J’ai souvent vu citer cette parole de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » comme une preuve automatique de la fondation biblique de la laïcité républicaine française. Or, nous avons déjà défendu que ce n’est pas la meilleure façon de le comprendre. Ainsi que le disait Maxime Georgel : « Les réformés considèrent que, si nous devons rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, cela n’exempte pas César de rendre à Dieu ce qui lui revient. Et ils comprennent le passage qui dit que le royaume du Christ n’est pas de ce monde comme signifiant que son origine est céleste, mais que cela n’annule certainement pas le fait qu’il est le roi des rois et que ceux-ci doivent donc obéir à leur Roi. »
Et c’est déjà la position qu’à Ossius de Cordoue, une grande figure de l’Église… du IVe siècle, au temps de la crise arienne !
Ossius de Cordoue est un évêque déjà âgé du temps de Constantin, qui est connu pour sa grande fidélité et son orthodoxie irréprochable. Il a traversé la persécution de Dioclétien sans flancher. Ce fut lui, et nul autre, qui proposa à Constantin le mot de même substance (ὁμοούσιος homoousios) comme gage de l’orthodoxie contre les ariens au concile de Nicée. Si aujourd’hui, nous retenons surtout Athanase, il faut se rendre compte qu’Ossius était tout aussi important pour les contemporains. Dans les décennies qui suivent, il mobilise ses collègues contre les intrigues ariennes qui font tomber tant de ses collègues orthodoxes pour qu’ils soient remplacés par des évêques ariens. À force de militer pour l’orthodoxie nicéenne, il finit par attirer l’attention des ariens, qui ont à peu près fini leur « nettoyage » à l’est de l’Empire. Ossius fait alors l’objet d’immenses pressions de la part de Constance II et ses fonctionnaires pour communier avec les ariens et condamner Athanase. Ossius refuse en rappelant à l’empereur sa juste limite.
Ne vous immiscez pas dans les affaires ecclésiastiques, et ne nous donnez pas d’ordres à leur sujet ; mais apprenez-les de nous. Dieu a remis entre vos mains le royaume ; à nous, il a confié les affaires de son Église ; et comme celui qui voudrait vous ravir l’empire résisterait à l’ordonnance de Dieu, craignez aussi de votre côté qu’en vous attribuant le gouvernement de l’Église, vous ne vous rendiez coupables d’une grande faute. Il est écrit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Il ne nous est donc pas permis d’exercer un pouvoir terrestre, et vous n’avez pas non plus, Sire, le droit de brûler de l’encens. Je vous écris ces choses dans l’intérêt de votre salut.
Athanase, Histoire des ariens, § 44.
À ceux donc qui prétendent que la parole de Jésus « Rendez à César ce qui est à César, etc. » soutient la laïcité républicaine, Ossius de Cordoue montre une plus juste interprétation :
- S’il y a bien une séparation des affaires cultuelles et des affaires civiles, c’est tout de même à l’Église d’enseigner au magistrat ce qu’il doit faire en matière de politique ecclésiale. L’Église est un acteur politique normal.
- La légitimité et l’intégrité de l’Église est égale à celle de l’État, et voici pour le message de la parole de Christ. Cette égalité est radicalement contraire à la laïcité à la française.
- Ossius fait cette recommandation par souci du salut de l’empereur. Il ne vise pas la neutralité religieuse, mais prend pour acquis que le meilleur intérêt du magistrat est de connaître et obéir à Christ.
Ce qui, comme nous l’avons dit, correspond à la doctrine réformée historique.
Découvrir les PèresIllustration de couverture : Maurcy Gottlieb, Christ enseignant à Capharnaüm, 1878.
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