqu’il ne dépend pas de nos capacités et de nos pouvoirs. L’impie, soutient Luther, « est tout à fait dirigé vers lui-même et ses affaires », de sorte que Dieu ne se soucie pas de lui. Une telle personne vit comme dans son propre royaume et dans son palais, veut profiter de sa vie sans être dérangée. Mais « par l’Évangile [de l’extérieur !] vient le Dieu fort, qui vaincra le propriétaire tranquillement vivant du palais. » (Du serf arbitre) Le Christ lui-même conquiert le palais de notre âme.

Ce qui est dangereux pour les impies est en fait la meilleure nouvelle ! Que nous ne puissions rien gagner et échanger avec Dieu signifie en même temps que nous n’en avons pas du tout besoin. Dieu est actif, il renouvelle la relation avec l’homme de sa propre initiative. Ce n’est pas nous qui gravissons l’échelle spirituelle vers Dieu, c’est lui qui vient à nous pour être le Seigneur de sa nation d’alliance. Au cœur de la théologie protestante se trouve Jésus-Christ, qui était venu sur terre et s’était sacrifié pour le salut de son humanité. Il nous est « donné d’être pleinement rachetés et de recouvrer la justice », lit-on dans le Catéchisme de Heidelberg (q. 18). Ce n’est que par lui que nous sommes rachetés, ce n’est que grâce à son sacrifice sur la croix que Dieu nous pardonne nos péchés.

Dieu sauve les pécheurs — c’est ainsi que sonne l’un des résumés possibles de toute la Bible. Dieu adopte l’homme dans sa famille. Comment fait-il ? Il donne la foi, il marque ses enfants avec elle. La foi est d’abord et avant tout confiance personnelle. Luther déclare : « Croire en Dieu ne signifie pas l’appeler Dieu seulement de tes lèvres et l’adorer avec tes genoux, mais lui faire confiance de tout ton cœur… » (Des bonnes œuvres) Le Catéchisme de Heidelberg met l’accent sur le caractère personnel de cette foi : la vraie foi , « c’est… une confiance du cœur que l’Esprit saint produit en moi par l’Évangile et qui m’assure que ce n’est pas seulement aux autres, mais aussi à moi que Dieu accorde la rémission des péchés, la justice et le bonheur éternels, et cela par pure grâce et par le seul mérite de Jésus-Christ. » (q. 21)

Dans De la liberté du chrétien (1520), Luther utilise la comparaison du mariage : la foi relie l’âme « au Christ comme une fiancée à son fiancé… Ce que le Christ a appartient aussi au chrétien. Tous les biens et les bénédictions que Christ a appartiennent à l’âme, et tous les vices et péchés de l’âme sont pris sur lui par Christ. Car si Christ est l’époux, alors il doit prendre pour lui ce qui appartient à Son épouse et lui donner ce qui lui appartient. »

Le vocabulaire nuptial illustre parfaitement les bienfaits de la foi. Spirituellement en faillite, avec un compte en banque à sec et une dette considérable, l’homme est demandé en mariage par le Christ. Il acquiert par là tous les mérites du Christ et transfère ses dettes au Christ. Luther appelle cela « le joyeux échange ». Cet échange est la Bonne Nouvelle !

« Je crois que je ne peux pas croire »

La foi doit être suscitée en l’homme par Dieu lui-même, parce que l’homme lui-même ne peut pas le faire. Parce que « sur le trône du château de la volonté et de l’esprit » règne l’incrédulité (Du serf arbitre). Calvin fait écho à Luther : « L’incrédulité dans le cœur est si profonde et si fermement enracinée que la confiance en Christ ne naît pas de lui-même (IRC, III.2.15). Nous croyons au cœur, mais le cœur est obscurci, comme s’il était de pierre (Ézéchiel 36,26). Par conséquent, Dieu doit donner un cœur nouveau (Ézéchiel 11,19) afin que l’homme puisse croire. La Bible affirme que la foi, comme tout le salut, est un don (Éphésiens 2,8-9).

Luther observe avec justesse dans son Petit Catéchisme : « Je crois que je ne peux pas croire en mon seigneur Jésus-Christ par mon esprit et ma force, ni m’approcher de lui, mais le Saint-Esprit m’a appelé par l’Évangile… » En réduisant les énoncés de la première partie à la pensée fondatrice, nous obtiendrions une expression paradoxale mais biblique : « Je crois que je ne peux pas croire » (voir Marc 9,24 !).

La foi n’est pas notre vertu, pour laquelle Dieu nous récompenserait. Bien que chaque personne croie en quelque chose, la foi qui sauve n’est pas innée. La foi en elle-même n’a pas sauvé ; Dieu a sauvé, en utilisant la foi comme instrument. Le croyant ne contemple pas lui-même et sa foi, mais Dieu. Pour la description de la vraie foi, l’image des mains vides est souvent utilisée ; elle est également mentionnée dans l’hymne de A. M. Toplady Rock of Ages » « Rien dans ma main je n’apporte / Seulement à la croix je m’accroche1. » La vraie foi exprime qu’en présence de Dieu, l’homme n’a rien.

Le Saint-Esprit, qui est l’une des personnes de la Trinité divine, crée la foi en nous. Comment fait-elle ? Luther écrit que « le Saint-Esprit m’a appelé par l’Évangile » ; le Catéchisme de Heidelberg enseigne « que l’Esprit Saint produit [la foi] en moi par l’Évangile » (q. 21). Nous trouvons l’Évangile de Jésus-Christ dans la Bible, la parole de Dieu. Lorsque cette Parole est interprétée et prêchée, Dieu l’utilise et, par son Esprit, touche le cœur de l’auditeur. Dieu vient à l’homme par la Parole.

De nombreux exemples peuvent être trouvés dans le Nouveau Testament, dans les Actes des apôtres. Voici, pendant que Paul prêchait à Philippe, une femme nommée Lydie vint à lui, qui écoutait, et le Seigneur lui ouvrit le cœur, pour qu’elle s’attache à ce que disait Paul. » (Actes 16,14). Tous les auditeurs de cette ville macédonienne n’ont pas cru, car Dieu a touché souverainement par sa Parole, transmise par les lèvres de l’apôtre, seulement quelques cœurs. Par l’Esprit et la Parole, Dieu vient à l’homme, le renaît, change son cœur, lui permettant ainsi de croire et de désirer ce qui est spirituellement bon.

Le Saint-Esprit édifie habituellement la foi « par le ministère de la Parole » (Confession de foi de Westminster, XIV,1). Pour cette raison théologique, dans les cultes protestants, la prédication est considérée comme la partie la plus importante, et le lieu de sa prédication, la chaire, est souvent placé au centre du temple. Ce principe se reflète particulièrement dans l’architecture interne de nombreux temples réformés : tous les auditeurs sont assis en demi-cercle autour de la chaire. Cela ne signifie qu’une chose : pour nous, la chose la plus importante est la parole de Dieu, à travers laquelle nous rencontrons Dieu lui-même. La proximité de la Parole de Dieu est aussi la proximité de Dieu.

Temple heptagonal de l’Église réformée évangélique de Ganges (Hérault), 1851.

De plus, c’est la chaire — du moins dans les temples réformés authentiques — qui est généralement le seul élément soigneusement décoré à l’intérieur. En Lituanie, l’exemple le plus frappant est la chaire de Kėdainiai, qui nous vient du XVIIe siècle. Toutes ses boiseries le proclament : la prédication de la parole de Dieu est la chose la plus importante, et nous lui rendons le plus grand honneur !

Chaire du temple de Kėdainiai (Lituanie centrale), milieu du XVIIe siècle.

Un Ministère dangereux

Les ministres de l’Église proclament du haut de la chaire la parole de Dieu en public et avec autorité. Les ministres ordonnés de nos Églises correspondent aux surveillants ou aux anciens du Nouveau Testament. La tâche des anciens est de prendre soin de tous les membres de l’Église. Souvent, les anciens sont comparés aux bergers du troupeau (Actes 20,28). Jésus est le Bon Pasteur, le gardien des âmes, le « grand berger des brebis » (Hébreux 13,20). Les serviteurs de l’Église sont des « bergers et des enseignants » (Éphésiens 4,11), de sorte que tous les anciens sont essentiellement des pasteurs.

La tâche principale des pasteurs est de veiller à l’ordre, d’enseigner et de protéger la communauté des fausses doctrines. Mais ce n’est pas tout. Être berger signifie plus que simplement enseigner aux gens. Voici ce qu’écrivait Scott Manetsch à propos des pasteurs de Genève à l’époque de Calvin : « La prédication de la parole de Dieu dans les cultes publics était nécessaire, mais pas suffisante. » Des contacts personnels étroits avec les habitants de la ville et des environs de Genève étaient attendus des pasteurs. Les pasteurs « devaient connaître les hommes et les femmes de leurs paroisses, ils devaient prendre soin d’eux et ils devaient les aider à appliquer les vérités de la parole de Dieu dans la vie… » (Calvin’s Company of Pastors: Pastoral Care and the Emerging Reformed Church, 1536-1609, Oxford, 2012) Les pasteurs ne peuvent pas se contenter de la seule prédication depuis la chaire, mais, lorsque c’est nécessaire, ils doivent aussi enseigner en privé ceux qui ne comprennent pas le sermon, ils doivent encourager et réconforter les gens. Le berger doit connaître son troupeau non seulement en général, mais aussi chacun de ses membres individuellement, afin qu’il puisse, si nécessaire, partir à la recherche de la brebis perdue.

Nous pouvons être sûrs que Calvin a pris ces principes en partie de son professeur Martin Bucer. En 1538, le réformateur de Strasbourg publie son traité Sur la vraie cure d’âme et du bon berger chrétien (Von der wahren Seelsorge und dem rechten Hirtendienst). Selon Bucer, le clergé est avant tout des bergers à qui l’on confie le soin des âmes humaines. De même que, selon Ézéchiel 34,16 Dieu est le vrai pasteur, de même les pasteurs de notre temps dans l’Église doivent chercher les perdus, repousser les blessés et fortifier les affaiblis.

Le clergé des Églises évangéliques est composé des pasteurs qui prêchent l’Évangile — le message de réconfort. L’une des premières œuvres de Luther n’est pas appelée accidentellement Pour l’étude de la vérité et le confort des consciences craintives (1518). Et la première question du Catéchisme de Heidelberg tient le même discours : « Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort ? » Et le début de la réponse : «  C’est que, dans la vie comme dans la mort, j’appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur. » J’appartiens au Bon Pasteur et à son troupeau. Dès le début, le but de la Réforme n’était pas seulement de restaurer un véritable enseignement, mais aussi de donner plus de réconfort réel.

Prêcher un message de consolation dans un monde pécheur est dangereux. À cet égard, la Réforme est dangereuse à la fois pour les bergers eux-mêmes et pour tous les prédicateurs de la Parole. Après tout, Jésus, le Bon Pasteur, donne sa vie pour ses brebis (Jean 10,12), il est mort, il est mort sur la croix. Le travail des ministres de l’Église est dangereux et ils doivent défendre le troupeau contre les loups, les faux prophètes, les faux enseignants et les autres ennemis de l’Évangile (Matthieu 7,15 ; 10,16 ; Actes 20,29).

Certains des dirigeants de la Réforme ont suivi les traces de Jésus et sont morts à cause de leur foi. Le sort de Luther était également en grand danger en 1521 ; ce n’est que par la protection d’un prince qu’il est resté en vie. D’autres, comme l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Cranmer, n’ont pas eu cette chance chance. La reine Marie d’Angleterre voulait ramener le pays au catholicisme. Cranmer s’en mêla, ce qui lui valut d’être emprisonné en septembre 1553, il y a 464 ans, puis brûlé à Oxford en 1556 – comme des centaines d’autres membres du clergé et même bien des laïcs entre 1555 et 1558.

Ce n’est pas un hasard si la consolation et la mort sont mentionnées au début du Catéchisme de Heidelberg. À l’heure de la vie et à l’heure de la mort, la foi chrétienne doit prouver son réalisme. Et elle le peut ! La Bonne Nouvelle n’est pas, comme l’affirme le philosophe Arvydas Šliogeris, que « notre vie est gouvernée par Sa Majesté la chance, ou, si vous voulez un autre mot, par le destin ». La Bonne Nouvelle dit que nous sommes entre les mains de la Trinité, Dieu lui-même, ou comme l’explique aussi la première réponse du Catéchisme : je suis la propriété du Christ, qui « m’a délivré de toute puissance du diable » ; je suis protégé par le Père, qui « me garde si bien qu’il ne peut tomber un seul cheveu de ma tête sans la volonté de mon Père qui est dans les cieux, et que toutes choses doivent concourir à mon salut » ; aussi en moi habite l’Esprit saint, qui « m’assure la vie éternelle » et « me soutient » (q. 53).

Dans la première réponse, Dieu est le seul personnage actif — c’est lui qui œuvre, et cela suffit à nous donner la consolation la plus profonde. Mais ne soyons pas dupes : ce n’est pas un Dieu abstrait, ni une énergie, ni une loi d’attraction, ni une sorte d’Un panthéiste ; il n’est pas non plus semblable à un livre sur une étagère — toujours en place, toujours à portée de main, chaque fois que nous en avons besoin. Non, c’est un Dieu qui est une vraie personne, « celui qui est le Vivant, celui qui tire l’autre bout de la corde, celui qui s’approche peut-être de nous à une vitesse extraordinaire, ce Chasseur, ce Roi, ce Fiancé — cela n’a rien à voir. »

Ce Dieu, écrit C.S. Lewis dans Miracles, est un Dieu qui fait froid dans le dos parce qu’il est vivant. Celui qui nous attrape et nous tire, nous qui ne souhaitons que continuer à « nous frayer gentiment dans les eaux de la religion », nous trouve, et nous prend avec lui. Il est dangereux, mais il est bon, le Bon Berger !

  1. Nothing in my hand I bring / Simply to the cross I cling.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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