La réconciliation entre virginité et mariage
15 janvier 2025

Dans un échange l’année dernière, Maxime me confiait comment il n’y avait qu’un seul point où, en tant que protestant réformé, il se sentait vraiment en opposition avec les pères de l’Église : leur vision du mariage et de la virginité.

Dans la vision d’un Grégoire de Nysse, d’un Méthode d’Olympie ou d’un saint Jérôme, on trouve les éléments suivants : Le mariage n’est qu’une concession face au feu de la chair. La vraie vie spirituelle pour un chrétien (et très vite, la seule vie spirituelle), c’est une vie de célibat consacré. Tout comme le divorce n’est autorisé par Dieu qu’à cause de la dureté de notre coeur, le mariage n’a pas d’autre légitimité que la concession face à la faiblesse de notre chair.

La virginité en revanche est une anticipation de notre état final, et c’est pourquoi il convient hautement qu’un chrétien vraiment spirituel doit s’y consacrer. En très peu de temps, on en vint même à dire que la seule vie vraiment chrétienne était une vie de célibat.

Cette vision a été combattue -non sans maladresses- au IVe siècle par des prêtres isolés comme Jovinien. Mais elle n’a vraiment été objectée et remplacée que par les réformateurs, qui ont supprimé les monastères pour relocaliser le coeur de la vie religieuse dans la famille, et non plus l’ermitage. A ce sujet, nous recommandons Ils ont réformé la famille, de Mutzenberg. Depuis, cette vision semble être une curiosité archéologique : c’était, dit-on, l’idée folle de chrétiens intoxiqués par le platonisme, qui n’aimaient pas la famille, qui n’avaient pas compris la Bible et ainsi de suite. Même les catholiques, après avoir maintenu cet idéal jusqu’au XXe siècle, l’ont abandonné et glorifient la Famille autant que les protestants désormais, en oubliant ce célibat monastique qui les embarasse.

Alors pourquoi revenir dessus? Parce que je lis les pères, et que je lis de plus en plus de traités de défense de la suprématie du célibat, j’y ai donc un intérêt personnel. Parce que Parlafoi a pour but d’exposer la sagesse des pères, et nous ne pouvons pas nous contenter d’un simple mépris du passé. Il nous faut expliquer pourquoi nous prenons ceci et pas cela. Enfin, parce que je veux continuer de publier mes notes de lectures sur les pères, et que plusieurs d’entre eux défendent la suprématie du célibat. Je ne souhaite pas faire un long article sur le sujet aussi j’attaquerai directement le contenu :

1. La voie de la non-réponse.

C’est la voie la plus empruntée actuellement : on ignore leur position, et quand on la connaît, on la condamne sans réfléchir comme étant une hérésie platonicienne. Le problème c’est que ce n’est pas vrai de tous les pères. Certes, un Grégoire de Nysse tient clairement une vision du monde platonicienne d’une grande pureté, et qui explique la virginité à partir de ce point de vue. Mais cette vision n’est pas si absurde que l’on imagine. Dans une époque de pornographie et de brutalité, le platonisme d’un Grégoire de Nysse est une eau fraîche pour l’âme, qui lui rappelle que les passions humaines sont temporaires, et qu’elles sont des auxiliaires et non la force principale de l’âme. Je préfère le platonisme à n’importe quelle doctrine de psychologie évolutionniste.

D’autre part, des pères comme Saint Jérôme savaient développer des arguments bibliques auxquels je n’avais pas de réponse jusqu’à la semaine dernière. En effet, dans 1 Corinthiens 7, j’ai bien du mal à ignorer le fait que même si Paul ne méprise pas le mariage, il n’empêche qu’il considère le célibat comme plus grand que le mariage. Il est toujours gênant, quand on est réformé, de ne pas se sentir en ligne avec l’enseignement apostolique. Surtout quand vous lisez des pères qui semblent développer une interprétation exagérée, mais globalement cohérente de ce passage.

Aussi, même si les chrétiens ordinaires n’ont pas besoin de se torturer l’âme là dessus, le chrétien curieux fera bien de chercher une réponse à la suprématie virginale.

2. Le mariage est un bien distinct de la virginité (Augustin)

A l’époque même de Saint Jérôme et Jovinien, il y avait une via media qui évitait de tout mettre à égalité d’une part (Jovinien hier, nos milieux protestants aujourd’hui), et évitait de dégrader le mariage en une sous-vocation charnelle d’autre part (contre Jérôme). C’est la voie de Saint Augustin dans son De Bono Conjugali.

Sans refaire son argument déjà paru dans l’article récent, contre Jérôme il réaffirme que le mariage n’est pas une concession, mais un bien honnête et intègre, comme peut l’être la santé : un jour viendra où nous n’aurons plus seulement la santé, mais l’immortalité. En attendant être en bonne santé est toujours un bien en soi, et non une sous-immortalité, ou une concession face à la peur de la mort. Pour le reste de l’argument, je vous renvoie vers l’article, sinon mieux : le livre de Saint Augustin lui-même.

3. Les deux voies de glorifications

Je propose aujourd’hui encore une autre réponse, qui se focalise sur l’argument eschatologique en faveur de la virginité : dans l’état final, nous serons dans un état virginal (cf Mt 22.30 et parallèles). Donc les chrétiens qui s’engagent dans une vie de célibat consacré choisissent de vivre dès maintenant la vie spirituelle future, alors que les chrétiens qui restent mariés sont engagés dans une vie charnelle appelée à être détruite.

C’est ce que j’appellerai ici la glorification par voie d’anticipation. Glorification est à prendre au sens du catéchisme de Westminster : Quel est le but de la vie ? Connaître Dieu et le glorifier pour toujours. , Glorifier Dieu, c’est vivre pour lui dans chaque aspect de notre vie, en lui attribuant l’honneur et la louange qui lui sont dus, tout en trouvant notre joie ultime en lui.

Les chrétiens antiques mettaient l’accent de cette glorification dans l’anticipation de l’état final. Même après l’avènement de Constantin, le Royaume de Dieu était d’après eux une réalité toujours à venir, et la meilleure façon de témoigner la venue du Royaume de Dieu était de vivre à la façon de ce royaume futur, en stricte application de 1 Corinthiens 7,29-31

Voici ce que je dis, frères : le temps est court. Que désormais ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, et ceux qui usent du monde comme s’ils n’en usaient pas, car la figure de ce monde passe.

Comme on le voit, cette voie de glorification est apostolique et inexpugnable. Mais il y a une autre façon de glorifier Dieu, et c’est celle dont nous sommes plus conscient à notre époque : la glorification par voie de rédemption.

Par rédemption, j’entends la réorientation de la vie séculière et ordinaire vers un ordre et un fonctionnement conforme à la volonté de Dieu, ici et maintenant. Vivre pour Dieu en se réappropriant la création d’une façon régénérée, rachetée. C’est le motif néo-calviniste du mandat créationnel, sur lesquelles certaines traditions récentes réinsistent. Dans cette voie de rédemption, on glorifie Dieu en rachetant le monde pour qu’il redresse sa voie vers la volonté initiale de Dieu. Ce chemin fut ouvert par les réformateurs, et nous en sommes les arpenteurs.

Cette voie est aussi prescrite par l’apôtre Paul en Romains 12.1-2

Je vous encourage donc, mes frères, au nom de toute la magnanimité de Dieu, à offrir votre corps comme un sacrifice vivant, saint et agréé de Dieu ; voilà quel sera pour vous le culte conforme à la Parole. Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréé et parfait.

4. Application

Ce n’est pas une dissertation de dogmatique, aussi je n’irai pas plus loin (ici) dans l’élaboration de la distinction entre glorification par voie d’anticipation et glorification par voie de rédemption. Mon objectif principal est atteint : nous pouvons respecter les Pères, qui n’avaient en tête que la voie d’anticipation, mais nous proposons et insistons aussi sur la voie de rédemption, qui passe à travers cette création-ci, et l’outil que Dieu nous as donné pour la racheter et la gérer : les familles.

Considérant l’enseignement apostolique ;
Considérant ensuite que nous faisons face à un risque de dépopulation (encore différent de celui que les anciens ont connus) ;
Considérant les attaques répugnantes et extraordinaires contre la famille qui est en danger d’être dissoute et disparaître de la société si elle n’est pas défendue et pratiquée avec acharnement ;
Je déclare saints et dignes d’éloges les parents de famille nombreuses, qui mettent tous leurs efforts à bâtir des familles pieuses qui rachèteront la Création pour leur Maître.

Considérant l’enseignement apostolqiue ;
Considérant la tradition de l’Église ;
Considérant la grande convenance du célibat consacré pour le ministère chrétien,
Je déclare saints et dignes d’éloges les célibataires consacrés, qui laissant tout derrière pour tendre les mains devant, choisissent ce qu’il y a de meilleur dans l’anticipation de la récompense céleste.

Je ne méprise pas les pères du passés. Je veux simplement honorer les saints du temps présent.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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