Cette homélie touchante a été prononcée par mon collègue, professeur d’Ancien Testament à la faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence) et à l’université de théologie d’Utrecht, Gert Kwakkel, le 21 septembre 2023, à l’occasion de la rentrée académique de la Faculté. Il me tenait à cœur de la rendre disponible à ceux qui n’ont pas pu l’écouter ce jour.
Nous remercions Gert Kwakkel pour son aimable autorisation.
23 Je vous enverrai le prophète Élie avant que n’arrive le jour de l’Éternel, ce jour grand et redoutable. 24 Il ramènera le cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des enfants vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays de destruction.
Malachie 3,23–24 (version Segond 21).
Un des problèmes de nos jours est celui des différences – parfois même des tensions – entre les générations. Ou est-ce que c’est plutôt un problème dans tous les siècles ?
En tout cas, ce problème était d’actualité à l’époque de notre texte, celle du prophète Malachie. Dans notre texte, il est question de ramener le cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des enfants vers leur pères. Si les cœurs des gens d’une génération doivent être ramenés vers ceux d’une autre, il est évident qu’il y a une rupture, qui nécessite une réconciliation.
Pour réaliser cette réconciliation, Dieu annonce envoyer le prophète Élie. C’est là une annonce bien effrayante. En effet, Élie intervint en tant que prophète de Dieu à l’époque du roi Achab et de la reine Jézabel. Cette époque fut dominée par l’apostasie et l’idolâtrie. Si Dieu se sent obligé d’envoyer ce prophète encore une fois, il est à craindre que la situation actuelle soit aussi mauvaise que dans ces jours.
Avec Malachie, nous sommes arrivés à une période plus tardive, plusieurs siècles après Achab et Élie. À l’époque de Malachie, les Israélites avaient déjà été déportés hors de la terre promise, vers l’Assyrie et Babylone. C’était le jugement de Dieu sur leur infidélité incessante. Pourtant, plusieurs de ceux qui ont survécu sont revenus au pays de Canaan et s’y sont installés de nouveau.
Malheureusement, il s’avère que leur attitude n’a pas changé. C’est pourquoi Malachie leur annonce l’avènement du jour de l’Éternel, jour où il va encore juger son peuple. Si Élie ne vient pas et qu’il n’établit pas la réconciliation des générations, il y a un risque réel que Dieu frappe le pays de destruction (comme il le dit au v. 24). Voilà un autre élément bien effrayant : frapper une nation de destruction correspondait au jugement que Dieu avait prévu pour les habitants autochtones de Canaan, en raison de leur corruption. Maintenant, ceux qui écoutent Malachie doivent se rendre compte qu’un jugement similaire peut les frapper eux aussi, s’ils continuent à se comporter de la même manière que ceux-ci.
Ce message n’était pas seulement d’actualité à l’époque de Malachie, au Ve siècle avant Jésus-Christ. Cinq siècles plus tard, au Ier siècle de notre ère, Jean-Baptiste annonça également l’avènement du jugement de Dieu. Ce faisant, il joua le rôle d’Élie, comme l’a dit Jésus : Jean-Baptiste est cet Élie qui devait venir (Mt 11,14).
Cette annonce de Jean-Baptiste prononcée il y a vingt siècles n’est pas quelque chose de passé seulement, loin de là. Le jour du Jugement dernier s’approche encore. Si nous ne nous convertissons pas à Dieu, par la foi en Jésus-Christ, nous risquons toujours d’être frappés de destruction.
Notre texte est donc lourd de menaces. Il faut les prendre au sérieux. Mais s’il faut prendre les menaces au sérieux, il en va de même pour la promesse de Dieu concernant l’avènement d’Élie. Frapper les siens de destruction, ce n’est pas ce que Dieu préfère. Il prend donc des mesures pour le prévenir. Depuis les jours de Malachie, Dieu n’a pas changé. Il nous envoie toujours des personnes telles qu’Élie ; des hommes de Dieu, qui nous avertissent et nous appellent à la conversion.
Notre travail d’ici, à la faculté Jean Calvin, s’inscrit dans la mise en œuvre de ces mesures prises par Dieu. Ici, nous travaillons à la formation des Élies de notre temps. Si vous désirez devenir évangéliste ou responsable d’une église, votre désir s’inscrit dans la réalisation du même plan de Dieu.
Or, notre Faculté transmet la tradition de l’Église aux futures générations. Nous enseignons la foi des anciens enseignée aux jeunes, afin qu’il y ait de la continuité et unité dans la même foi.
Parfois, il y a des conflits ou des tensions entre les générations, dans les Églises, parmi les fidèles. Alors, les vieux peuvent avoir tendance à croire que ce sont les jeunes qui ne font pas le bien. Ce sont eux, les jeunes, qui doivent changer.
On pourrait penser que c’est bien cela que fait cette faculté. En effet, c’est la foi des anciens qui y est enseignée aux jeunes. Notre objectif est que ceux-ci connaissent mieux cette foi et arrivent à la partager.
Dans notre texte, il y a un élément subtil qui pourrait changer cette perspective ; ou, au moins, y ajouter quelque chose, la corriger dans une certaine mesure. C’est que Dieu parle d’abord de ramener le cœur des pères vers leurs enfants. Ce n’est qu’ensuite, dans un deuxième temps, qu’il parle de l’inverse : ramener le cœur des enfants vers leur pères. Dieu ne mentionne donc pas les jeunes en premier lieu, comme si c’étaient surtout eux qui ont besoin de se changer. Non, il commence son travail parmi les anciens !
En Luc 1,17, l’ange Gabriel fait référence à notre texte. Lui, il va même encore plus loin, pour ainsi dire. En effet, il supprime le deuxième élément, celui de ramener le cœur des enfants vers leurs pères, et le remplace par quelque chose d’autre. En parlant de Jean Baptiste, il dit : Il marchera devant Dieu avec l’esprit et la puissance d’Élie pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants et les rebelles à la sagesse de justes.
Bref, ici, dans cette faculté, ce ne sont pas seulement les étudiants qui ont quelque chose à apprendre. Il en va de même pour les professeurs.
Que Dieu nous donne donc beaucoup d’amour et d’estime, les uns pour les autres, afin que nous travaillions vraiment ensemble, à la formation des Élies de notre temps. Amen !
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Illustration de couverture : Thomas Matthews Rooke, Élie prophétise à Achab et Jézabel leur fin, huile sur toile, 1879 (Bournemouth, Russell-Coates Art Gallery).
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