Comme je l’ai signalé récemment, diverses réponses ont été fournies à mon article sur l’Immaculée Conception chez les Pères. J’ai répondu à celles-ci dans une récente vidéo :
Parmi les réponses qui ont été formulées, une d’entre elle n’a pas été abordée dans la vidéo et est plutôt étonnante. En effet, un catholique du nom de Marc Lesage déclare (nous soulignons) :

Cette remarque revient à dire : « Je n’ai pas trouvé la citation, donc elle est douteuse. » Si l’auteur avait pris la peine de lire mon article de manière attentive, il aurait constaté que, juste en dessous de la citation, je fournis l’analyse que Constance Rousseau, ayant écrit un article dédié à ce texte en 2004, en fait :
Le pape a tiré cette conclusion en différenciant l’engendrement d’Ève et de Marie. Innocent a soutenu qu’Ève avait été produite par l’homme seul, c’est-à-dire créée par Dieu à partir de la côte d’Adam. Ève a été engendrée sans péché mais a engendré dans le péché. Ici, le pape a laissé entendre que Dieu a créé Ève à partir d’Adam sans aucune forme de désir ou de rapport sexuel dans le contexte prélapsaire. Cependant, Marie elle-même a été produite à la fois par l’homme et par la femme, par ses parents (Joachim et Anne). Elle a été engendrée dans le péché mais a engendré sans péché. Ainsi, tout en affirmant dans un certain sens une « conception immaculée » d’Ève ainsi que la virginité de Marie, Innocent a rejeté l’Immaculée Conception de Marie par sa mère Anne1.
Ce sermon d’Innocent III est trouvable très aisément en ligne, puisqu’il figure dans rien de moins que la Patrologie Latine de l’abbé Migne, volume 217, à partir de la colonne 581 où se trouve la citation alléguée :
Ève, conçue sans péché, engendra dans le péché ; Marie, conçue dans le péché, engendra sans péché2.
Les erreurs d’inattention, ça arrive. Cela m’est arrivé également comme je l’explique au début de la vidéo, à propos d’une citation du Dictionnaire apologétique de la foi catholique. Cela m’est encore arrivé avec un spécialiste catholique à propos de saint Éphrem de Nisibe. En effet, dans la version originale de mon article sur Éphrem et l’Immaculée Conception, j’affirmais que ledit spécialiste concluait à une opposition entre le propos d’Éphrem et cette doctrine. En réalité, son propos est bien plus nuancé puisqu’il dit expressément que ce qu’affirme Éphrem n’est pas en opposition directe avec cette idée, mais concède que plusieurs textes « nécessiteraient, pour le moins qu’on puisse dire, une interprétation subtile pour maintenir la doctrine3. » Quelques heures après que j’ai pu constater l’écart entre le propos de cet auteur et ce qu’en disait la source seconde sur laquelle je m’appuyais, j’ai corrigé mon article (le jour même de sa publication, donc). Mon intention n’était pas de tromper, j’ai simplement manqué de rigueur en faisant confiance à une source seconde défectueuse.
Plus étonnant, l’article de Marc Lesage a ensuite été mis à jour avec ce paragraphe :

Le petit problème, c’est que cette phrase ne figure pas du tout dans le discours d’Innocent III, encore moins à la fin de celui-ci. En revanche, quatre colonnes auparavant, les mots cités par Marc Lesage figurent bien… en note de bas de page ! La note est d’ailleurs signée Edit. Patrol., autrement dit elle est des éditeurs de la Patrologie latine. En effet, l’abbé Migne et ses collaborateurs, face à ce texte où Innocent III nie l’Immaculée Conception, ont jugé utile de préciser en note de bas de page que le pape pouvait tenir cet opinion à l’époque, car l’Église n’avait alors pas défini ce dogme. Puis ils disent : « c’est maintenant un dogme de foi : Marie a été conçue sans péché ». Vous pouvez le constater par le scan qui suit :

Comme vous pouvez le constater, cette note numéro 21, qui s’étend sur deux colonnes, est une remarque commentant la phrase du pape qui déclare que Marie fuit in culpa producta (fut conçue dans le péché). Ainsi, non seulement ce texte ne conclut pas le discours d’Innocent III, mais il ne se trouve pas même sous sa plume ; en revanche, la citation que je produisais s’y trouve effectivement, et le texte que Marc Lesage citait me donne raison et donne raison à Constance Rousseau : les éditeurs du texte constatent bien que Innocent III affirme ici l’inverse du dogme catholique actuel, et jugent nécessaire de préciser qu’il a pu le faire car il écrivait avant la définition dogmatique. Avant de publier cet article, j’ai eu soin de signaler cette erreur à Marc Lesage pour qu’il pût la corriger, ce qu’il a fait. Malheureusement, même après avoir pu consulter la Patrologie (puisqu’il en a cité une note de bas de page !), quoique l’authenticité du texte ne fasse pas débat, et malgré le fait qu’elle ait fait l’objet d’une étude aussi récente que 2004, son article continue d’affirmer à l’heure où notre article paraît que la citation d’Innocent III est douteuse, en ces termes (nous soulignons) :

Et le propos est réitéré, sur un ton plus péremptoire encore, en conclusion de l’article :

Voilà des conseils qu’il serait bon d’appliquer à soi-même : certaines de ces erreurs n’ont pu être commises qu’en se fondant par exemple sur une simple capture d’écran sans aller vérifier la source elle-même. Gageons qu’il s’agit d’une erreur et non d’une malhonnêteté et que, dès que Marc Lesage lira notre article, il corrigera le sien une fois de plus, et s’excusera cette fois-ci auprès de ses lecteurs pour ses lignes trompeuses… comme j’ai pu le faire au début de la vidéo en en-tête de cet article ou dans cet article lui-même.
Une dernière remarque. Les formules de l’article de monsieur Lesage, citées précédemment, vous semblent peut-être mécaniques. L’article contient de nombreuses phrases nominales en gras suivies d’explications, ce qui est typique des réponses formulées par les intelligences artificielles. La raison en est que ces paragraphes ont effectivement été rédigés par une intelligence artificielle à partir des prompts fournis par monsieur Lesage, ce que l’on constate lorsque l’on passe l’article dans un détecteur d’IA. Il ne s’agit pas simplement d’un texte humain dont les fautes de frappe, de grammaire ou d’orthographe auraient été corrigées par une IA, mais bien de paragraphes entiers produits par ce moyen. Il serait opportun d’en avertir le lecteur, comme l’a fait notre collègue Étienne Omnès ici lorsqu’il a utilisé cet outil pour produire des résumés de textes.
En bref, Marc Lesage conclut qu’un texte est douteux simplement parce qu’il ne l’a pas trouvé, alors que mon article produisait une étude académique récente sur celui-ci ; il confond une note de bas de page des éditeurs avec le texte d’Innocent III (tout en continuant de dire que le texte est incertain !) et rédige des paragraphes entiers par IA sans le signaler à ses lecteurs.
Je profite donc de cette occasion pour signaler à toute personne qui lit ce site qu’il est aisé de me contacter pour s’informer des sources que j’utilise, me faire part de vos questions, doutes ou objections. Il est aussi possible que je me trompe auquel cas je suis heureux de pouvoir progresser en l’apprenant. Récemment, on m’a reproché par exemple d’avoir trouvé certaines citations de mon article sur saint Éphrem chez un auteur mormon. En réalité, les auteurs cités sont bien chrétiens, mais ils sont relatés par un mormon, qui se trouve être directeur de recherches, diplômé de l’Université pontificale d’Irlande et de l’Université nationale d’Irlande. Cela n’est pas une difficulté pour moi : quelle que soit la confession de l’auteur, son travail peut être utile. Il se trouve ici que c’est son travail en particulier qui a été l’origine de l’erreur mentionnée plus tôt dans l’article et que je serai donc d’autant plus prudent si je suis amené à le lire à nouveau. Il n’en demeure pas moins que son article est utile à d’autres égards et que l’auteur est, sur le plan académique, plus qualifié que moi-même ou que les catholiques qui me répondent ! On m’a encore reproché d’avoir cité l’orientaliste Tatari en raison de sa confession musulmane (ce qui ne serait pas une difficulté non plus pour moi, dois-je rappeler que les pères, Thomas d’Aquin ou même l’apôtre Paul citent des auteurs païens avec approbation ?). Mais ce qui est d’autant plus cocasse, c’est que le livre que je cite dans mon article est co-écrit par Tatari et Klaus von Stosch qui est… diacre catholique et professeur de théologie d’une université catholique.
Quoi qu’il en soit, cette situation a été l’occasion pour Arthur Laisis, contributeur de ce site et professeur de latin, de vous offrir ci-dessous ce qui est à notre connaissance la première traduction complète en français de ce sermon d’Innocent III.
Texte latin et traduction
Sermo XXVIII – In eadem solemnitate [assumptionis gloriosissimae semper virginis Mariae]
Sermon XXVIII – Pour la même fête [de l’Assomption de la très glorieuse et toujours vierge Marie]
Exorde
Quae est ista, quae progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata ? (Cant. VI)
Cum aurora sit finis noctis et origo diei, merito per auroram designatur Virgo Maria ; quae finis damnationis, et origo salutis fuit. Finis vitiorum, et origo virtutum. Oportebat enim, ut sicut per feminam mors intravit in orbem ; ita per feminam vita rediret in orbem. Et ideo quod damnavit Eva, salvavit Maria, ut unde mors oriebatur, inde vita resurgeret. Illa consensit diabolo, et vetitum pomum comedit, secundum illud : Tulit de fructu et comedit, deditque viro (Gen. III) ; ista credidit angelo, et filium promissum concepit, secundum illud : Ecce concipies et paries filium (Luc. I). Illa comedit pomum ad mortem, juxta quod fuerat illi praedictum : Quacunque die comederis, morte morieris (Gen. II) ; ista concepit filium ad salutem, sicut ei fuerat praenotatum : Vocabis nomen ejus Jesum. Ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum (Matth. I). Illa peperit in dolore, secundum illud : Multiplicabo aerumnas tuas et conceptus tuos, et in dolore paries (Gen. III) ; ista generavit in gaudio, secundum illud : Annuntio vobis gaudium magnum, quod erit omni populo ; quia natus est vobis hodie Salvator, qui est Christus Dominus, in civitate David (Luc. II). Illa fuit de solo viro producta, quoniam aedificavit Dominus Deus costam, quam tulerat de Adam in mulierem, sed produxit virum et feminam (Gen. II), haec autem producta fuit de viro et femina, sed solum virum produxit : Quia novum fecit Dominus super terram, femina circumdedit virum gremio uteri sui (Jer. XXXI). Illa fuit sine culpa producta, sed produxit in culpam ; haec autem fuit in culpa producta, sed sine culpa produxit. Illa dicta est Eva, huic dictum est, Ave ; quia per hanc mutatum est nomen Evae. Ave, inquit, gratia plena, Dominus tecum (Luc. I). Quasi diceret : Illa fuit plena peccato, sed tu plena gratia. Illa fuit maledicta in mulieribus, sed benedicta tu in mulieribus (ibid.). Fructus ventris illius fuit maledictus Cain, sed fructus ventris tui erit benedictus Jesus. Cain invidiose fratrem occidit Abel (Gen. IV) ; sed Jesus indiviose fuit occisus a fratribus. Aurora fugatis tenebris lumen mundo ostendit ; tu vero, destructis vitiis, Salvatorem saeculo protulisti ; quia per te populus gentium, qui ambulabat in tenebris, vidit lucem magnam : habitantibus in regione umbrae mortis lux orta est esi (Isa. IX). Illa videlicet, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum (Joann. I). Tu es igitur aurora consurgens, finis videlicet noctis, et origo diei ; finis damnationis, et origo salutis.
Qui est celle-ci qui apparaît comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, mais terrible comme des troupes sous leurs bannières ? (Cantique des cantiques 6,104)
Puisque l’aurore est la fin de la nuit et le début du jour, c’est à raison qu’on désigne la Vierge Marie comme l’aurore, elle qui fut la fin de notre condamnation et le début de notre salut, la fin des vices et le début des vertus. Il fallait en effet que, de même que la mort entra dans le monde par une femme, de même la vie y revînt par une femme. Et ainsi, ce qu’Ève a condamné, Marie l’a sauvé, afin que la vie resurgît de là où la mort avait son origine.L’une consentit au diable et mangea du fruit interdit, selon la parole : elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari (Genèse 3,6). L’autre fit confiance à l’ange, et conçut le fils promis, selon la parole : Voici : tu deviendras enceinte, tu enfanteras un fils (Luc 1,31). L’une mangea le fruit mortel, conformément à ce qui lui avait été prédit : le jour où tu en mangeras, tu mourras (Genèse 2,17). L’autre conçut un fils à salut, conformément à ce qui lui avait été annoncé : tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Matthieu 1,21). L’une accoucha dans la douleur : Je rendrai tes grossesses très pénibles, c’est avec peine que tu accoucheras (Genèse 3,16) ; l’autre engendra dans la joie : je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : et aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur (Luc 2,10-11). L’une fut tirée d’un seul homme, car le Seigneur Dieu façonna la côte qu’il avait prise d’Adam pour en faire une femme ; et il créa ainsi un homme et une femme (Genèse 2). L’autre fut engendrée d’un homme et d’une femme, mais ne produisit qu’un homme. Car le Seigneur a accompli une chose nouvelle sur la terre : la femme recherche l’homme (Jérémie 31,22). La première fut engendrée sans péché, mais engendra dans le péché. La seconde, en revanche, fut engendrée dans le péché, mais engendra sans péché5. La première fut appelée Ève, et à la seconde fut adressé le salut Ave, car par elle le nom d’Ève fut transformé6. Je te salue, dit l’ange, toi à qui une grâce à été faite ; le Seigneur est avec toi (Luc 1,28), comme s’il disait : la première fut pleine de péché, mais toi, tu es pleine de grâce. La première fut maudite parmi les femmes, mais toi, tu es bénie entre toutes les femmes (ibid.). Le fruit du sein de la première fut Caïn le maudit, mais le fruit de ton sein sera Jésus le béni. Caïn tua son frère Abel par envie (Genèse 4), mais Jésus se laissa mettre à mort par ses frères sans envie. Quand les ténèbres s’en sont allées, l’aurore manifeste la lumière au monde ; quant à toi, ayant détruit les vices, tu as donné au monde le Sauveur. Car par toi, le peuple qui marche dans les ténèbres voit une grande lumière ; sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de la mort une lumière resplendit (Ésaïe 9,1). C’était elle qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme (Jean 1,9). Tu es donc l’aurore qui se lève, la fin de la nuit et le début du jour ; la fin de la damnation et le début du salut.
Marie, belle comme la lune
Pulchra ut luna. Sicut rationabiliter asserunt, qui de rerum naturis edisserunt, Luna frigida est et humida. Quia frigida, designat virginitatem ; quia humida, designat humilitatem. Ignis enim, de quo siccitas provenit, quasi levis, naturaliter petit sublimia. Aqua vero, de qua procedit humiditas, quasi gravis, naturaliter petit humilia. Frigiditas ergo et humiditas lunae, virginitas est et humilitas Mariae ; quia frigida fuit contra aestum luxuriae, humida vero contra fastum superbiae. Luna vero tunc est plene pulchra, cum existit rotunda ; et Maria tunc exstitit plene formosa, cum fuit prole fecunda. Felix virginitas, quam ornavit humilitas ; felix humilitas, quam honoravit virginitas. Ne ergo virginitas maledictionem illam incurreret, de qua dicitur : Maledicta sterilis quae non parit (Exod. XXIII ; Deut. VII), comitatur illam fecunditas ; et ne fecunditas immunditiam illam contraheret, de qua legitur : Quis potest facere mundum, de immundo conceptum semine (Job XIV), comitatur illam virginitas. Ne vero virginitas vel fecunditas sententiam illam acciperet, de qua legitur : Omnis qui se exaltat, humiliabitur (Luc. XIV, XVIII), utramque comitatur humilitas. Haec tria simul evangelista commendat, et commemorat in Maria : Cum esset, inquit, desponsata mater Jesu, Maria Joseph, antequam convenirent, inventa est in utero habens de Spiritu sancto (Matth. I). Magna humilitas, quia mater Jesu erat desponsata Joseph. Sancta fecunditas, quia inventa est in utero habens de Spiritu sancto. Pura virginitas, quoniam, antequam convenirent, inventa est in utero habens, non quod post unquam carnali commissione convenirent, quia virgo fuit ante partum, virgo in partu, virgo post partum. Haec est enim porta in domo Domini clausa, et vir non est ingressus per eam (Ezech. XLIV). Hic est hortus conclusus et fons signatus (Cant. IV). Haec est ubus ardens, sed non consumptus (Exod. III). De fecunditate Gabriel angelus praedixit illi : Ecce concipies et paries filium (Luc. I). Illa vero de virginitate respondit : Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco ? (ibid.) Cum autem audivit quod nec virginitas impediret fecunditatem, nec fecunditas auferret virginitatem : Spiritus sanctus, inquit, superveniet in te, et virtus Altissimi obumbrabit tibi ; statim de humilitate subjunxit : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum (ibid.). Fuit ergo Maria pulchra ut luna, virgo scilicet humilis et fecunda.
Belle comme la lune. Comme l’affirment à raison ceux qui ont disserté de la nature des choses, la lune est froide et humide. Parce qu’elle est froide, elle symbolise la virginité ; parce qu’elle est humide, elle symbolise l’humilité. En effet, le feu, d’où provient la sécheresse, étant léger, tend naturellement vers le haut. L’eau, d’où provient l’humidité, étant lourde, tend naturellement vers le bas. Ainsi, la froideur et l’humidité de la lune représentent la virginité et l’humilité de Marie : elle fut froide contre l’ardeur de la luxure et humide contre l’orgueil de la superbe. Or, la lune est pleinement belle lorsqu’elle est pleine ; de même, Marie fut pleinement belle lorsqu’elle fut grosse de son enfant. Heureuse virginité, ornée d’humilité ; heureuse humilité, honorée par la virginité. Afin que la virginité n’encoure pas la malédiction – maudite soit la stérile qui n’enfante pas (Exode 23 ; Deutéronome 77) –, elle est accompagnée de fécondité ; et afin que la fécondité ne contracte pas cette impureté dont il est écrit : Qui fera sortir le pur de l’impur ? (Job 14,4), elle est accompagnée de virginité. Et pour que ni la virginité ni la fécondité ne tombent sous cette sentence : Quiconque s’élève sera abaissé (Luc 14,11 ; 18,14), elles sont toutes deux accompagnées de l’humilité. L’évangéliste recommande et rappelle ces trois vertus chez Marie : Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit (Matthieu 1,18). Grande humilité, car la mère de Jésus était fiancée à Joseph. Sainte fécondité, car elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. Pure virginité, car avant qu’ils ne vécussent ensemble, elle se trouva enceinte ; non qu’ils se fussent unis charnellement par la suite, car elle fut vierge avant l’enfantement, vierge pendant l’enfantement, vierge après l’enfantement. C’est la porte fermée de la maison du Seigneur, nul homme n’est entré par elle (d’après Ézéchiel 44,2). C’est le jardin clos, la source scellée (Cantique des Cantiques 4,12). C’est le buisson tout en feu, mais ne se consumant point (Exode 3,2). Quant à sa fécondité, voici ce que lui annonça l’ange Gabriel : Voici, tu deviendras enceinte, tu enfanteras un fils (Luc 1,31). Mais elle évoqua en réponse sa virginité : Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? (Luc 1,34). Lorsqu’elle entendit que ni la virginité n’empêchait la fécondité, ni la fécondité ne supprimait la virginité – Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre (Luc 1,35), elle y joignit aussitôt son humilité : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole (Luc 1,38). Marie fut donc belle comme la lune, vierge humble et féconde.
Marie, resplendissante comme le soleil
Electa ut sol. Duo praecipue commendantur in sole, splendor et calor. Quia splendet, significat sapientiam ; quia calet, significat charitatem. De sapientia namque legitur, quod ipsa est candor lucis aeternae, et speculum sine macula Dei majestatis, et imago bonitatis illius (Sap. VIII). De charitate legitur, quod ignis est in Sion, et caminus in Hierusalem (Isa. XXXI). Aquae multae non possunt exstinguere charitatem (Cant. VIII). Electa est ergo Maria, quatenus splenderet et caleret ut sol. Splenderet per sapientiam, caleret per charitatem ; quia Spiritus sanctus supervenit in eam, et virtus Altissimi obumbravit eam (Luc. I). Spiritus sanctus est charitas, de quo dicitur : Deus charitas est (I Joan. II). Et virtus Altissimi, sapientia, de qua legitur : Christus est Dei virtus et Dei sapientia (Act. VIII). Audi Mariam interrogantem ex sapientia : Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco ? (Luc. I) Audi respondentem ex charitate : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum (ibid.). Audi sapientiam in Maria : Maria, inquit, observabat omnia verba haec, conferens in corde suo (ibid.). Audi charitatem in ea : Magnificat anima mea Dominum, et exsultavit spiritus meus, in Deo salutari meo (ibid.). Supervenit igitur in eam Spiritus sanctus, ut ad concipiendum in corpore daret ei charitatis affectum. Propter quod legitur, quia Christus natus est de Spiritu sancto ex Maria virgine. Et virtus Altissimi obumbravit ei, ut ad concipiendum in corde daret ei sapientiae intellectum. Propter quod legitur : Beata quae credidisti, quoniam omnia completa sunt tibi a Domino (ibid.). Concepit in corpore Verbum, quod caro factum est, et habitavit in (Joan. I) ea. Concepit in corde Verbum, quod erat in principio apud Deum, et Deus erat Verbum (ibid.). Electa igitur est ut sol, quatenus in sole posuit tabernaculum summ, et ipse tanquam sponsus procedens de thalamo suo (Psal. XVIII).
Resplendissante comme le soleil. Nous devons au soleil deux qualités principales : sa splendeur et sa chaleur. Parce qu’il brille, il symbolise la sagesse ; parce qu’il chauffe, il symbolise la charité. De la sagesse, en effet, on lit qu’elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu, une image de sa bonté (Sagesse 7,26). De la charité, on lit que l’Éternel a un feu dans Sion et une fournaise dans Jérusalem (Ésaïe 31,9), et encore que les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour (Cantique 8,7).Marie est donc resplendissante : elle brille et réchauffe comme le soleil. Elle brille par sa sagesse, elle réchauffe par sa charité, car l’Esprit Saint est venu sur elle et la puissance du Très-Haut l’a couverte de son ombre (d’après Luc 1,35). L’Esprit Saint est la charité, selon ce qui est dit : Dieu est amour (1 Jean 4,8). Et la puissance du Très-Haut est la sagesse, dont il est écrit : Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu (1 Corinthiens 1,24). Écoute Marie demander avec sagesse : Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? (Luc 1,34). Écoute la charité en elle lorsqu’elle répond : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole (Luc 1,38). Écoute la sagesse en Marie : Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur (Luc 2,19). Écoute la charité en elle : Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit a de l’allégresse en Dieu, mon Sauveur (Luc 1,46-47). L’Esprit Saint vint donc sur elle pour lui donner de concevoir dans son sein un amour ardent. C’est pourquoi on dit que le Christ est né de l’Esprit saint et de la vierge Marie. Et la puissance du Très-Haut la couvrit de son ombre, pour lui donner la sagesse. C’est pourquoi il est écrit : Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur (Luc 1,45). Elle conçut dans son corps la Parole, qui a été faite chair, et qui a habité en elle (d’après Jean 1,14). Elle conçut dans son cœur la Parole, qui était au commencement avec Dieu, et la Parole était Dieu (Jean 1,1). Elle est donc resplendissante comme le soleil, puisque Dieu a placé une tente pour le soleil, et celui-ci [est] semblable à un époux quisort de sa chambre (Psaume 19,5-6).
Marie, terrible comme des troupes sous leurs bannières
Terribilis ut castrorum acies ordinata. Scriptum est enim quia sapientia vincit malitiam (Sap. VIII), inter quas in hac vita mortali grandis et gravis excercetur conflictus. Pro sapientia namque pugnat et expugnat chorus virtutum : pro malitia vero pugnat et repugnat exercitus vitiorum ; quia non est conventio lucis ad tenebras, neque Christi ad Belial (II Cor. VI). Castra vitiorum quasi ducem sequuntur superbiam, de qua dicit Scriptura : Initium omnis peccati est superbia (Eccle. X). Castra vero virtutum, quasi ducem sequuntur humilitatem, de qua dicit Maria : Respexit humilitatem ancillae suae ; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes (Luc. I). Acies ergo castrorum, id est plenitudo virtutum ita fuit in virgine ordinata, ut de se vere dicere possit : Introduxit me rex in cella vinariam, et ordinavit in me charitatem (Cant. II), ut postquam in ea plenitudo divinitatis corporaliter habitavit (Coloss. II), vicit ex toto malitiam. Quoniam, ut vehementer opinor, ex tunc fomes peccati, languor naturae, stimulus carnis in ea fuit non solum sopitus, sed prorsus exstinctus : ut de extero non concupisceret caro adversus spiritum, sed plena gratia, vitiis et daemoniis terribilis appareret.
Terrible comme des troupes sous leurs bannières. Il est écrit en effet que la sagesse triomphe du mal (d’après Sagesse 7,30), et entre ces deux forces, dans notre vie mortelle, se livre un combat grand et difficile. En effet, le chœur des vertus combat et attaque pour la sagesse ; pour le mal, c’est l’armée des vices qui combat et résiste ; car il n’y a aucune communion entre la lumière et les ténèbres, ni accord entre Christ et Bélial (2 Corinthiens 6,14-15). Le camp des vices a pour chef l’orgueil, dont l’Écriture dit : L’orgueil est le principe de tout péché (Siracide 10,15). Le camp des vertus, quant à lui, a pour chef l’humilité, dont Marie dit : Il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Car voici : désormais, toutes les générations me diront bienheureuse (Luc 1,48). Ainsi, l’armée des vertus, c’est-à-dire la plénitude des vertus, fut si bien ordonnée en la Vierge que l’on peut véritablement dire d’elle : Il m’a introduite dans la maison du vin ; et la bannière qu’il déploie sur moi, c’est l’amour (Cantique des Cantiques 2,4), comme elle a entièrement triomphé du mal après que toute la plénitude de la divinité a habité corporellement en elle (d’après Colossiens 2,9). Car, je l’affirme fortement, dès cet instant la concupiscence du péché, la faiblesse de la nature et l’aiguillon de la chair en elle ne furent pas seulement calmés, mais tout à fait anéantis, de sorte que sa chair ne convoitait rien du dehors contre l’esprit, mais que, pleine de grâce, elle apparaissait terrible aux vices et aux démons.
Péroraison
Ipsa est ergo aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata. Luna lucet in nocte, aura in diluculo, sol in die ; nox autem est culpa, diluculum poenitentia, dies gratia. Qui ergo jacet in nocte culpae, respiciat lunam, deprecetur Mariam, ut ipsa per Filium cor ejus ad compunctionem illustret. Quis enim de nocte invocavit eam, et non est exauditus ab ea ? Ipsa est mater pulchrae dilectionis et sanctae spei (Eccli. XXIV). Qui vero ad diluculum poenitentiae surgit, respiciat auroram, deprecetur Mariam, ut ipsa per Filium cor ejus ad satisfactionem illuminet. Quis enim devote invocavit eam, et non est exauditus ab ea ? Ipsa est mater pulchrae dilectionis et sanctae spei (Eccli. XXIV). Quia vere militia est vita hominis super terram (Job VII) [nam mundus positus est in maligno (I Joan. V)], caro concupiscit adversus spiritum (Gal. VI), oculus depraedatur animam (Thren. III), mors ingreditur per fenestras (Jer. IX) : nec est nobis colluctatio tantum adversus carnem et sanguinem, sed adversus spiritualia nequitiae in coelestibus, adversus rectores tenebrarum harum (Ephes. VI). Adversarius enim noster diabolus tanquam leo rugiens circuit, quaerens quem devoret (I Petr. V) : quicunque sentit impugnationem ab hostibus, vel a mundo, vel a carne, vel a daemone, respiciat castrorum aciem ordinatam, deprecetur Mariam, ut ipsa per Filium mittat auxilium de sancto, et de Sion tueatur (Psal. XIX), ipso praestante, qui est super omnia Deus benedictus in saecula saeculorum.
Amen.
Elle est donc l’aurore qui se lève, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, mais terrible comme des troupes sous leurs bannières. La lune brille dans la nuit, l’aurore à l’aube, et le soleil en plein jour. La nuit, c’est la faute, l’aube la pénitence, et le jour la grâce. Celui donc qui gît dans la nuit du péché, qu’il regarde la lune, qu’il implore Marie, afin qu’elle illumine son cœur vers le repentir par son Fils. Car qui donc l’a invoquée de nuit sans avoir été exaucé par elle ? Elle est la mère du pur amour, de la crainte, de la connaissance et de la digne espérance (Siracide 24,24). Celui qui se lève à l’aube de la pénitence, qu’il regarde l’aurore, qu’il implore Marie, afin qu’elle illumine son cœur vers la réparation par son Fils. Car qui donc l’a invoquée avec dévotion sans avoir été exaucé par elle ? Elle est la mère du pur amour, de la crainte, de la connaissance et de la digne espérance. Car vraiment le sort de l’homme sur la terre est celui d’un soldat (Job 7,1), puisque [le monde entier est au pouvoir du Malin (1 Jean 5,19), que] la chair a des désirs contraires à l’esprit (Galates 5,17), que l’œil souffre pour l’âme (Lamentations 3,51) et que la mort est montée par nos fenêtres (Jérémie 9,20) : car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les pouvoirs, contre les dominateurs des ténèbres d’ici-bas, contre les esprits du mal dans les lieux célestes. (Éphésiens 6,12). Notre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer (1 Pierre 5,8) : que quiconque sent l’assaut de ses ennemis, que ce soit du monde, de la chair ou du démon, regarde les troupes rangées sous leurs bannières, qu’il implore Marie, afin que par son Fils, elle t’envoie du secours, et de Sion te soutienne (Psaume 20,3), ce à quoi pourvoit Dieu lui-même, qui est au-dessus de toutes choses et béni aux siècles des siècles.
Amen.
Illustration de couverture : Hélios, Séléné et les travaux des mois, mosaïque, VIe siècle (Beït Shéan, monastère de la Dame Marie).
- Constance Rousseau, « Produced in Sin: Innocent III’s rejection of the Immaculate Conception », in Frances Andrews, Christoph Egger, Constance Rousseau (éd.), Pope, Church and City. Essays in Honour of Brenda M. Bolton, Leyde / Boston : Brill, 2004, pp. 53-54.[↩]
- Le latin porte : Illa [Eva] fuit sine culpa producta, sed produxit in culpam ; haec [Maria] fuit in culpa producta, sed sine culpa produxit. ; Migne, PL 217, colonne 581.[↩]
- Michael O’Carroll CSSp, « The Immaculate Conception and Assumption of our Lady in Today’s Thinking », in John Hyland (éd.), Mary in the Church, Dublin : Veritas, 1989, 44-56 ; citation p. 45.[↩]
- Les citations bibliques sont données dans la traduction de Louis Segond dite « à la Colombe », à l’exception des citations des livres deutérocanoniques, prises dans la traduction de la Bible de Jérusalem.[↩]
- Le pape Innocent III put penser ainsi, à propos d’un sujet sur lequel l’Église n’avait pas encore statué, mais qui est maintenant un dogme de foi, à savoir que Marie a été conçue sans péché (note des éditeurs de la Patrologie latine).[↩]
- Cet anagramme est fréquent chez les Pères et théologiens latins.[↩]
- Citation approximative, peut-être un souvenir de Job 24,21 : pavit enim sterilem, quae non parit.[↩]
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