Horace Monod fils (1861-1910) est le fils du pasteur Jean-Frédéric Horace Monod, dit Horace Monod père, et le neveu du célèbre Adolphe Monod. Au cours de sa brève vie (49 ans), il exerça son ministère à Saint-Jean-du-Gard, puis principalement à Lyon, et enfin à Paris. Comme nous en avons déjà eu l’occasion, nous republions ici un de ses sermons.
Quelque chemin que l’homme suive, il doit rencontrer Dieu au bout. Éloignez-vous de Dieu, si c’est votre ambition, pendant toute votre vie — mais, à la fin de votre vie, c’est Dieu que vous rencontrerez. Et souvent, c’est alors qu’on s’inquiète le moins de cette rencontre, qu’on la rend plus imminente et plus soudaine.
Voici un homme qui est à peu près parvenu à oublier le monde invisible dans les soucis de la terre ; sans s’arrêter, sans respirer, sans regarder au delà, il court après la fortune ; enfin, il va l’atteindre, ou, déjà même, il la possède. Mais au terme d’une dernière étape, au détour d’un dernier chemin, au milieu d’une dernière entreprise, il meurt et rencontre quelqu’un qui l’arrête — quelqu’un qui est le Maître des fortunes comme il est le Maître des âmes, Dieu, à la rencontre duquel il eût fallu se préparer.
Voici un autre homme dont la grande idole est l’orgueil ; c’est vers la gloire qu’il s’élance comme d’autres vers la fortune, à travers tous les obstacles, toutes les peines, tous les dangers, souvent, hélas ! en foulant à ses pieds bien des devoirs et bien des droits, en écrasant bien des rivaux — et, s’il le faut, bien des amis — il la poursuit partout, n’aimant qu’elle, et oubliant Dieu… enfin, il l’a conquise. Il va saisir et poser sur son front cette couronne corruptible, lorsqu’au milieu des hommages qu’on lui apporte, il meurt, et rencontre quelqu’un à qui appartiennent l’empire, la puissance et la gloire éternelle, Dieu, à la rencontre duquel il eût fallu se préparer.
Ainsi, quoi qu’on fasse ou qu’on veuille, quelque but qu’on poursuive, quelque chemin qu’on suive, quelque parti qu’on prenne, il faut, — il faut rencontrer Dieu. Au bout du chemin large comme au bout du chemin étroit, au terme d’une vie consacrée au travail ou gaspillée dans le plaisir, humble ou glorieuse, laborieuse ou facile, courte ou longue, chrétienne ou impie, — il faut rencontrer Dieu. En vain pour l’éviter tu te mettrais en marche à travers les deux mondes… Toujours il sera là. tendre ou sévère, comme un sauveur ou comme un juge, avec ses promesses ou avec ses menaces, avec son enfer ou avec son ciel — mais toujours là — immuable, inévitable, éternel. Écoutez l’antique prière du Psaume : Où irais-je loin de ton esprit ? Et où fuirais-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es ; si je me couche au sépulcre, t’y voilà. Si je prenais les ailes de l’aube du jour, et si j’allais demeurer à l’extrémité de la mer, là-même, ta main me conduirait et ta droite me saisirait. Si je dis : « au moins les ténèbres me couvriront », la nuit même te servira de lumière tout autour de moi ; les ténèbres mêmes ne me cacheront point à toi, et la nuit resplendira comme le jour ; les ténèbres te sont comme la lumière. (Psaume 139,7-12)
Cette rencontre inévitable peut être prochaine. Elle peut l’être pour chacun d’entre nous, et pour plusieurs, elle doit l’être. Lorsqu’on regarde une assemblée, on y voit des fronts qui s’inclinent sous le poids de la vie, des cheveux qui ont déjà blanchi. Un tel spectacle est toujours grave. Mais lorsqu’on le contemple du haut d’une chaire, il devient plus sérieux encore ; il devient solennel par la solennité du lieu, il vous émeut parce qu’il vous rappelle que, pour beaucoup de ceux qu’on voit, les appels de Dieu ne se feront plus entendre pendant longtemps encore, et l’on se sent alors pressé de les répéter, ces appels, avec plus de force, et de redire avec plus d’énergie la parole de mon texte : Prépare-toi ! prépare-toi à la rencontre de ton Dieu !
Une fois la nécessité de nous préparer démontrée, il reste à nous enquérir des moyens de nous tenir prêts.
Eh bien ! il n’y en a qu’un. Il n’y a qu’une manière de se préparer à la rencontre de son Dieu pour l’éternité, c’est d’aller soi-même à sa rencontre dès cette vie ; c’est de faire de cette rencontre inévitable une rencontre volontaire. Au lieu d’attendre que Dieu vous trouve — et il vous trouvera — il faut le chercher vous-même et le trouver ; au lieu d’attendre qu’il soit là, se dressant comme un juge, vous barrant le chemin, il faut aller vous jeter à ses pieds, et l’implorer comme un sauveur. Alors, le juge se penchera vers le coupable ; et ses mains qui devaient punir s’abaisseront pour vous relever en vous bénissant ; vous sentirez que ces mains sont percées, et vous les arroserez de vos larmes.
Vous le voyez, mes frères : il s’agit du Dieu de l’Évangile ; c’est en effet dans l’Évangile, dans la Bible, et non ailleurs, que l’homme peut rencontrer Dieu sur la terre. Vous trouverez Dieu dans la Bible et c’est par la lecture de la Bible, par le respect pour la Bible, par votre obéissance à la Bible, que vous pourrez vous préparer à la rencontre du Dieu de la Bible. Vous rencontrerez Dieu dans la prière, et par la prière, vous vous préparerez à le rencontrer face à face. Vous rencontrerez Dieu dans son temple — oui, dans ce temple même, malgré tant d’imperfections humaines de notre culte, — en y venant régulièrement, fréquemment, en n’y cherchant que lui. En prenant part au culte avec tout votre cœur, vous vous préparerez à le rencontrer sur le seuil de cet autre Temple, où retentit le chant des anges pendant un dimanche éternel. — Vous rencontrerez Dieu chez le pauvre, chez l’orphelin et chez la veuve, au chevet du lit des malades. Allez-y, allez-y, mes frères. Ne laissez pas le pasteur seul les connaître ; chez le pauvre, vous vous préparerez à la rencontre de celui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous ; chez l’affligé, vous vous préparerez à la rencontre de celui qui a été l’homme de douleurs ; auprès du mourant, vous vous préparerez à la rencontre de celui qui est mort sur la croix.
Y a-t-il d’autres moyens de préparation ? Oui, il y en a cent, il y en a mille — mais ils reviennent tous à celui-ci, que nous avons signalé d’abord et qui résume tous les autres : se préparer à la rencontre de Dieu en le rencontrant tout de suite, volontairement, dès ici-bas et pour toujours — en un mot, se convertir, c’est-à-dire se retourner vers Dieu.
… Voici la position de l’homme naturel : il marche en un chemin où d’abord chaque pas qu’il fait l’éloigne de Dieu davantage — et il s’en félicite, l’ingrat et l’insensé ! Il lui semble qu’ainsi, il pourra éviter la rencontre terrible qui s’appelle le jugement de Dieu. Mais ce chemin va en tournant ; c’est un grand cercle, c’est la vie : il vient de Dieu, il va à Dieu, et il ramène au point de départ celui qui est forcé de le suivre, en sorte qu’à l’arrivée, on retrouve celui auquel on avait cru pouvoir échapper en partant, celui qui est l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin.
Ainsi, ce Dieu dont tu t’éloignes, ô pécheur insensé, ce Dieu que tu veux fuir et duquel tu crois te cacher, en refusant de le voir, se rapprochera tout à coup… Penses-tu donc te défendre contre son regard par ton aveuglement, contre sa voix par ton silence — penses-tu le faire taire, en ne répondant pas ? Comment sortirais-tu de ce chemin tournant qui s’appelle la vie, et qui, si long qu’il soit, aboutira toujours à Dieu ?
Ah ! mes frères, n’imitez pas tant de folie, et préparez-vous ! Préparez-vous par la prière, préparez-vous par l’obéissance, par la lecture de l’Evangile et de la Bible, par le culte public, par le culte privé — préparez-vous en un mot par la conversion. Préparez votre cœur : pour la rencontre de ce Dieu dont les yeux sont trop purs pour voir le mal, ôtez de votre cœur les mauvaises passions, les coupables désirs, les indignes ressentiments. Préparez votre esprit : il s’est habitué peut-être jusqu’à ce jour aux pensées frivoles ; maintenant, habituez-le aux pensées sérieuses ; il s’est accoutumé peut-être au doute, maintenant, habituez-le à la foi, pour la rencontre de votre Dieu. Préparez votre conscience : elle est chargée de vos péchés, mettez-les au pied de la croix, couvrez-les du sang de l’Agneau, lavez-les et purifiez-les pour la rencontre de votre Dieu. Préparez toute votre vie : rendez-la pure, rendez-la sainte, rendez-la dévouée, et cachez-la en Christ pour la rencontre de votre Dieu. Cessez de faire toutes les choses qu’on ne peut pas faire en présence de Dieu ; toutes les choses qui ne sont pas honnêtes, toutes les choses qui ne sont pas pures, toutes les choses qui ne sont pas aimables, où il n’y a point quelque vertu et qui ne sont point dignes de louange, bannissez-les de votre vie et de votre pensée, pour la rencontre de votre Dieu.
Dans toutes vos occupations, demandez-vous si celle à laquelle vous vous livrez est celle dans laquelle vous aimeriez qu’il vous surprît, s’il se présentait tout à coup ; dans toutes vos conversations, demandez-vous si la parole que vous dites est bien celle que vous aimeriez qu’il entendît, s’il se présentait tout à coup ; dans toutes vos lectures, demandez-vous si le livre que vous lisez est celui que vous aimeriez qu’il trouvât entre vos mains, s’il se présentait tout à coup.
Au-delà de la vie, à l’issue de cette sombre vallée qui s’appelle la mort, se trouve un lieu plein de mystère, un lieu d’où nul n’est jamais revenu… Dans ce lieu, quelqu’un attend. Qui attend-il ? Il attend les hommes, les méchants et les bons, les pauvres et les riches, les hommes de plaisir et les hommes de prière, les fidèles et les infidèles, les croyants et les incroyants… Je vois sortir deux hommes, l’un après l’autre, de la sombre vallée : l’un marche et l’autre court ; l’un est tout triste et l’autre est tout joyeux ; l’un porte un lourd fardeau sous lequel il succombe, l’autre porte un fardeau léger ; l’un paraît courbé sous un joug invisible qui a courbé son front, si l’autre porte un joug aussi, il se trouve que ce joug est aisé et ressemble à une couronne. L’un est seul et l’autre n’est pas seul ; quelqu’un l’accompagne, qui est son qauveur et son frère. L’un se traine jusqu’aux pieds de celui qu’il ne peut éviter ; l’autre court se jeter dans ses bras…
Dieu dit à l’un : « Qu’as-tu préparé pour notre rencontre, et comment t’es-tu préparé toi-même ? » L’homme demeure chargé de son fardeau, c’est le fardeau de ses péchés ; mais il a apporté autre chose avec lui : son argent et son or, ses hochets d’autrefois, ses titres, ses mérites… Il veut compter son argent. Dieu l’arrête : « Assez, assez d’argent :, as-tu fait le compte de tes voies ? » L’homme veut compter ses titres et ses mérites. Dieu l’arrête : « Assez de titres, assez de mérites : as-tu fait le compte de tes péchés ? » Qu’advient-il de cet homme ? Ouvrez la Parole de Dieu, écoutez les menaces de Jésus-Christ — et vous le saurez.
… Mais regardez l’autre homme : il est sorti de la sombre vallée d’un pas léger, d’un air joyeux — d’un pas léger, malgré son fardeau que son sauveur porte avec lui — d’un air joyeux, malgré ses larmes à travers lesquelles il voyait celui qui l’attendait au bout, car c’étaient des larmes d’amour, de repentir et de foi. Maintenant, le voici qui a rencontré son Dieu. C’est bien son Dieu, car il l’avait déjà rencontré sur la terre. À ses pieds, il dépose son fardeau — ce fardeau, c’était une croix. Dieu ne lui fait point de questions. Il voit la croix, et tout est dit. Dieu ne lui fait point de reproches. Il voit ses larmes et tout est oublié. Dieu ne lui impose point de peines. Il voit sa foi et lui ouvre tout son ciel…
Mais pourquoi essaierais-je, dans mon misérable langage, de vous décrire cette rencontre du pécheur pardonné avec le Dieu qui est son Père ? — Écoutez, écoutez Jésus-Christ :
Je me lèverai, et j’irai vers mon père, et je lui dirai : mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes serviteurs. — Comme il était encore loin, son père le vit, et fut ému de compassion. Et courant à lui, il se jeta à son cou et le baisa. Et son fils lui dit : mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : apportez la plus belle robe et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds, amenez un veau gras et le tuez ; mangeons et réjouissons-nous, parce que mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie, il était perdu, mais il est retrouvé… (Luc 15,18-24)
Perdu, retrouvé ! — Esclave du démon, enfant de Dieu, héritier du ciel ! — Des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie ! Ô mon frère, voilà le plan de Dieu pour ton âme, voilà le dessein de son amour éternel. Amen.
Illustration de couverture : Rembrandt, Le retour du fils prodigue, huile sur toile, 1668 (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage).
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