La purification de Marie chez les Pères
Comme je l’ai relevé en grand détail dans mon article sur l’Immaculée Conception chez les Pères, ceux-ci croyaient généralement que Marie avait été purifiée à l’Annonciation, lorsque l’Esprit survint sur elle, pour que la chair de notre Seigneur ne soit pas souillée par le péché. En guise de résumé, rappelons ce qu’en dit saint Augustin :
C’est pourquoi lui seul, devenu homme tout en restant Dieu, n’a jamais commis de péché et n’a pas non plus assumé une chair de péché, bien qu’il soit né d’une chair maternelle de péché. Car ce qu’il a pris de notre chair en ce sein de Marie, il l’a certainement purifié pour l’y prendre, ou l’a purifié en l’y prenant1.
Qu’entendait-il par « chair de péché » ? Ses autres écrits le disent clairement : « Dans la chair de péché il y a la mort et le péché ; dans la ressemblance de la chair de péché il y eut la mort, non le péché2. » ; « Quelles sont les propriétés de la chair de péché ? La mort et le péché. Quelle fut la propriété de la ressemblance de la chair de péché ? La mort sans le péché3. » Marie était touchée par le péché, c’est pourquoi aujourd’hui affirme encore :
Marie, descendante d’Adam, est morte à cause du péché. Adam est mort à cause du péché, et la chair du Seigneur, issue de Marie, est morte pour abolir les péchés4.
Cette idée est différente de l’Immaculée Conception ainsi que l’explique l’érudit catholique Luigi Gambero :
La mission à laquelle Dieu a appelé la Vierge était si importante que certains Pères ont pensé qu’elle exigeait une préparation adéquate. Nous savons aujourd’hui que cette préparation s’est produite dans le mystère de l’Immaculée Conception, dans lequel Marie a été non seulement préservée du péché originel et de ses conséquences morales, mais aussi comblée de grâces extraordinaires. Les Pères ne semblent pas avoir eu connaissance de ce privilège unique ; ils pensaient qu’une intervention divine spéciale avait eu lieu en Marie immédiatement avant l’Incarnation, pour la rendre digne de devenir la Mère du Verbe incarné. [et, en note de bas de page :] C’est l’idée de pré-purification, ou procatharsis, articulée par Grégoire de Nazianze (cf. Oratio 38, 13 ; PG 36, 325 ; Orato 45, 9 ; PG 36, 633 ; Poemi dogtmatici 9, 68 ; PG 37, 461)5.
La purification de Marie chez les médiévaux
Cette doctrine patristique subsiste tout au long de la période médiévale. Citons en guise d’exemple Antoine de Padoue qui déclare :
Lorsque l’Esprit saint est venu sur la Vierge, il purifia son esprit des taches du péché, afin qu’elle fût digne de la naissance céleste, et créa dans son sein, par son opération, un corps pour le Rédempteur à partir de la chair de la Vierge6.
La purification de Marie chez les réformés
Cette doctrine patristique enfin, à laquelle adhèrent un bon nombre d’auteurs de confession orthodoxe, se retrouve également chez les théologiens réformés. Cet article en donne trois en guise d’illustration. La première provient de William Shedd, le systématicien réformé américain du XIXe siècle :
Cette partie de la chair de la Vierge, dont fut formée la nature humaine du Christ, a été raffinée et purifiée de la corruption par l’ombre du Saint-Esprit. C’est pourquoi notre Sauveur est appelé « cet être saint », bien qu’il soit né de la Vierge7.
De même, le théologien réformé Thomas Watson, au XVIIe siècle déclare :
Comment le Christ pouvait-il être formé de la chair et du sang d’une vierge, tout en étant sans péché ? La plus pure des vierges est marquée par le péché originel.
L’Écriture dénoue cette difficulté : « Le Saint-Esprit viendra sur toi et te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. » (Luc 1,35).
« Le Saint-Esprit viendra sur toi », c’est-à-dire que le Saint-Esprit a consacré et purifié cette partie de la chair de la Vierge dont le Christ a été formé. Tout comme l’alchimiste extrait et élimine les impuretés de l’or, ainsi le Saint-Esprit a affiné et purifié cette partie de la chair de la Vierge, la séparant du péché. Bien que la Vierge Marie elle-même ait été marquée par le péché, cette partie de sa chair, dont le Christ fut formé, était sans péché ; autrement, la conception aurait été impure.
Que signifie la puissance du Saint-Esprit couvrant la Vierge de son ombre ?
Basile dit : « C’était la bénédiction du Saint-Esprit sur la chair de la Vierge de laquelle le Christ fut formé. » Mais il y a un mystère plus profond que cela encore : ayant façonné le Christ dans le sein de la Vierge, le Saint-Esprit a, d’une manière merveilleuse, uni la nature humaine du Christ à sa nature divine, faisant ainsi des deux une seule personne. C’est un mystère que les anges contemplent avec adoration8.
À la même époque, Thomas Boston déclare encore :
Le Saint-Esprit a sanctifié cette partie de la substance de la Vierge dont le corps du Christ devait être formé, la purifiant de tout péché et de toute souillure. Car si l’homme en est incapable, Dieu, lui, peut tirer une chose pure d’une chose impure (Job 14,4) et lui conférer la capacité de générer un corps humain, capacité qu’elle n’aurait pas eue par elle-même9.
Ce même texte de Job était évoqué par Léon le Grand en ces termes :
C’est pourquoi, dans la ruine générale de toute la race humaine, il n’y avait qu’un seul remède, dans le secret du plan divin, pour venir en aide à ceux qui étaient tombés, et c’était que l’un des fils d’Adam naquît libre et innocent de la transgression originelle, pour prévaloir pour les autres à la fois par son exemple et par ses mérites. Par ailleurs, la génération naturelle ne le permettait pas, et il ne pouvait y avoir de descendance sans semence à partir de notre souche défectueuse, à propos de laquelle l’Écriture dit : « Qui peut faire concevoir une chose pure à partir d’une semence impure ? N’est-ce pas toi seul 10? »
Sur ce sujet, les formulations des théologiens réformés se trouvent coller de près à la tradition patristique.
- Augustin, Des mérites, de la rémission des péchés et du baptême des petits enfants, livre II, ch. XXIV, 38.[↩]
- Augustin, Sermon 155, 7.[↩]
- Augustin, Sermon 233, 4.[↩]
- Augustin, Exposition des Psaumes, XXXIV, II, 3.[↩]
- Luigi Gambero, Mary and the Fathers of the Church : The Blessed Virgin Mary in Patristic Thought, Ignatius Press, 1999, p. 263-264.[↩]
- Antoine de Padoue, Sermons sur l’Annonciation, VIII ; une traduction anglaise peut être consultée dans ce document, page 1095. Saint Antoine de Padoue est cité comme opposant à l’Immaculée Conception par Charles Hastings Colette, Dr Newman and His Religious Opinions, p. 186 mais aussi par Melchor Cano, Loci Theologici.[↩]
- Shedd, W. G. T., Dogmatic Theology: Complete and Unabridged, vol. 1-3, Reformed Retrieval, 2021, page 566.[↩]
- Watson, Thomas, A Body of Divinity, en ligne.[↩]
- Thomas Boston, The Birth of Christ, page 23, en ligne.[↩]
- Léon le Grand, Sermon XXVIII, 3[↩]
0 commentaires