JUSTICE DE DIEU
Dans certains milieux calvinistes, il est courant d’entendre que Dieu veuille révéler sa justice en punissant les réprouvés et sa miséricorde en sauvant les élus. Certains iront même jusqu’à affirmer que cette révélation est le but ultime de toute la création de Dieu. Cependant, selon le théologien réformé Herman Bavinck, cette formulation est « simpliste et austère1 ».
De plus, cette dichotomie justice / miséricorde pose problème à la doctrine de la simplicité divine. Dieu ne pourrait-il pas exercer sa justice tout en étant miséricordieux? Ou encore, ne pourrait-il pas être miséricordieux tout en exerçant sa justice ?
En théologie, on applique parfois l’expression « justice de Dieu » à sa sainteté. Toutefois, quand elle parle de Dieu, l’Écriture l’utilise surtout dans ses rôles de Roi et de Juge sur sa création.
Dieu est le juge de toute la terre (Ge 18:25). La justice de Dieu consiste en ce que Dieu rétribue chacun selon ses œuvres, en traitant les justes d’une manière et les méchants d’une autre (Gn 18.25)2.
En effet, si l’homme se doit d’être trouvé « juste » devant la loi, c’est premièrement le juge et législateur qui se doit d’être trouvé juste dans ses jugements. Cette idée revient à maintes reprises chez les prophètes de l’Ancien Testament critiquant les rois d’Israël qui abusent du pauvre et de la veuve.
Ceci nous amène donc au Roi juste par excellence. Quand il est question de la « justice de Dieu » dans l’Écriture, cette expression survient souvent dans des contextes où Dieu vient au secours de son peuple.
La Justice de Dieu est le plus souvent conçue dans un sens favorable et décrite comme les attributs en vertu desquels Dieu justifie les justes et les élève à une position d’honneur et de bien-être3.
Il est juste parce qu’il répand son salut sur les fidèles. Il les sauve (Ps 7:10), les délivre (31:1), leur répond (65:5), les entend (143:1), les secourt (143:11), leur donne la vie (119:40), les acquitte (34:22), les justifie (35:24) et ainsi de suite, tandis que le méchant n’est pas inscrit parmi les justes (69:27-28).
Comme pour sa colère (Ps 69:24), la justice de l’Éternel n’est donc pas opposée à son amour inébranlable, mais lui est intimement liée (22:31 ; 33:5 ; 35:26-27 ; 40:10-11 ; 51:14 ; 89:14; 145:7 ; Es 45:21 ; Jé 9:24 ; Os 2:18-20 ; Za 9:9). La manifestation de la justice de Dieu est simultanément la manifestation de sa grâce4.
Mais comment cela est-il possible alors que tous sont coupables devant la loi de Dieu ? C’est là qu’intervient la notion d’alliance si chère à la tradition réformée.
Dieu fait une alliance de la nature avec Noé et une alliance de grâce avec Abraham, actes par lesquels il accorde à nouveau, par pure grâce, un ensemble de droits à ses créatures, s’engageant lui-même par serment à maintenir ces droits. Ainsi, par la grâce de Dieu, un ordre complet de justice a été établi dans le domaine de la nature et de la grâce, ordre comprenant un ensemble d’ordonnances et de lois qu’il maintient et rend effectif5.
S’il ne s’agissait que de la loi, par sa justice, nous subirions tous le châtiment de Dieu réservé au méchant. Cependant, Dieu n’est pas simplement juste en fonction de sa loi, il l’est aussi en fonction de son alliance de grâce dans laquelle, il faut le rappeler, le Christ vient rétablir toute justice envers les péchés de son peuple. Ainsi, Dieu est juste en venant au secours de son peuple.
Bavinck continue en disant :
La justice est avant tout la manière dont la grâce et l’amour de Dieu sont maintenus et amenés à triompher. Il ne faut pas croire qu’une créature puisse avoir un droit inhérent à une récompense ou être intrinsèquement incapable de recevoir le pardon indépendamment de la punition. Mais Dieu le doit à son alliance, à l’ordre de justice qu’il a lui-même établi à un moment donné, à son nom et à son honneur, afin de conduire son peuple au salut et de punir le méchant6.
Dieu aurait-il donc besoin des réprouvés pour révéler exclusivement sa justice ? En vue de tout ce qui a été dit précédemment, il est difficile de maintenir que la manière ultime dont Dieu puisse vouloir manifester sa justice repose nécessairement sur un décret de réprobation. En effet, même dans un monde sans péché, Dieu règnerait avec justice. Cependant, le péché étant présent, la justice demande qu’il sévisse contre les rebelles.
Cet ordre aurait existé même en dehors du péché, mais il serait obéi volontairement et par amour par toutes les créatures sans aucune contrainte. […] Mais ce caractère coercitif, loin d’être arbitraire ou accidentel, est aujourd’hui si nécessaire qu’en dehors de lui nous ne pourrions même pas concevoir de justice, fait attesté par notre propre conscience6.
CRITIQUE D’UNE VISION TROP LINÉAIRE DE LA RÉALISATION HISTORIQUE DES DÉCRETS DE DIEU
Nous en arrivons maintenant à la critique que fait Bavinck autant du supralapsarianisme que de l’infralapsarianisme (les deux emphases historiques principales du calvinisme) quand ils relèguent les moyens pour atteindre la fin à de simples moyens desquels on pourrait se départir une fois cette fin atteinte.
Le supralapsarianisme et l’infralapsarianisme ont tous deux erré en plaçant les moyens antérieurs au but ultime (la gloire de Dieu) dans des relations de subordination aux moyens qui les suivent7.
Autrement dit, les éléments de l’histoire (création, chute, péché, Christ, foi, incrédulité, etc.) ne servent pas qu’en tant que moyens pour atteindre le prochain élément, et ainsi de suite, jusqu’au but ultime. Chaque élément, tout en étant coordonné avec les autres, a sa propre importance et sa propre portée éternelle.
Bavinck critique donc une compréhension simplifiée de l’histoire (de la réalité) qui voudrait tout soumettre de façon simpliste à une fin. Ceci pourrait amener un calviniste à voir le décret de réprobation comme déterminant toute la vie du réprouvé en fonction de sa fin seulement, le forçant avec coercition dans cette direction sans égard à ses propres actes. « Non ! », nous dit Bavinck. « Le décret est aussi riche que la réalité elle-même. […] Il englobe dans une même conception la fin ainsi que les moyens qui y conduisent8. »
Ainsi, il ne faut pas concevoir le décret de réprobation comme celui où Dieu fait tout pour la perte du réprouvé. Au contraire :
Le décret de réprobation, par conséquent, n’existe pas séparément des autres décrets, pas même à côté de celui de l’élection. […] Les péchés des croyants sont-ils la conséquence de l’élection ? Il est vrai que ces péchés sont à leur tour subordonnés par Dieu à leur salut […] mais ce n’est pas le résultat naturel de ces péchés eux-mêmes ; c’est seulement le résultat de la gracieuse omnipotence de Dieu, qui est capable de faire ressortir le bien du mal. […] Inversement, les réprouvés reçoivent également de nombreuses bénédictions, des bénédictions qui, en tant que telles, ne découlent pas du décret de réprobation, mais de la bonté et la grâce de Dieu. Ils reçoivent de nombreux dons naturels. […] Il les endure avec beaucoup de patience (Ro 9:22). Il leur a prêché l’évangile de sa grâce et ne prend aucun plaisir à leur mort (Ez 18:23 ; 33:11 ; Mt 23:27 ; Lc 19:41 ; 24:47 ; Jean 3:16 ; Ac 17:30 ; Ro 11:32, I Th 5:9 ; 1 Ti 2:4 ; 2 Pi 3:9). [Ces verset enseignent] que c’est la volonté de Dieu que tous les moyens de grâce soient utilisés pour le salut des réprouvés. Or, ces moyens de grâce ne découlent pas en tant que tels du décret de réprobation. On peut en abuser à cette fin ; ils peuvent servir à rendre l’homme inexcusable, à l’endurcir et à alourdir sa condamnation – comme le soleil, qui peut réchauffer mais aussi faire frémir une personne. Mais en soi, ils ne sont pas des moyens de réprobation, mais des moyens de grâce en vue du salut. Ainsi, alors que l’élection et la réprobation peuvent aboutir à une séparation finale et totale, sur terre, ils s’entrecroisent continuellement. Cela indique que ni l’un ni l’autre n’est en soi un objectif final et que, dans l’esprit de Dieu, ils n’ont jamais été une cause finale. Les deux sont des moyens pour atteindre la gloire de Dieu, qui est le but ultime et, par conséquent, le fondement de toutes choses9.
CONCLUSION
Selon Herman Bavinck, Dieu n’a pas ultimement et exclusivement besoin de punir le péché pour démontrer sa justice. Dieu révèle aussi sa justice en déversant sa grâce. Par conséquent, il n’a pas non plus besoin de punir le pécheur pour en faire autant. Bien que le décret de réprobation comporte une fin terrible pour l’incrédule, le chemin vers cette fin n’est pas totalement conçu pour assurer la perdition de l’incrédule, ou inversement, pour empêcher sa repentance. Au contraire. Le décret de réprobation inclut aussi l’obstination de l’incrédule à refuser l’appel général de Dieu au salut tout au long de sa vie. De plus, ce décret est en cohérence parfaite avec la réalité, cette même réalité qui vue des yeux d’un arminien, ne semble pas mener fatalement à une perdition, mais à un salut sincèrement offert à tous. Que Dieu ait choisi de se glorifier en décrétant la perdition de certains relève certainement de la sagesse insondable de Dieu. Cependant, interpréter ce moyen comme étant une nécessité absolue pour atteindre cet objectif a des conséquences non-négligeables en lien avec la possibilité d’une grâce commune ou d’une offre sincère du salut. Que le Seigneur nous garde de ne pas simplifier ses pensées insondables et d’en dériver d’autres conclusions erronées qui viendraient en opposition avec sa nature propre.
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