Ce commentaire a en partie été rédigé en conversation avec Grok, l’IA de xAI. Je mets le lien pour consultation. Les intuitions de base et la rédaction de cet article sont cependant bien de mon fait.
Les trois premiers chapitres de Samuel ont traité de son ascension au ministère de prophète. Le quatrième chapitre est tout entier préoccupé par la chute du ministère d’Eli. Au cours d’une bataille avec les philistins, les israélites croient pouvoir l’emporter en apportant l’arche sur un champ de bataille. Loin de les aider, c’est la catastrophe, où l’arche est capturée et les fils d’Eli sont morts. Eli et sa belle-fille meurt en entendant la nouvelle.
Contexte
Quel âge peut avoir Samuel à ce moment-là ? Au v1, il est écrit qu’il est déjà connu en Israël, mais il n’est visiblement pas assez âgé pour faire concurrence ou pour remplacer les fils d’Eli. Je propose donc qu’il ait entre 15 et 18 ans, assez jeune pour être connu et reconnu, mais pas trop pour ne pas être une figure d’autorité ou pour combattre avec Israël.
Les philistins dont il est question sont issu du même fond ethnique que les grecs (Caphtor → Mer Egée? cf Jérémie 47.4 Amos 9.7): c’est un « peuple de la Mer » technologiquement et militairement bien plus avancé qu’Israël (chars, travail du fer). A cette époque où l’Egypte est divisée et les pays mésopotamiens en effondrement, les philistins sont l’ennemi le plus formidable de l’Israël du moment. Ils sont des ennemis d’Israël depuis le début du livre des Juges (cf Shamgar Jg 3.31) mais n’ont fait que monter en puissance depuis. Ils sont même l’adversaire principal de Samson, un des derniers juges, peut être quelques décennies à peine avant les évènement de 1 Sam 4.
Découpage
- v 1-11 Défaite militaire d’Israël
- 1-2 Première bataille
- 3-4 Délibération d’Israël et décision de prendre l’arche
- 5-9 Réaction et dialogue des philistins
- 10-11 Deuxième bataille catastrophique
- v12-22 Disparition de la charge d’Eli.
- 12-18 Mort d’Eli
- 19-22 Mort de sa belle-fille.
Ce chapitre se caractérise par un travail très soigneux sur le rythme du récit, et sur les perceptions des personnages.
Verset à verset
v1-11 Défaite militaire d’Israël
Comme je le disais, le rythme du chapitre est très travaillé : la première bataille est très accélérée, à peine quelques mots. Soudainement le temps se dilate pour donner beaucoup de détails sur les perceptions et réactions des Israélites puis des philistins. Une tension « de claquage » se construit. Et puis la deuxième bataille et le temps se contracte et s’accélère à nouveau, rapide comme la foudre qui tombe sur Israël.
v 1-2 Première bataille
Ainsi la parole de Samuel était pour tout Israël. Israël sortit à la rencontre des Philistins pour le combat. Ils dressèrent leur camp près d’Eben-Ezer, et les Philistins dressèrent leur camp à Apheq. ‘
- Aucun contexte n’est donné, aucune explication sur la politique qui a mené à cette guerre. Le récit est théologique et non une chronique royale.
- Dressèrent leur camp : chaque adversaire utilise exactement le même verbe (qui désigne bien des préparatifs miliitaires) une impression d’égalité apparente est donnée ici.
- Eben-Ezer : Pierre du secours. Plus tard, ce sera le lieu où Samuel délivrera Israël (1 Sam 7). Le lien est fait volontairement : il est impossible qu’à l’époque de cette première bataille, ce lieu s’appelle ainsi puisque c’est Samuel qui instituera ce nom trois chapitres plus tard. On prépare donc le chapitre 7.
- Apheq : Forteresse. Il s’agit probablement d’un avant-poste fortifié philistin, sur une route importante qui menait des villes philistines vers les territoires israélites de l’intérieur.
Les Philistins se rangèrent en ordre de bataille face à Israël, et le combat s’engagea. Israël fut battu par les Philistins, qui abattirent environ quatre mille hommes dans ses lignes sur le champ de bataille.
- Se rangèrent en ordre de bataille : ce sont les philistins qui sont les aggresseurs. On le soupçonnait déjà par le fait qu’Israël était sorti à la rencontre des philistins (et donc en réaction), et que la bataille a lieu à Apheq, garnison philistine. Dans un tel cas, Israël a raison d’avoir confiance dans la protection de Dieu.
- Le combat s’engage et c’est une surprise brutale et rapide. Il n’y a même pas le temps d’échanger des coups, Israël a perdu 4000 morts.
- Les morts ont lieu « dans ses lignes » ce qui laisse entendre que la formation n’a pas été rompue, et d’ailleurs Israël a le temps de rentrer en bon ordre dans son camp.
- 4000 morts est un chiffre relativement faible par rapport à d’autres batailles du temps des Juges.
L’image qui se dégage de ces petits éléments c’est que la bataille se passe de façon inhabituelle. Les batailles antiques pouvaient durer des heures car elles étaient précédées par une longue phase d’observation, et même lorsque les armées allaient au contact, on restait prudemment à portée de lance en attendant une brèche dans la ligne d’en face (le premier qui touchait un soldat adverse était sûr de mourir, d’où cette prudence). Mais ce n’est pas le cas ici : les philistins ont avancé, et ne se sont pas arrêté (une audace inhabituelle). Le contact a été engagé très tôt et dur, et Israël a été surpris, a battu en retraite en bon ordre. Les philistins ne poursuivent donc pas.
3-5 Délibération d’Israël et décision de prendre l’arche
Le peuple rentra au camp, et les anciens d’Israël dirent : Pourquoi le Seigneur nous a-t-il battus aujourd’hui devant les Philistins ? Allons prendre à Silo le coffre de l’alliance du Seigneur ; qu’il vienne parmi nous et qu’il nous sauve de la main de nos ennemis !
Les délibérations sont gardées au minimum : seule la théologie intéresse l’auteur.
Le discours d’Israël est précipité et incohérent. Le Seigneur nous est hostile ? Ah ben on va le ramener encore plus proche de nous!
Mais nous voyons malgré tout un détail tragique : c’est que les anciens d’Israël ont correctement diagnostiqué le problème! Ils comptaient effectivement sur la protection de Dieu, et non seulement Dieu n’a pas protégé, mais il s’est mis du côté des philistins (manifesté par leur audace inhabituelle décrite plus haut).
Leur inconséquence est encore plus manifeste : Dieu les as battus et voici qu’ils veulent insister encore plus dans la même voie. Même pour la destruction de Benjamin le peuple avait eu l’idée de chercher la faveur de Dieu. Ici ils le prennent en otage en amenant l’arche de l’alliance. Ils le convoquent et le considère comme un esclave du peuple.
- Qu’il vienne parmi nous : une phrase à l’impératif. Ils donnent des ordres à Dieu!
Le peuple envoya un détachement à Silo, d’où l’on apporta le coffre de l’alliance du Seigneur (YHWH) des Armées qui est assis sur les keroubim. Hophni et Phinéas, les deux fils d’Eli, étaient là avec le coffre de l’alliance de Dieu.
Il y a une symétrie ironique qui annonce une tension insupportable :
- Un détachement vient chercher le coffre de l’Alliance.
- Le coffre de l’Alliance du Seigneur des armées.
- qui est assis sur les deux chérubins
- Hophni et Phinéas sont là
Au contact du Dieu saint se trouve la parodie de ses anges : le petit détachement d’israélite présomptueux au contact des armées célestes. Au contact des deux chérubins se trouve les deux prêtres indignes.
Il commence à se former une « tension de claquage », comme l’accumulation de charge électrique entre le ciel et la terre qui précède la foudre.
Lorsque le coffre de l’alliance du Seigneur arriva au camp, tout Israël lança une grande acclamation ; la terre en fut ébranlée.
- Camp : c’est le même mot que le camp d’Israël au désert. Il est possible qu’Israël s’imagine vraiment être les nouveaux Josué et Moïse par la seule présence du coffre.
- Acclamation : Désigne généralement un cri de guerre victorieux, comme lors de la chute de Jéricho en Josué 6.5. Important car les prochains cris d’Israël seront un mot et une réalité tout à fait différente.
- La terre fut ébranlée : Et le ciel alors ? La terre seule est mentionnée, le ciel est silencieux, ce qui ailleurs dans l’Ecriture est signe de jugement (Hab 2.20 ; Ap 8.1 et en sens inverse, le tonnerre approbateur de Ex 19.19).
- Le coffre de l’alliance du Seigneur : Et le Seigneur alors ? N’est-il pas censé être avec son arche?
Bref, au sein même de la réjouissance guerrière d’Israël, il y a des petits détails qui ne vont pas. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
5-9 Réaction et dialogue des philistins
La réaction des philistins est longue, rationnelle, construite, courageuse et virile. On est loin de la réaction paresseuse et téméraire des israélites. Le récit rend les philistins sympathiques et Israël désagréable, dans un renversement complet des valeurs.
Les Philistins entendirent l’acclamation ; ils dirent : Qu’est-ce donc que cette grande acclamation dans le camp des Hébreux ? Ils surent ainsi que le coffre du Seigneur était arrivé au camp.
- Insistance forte sur l’audition. Israël a oublié la Parole qu’ils ont entendu, alors que les Philistins qui ne l’ont pas reçu sont disposés à écouter.
- Ils prennent soin de rassembler les faits avant de déduire, et de ne pas se précipiter sur une action. C’est une démarche rigoureuse et rationnelle, presque scientifique. Ils font preuve de stratégie là où Israël suit ses sentiments.
Les Philistins eurent peur ; ils disaient : Dieu est arrivé au camp ! Quel malheur pour nous ! Rien ne sera plus comme d’habitude !
- Enfin une réaction normale, conforme à ce qu’Israël attend. Les ennemis d’Israël qui ont peur du Dieu d’Israël, conformément aux promesses de Nombres 10.35, et aux précédents historique de la conquête des cananéens (Jos 2.9-11).
- Rien ne sera plus comme d’habitude : cela fait donc longtemps que malgré le coffre à Silo, Israël perd face aux philistins. Par ces petits mots, l’auteur casse l’effet des lamentations des philistins : il rappelle que les philistins gagnent toujours et les israélites perdent toujours, même avec l’Arche dans les mains d’Israël.
Quel malheur pour nous ! Qui nous délivrera de la main de ces dieux formidables ? Ce sont ces dieux qui ont frappé les Egyptiens de toutes sortes de fléaux dans le désert.
- Incroyable : les philistins viennent de faire plus de raisonnement biblique en un seul verset que tout Israël en trois chapitres de Samuel. Ils démontrent une connaissance vague, mais suffisante de l’histoire sacrée.
- Rappelons qu’en opposition, les anciens d’Israël n’ont pas fait de raisonnement pour justifier la convocation de l’Arche. Ils ont réfléchi de manière purement pragmatique et superficielle.
- On remarquera cependant des erreurs : ils pensent qu’Israël a plusieurs dieux (dieux formidables, qui ont frappé). Ils confondent ensemble les plaies d’Egypte et les miracles du Désert. Cela peut se comprendre si on considère que leur connaissance vient probablement de ce qu’ils ont entendu dire de la part d’israélites en d’autres moment.
- C’est là un exemple de foi historique qui ne mène pas au salut, du genre dont parle Jacques en Jacques 2.20 Tu crois que Dieu existe? Les démons aussi le croient et ils tremblent.
Soyez forts, soyez des hommes, Philistins, de peur que vous ne soyez soumis aux Hébreux comme ils vous ont été soumis ! Soyez des hommes et combattez !
- Renversement brutal : plus de lamentation, plus de peur.
- Soyez fort, soyez des hommes : insistance sur la virilité et la persévérance dans l’adversité.
- En 2 Samuel 10.12, ce sont des encouragement très semblables que poussera Joab pour encourager Israël face à la double menace ammonite/syrienne. C’est en préparation de ce renversement au cours du règne de David que l’auteur de Samuel écrit cette phrase.
- Ils n’invoquent pas leurs dieux, mais ont confiance dans leur propre forces. Ils se croient capable de vaincre par leurs forces « ces dieux formidables » sans même demander l’aide de Dagon.
Je propose l’application suivante : c’est que l’humanisme est assez fort pour renverser les fausses religions, comme depuis 1789 en France, où la religion des Lumières a su renverser le catholicisme.
10-11 Deuxième bataille catastrophique
Le temps se contracte de nouveau, la foudre tombe.
Les Philistins livrèrent donc bataille, et Israël fut battu. Chacun s’enfuit à sa tente. La défaite fut très grande, et il tomba trente mille fantassins en Israël.
- Chacun s’enfuit à sa tente : il n’y a plus de chef, plus d’organisation, plus d’armée. Israël en tant que corps politique est dissous et dispersé.
- On entendrait presque le refrain de la fin des Juges : « en ces temps là il n’y avait pas de rois en Israël, chacun faisait ce qu’il voulait. »
- Trente mille morts, c’est dans le même ordre de grandeur que les batailles qui ont mené à l’extermination de Benjamin. Avec 25k morts, Benjamin avait presque été éradiqué. Nous sommes donc dans une catastrophe nationale de même ampleur.
- 30’000, c’est 6 (nombre démoniaque) x 5 (chiffre de l’humanité) x 1000 (nombre de grande ampleur, quoiqu’il y ait plus grand avec les myriades). C’est un évènement très noir et sombre qui est illustré ainsi.
Le coffre de Dieu fut pris ; Hophni et Phinéas, les deux fils d’Eli, moururent.
Symétrie : les fausses armées du Seigneur et les faux chérubins sont morts autour du coffre de Dieu. L’institution cultuelle est aussi décapitée que le corps politique d’Israël.
Il y a quelque chose de remarquable autour de ce verset. Nous avons eu dans les versets qui ont précédé le v10-11 d’énormes manifestations émotionnelles (joie, peur et détermination). Soudainement, les versets 10 et 11 sont écrits sans affects, dans un style froid et télégraphique. L’évènement est si énorme et catastrophique qu’on ne peut même pas en dire un détail, les perceptions sont saturées.
v12-22 Disparition de la charge d’Eli
Puis les émotions sont progressivement restaurées, un peu comme le sens de l’ouïe après une explosion trop proche : d’abord abolie, elle ne revient que peu à peu, floue puis claire à nouveau. Et le style émotionnel intense fera un retour fracassant avec la mort d’Eli, et la mort de sa belle-fille. On ne peut pas trouver mieux que la foudre pour exprimer l’intensité de cet évènement.
Cependant, ces émotions seront inversées : avant la capture de l’arche, c’étaient des émotions viriles qui sont exprimées par Israël comme par les philistins. Après la capture, ce sont des émotions féminines qui sont exprimées : passivité, abandon, tristesse. C’est une des raisons pour lesquelles la femme de Phinéas est utilisée comme représentante.
v12-18 Mort d’ Eli
Il y a une autre chose remarquable dans cette sous-section : le travail autour de la sensorialité. Au versets 12-13 on nous parle d’un messager aux vêtements déchirés et la tête avec des cendres. Pas de terme de couleurs, c’est le toucher qui est évoqué ici (rugosité de la cendre, lambeaux des vêtements). Eli a la sensation de coeur qui bat. Puis l’audition est mise en oeuvre (cris, dialogue), et le verset 15 explique : c’est parce qu’Eli est aveugle. Puis après le dialogue, le toucher revient en force en mentionnant la pesanteur et les sensations tactiles. Le lecteur partage ici la perception aveugle d’Eli. Comme je l’expliquais plus haut, la perception sensorielle et émotionnelle est progressivement rétablie au long de cette section.
Un homme de Benjamin accourut du front et arriva à Silo le même jour, les vêtements déchirés et la tête couverte de terre.
- Benjamin : la tribu qui a échappé de peu à l’extermination (Jg 19) représente le peuple au bord de l’extermination.
- Le même jour : on retrouve le souci d’immediateté qu’on voit depuis la bataille. Cela veut dire que toute l’action depuis l’accueil de l’arche a eu lieu le matin, ce qui est très court pour des évènements de ce genre. C’est aussi un accomplissement de 1 Samuel 2.34.
- Vêtements et cendre : signe de deuil et tristesse extrême. Pourtant il n’y a aucune description émotionnelle. Juste les faits extérieurs.
Lorsqu’il arriva, Eli était en train de guetter, assis sur son siège près de la route, car son cœur tremblait pour le coffre de Dieu. A son arrivée, l’homme annonça la nouvelle, et toute la ville se mit à pousser des cris.
Il y a quelque chose de tragique chez Eli : c’est un des personnages les plus attachants de la période des Juges. Malgré des défauts sur lesquels nous reviendrons, il a encouragé Anne, élevé Samuel, l’a aidé à devenir prophète, il est le seul à s’inquiéter pour l’arche de Dieu (jusqu’ici).
Mais il n’a rien fait pour discipliner ses fils, il n’a pas refusé de laisser l’arche partir alors qu’il sait que ca mènera à la catastrophe et qu’il a été averti. Il était bien disposé, mais trop pesant et aveugle spirituellement. Quelle tragédie! Cependant, il faut bien voir que le tort d’Eli n’est pas d’avoir été trop faible : rien ne l’empêchait de corriger sa trajectoire : il n’y avait pas de roi tyrannique qui gênait son culte, puisqu’il était lui-même le juge. Il n’était pas gêné par un grand-prêtre comploteur, il était lui-même le grand-prêtre. Il n’a pas été menacé ou gêné dans sa mission. Il a simplement été trop pesant et trop mou pour agir, alors que rien ne l’en empêchait. Et même ici : s’il tremble pour l’arche, pourquoi l’a-t-il laissé partir?
- Assis sur son siège, près de la route: le grand prêtre est déjà en exil hors du sanctuaire. Il a déplacé son siège hors du tabernacle parce qu’il veut être le premier à recevoir les nouvelles et cela n’arrivera même pas.
- Pousser des cris : cette fois ce ne sont pas les acclamations guerrières, mais le tumulte chaotique du désespoir.
- Assis sur son siège : attitude de passivité. Il s’accroche à ce qui reste de son pouvoir.
Quand il entendit les cris, Eli demanda : Qu’est-ce que ce tumulte ? L’homme s’empressa de venir annoncer la nouvelle à Eli.
- Nous avons déjà noté l’inversion par rapport au v5 : les cris de joie sont devenus des cris de détresse, le mot hébreu même a changé.
- Tumulte : Eli, aveugle, n’arrive pas à interpréter ce qu’il arrive.
- Ironie : alors qu’il s’est déplacé sur le bord de la route pour mieux accueillir le messager, il est le dernier informé. Il est physiquement hors du sanctuaire, un prêtre sans arche, spectateur impuissant dans le récit. Avant même qu’il ne se brise la nuque, il est déjà mort.
- Autre détail fin, s’il reçoit le message en dernier, c’est qu’il s’est littéralement trompé de route.
Or Eli avait quatre-vingt-dix-huit ans, il avait les yeux fixes et ne pouvait plus voir.
Cf plus haut sur ce que je disais quant à l’usage du langage sensoriel dans cette sous-section.
- 98 ans : 100 ans (nombre de complétude, surtout pour un âge humain Gen 21.5 ; Es 65.20) moins deux ans comme ses deux fils indignes.
- Yeux fixes : d’autres expressions étaient possibles (par ex, Isaac a les yeux qui s’obscurcissent avec l’âge en Gen 27.1), mais c’est la fixité des yeux de son cœur qui sont décrits : il fixe la déchéance promise depuis le chapitre 2, et reste dessus sans rien faire. Comme pour sa vie spirituelle, Eli souffre de paralysie des yeux et du coeur.
L’homme dit à Eli : J’arrive du front ; moi, je me suis enfui du front aujourd’hui. Eli lui demanda : Que s’est-il passé, mon fils ?
- J’arrive du front[…] je me suis enfui du front : la réalité est dévoilé par étapes. Elle est trop grosse pour être racontée directement.
- Pause dramatique avec la question d’Eli, le père du peuple (mon fils). La tension remonte encore.
Celui qui apportait la nouvelle répondit : Israël a fui devant les Philistins, et le peuple a subi une grande défaite ; même Hophni et Phinéas, tes deux fils, sont morts ; et le coffre de Dieu a été pris !
- Nous sommes passés de « l’homme » à « mon fils » à « celui qui apporte la nouvelle » : c’est la même progression que pour Samuel, qui est passé d’un israélite comme les autres à un fils d’Eli, à un prophète.
- C’est d’ailleurs la prophétie de 1 Samuel 2 qui est réalisée et annoncée ici.
- On parle d’Israël, puis des prêtres, puis du coffre dans un mouvement de gravité ascendante. Enfin les priorités sont utilisées droitement, mais trop tard.
A peine avait-il évoqué le coffre de Dieu qu’Eli tomba à la renverse de son siège, près de la porte de la ville ; il se rompit la nuque et mourut ; car c’était un homme vieux et pesant. Il avait été juge en Israël pendant quarante ans.
- Eli n’aimait pas ses fils, ce n’est pas leur mort qui le chagrine, mais la perte de l’arche. Pourquoi n’as t il rien fait alors? Pas par favoritisme, mais parce qu’il est vieux (et donc peu disposé à l’action) et satisfait par une fausse gloire (pesant/kabod/proche de gloire).
- Le bris de nuque : la référence ici est au rachat des premiers-nés (Ex 13.13). Toutes les bêtes devaient être racheté au sanctuaire. Mais quand on n’avait pas d’agneau pour racheter un âne, il fallait briser la nuque de l’âne. Ici, Eli n’a pas d’agneau pour ôter son péché : il est le premier-né d’une bête impure et raide dont on ne peut rien faire d’autre que lui briser la nuque pour le dégager du service du sanctuaire.+
- Juge pendant 40 ans : en fait, c’est toute la période des Juges qui se termine ici (40 appliqué à une période désigne souvent un règne de juge complet cf les règnes de 40 ans de Othniel, Déborah, Gédéon). Samuel sera juge, mais surtout une figure de transition entre Juges et royauté.
vv19-22 Mort de la belle-fille d’Eli
L’émotion forte et intense reprend tous ses droits. Les personnages deviennent des purs symboles, à peine personnalisés.
Sa belle-fille, la femme de Phinéas, était enceinte ; elle était sur le point d’accoucher. Lorsqu’elle apprit que le coffre de Dieu avait été pris et que son beau-père et son mari étaient morts, elle se courba et accoucha, car les douleurs l’avaient saisie
- Femme de Phinéas était enceinte : pourtant, Phinéas couchait avec les femmes au service du sanctuaire (1 Sam 2.22). L’accouchement de cette femme trompée révèle le statut de la succession sacerdotale d’Eli. Extérieurement impeccable, mais faux et rempli d’infidélité à l’intérieur, un culte creux.
- La femme de Phinéas est le symbole du culte de Silo, qui meurt avec elle. C’est pour celà qu’elle n’a pas de nom, n’est définie que par ses relations aux prêtres et n’apparaît qu’ici.
- C’est une anti-Anne : elle passe de la fertilité à la stérilité, de la mort à la vie, elle est associée à un culte mort, et son fils disparaîtra dans l’anonymat. C’est ainsi que le livre de Samuel clôt son premier chapitre avec une sorte d’inclusion commençant par Anne et finissant par la belle-fille d’Eli.
- Elle se courba et accoucha : parallèle avec la chute d’Eli, il y a une solidarité avec lui, jusque dans la mort.
Comme elle allait mourir, celles qui se tenaient auprès d’elle lui dirent : N’aie pas peur : tu as mis au monde un fils ! Mais elle ne répondit pas, elle ne voulut pas y prêter attention.
- Nouvelle Rachel : elle meurt en couche, après avoir lutté avec Dieu, en nommant son fils dans son dernier souffle.
- Les sages femmes n’ont pas compris la gravité de la situation : le problème n’est pas qu’une fille pourrait naître! La belle fille d’Eli est courageuse et sage.
Elle appela le garçon I-Kabod (« Où est la gloire ? »), en disant : La gloire est exilée d’Israël ! – c’était à cause de la prise du coffre de Dieu et à cause de son beau-père et de son mari.
- La gloire de Dieu, c’est à dire la présence de Dieu au dessus du coffre est exilée d’Israël pour un long exil de plus de 20 ans. La prochaine fois qu’il y aura un exil, c’est Israël lui-même qui partira.
- La maison d’Eli disparaît dans une prophétie de dernière seconde.
- I-Kabod n’est mentionné nulle part après, sinon pour dire que son frère aîné est prêtre sous David. Est-il vivant ou mort? Cela n’a aucune importance. Il est l’épitaphe de sa lignée. Contrairement à d’autres endroits, il n’a aucun rédempteur ou espoir d’évangile, tout comme son grand-père.
Elle dit : La gloire est exilée d’Israël, car le coffre de Dieu a été pris !
- Répétition de la même prophétie, mais sans aucune mention de la famille d’Eli cette fois. La femme de Phinéas est devenue symbole d’Israël.
- Sa mort n’est pas explicitement actée, laissant l’espoir d’une résurrection après cette prophétie. C’est le sujet de la suite du livre de Samuel.
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