Le De bono conjugali de saint Augustin
3 janvier 2025

J’ai entrepris de lire de manière suivie les œuvres de saint Augustin et proposerai sur le blog des recensions de chacune des œuvres lues, si Dieu le permet. J’ai déjà proposé une recension du De utilisante jejunii (De l’utilité du jeûne), du De patienta (De la patience) et du Contra mendacium (Contre le mensonge).

Contexte

« Du Bien du mariage », un titre étrange, non ? Qui voudrait donc remettre en cause la bonté du mariage ?

Augustin faisait en réalité face à deux fronts. À Rome s’était présenté un certain Jovinien qui tenait ce discours aux vierges de Rome : « êtes-vous plus saintes qu’Abraham ? Etes-vous plus saintes que Sara ? Et pourtant ils étaient mariés. Cessez donc de dire que la virginité vaut mieux que le mariage. » Mais Augustin avait aussi en tête, peut-être mieux que quiconque, la doctrine des Manichéens contre le mariage. Il faut dire aussi que Jérôme, en répondant aux Joviniens et défendant la virginité, l’avait tellement exaltée qu’on en venait à douter que le mariage fut un bien.

Ainsi, pressé des deux côtés, Augustin était aidé pour trouver la vérité. Bien souvent, en effet, l’erreur nous sert d’avertissement pour redresser notre raisonnement.

Contenu

Contre Manès et Jovinien, donc, Augustin maintient que la virginité est un bien supérieur au mariage, mais que le mariage demeure un bien. Il ne s’agit pas en effet de les comparer comme on compare l’impureté au mariage lorsqu’on dit « il vaut mieux se marier que brûler de désir ». En effet, dans cette situation, l’un est un bien et l’autre un mal. Le mariage et la virginité se comparent donc comme deux bien. Comme la santé et l’immortalité. Comme la foi et la charité. La santé finira, la foi sera remplacée, le mariage prendra fin. Mais l’immortalité, la charité et la virginité sont éternelles.

Augustin précise son propos en ajoutant que cela ne signifie pas que toute vierge est préférable à toute épouse. En effet « la conclusion serait la même, qui peut en douter, si nous comparions une vierge adonnée au vin, à une épouse sobre. Le mariage et la virginité sont deux biens dont le second est plus grand que le premier. Mais la sobriété et l’obéissance sont des biens, tandis que l’ivresse et la révolte sont des maux. Il vaut mieux n’avoir que des biens, même petits, qu’un grand bien doublé d’un grand mal. Il est préférable d’avoir la courte taille de Zachée, avec la santé, que la haute stature de Goliath, avec la fièvre1. »

En passant, Augustin condamne non seulement l’adultère et la fornication mais la sexualité immodérée dans le mariage. Les premiers sont des péchés mortels, la seconde est vénielle seulement. Par sexualité immodérée, il entend la sexualité qui n’est pas faite dans le but de procréer. Et il faut être ici prudent. Trop nombreux sont ceux qui ont conclu de cela que pour Augustin le plaisir sexuel était mauvais. Ce n’est pas ce qu’il (il dit en fait tout le contraire). Ce que dit Augustin, c’est que le plaisir n’est pas la finalité de la sexualité et ne doit donc pas être le but de l’agent. Il en est de même pour d’autres actes naturels comme la nourriture, qui procure un plaisir mais qui doit être recherchée parce qu’elle nourrit : « Ce qu’est la nourriture pour la santé de l’homme, le mariage l’est pour la santé du genre humain. L’usage de l’un et de l’autre ne va pas sans un plaisir charnel, plaisir qui, mesuré et réduit par la tempérance à ses satisfactions naturelles, ne saurait être regardé comme une dépravation. » (Augustin, De bono conjugali, XVI.18.) Il précise encore son propos en commentant cette citation de De bono conugali dans les Rétractations (II, XXII) : « Le bon et légitime usage d’une passion n’est pas une passion2. »

Réflexion

Si je rejoins Augustin dans le fait qu’un acte sexuel ne doit jamais être détourné de sa finalité procréative (que ce soit par des moyens aborto-contraceptif comme la pilule, le stérilet ou l’implant ou par des moyens purement contraceptifs comme les méthodes barrières, le retrait ou les spermicides), je pense que la sexualité n’a pas pour unique but la procréation mais aussi l’union des conjoints dans l’amour. La nature elle-même nous l’enseigne dans le fait que la femme, même en dehors de son indisposition menstruelle, n’est pas toujours féconde. Or il est évident que la sexualité est licite dans ces périodes infécondes. Par ailleurs, une exégèse naturelle de plusieurs sections des Écritures comme le Cantique des cantiques, pour ne citer que le plus clair, manifeste assez que la sexualité et l’union dans l’amour vont de pair, même alors qu’on voudrait voir dans ces sections une allégorie de quelque chose de plus grand. Là encore, mon accord avec Augustin est plus grand que mon désaccord et bien moindre que le désaccord avec la culture contraceptive et libertine de notre âge. En effet, chercher la sexualité par amour et volonté d’union est une toute autre chose que la chercher pour satisfaire un plaisir. Ainsi, la passion peut être canalisée dans une volonté aimante envers le conjoint et un projet familial sérieux. Et c’est aussi cela être un homme maître de soi : diriger ses pulsions vers des projets nobles et fructueux, comme la formation d’un foyer et le service de son épouse. On est loin de la seule quête égoïste ou partagée du plaisir, n’apportant jamais le bonheur.

  1. Augustin, De bono conjugali, XXIX.[]
  2. libido non est bonus et rectus usus libidinis dans Augustin, Rétractations II, XXII.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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