Nos pères nous ont laissé l'Évangélisme – Cameron Shaffer
9 janvier 2020

Cet article est la traduction de « Our Fathers Left Us Evangelicalism » écrit par Cameron Shaffer pour l’excellent blog Mere Orthodoxy. Nous sommes conscients que cet article a été écrit pour un contexte et un lectorat qui ne sont pas identiques sur tous les plans à ceux de l’Église francophone. Par ailleurs, nous ne voulons certainement pas mettre sous une même appréciation tout ce qui a été accompli par la génération précédente. Nous approuvons néanmoins l’essence de la critique de cet article et pensons que sa lecture sera profitable aux chrétiens évangéliques européens.


My Father Left Me Ireland est l’histoire d’une nostalgie et des retrouvailles qui s’ensuivent. Michael Brendan Dougherty y raconte comment il a redécouvert ses racines et recouvré son héritage culturel, en renouant avec un père irlandais absent. Dougherty a cherché une identité qui ait un sens, au contraire de son expérience culturelle pauvre, artificielle et kitsch. L’identité qu’il a trouvée se trouvait dans le don de l’Irlande fait par son père, un héritage et un patrimoine qui les dépassaient tous deux.

La lecture de ce livre m’a laissé perplexe. Quel était mon héritage à moi ? Mon propre père ne m’a jamais abandonné, mais que m’avait-il laissé qui ne soit pas immature et insipide ? Pasteur dans une église réformée, en cherchant ce que mes ancêtres nous avaient laissé, à moi et à mes pairs, j’ai découvert que ce n’était pas la Réforme, mais quelque chose de bien plus puéril, et cela m’a fait aspirer à plus.

Encore au séminaire, j’assiste à une conférence sur les missions. Un missionnaire chevronné nous annonce que la clé du succès missionnaire est que chaque génération de l’Église réinvente le culte, le fasse sien. Il n’appartient pas à une dénomination particulière.

Je me demande s’il est conscient que la foi de l’Église a déjà été transmise, une fois pour toutes.

Des années plus tard, je suis à un synode d’une dénomination qui se dit réformée confessante. Un pasteur de la génération du baby boom, avec la foi qui va avec, nous parle de la transmission de la foi dans l’Église. Elle serait fondamentalement liée au culte de l’Église, qui doit être réinventé à chaque époque ! L’ancienne approche serait rigide, indigeste, formelle ! Nous avons besoin de sentir la joie de Christ ! Cela signifie qu’un chant énergique, ininterrompu par la prière, les Écritures, la confession ou le crédo, serait le chemin vers le succès. Pour que votre Église réussisse, il faut mettre tout cela à jour pour notre époque ! Non pas en retournant à l’ère de la lecture interactive de l’Écriture, mais en suivant l’évolution des styles musicaux (et assurez-vous que vous le faites de manière professionnelle) ! Voilà, Église, comment tu serais censée survivre, prospérer et transmettre ta foi.

Nous avons mis en pièce notre patrimoine. Pour réussir, nous ne devons jamais le récupérer.

« Comment ça va ce matin ?

Seigneur, aie pitié de nous !

Êtes-vous tous prêts à adorer ?

Christ, aie pitié de nous ! »

Il nous est demandé d’honorer notre père et notre mère, mais que se passe-t-il lorsque ce que nous voulons récupérer est leur propre héritage, qu’ils ont d’abord déshonoré ? Que devons-nous faire quand honorer nos ancêtres dans la foi exige de rejeter la foi et la pratique de nos pères ?

Inévitablement, mes pensées reviennent régulièrement à cet essai de First Things sur The Young Pope. Certains ayant des parents sont encore orphelins. Si ce qui nous empêche d’être orphelins est le lien avec notre héritage et notre passé, alors les pratiques de culte évangélique de nos parents ont fait de nous des orphelins, les enfants de la Réforme. La liturgie est l’habitude, la coutume et la pratique d’incarner la croyance dans le culte. C’est la pratique qui transmet le droit d’aînesse et le rite de naissance. C’est le nom de famille des fidèles en marche. La réinventer, c’est couper le cordon avec notre passé, c’est s’émanciper en devenant orphelin.

Un jeune homme que je suivais avait récemment obtenu son diplôme d’études secondaires et avait commencé ses études supérieures dans une autre ville. Je lui ai recommandé de visiter plusieurs églises, dont une paroisse luthérienne. Il m’a dit plus tard qu’elles lui paraissaient trop catholiques romaines. Je m’attendais à entendre parler de la messe ou des cols romains, mais au lieu de cela, j’ai entendu : « Ils étaient assis sur des bancs plutôt que sur des chaises, et chantaient des hymnes au lieu de refrains de louange. C’était trop catholique. »

Être protestant, pour ce jeune homme, apparemment, n’incluait pas ce qui était solennel ou formel, même si cette formalité ne s’étendait que jusqu’aux bancs et aux hymnes de Fanny Crosby à l’orgue. Les évangéliques sont devenus si éloignés de notre fondement que nous confondons les pratiques d’il y a cinquante ans avec celles d’il y a cinq cents ans. Quand on est orphelin, tout ce qui semble donner une structure évoque la famille.

L’évangile est une folie, il est inintelligible pour le monde incroyant. Quelle sorte d’arrogance avons-nous pour penser que nous pouvons rendre notre culte plus intelligible que notre évangile, sans perdre les deux ? Débarrassez-vous des psaumes, débarrassez-vous de la confession et de l’absolution, supprimez les crédos, minimisez la pratique des sacrements, éliminez tout geste autre que celui de rester debout les bras levés (pendant les chants seulement), et le monde viendra.

Et c’est ainsi que ça marche, n’est-ce pas ?

C’est exactement ce qui se produit lorsque le rassemblement de l’Église ressemble à s’y méprendre aux usages du monde. Dire à vos enfants de faire leur propre chemin et de ne pas suivre votre exemple signifie qu’ils suivent le modèle de quelqu’un d’autre.

Que propose exactement l’Église actuellement ?

La megachurch de ma région a commencé à reconnaître que les jeunes générations veulent quelque chose de plus substantiel, quelque chose qui ait l’air plus ancien que les banlieues américaines. Ils ont commencé à organiser un office liturgique (avec une guitare acoustique et à la lueur des bougies) pour les séduire. Le pasteur est heureux que sa génération plus âgée se soit libérée des chaînes de la tradition et ait trouvé une foi véritable, une foi indépendante des mouvements. Et il est heureux que la réinvention du christianisme pour la prochaine génération semble différente de la sienne. Le fait que ce soit une tentative de retour à ce qu’il a détruit ne semble pas le déranger. Ce n’est que par hasard que la réinvention ressemble aux ruines de ce qui était avant. De plus, les similitudes entre ce qui est effectivement proposé et le Livre de la prière commune sont superficielles. La génération d’après celle d’après réinventera à nouveau.

Ma femme et moi entrons dans une église presbytérienne prétendument confessionnelle. Elle s’appelle « The Gathering » ou « CrossPointe » ou encore « Life Community ». Le groupe, composé d’hommes et de femmes dans la quarantaine et la cinquantaine, s’épanouit sur des chansons écrites entre 1985 et 2000. À part nous, il n’y a pas de personnes de moins de 30 ans dans le sanctuaire. Ils se disent, non sans fierté, engagés dans la mission de manière pertinente. Le pasteur informe l’assemblée que Jésus a plus de grâce à offrir que ce que l’on peut trouver dans une coupe de communion en plastique. Je me demande s’il sait que,

aussi véritablement que nous prenons et tenons le sacrement en nos mains, et le mangeons et buvons dans notre bouche pour notre nourriture, de même par la foi (qui est la main et la bouche de notre âme) nous recevons le vrai corps et le vrai sang de Christ, notre seul Sauveur, en nos âmes, pour notre vie spirituelle.

On nous dit que nous allons tous bien, que Dieu répare nos blessures, un autre refrain de louange s’élève, le flot d’adoration ne tarit pas. De toute façon, je ne voulais pas vraiment l’absolution de mes péchés.

Je visite plusieurs églises en Écosse. L’air sent le single malt et la réforme des Highlands. Il y a quelques années, l’Église libre d’Écosse a autorisé ses congrégations à chanter des hymnes en même temps que des psaumes a cappella. La plupart des églises qui ont fait ce choix, au lieu de chanter exclusivement les psaumes, chantent désormais exclusivement les Getty.

Réinventer l’avenir signifie faire table rase du passé de l’Église. La réinvention signifie l’abandon. Oubliez la communion des saints.

Je visite une congrégation à Glasgow. Ils chantent encore des psaumes ; leur ancien pasteur est mort d’une crise cardiaque quand il a entendu que la dénomination allait autoriser les hymnes. C’était il y a 15 ans. On me dit qu’ils vont introduire des hymnes dans la congrégation la semaine suivante. Bien entendu, ils continueront à chanter régulièrement des psaumes a cappella. Bien entendu…

Dougherty célèbre le fait que son héritage et l’esprit irlandais n’aient pas entièrement disparu après des siècles de colonialisme anglais. Comment cela ? Parce que les amoureux de l’île d’Émeraude ont fait l’effort conscient d’entretenir l’identité irlandaise, en veillant à transmettre à leurs propres enfants l’amour de la culture de leurs ancêtres. C’est un travail lent, mais louable. Martin Bucer dit à peu près la même chose dans Grund und Ursache à propos de la réforme dans le ministère. C’est un travail lent. C’est un travail difficile. C’est un travail qui en vaut la peine. C’est le travail de sauvegarde de l’Évangile, pour le sauver du colonialisme d’une foi régressive et inexpérimentée.

J’ai maintenant un fils. Que peut-on lui laisser ? Quelque chose de récupéré d’avant et d’au-delà de nous, quelque chose qui ne soit pas notre héritage, ou le leur, destiné à être réinventé. Quelque chose de vénérable et de transcendant. Nos pères nous ont laissé l’évangélisme. Nous pouvons et devons laisser à nos enfants quelque chose de meilleur.

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  1. Our Fathers Left Us Evangelicalism – Joy and Solemnity - […] article up over at Mere Orthodoxy. Edit (1/10/20): French-language site Par la Foi (By Faith) has the article up…

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