Maintenant que nous avons vu la vie et le savoir en Dieu, Thomas d’Aquin se tourne vers un attribut critique de Dieu, qui est la source d’énormément de discussion toujours très actuelles. La question de quoi est et comment fonctionne la volonté de Dieu est une discussion fondamentale du débat sur le libre-arbitre humain, et je suis très fier d’apporter ma contribution au débat à travers la vulgarisation de notre scholastique en chef: vous allez voir que la théologie médiévale avait une vision bien plus claire de la volonté de Dieu que la plupart de nos philosophes évangéliques actuels.
Thomas découpe l’approche en 12 questions:
- Y-a-t-il une volonté en Dieu? Oui.
- Dieu veut-il autre chose que lui-même? Oui.
- Tout ce que Dieu fait, le veut-il de façon nécessaire? Non
- La volonté de Dieu est-elle cause des choses? Oui
- Peut-on attribuer une cause à la volonté divine? Non
- La volonté divine s’accomplit-elle toujours? Oui
- La volonté de Dieu est-t-elle sujette au changement? Non
- La volonté de Dieu rend-elle nécessaire les choses qu’elle veut? Ca dépend
- Y-a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises? Non
- Dieu a-t-il le libre-arbitre? Oui
- Doit-on distinguer en Dieu une volonté de signe? Oui
- Convient-t-il de proposer cinq signes à la volonté de Dieu? Oui, le détail vient après.
Comme vous le voyez, il y a des bonnes grosses et grasses questions, toute juteuses et extrêmement contemporaines. Par exemple, l’article 6 (La volonté divine s’accomplit-elle toujours?) contient un assez gros commentaire de la section « Dieu veut-il que tous soient sauvés? », celle-là même qui est une citadelle des arminiens, et sur laquelle John Piper a écrit un livre. Je suis tout excité à l’idée de vous présenter ce que Thomas le médiéval en pense, et vous allez voir qu’il est du côté des « calvinistes ».
L’article risque d’être très long, aussi je commence sans plus tarder.
Article 1: Y-a-t-il volonté en Dieu?
Bien sûr, la Bible en parle en permanence, mais hé ! Une volonté c’est tendre en vue de quelque chose, et Dieu ne saurait exister pour autre chose. On pourrait aussi faire remarquer que on veut généralement ce que l’on a pas, mais que Dieu a déjà toute chose. On pourrait aussi faire remarquer que la volonté sert à faire mouvoir, mais que Dieu est immuable. Alors Dieu a-t-il une volonté ?
l’Apôtre écrit (Rm 12, 2) : “ Sachez reconnaître quelle est la volonté de Dieu. ”
Il y a en Dieu une volonté comme il y a en lui un intellect, car la volonté est consécutive à l’intelligence.
Passons le développement, mais arrêtons nous sur les objections :
Une volonté c’est tendre en vue de quelque chose, et Dieu ne saurait exister pour autre chose => Il peut aussi être sa propre fin, son propre but, comme l’enseigne John Piper dans des mots différents : « Dieu est la personne la plus théocentrée de l’univers ». Cela désigne Lui-même et toutes les choses qui sont en lui.
On pourrait aussi faire remarquer que on veut généralement ce que l’on a pas, mais que Dieu a déjà toute chose. => On peut aussi vouloir jouir de ce que l’on a déjà, et en profiter.
On pourrait aussi faire remarquer que la volonté sert à faire mouvoir, mais que Dieu est immuable => Sauf si cette volonté est dirigée vers lui-même et ce qui est en lui, auquel cas elle n’engendre pas de mouvement vers une chose extérieure.
Article 2 : Dieu veut-il autre chose que lui-même ?
Juste histoire de couper court à l’insoutenable suspens :
l’Apôtre écrit (1 Th 4, 3) : “ Voici quelle est la volonté de Dieu : votre sanctification. ” Il faut dire que Dieu veut non seulement lui-même, mais aussi d’autres choses. – Ia, Q19, a2
La vraie question est : comment se fait-il que Thomas soit amené à se poser la question ? Et bien, cela vient d’une sorte de « bug » métaphysique qui découle de l’article 1. Dans la réponse de l’article 1, que je n’ai pas détaillé, Thomas prouvait par la raison que si Dieu sait, alors Dieu veut forcément le bien. Pour rappel : dans la métaphysique ancienne, la définition du bien est « ce qui est attirant ». Si Dieu se connaît lui-même, alors il connaît le Bien, car il est le Bien-grand B. S’il connaît le Bien, alors il est attiré par celui-ci et donc il le veut. D’où la conclusion de l’article 1 : il y a bien volonté en Dieu.
Tout est bien dans le plus aristotélicien des mondes, mais ce qu’il y a en dehors de lui, le veut-il ? Y a-t-il une volonté divine pour ce qui est moins que le Bien-grand B ?
Oui, parce que la nature même du bien est de communiquer sa bonté. C’est pour ça que les êtres vivants se reproduisent, afin de communiquer la vie, ce grand bien. Et c’est ainsi que Thomas d’Aquin crée et résout un bug métaphysique propre à son système :
Ainsi donc, si les choses naturelles, dans la mesure où elles sont achevées, communiquent leur bonté à d’autres, bien plus encore appartient-il à la volonté divine de communiquer à d’autres son bien par manière de ressemblance, autant que c’est possible. Dieu veut donc et que lui-même et que les autres choses soient, lui-même étant la fin, les autres étant ordonnées à la fin, en tant qu’il appartient aussi à la bonté divine, par mode de convenance, d’être participée par d’autres. – Ia Q19 a2
Article 3 : Tout ce que Dieu fait, le veut-il nécessairement ?
Cela amène tout naturellement à se poser la question de si Dieu est forcé ou non de vouloir ce qu’il crée. A-t-il donné l’être aux choses comme un bassin qui déborde, par nécessité ? Ou bien a-t-il délibérément choisi quoi et comment donner l’être ?
l’Apôtre dit de Dieu (Ep 1, 11) : “ Il opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté. ” Or, ce que nous opérons d’après une délibération volontaire, nous ne le voulons pas nécessairement. Donc Dieu ne veut pas nécessairement tout ce qu’il veut. – Ia, Q19 a3
Nous avons de sérieuses raisons de croire l’inverse pourtant : On vient de dire que Dieu veut sa propre Bonté, et qu’il veut la communiquer à d’autres. C’est la définition même de bonté après tout : si Dieu est bon, alors il veut communiquer cette bonté, et ne pas la garder pour soi, par définition. Il serait donc naturel d’imaginer qu’il est nécessaire qu’il veuille chaque bonté particulière de façon nécessaire.
Sauf que non, car Thomas fait la distinction entre nécessité absolue et nécessité conditionnelle. La nécessité absolue est celle où pour que la phrase : « Médor est assis » soit vraie, il est nécessaire que Médor soit vraiment assis. De même pour : « Si Dieu est Bon, il est nécessaire qu’il communique sa bonté. » Par définition c’est vrai, nécessairement vrai.
Mais il y a un autre type de nécessité, la nécessité conditionnelle. Par exemple : « SI je veux traverser l’Atlantique, il est nécessaire que je prenne l’avion». Vous ne voulez pas tellement prendre l’avion pour le plaisir de caler vos genoux dans les 34 cm qui vous séparent de l’autre fauteuil. Ce que vous voulez, c’est aller rencontrer William Lane Craig aux Etats-Unis, et si vous voulez faire cela, alors il est nécessaire de prendre l’avion. Cependant, cette nécessité n’est pas absolue : d’une parce qu’il n’est pas nécessaire que vous alliez aux Etats-Unis, de l’autre parce que vous pouvez toujours vous y rendre à la nage, ce qui vous reviendra à moins cher.
Revenons à Dieu et sa bonté. Il est nécessaire que Dieu soit bon, c’est sa définition même. Et il est donc nécessaire absolument que Dieu communique sa bonté à autre chose, c’est la définition même de la bonté. Mais qu’il fasse une création pour cela ? Ce n’est qu’une nécessité conditionnelle, parce que cette « volonté seconde » est dépendante d’une volonté première qui elle est absolument nécessaire. Donc il ne veut pas toute chose de façon nécessaire.
Article 4 : La volonté de Dieu est-elle cause des choses ?
Il semble que non car Joël Osteen dit : « Ce que vous proclamez est ce que vous recevez. » C’est donc la volonté humaine et non la volonté divine qui est cause des choses…
D’accord je vous charrie. Anathème au mouvement parole de foi, qui enseigne que la volonté humaine est la cause des choses. Voici ce qu’en disent les vrais chrétiens, ceux du moyen-âge (ok là je donne la bâton pour me faire battre) :
Il est écrit au livre de la Sagesse (11, 25) : “ Comment une chose pourrait elle subsister, si tu ne l’avais voulue ? ” Il est nécessaire de dire que la volonté de Dieu est la cause des choses, et que Dieu agit par volonté, non par nécessité de nature comme certains l’ont pensé. – Ia, Q19, a4
Ok, comment le prouve-t-il ? Par trois arguments :
« A partir de l’ordre des causes agentes » = qui agissent. Ce qui est inanimé est soumis aux agents(=ceux qui agissent) intelligents. Et les agents intelligents ? Vu qu’ils ne sont pas le but suprême de l’univers, ils sont soumis à l’Intelligence et la Volonté Première. Dieu. Donc c’est la volonté de Dieu qui cause les choses.
« A partir de la raison formelle (=quoi est une chose) d’agent naturel(=les créature agissantes=) » Thomas fait remarquer que la façon d’agir, cad de causer quelque chose, est déterminé par la forme(=le quoi il est) de l’agent. Les êtres humains font des choses qui portent la marque de leur humanité. Les tigres qui griffent les arbres ont des effets qui sont spécifiques à leur espèce. Mais Dieu en revanche est l’être même, et à cause de cela, tout ce qui est trouve sa Cause (première) en Dieu.
« A partir du rapport de l’effet à sa cause ». L’idée est que tout effet préexiste dans sa cause, tout comme mon fils préexistait en moi, parce que je suis venu à l’engendrer. Et l’épi de blé préexiste dans le soleil, parce que c’est grâce à l’exposition au soleil qu’il vient à mûrir. Or, on a dit précédemment que toutes choses sont en Dieu, ne serait-ce que parce que toutes choses sont connues de Dieu. Si elles sont connues de Dieu, alors elles sont voulues de Dieu. Et comme les effets (la création) préexiste dans la cause (le créateur)… et bien la volonté de Dieu est cause de tout chose.
Article 5 : Peut-on attribuer une cause à la volonté divine ?
La question est cruciale particulièrement quand on parle de la prière. Quand Monique prie avec ferveur pour la conversion de son fils Augustin, est ce que cette prière est cause de la décision divine d’accorder la repentance à Augustin ? C’est l’idée toute naturelle que nous avons au début de la conversion, et beaucoup d’enseignements déséquilibrés encouragent à être des guerriers de la prière comme si nous étions les véritables acteurs du Destin, que c’était nous qui déterminions les décisions de Dieu.
Et la réponse d’Augustin, et de Thomas après Augustin, et de Calvin après Thomas est nette :
Augustin écrit : “ Toute cause efficiente est supérieure à ce qu’elle fait ; or rien n’est supérieur à la volonté divine ; il n’y a donc pas à en chercher la cause. ” On ne peut d’aucune manière attribuer une cause à la volonté divine. – Ia Q19 a5
On a dit au dessus que Dieu veut ce que Dieu sait. Simplicité divine oblige, ce que Dieu conçoit il l’exécute. Or, il sait d’un seul bloc toutes les choses, et non par déduction ou suite. Et de la même façon, il veut d’un seul bloc : il ne prend pas un train de décisions en vue d’obtenir un certain résultat, il prend une seule et grosse décision, qui contient tous les intermédiaires.
Cela veut dire qu’il n’y a pas d’espace dans la volonté de Dieu pour que nous puissions y « rajouter » notre prière. Le savoir de Dieu n’est pas une accumulation d’informations dans laquelle nous pouvons rajouter notre demande, et à partir du savoir de cette demande Dieu veut l’accorder. Le savoir de Dieu est en un seul bloc, qui contient entre autres l’information « Monique demande la conversion d’Augustin ». En conséquence, la volonté de Dieu est d’un seul bloc qui contient tout à la fois « Monique demande la conversion d’Augustin » et « Augustin est converti ».
Qu’est ce que cela veut dire pour notre vie de prière ? Est-ce que cela diminue l’importance de nos prières ? Finalement Dieu décide de la réalisation de celles-ci avant même qu’on lui demande, alors à quoi bon ?
J’aimerais dire que loin de diminuer l’importance de la prière, cette idée la renforce ! Nous ne prions pas parce que « si je ne prie pas le monde va s’effondrer pendant mon sommeil ». Nous prions pour participer à l’œuvre glorieuse de Dieu. La décision de sauver Augustin, de racheter le monde contient aussi la décision que JE prie pour cela ! Et ainsi me voilà devenu participant à part entière d’un projet qui aurait pu être limité à Dieu seul. J’apparais dans le film des évènements, et j’y donne ma contribution, et par ma prière Dieu se glorifie. Notre prière est importante, non parce que « moi-je » cause la volonté divine à faire une chose, mais parce que Dieu cause la chose à travers moi !
Article 6 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours ?
La plus forte des objections qu’on puisse poser est de citer Paul : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » 1 Tim 2.4 Vous voyez bien que la volonté divine ne s’accomplit pas toujours alors ? Et bien Thomas répond à cela, environ 800 ans avant John Piper, et ça vaut le coup ! Mais pour le prochain paragraphe, contentons-nous de sa réponse première. On verra ensuite sa réponse à cette objection.
En sens contraire, le Psaume (115,3) dit : “ Tout ce que Dieu veut, il le fait. ” Il est nécessaire que la volonté de Dieu soit toujours accomplie. – Ia Q19 a6
Il aurait pu citer aussi Daniel 4.35 : « Tous les habitants de la terre ne sont à ses yeux que néant : il agit comme il lui plaît avec l’armée des cieux et avec les habitants de la terre, et il n’y a personne qui résiste à sa main et qui lui dise : Que fais-tu ? »
L’idée est qu’effectivement, toute cause seconde peut s’appuyer sur des causes défaillantes : l’histoire militaire est remplie de généraux brillants aux plans parfaits qui voient leur volonté ne pas s’accomplir pour cause de mauvais temps, gaffe de leurs officiers, impréparations de leurs soldats, panne de l’équipement… Cela est la normale pour les causes secondes.
Mais Dieu n’est pas un joueur parmi d’autres dans l’univers. Il est la Cause Première.
Donc, puisque la volonté de Dieu est cause universelle à l’égard de toutes choses, il est impossible que la volonté de Dieu n’obtienne pas son effet. C’est pourquoi, ce qui semble s’écarter de la divine volonté dans un certain ordre y retombe dans un autre. Le pécheur, par exemple, autant qu’il est en lui, s’éloigne de la divine volonté en faisant le mal ; mais il rentre dans l’ordre de cette volonté par le châtiment que lui inflige la justice. – Ia Q19 a6
Ok, mais qu’en est-il du fait que Dieu veut que tous soient sauvés ? De toute évidence tout le monde n’est pas sauvé. Donc la volonté divine ne s’applique pas toujours. A cette objection, Thomas a trois réponses, qui sont la base de nos réponses modernes.
D’abord de telle sorte que l’affirmation distributive soit ainsi interprétée : “ Dieu veut que soient sauvés tous les hommes qui sont sauvés. ” Comme dit S. Augustin : “ Non pas qu’il n’y ait pas d’hommes dont il ne veuille pas le salut, mais aucun homme n’est sauvé dont il ne veuille pas le salut. ” – idem
Assez facile à comprendre. Dans les discussions contemporaines, cette interprétation n’est pas très à la mode, parce qu’elle ne correspond pas vraiment au texte, qui semble entendre que l’on parle de bien plus que les élus, mais bien de toute l’humanité.
Deuxièmement, on peut comprendre cette distribution en l’appliquant aux catégories d’individus, mais non aux individus de ces catégories, dans le sens suivant : “ Dieu veut que des hommes soient sauvés dans toutes les catégories : hommes et femmes, Juifs et païens, grands et petits, sans qu’il veuille sauver tous ceux qui appartiennent à ces catégories. ” – idem
Dieu veut que toute sorte d’humains soient sauvés. Cette interprétation est couramment utilisée dans les débats calvinistes/arminiens.
Mais la réponse la meilleure, et aussi la plus populaire est celle qui vient. Chez les réformés, on a en tête Jonathan Edwards qui faisait la distinction entre décrets révélés et décrets secrets chez Dieu. Vous allez voir que Thomas d’Aquin, au XIIe siècle, avait une position cousine, et qu’il se base pour cela sur Jean le Damascène, un père de l’église du… VIIIe siècle. 1000 ans avant Edwards. Il est basé sur la distinction entre volonté antécédente et volonté conséquente.
La volonté antécédente, c’est ce que l’on veut avant (anté-cedere : avant le reste) toute chose. Par exemple vouloir préserver la vie de l’autre.
La volonté conséquente, c’est ce que l’on veut dans le cadre de circonstances particulières (con-sequitur : ce qui suit avec). Ainsi, vouloir tuer un djihadiste en pleine action.
Le policier qui a une arme a comme volonté antécédente de protéger tout le monde, que personne ne soit tué. Mais ça, c’est la théorie. Quand vient un camion qui remonte l’avenue en écrasant le maximum de monde, sa volonté change très vite, il tire son arme et tue le conducteur. A-t-il vraiment changé de volonté ? Non ! Il a toujours eu tout du long la volonté antécédente de ne tuer personne. Mais dans cette situation, sa volonté conséquente était de tuer le djihadiste.
Et de la même façon, la volonté que Dieu a de sauver le monde entier est une volonté antécédente. C’est la volonté première, avant toute autre circonstances. Mais il a aussi d’autres projets qui nécessitent par exemple que Judas trahisse Jésus afin d’obtenir un bien plus grand. Cette volonté-là est conséquente. La mort de Judas n’est donc pas l’occasion de dire que la volonté de Dieu a failli, ni dans la volonté antécédente, ni dans la volonté conséquente.
Personnellement, je préfère cette explication du Damascène à celle de Jonathan Edwards, même si elles sont très proches. En formulant la défense autour des décrets, Jonathan Edwards amène à jeter le doute sur la volonté de Dieu : Dieu veut que je fasse le bien, mais peut-être a-t-il une volonté secrète que je fasse le contraire ?
Le Damascène place cette distinction dans le type de volonté et non de décision, et prévient cette confusion : Il n’y a pas de secrets dans la volonté de Dieu, ni de clauses secrètes. Il y a simplement une volonté générale et des volontés « circonstancielles ».
Article 7 : Dieu change-t-il de volonté ?
Mais bien sûr ! N’est-il-pas écrit : « Je me repens d’avoir créé l’homme » Gen 7.6 juste avant le déluge ?
En sens contraire, il est écrit (Nb 23, 19) : “ Dieu n’est point un homme, pour mentir ; il n’est pas un fils d’homme, pour se repentir. ”
La volonté de Dieu est absolument immuable. Mais à cet égard il faut songer qu’autre chose est changer de volonté, autre chose est vouloir le changement de certaines choses. Quelqu’un peut, sa volonté demeurant toujours la même, vouloir que ceci se fasse maintenant, et que le contraire se fasse ensuite. – Ia Q19 a7
Pensons au forgeron qui veut forger une épée. Il veut la chauffer, puis il veut la retirer, et puis encore après il la plonge dans l’eau pour la refroidir brutalement ! A-t-il changé de volonté ? Absolument pas, il a une seule volonté –fabriquer une épée- mais cette volonté unique et continue inclut des changements dans l’exécution.
Et voici comment Thomas explique le « repentir de Dieu » :
Cette parole doit être comprise comme une métaphore, par comparaison avec nous. Quand nous nous repentons, nous annulons ce que nous avons fait. Toutefois, cela peut se produire sans qu’il y ait de changement dans la volonté ; car un homme, sans que sa volonté change, peut vouloir faire maintenant une chose et, en même temps, se proposer de la détruire ensuite. Ainsi donc on dit que Dieu s’est repenti par assimilation à notre repentir, puisque après avoir fait l’homme, il l’a détruit par le déluge sur la surface de la terre. – idem
Article 8 : Tout ce que Dieu veut arrive-t-il nécessairement ?
Dieu veut que Judas trahisse Jésus : la trahison de Judas est-elle nécessaire ? Dieu veut qu’Augustin se repente : la conversion d’Augustin est-elle nécessaire ? Si la volonté de Dieu est la cause de toute choses (article 4), alors il paraît difficile de de maintenir la liberté de Judas et donc sa responsabilité morale.
A ceci Thomas répond que non, la trahison par Judas n’est pas nécessaire. Ne vous méprenez pas : la volonté de Dieu est belle et bien infaillible et il est infaillible que Judas trahisse Jésus, mais ce n’est pas pour autant nécessaire.
Il est donc mieux de dire que s’il y a des choses auxquelles la volonté divine confère la nécessité, et d’autres auxquelles elle ne la confère pas ; cela provient de l’efficacité de cette volonté. En effet, lorsqu’une cause est efficace, l’effet procède de la cause, non seulement quant à ce qui est produit, mais encore quant à la manière dont cela est produit, ou dont cela est ; c’est en effet l’insuffisante vigueur de la semence qui fait que le fils naisse dissemblable de son père quant aux caractères individuants, qui font sa manière d’être un homme. Donc, comme la volonté divine est parfaitement efficace, il s’ensuit que, non seulement les choses qu’elle veut sont faites, mais qu’elles se font de la manière qu’il veut. Or Dieu veut que certaines choses se produisent nécessairement, et d’autres, de façon contingente, afin qu’il y ait un ordre dans les choses, pour la perfection de l’univers. C’est pourquoi il a préparé pour certains effets des causes nécessaires, qui ne peuvent défaillir, et d’où proviennent nécessairement les effets ; et pour d’autres effets il a préparé des causes défectibles, dont les effets se produisent d’une manière contingente. – Ia, Q19 a8
C’est à cause de leur manque de puissance que les preneurs d’otage sont obligés de menacer d’un fusil pour contraindre leurs otages à aller à tel endroit. Mais Dieu est tellement puissant qu’il n’a pas à contraindre qui que ce soit : il fait simplement en sorte que la personne ait « naturellement » envie d’accomplir telle action, et voici la chose est faite. Donc tout ce que Dieu veut n’arrive pas de façon nécessaire.
Article 9 : Dieu veut-il le mal ?
J’avais déjà commenté ceci dans mon article « Thomas d’Aquin le calviniste partie 1 » je me permets de copier-coller ici le commentaire :
Comme le dit Augustin d’Hippone :
« Le Dieu tout puissant ne permettrait en aucune manière qu’un quelconque mal s’introduise dans ses œuvres, s’il n’était assez puissant et assez bon pour tirer du bien du mal lui-même ».
L’erreur de cette objection est de se concentrer sur un mal particulier en oubliant qu’ils sont tous connectés à un plan général (le plan de Dieu, ou la Providence), et que Dieu travaille chacun de ces détails non en eux-même, mais par rapport au plan plus global. Ainsi, Thomas d’Aquin dit :
« Il en va autrement de celui qui a la charge d’un bien particulier, et de celui qui pourvoit à un tout universel. Le premier exclut autant qu’il peut tout défaut de ce qui est soumis à sa vigilance ; tandis que le second permet quoi qu’il arrive quelque défaillance dans une partie, pour ne pas empêcher le bien du tout. »Ia Q22 a2
Certes, me dira-t-on mais tout de même, il reste que Dieu décide (et donc) veut un mal pour obtenir un bien, et même si c’est pour le bien général… il reste responsable de ce mal particulier. Et, vous vous en doutez, la réponse est non. On trouve le raisonnement dans la Summa Ia, Q19, article 9.
Dieu étant parfaitement bon, il ne peut être ni tenté, et encore moins attiré par le mal (Jacques 1.13). Thomas d’Aquin va jusqu’à dire que personne ne désire le mal pour lui-même, disant notamment :
« Car un agent naturel ne tend jamais à la privation de la forme ou à la destruction totale, mais à une forme à laquelle est liée la privation d’une autre forme ; il veut la génération d’une réalité, génération qui ne se fait pas sans la corruption de la précédente. Le lion, qui tue un cerf, cherche sa nourriture, ce qui entraîne la mise à mort d’un animal. De même, le fornicateur cherche la jouissance, à laquelle est liée la difformité de la faute. » Ia, Q19, a8
Donc lorsque Dieu veut un tel évènement, il ne désire ni ne calcule le mal qui est dedans. Il calcule et tient compte uniquement du bien visé, et le mal vient sur l’évènement comme un accident, cad une caractéristique non nécessaire. Ainsi Thomas d’Aquin dit :
« Mais le mal qui est une déficience de la nature, ou le mal de peine, Dieu le veut en voulant quelque bien auquel est lié un tel mal. Par exemple, en voulant la justice, il veut la peine du coupable, et en voulant que soit gardé l’ordre de nature, il veut que par un effet de nature certains êtres soient détruits. »
Toute la difficulté est qu’il est absolument impossible de voir quel bien –particulier ou général- Dieu tire des 200 000 bébés déchiquetés légalement chaque année en France, ou des 75 000 viols estimés qui se déroulent chaque année dans notre pays, ou autres évènements. C’est non sans raison, mais malgré tout par la foi que nous déclarons avec Augustin : Dieu ne permettrait pas ces choses s’il ne savait tirer de ces choses du Bien, même à partir du mal lui-même.
Toujours est-t-il que Dieu ne cause pas le mal : il cause un certain bien inconnu, qui s’accompagne d’un mal bien sensible, mais accidentel (cad non essentiel). Le commentaire de Thomas d’Aquin là dessus est le suivant:
Car si le mal est ordonné (= lié) au bien, ce n’est pas par lui-même, c’est par accident. En effet, il n’est pas dans l’intention du pécheur qu’un bien sorte de son péché, les tyrans ne se proposaient pas de faire briller la patience des martyrs. On ne peut donc pas dire que cette ordination au bien soit incluse dans la formule par laquelle on déclare bon que le mal soit ou se produise ; car rien ne se juge d’après ce qui lui convient par accident, mais d’après ce qui lui convient par soi-même.
De la même façon, l’abattage du gorille Harembe dans le zoo de Cincinnati n’est pas réalisé dans le but de tuer inutilement le gorille, mais pour sauver l’enfant qui était tombé entre ses mains. Ce qui était visé était non la mort du gorille, mais l’intégrité physique de l’enfant qui passait par cette voie. Il était possible de récupérer l’enfant sans déclencher soi-même aucun mal, mais dans ce cas l’enfant aurait été blessé, à moins que ce ne soit un gardien. Le bien supérieur dans cette situation était de tuer le gorille, mais cette mort n’était pas pour autant le but ou la volonté des soigneurs et ils ne sont donc pas responsables de sa mort.
Article 10 : Dieu a-t-il le libre arbitre ?
Ambroise écrit : “ L’Esprit Saint distribue à chacun ses dons comme il veut, c’est-à-dire selon le libre arbitre de sa volonté, non par soumission à la nécessité. ”
Nous avons le libre arbitre à l’égard des choses que nous ne voulons ni nécessairement, ni par un instinct de nature.[…] Donc, comme Dieu veut nécessairement sa propre bonté, mais non les autres choses, comme on l’a montré, il possède le libre arbitre à l’égard de tout ce qu’il ne veut pas nécessairement. – Ia Q19 a10
Article 11 et 12 : Les signes de la volonté de Dieu
Jusqu’ici, nous avons dépeint la volonté de Dieu comme un objet métaphysique très intéressant, mais assez éloigné de ce que nous vivons concrètement. Quand on parle de volonté de Dieu, telle que nous la vivons, nous parlons de ce que Dieu amène dans nos vie, de ce à quoi nous échappons, nous parlons de ses commandements et ses lois morales, de ce qu’il fait de nous… Tout cela sont les manifestations extérieures de la volonté de Dieu. Et c’est cela que nous appelons « signes ». L’église médiévale en compte cinq : la prohibition, le précepte, le conseil, l’opération et la permission.
La permission et l’opération se réfèrent au présent, permission s’il s’agit du mal, opération s’il s’agit du bien ; à l’avenir au contraire se rapportent, s’il s’agit du mal, la prohibition ; s’il s’agit du bien nécessaire, le précepte ; s’il s’agit du bien surérogatoire, le conseil. – Ia Q19, a12
Synthèse
Y-a-t-il une volonté en Dieu?
Oui, car ce que Dieu sait de bon, il est attiré par lui et donc le veut.
Dieu veut-il autre chose que lui-même?
Oui, car sa Bonté fait qu’il veut communiquer sa bonté à d’autres, et donc qu’il veut d’autres.
Tout ce que Dieu fait, le veut-il de façon nécessaire?
Non, car il choisit comment il communique cette bonté.
La volonté de Dieu est-elle cause des choses?
Oui.
Peut-on attribuer une cause à la volonté divine?
Non car ces causes elles-même sont incluses dans la volonté de Dieu, qui existe tout à la fois.
La volonté divine s’accomplit-elle toujours?
Oui, car il n’est pas un acteur en plus mais au-dessus de toutes choses.
La volonté de Dieu est-t-elle sujette au changement?
Non, mais elle peut inclure le changement des choses.
La volonté de Dieu rend-elle nécessaire les choses qu’elle veut?
Dieu est tellement puissant qu’il peut aussi bien créer des évènements nécessaires que contingents.
Y-a-t-il en Dieu la volonté des choses mauvaises?
Non, Dieu ne peut que désirer le bien qui se trouve dans certains maux.
Dieu a-t-il le libre-arbitre?
Oui.
Quels sont les signes de la volonté de Dieu ?
La prohibition, le précepte, le conseil, l’opération et la permission.
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