Pourquoi nous ne sommes pas trithéistes — Grégoire de Nysse
10 septembre 2023

Grégoire de Nysse est un des pères cappadociens (le trio de théologiens qui a fondé le langage trinitaire classique et apporté les arguments décisifs lors de la crise arienne du IVe siècle). Des trois pères cappadociens, ce fut Grégoire de Nysse qui avait les capacités philosophiques les plus grandes, et par sa grande compétence, il a aidé beaucoup de nicéens à trouver les mots et les formulations les plus convaincantes pour répondre aux objections ariennes.

Ce qui suit est la synthèse d’une des lettres qu’il a envoyé à Ablabius, qui lui demandait de répondre à l’accusation de trithéisme envoyée par les ariens de l’époque.


Ablabius a demandé à Grégoire de Nysse de répondre au dilemme arien suivant : « Soit vous reconnaissez que le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas divins, soit vous êtes trithéistes. »

En effet, si Pierre, Jacques et Jean sont trois substances séparées d’une même nature humaine, pourquoi ne pas appliquer cette logique à la Trinité ? Trois exemplaires séparées d’une même nature divine ? Grégoire reconnaît la difficulté de l’objection et avertit Ablabius : même s’il n’arrivait pas à répondre correctement à l’objection, Ablabius devrait tenir ferme à la tradition chrétienne, et continuer de chercher une raison auprès du Seigneur.

Même si notre raisonnement n’est pas à la hauteur du problème, nous devons garder à jamais, ferme et inébranlable, la tradition que nous avons reçue par succession des Pères, et chercher auprès du Seigneur la raison qui est l’avocat de notre foi ; et si elle est trouvée par quelqu’un de ceux qui sont doués de grâce, nous devons rendre grâce à Celui qui a accordé la grâce ; mais sinon, nous devons néanmoins, sur les points qui ont été déterminés, conserver notre foi de manière inaltérable.

Grégoire de Nysse, « Not Three Gods », in Nicene and Post-nicene fathers, série 2, volume 5, p. 615.

Ici, se contenter de dire : « on refuse le trithéisme parce que nous ne sommes pas païens ou polythéistes » ne suffit pas face à ceux qui proposent un modèle alternatif comme les ariens.

Grégoire commence sa réponse ainsi : Techniquement, il est faux de dire « Pierre, Jacques et Jean sont des hommes » : ce qu’ils sont, ce sont des personnes particulières, et leurs noms désignent ce qu’ils ont de différent et de spécifique. En sens inverse, l’humanité est une, unique et inchangeable. En toute rigueur, il est faux de parler « d’hommes » au pluriel donc et il faudrait renoncer à cet usage. Bien sûr, un tel usage est impossible à changer, mais c’est important de le noter.

Il faut ensuite comprendre que les noms que nous donnons à la divinité ne décrivent pas ce qu’elle est en elle-même : si je dis que Dieu est immortel, je dis juste qu’il n’a pas de mortalité. Si je dis qu’il est celui qui donne la vie, je décris ce qu’il fait, et non ce qu’il est. Et ainsi de suite : les noms divins sont les noms des opérations divines, et non des descriptions de sa nature. Le mot même de Dieu, Θεός, theos vient du verbe « contempler » (θεῶμαι) en référence à la providence de Dieu1.

Or, qui regarde l’univers pour y pourvoir ? Une seule personne de la Trinité, ou les trois ensemble ? Les Écritures attribuent aux trois personnes cette providence.

  • Le Père : vois, ô Dieu ! Ps 84,10.
  • Le Fils : Et Jésus, voyant leurs pensées, Mt 9.4.
  • Le Saint-Esprit : Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ ? Actes 5,3 → Le Saint-Esprit a « vu ».

Objection : Même si l’on admet que « Dieu » est un nom lié aux œuvres de Dieu, il n’empêche que lorsque les opérateurs sont plusieurs, nous utilisons le pluriel : des orateurs, des fermiers, etc. Vous devriez donc dire, en toute logique « des dieux ».
→ Même lorsque les hommes partagent la même œuvre, ils la font chacun dans leur coin, et on ne peut pas dire que c’est une œuvre commune et unique. Dans la divinité au contraire, il n’y a pas une seule œuvre que les personnes n’accomplissent ensemble, qui ait son origine dans le Père, et procède à travers le Fils, et s’achève dans le Saint-Esprit. Si Dieu nous donne la vie, ce n’est pas le Père ou le Fils ou le Saint-Esprit à part : c’est l’ensemble des trois qui donne une seule et unique vie, sans séparation dans leur action. Les œuvres de la Trinité étant inséparables, nous n’avons pas de raison d’utiliser le pluriel pour désigner Dieu.

Un exemple : ce n’est pas Jésus seul qui sauve sans le Saint-Esprit : le Fils réalise le salut voulu par le Père par le moyen du Saint-Esprit. Or d’après 1 Timothée 4,10, il n’y a qu’un seul Dieu Sauveur. Donc il n’y a pas trois dieux, mais un seul.

Objection : « Dieu » n’est pas un terme d’opération, mais de nature.
→ Si vous voulez, mais c’est tout de même bizarre de dire que Dieu est au-dessus de tout nom, et que « Dieu » est son nom. Même en admettant l’objection, on en revient à ce que l’on disait au début : techniquement, il ne faudrait pas utiliser le pluriel associé à un nom de nature. En effet, ce ne sont pas les natures qui sont plurielles, mais les instances séparées : on ne dit pas « il y a beaucoup d’ors » mais « il y a beaucoup de pièces d’or ».

Appliqué à l’homme, c’est vrai que l’on utilise le pluriel appliqué à la nature. Mais c’est là une conséquence de la coutume, et non la vérité. Il est écrit de façon très claire dans l’Écriture qu’il n’y a qu’un seul Dieu et une seule nature divine. Nous n’avons donc aucune raison d’étendre cet abus de langage à la nature divine.

Objection : Tu mélanges les personnes.
→ Nous les distinguons par leur causalité : l’un est la cause première, l’autre est issu de la Cause et il est le seul à avoir cette relation. Ce langage de relation ne décrit pas la nature divine : il ne s’applique strictement qu’aux personnes entre elles, sans référence à leur nature. Qu’un arbre soit planté naturellement ou par un jardinier, cela ne change rien à la nature de l’arbre, par exemple.

C’est ainsi que nous avons la diversité de personne et l’unité de nature.

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Illustration : José Ferraz de Almeida, Le baptême de Jésus, 1895.

  1. Il s’agit d’une étymologie populaire, préscientifique.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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