La Gouvernance de l'Église Catholique (2) : Pourquoi maintenant ?
5 octobre 2018

À ce stade, beaucoup de gens s’opposeront à la rédaction d’un essai polémique et apologétique sur ce sujet en ce moment. Ils diront que c’est insensible et opportuniste. Ils diront que c’est une distraction par rapport à la question des abus sexuels. Nous pouvons même imaginer des appels à la solidarité, à l’alliance des chrétiens conservateurs de toutes sortes contre les éléments progressistes au sein de leur bureaucratie ou à l’union de fidèles laïcs de toutes les religions dans des appels à la transparence ecclésiastique et aux protections juridiques.

Face à ces protestations, nous pouvons donner un certain nombre de réponses. Il n’y a aucun moyen crédible de blâmer les catholiques progressistes ou libéraux pour la crise actuelle des abus sexuels. Le pape Benoît XVI est lui-même impliqué par le témoignage sensationnel de l’archevêque Vigano. En fait, comme d’autres rapports semblent l’indiquer, toute les mesures disciplinaires à l’endroit du cardinal McCarrick ont été prises de façon informelle et privée. Benoît semble avoir été moins que compétent dans sa propre administration, et sa réputation n’était guère irréprochable avant cette dernière série d’accusations. L’engagement des conservateurs et des libéraux à maintenir les apparences a en fait été un facteur majeur d’abus.

De plus, l’Église catholique romaine couvre depuis très longtemps les abus sexuels commis par ses clercs et ses évêques. Notre période actuelle n’est pas si nouvelle que ça. Comme l’explique Paul Rahe de Hillsdale, lui-même catholique, la crise des abus sexuels du catholicisme est une crise internationale qui dure depuis presque un siècle. Dès 1985,  Fr. Thomas Doyle a présenté un rapport complet sur l’état du problème et a demandé des réponses pratiques et de nouveaux protocoles. Il a été ignoré. Nous ne sommes pas simplement en train de vivre un temps immédiatement après une révélation douloureuse. Nous sommes bien plus tard que cela, après des décennies de douleur, de déception et même de désespoir. Des crimes parallèles ont été découverts au Mexique, au Chili, en Argentine, au Honduras, en Irlande, en Allemagne, en Allemagne, en Australie et dans de nombreux autres pays.

Mais surtout, les problèmes actuels de l’Église catholique romaine sont directement liés à ses revendications spirituelles. Le clergé catholique romain ne se livre pas à des abus sexuels parce qu’il est catholique romain. Cependant, ils se couvrent les uns les autres et refusent de signaler correctement leur clergé aux autorités civiles en raison de la nature du ministère catholique romain. Notez bien que le catholicisme romain n’est pas la seule église ou le seul réseau qui a connu des scandales d’abus sexuels. Des protestants de toutes sortes, y compris des protestants réformés et évangéliques, ont également été victimes d’abus sexuels, même au sein de leur clergé. Cependant, ce qui rend Rome différente, c’est qu’elle fait certaines revendications absolues sur elle-même et sur ses relations avec le reste de la société. Elle affirme que Jésus lui-même a donné à l’évêque de Rome un pouvoir à la fois spirituel et temporel, et que Jésus a établi le pouvoir spirituel au-dessus du pouvoir temporel. Rome a pour politique, depuis Thomas Beckett, de rejeter les plaintes civiles contre son clergé, même dans le cas d’accusations criminelles. De plus, l’Église catholique romaine exige que tous ses laïcs soient subordonnés au clergé. En effet, la grâce salvifique elle-même est médiée par ce clergé. Ces affirmations sont pertinentes à la fois pour expliquer pourquoi Rome préfère couvrir son clergé et pour expliquer pourquoi les catholiques n’ont pas l’impression d’avoir le choix de quitter une église abusive et dangereuse.

Entre autres choses, l’ecclésiologie romaine empêche toute tentative de transparence ou de responsabilité totale. Comme Massimo Faggioli l’a fait remarquer, à juste titre, que tenter de forcer le pape à démissionner est contraire au droit canon. Ce n’est pas une nouvelle idéologie. Dès le XIIe siècle, les juristes romains déclaraient que « celui qui est juge de tout ne doit être jugé par personne ». Ceci a été réaffirmé par le Concile Vatican I qui déclare : « La sentence du siège apostolique (qui ne connait pas d’autorité supérieure) n’est sujette à révision par personne, et personne ne peut légalement porter un jugement à ce sujet » (Session 4, Chapitre 3, Point 8).

Rome enseigne également que les laïcs ne doivent pas être impliqués dans la gouvernance de l’Église. Écrivant en 1906, le pape Pie X a également réaffirmé que les laïcs ne doivent pas résister à la gouvernance du clergé :

l’Église est essentiellement une société inégale, c’est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles. Ces catégories sont si distinctes qu’avec le corps pastoral repose seulement le droit et l’autorité nécessaires pour promouvoir la fin de la société et diriger tous ses membres vers cette fin ; le seul devoir de la multitude est de se laisser conduire, et, comme un troupeau docile, de suivre les pasteurs. (Vehementer Nos)

Ainsi, l’approche « hiérarchique », « cléricale » et « ultramontaine » du gouvernement ecclésiastique n’est pas une nouvelle corruption du catholicisme, mais est en fait un dogme reçu. Par conséquent, la situation actuelle au sein du catholicisme romain met en lumière l’une de ses caractéristiques essentielles : les catholiques romains fidèles peuvent-ils vraiment pratiquer ce que leur Église a prêché ? Les scandales ne sont pas des exceptions à une règle, mais plutôt des moments extrêmes qui mettent la règle à l’épreuve. Le pouvoir propre de l’Église catholique romaine a priorité sur le bien-être temporel de ses membres, y compris leur sécurité psychologique, émotionnelle et physique.

Beaucoup de catholiques romains pieux et traditionnels ont admis essentiellement ce point. Ils ne peuvent tout simplement pas quitter l’Église catholique romaine, même si les pires allégations se révèlent toutes vraies. Leur salut en dépend. Avec un mélange de confiance et de désespoir, ils citent pour la forme Jean 6 : « Où pourrions-nous aller ? » Et selon la théologie catholique romaine, leur point de vue tient toujours. Dans ces conditions, Jésus a confiné son église à la juridiction cléricale de l’évêque de Rome, et il n’y a tout simplement pas d’appel au-delà ou, en cas de tyrannie spirituelle, d’échappatoire à celle-ci. Pour obtenir le salut, ils doivent « haïr leur vie » (comme le voudrait le raisonnement d’une lecture ecclésiastique de Jean 12:25), et cela inclut se soumettre aux abus de leur propre église.

Ce principe s’applique également aux ordres inférieurs du clergé. Théoriquement, ils ont moins d’autorité, mais dans la pratique, ils ont l’autorité la plus pressante. Les mêmes hommes qui sont eux-mêmes des prédateurs sexuels ou qui couvrent et rendent possibles les prédateurs sexuels sont chargés de prendre soin des âmes. Il ne s’agit pas seulement d’un soin prudentiel et ministériel. C’est aussi une question juridique. Les prêtres et les évêques sont les exécuteurs pratiques du sacrement de réconciliation, qui comprend une application prudentielle de la discipline et même de la justice. L’insubordination à celles-ci, même dans le cas de menaces extrêmes et existentielles, c’est risquer le salut lui-même. Si le prêtre est un abuseur, les victimes doivent encore aller à lui pour recevoir les sacrements. Et ils ne peuvent pas présumer que leur évêque serait une source utile ou sympathique en cas d’appels. Michael Brendan Dougherty exprime ce dilemme précisément lorsqu’il écrit : « Jusqu’à quel point Dieu doit-il nous haïr pour mettre les moyens du salut entre les mains de tant de prédateurs ? »

Ce n’est pas un coup bas que d’utiliser la crise des abus sexuels au sein du catholicisme romain pour tester ses prétentions sur lui-même et sur le salut. Au contraire, cette crise met en lumière exactement ce qui est en jeu avec ces revendications. La papauté n’admet aucune responsabilité terrestre. Même si le pire des dernières charges s’avérait vraie, il serait tout à fait inapproprié pour un catholique romain d’appeler le pape à démissionner. Il serait également impossible pour un catholique fidèle de quitter l’Église sans perdre aussi le salut. Tout cela est nécessairement impliqué par les revendications ecclésiastiques du catholicisme romain. Ce sont les coûts d’une telle religion.

Mais si ces affirmations ne sont pas vraies, si Rome n’est pas ce qu’elle prétend être, alors c’est une des plus grandes tragédies de l’histoire humaine. Des centaines de milliers d’âmes sont tenues en esclavage spirituel. Elles sont victimes d’une grave injustice. Elles sont continuellement maltraitées. Pour ceux d’entre nous qui croient que les affirmations de Rome sont fausses – et qui croient que nous pouvons démontrer cette fausseté – la compassion réelle nous oblige à parler. Nous devons être un bon prochain. Nous devons aimer nos frères catholiques romains comme nous-mêmes. Faudrait-il être lâche ou indifférent pour garder le silence ?

Étant donné l’énormité des scandales d’abus catholiques romains, il est juste, raisonnable et aimant d’appeler des catholiques individuels à enquêter vraiment sur les revendications de leur église. Si elle n’est pas ce qu’elle prétend être, alors elle ne peut pas soutenir ses exigences si lourdes auprès des laïcs. Si Rome n’est pas la seule vraie église, alors elle exige que son clergé et ses membres mentent. Si Rome n’est pas la seule vraie église, alors elle demande actuellement à ses membres de risquer leur sécurité spirituelle et physique. Ils devraient la quitter immédiatement, pour leur propre bien et pour le bien de leurs enfants. Et si Rome n’est pas la seule vraie église, alors tous les hommes de bonne volonté devraient vouloir que cette vérité soit connue.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

4 Commentaires

  1. Steven

    Nous ne sommes pas débiles, pour ma part j’ai rejeté l’enseignement de l’église dans laquelle j’ai grandi à cause de ses mœurs et de sa prétention, je me suis éloigné de ce milieu fondamentaliste et haineux avec ses problèmes internes à la direction de l’église qui n’a pas vu son orgarnisation càd le conseil de ses anciens être renouvelée depuis maintenant plus de 30 ans! Sans énumérer le nombre de scandales répétés commis par ces bergers souvent étouffés ou démentis parfois reconnus mais sans jamais être inquiétés dans l’exercice de leur ministère car cela est impossible ils sont nommés à vie et d’ailleurs il y a beaucoup de complicité entre eux ils se couvrent mutuellement, sans parler de ses membres qui portent le lourd fardeau de la soumission à ces aînés anciens car c’est ce qu’ordonne la Bible alors même qu’ils sont fatigués, moralement et spirituellement anéantis de devoir supporter les excès de beaucoup de ses ministres eux qui prétendent nourrir leur vie spirituelle! Certains se sont éloignés ou ont quitté l’église pour ces raisons, d’autres sont partis à cause de la médisance de certains de ses membres qui est aussi un autre problème majeur, d’autres ont rejoint les pentecôtistes et d’autres encore se sont constitués une autre assemblée, rivale de l’église d’où ils sont sortis et se sont ralliés à un autre groupement d’églises doctrinalement différent sur le plan du salut. Que de fractures et divisions…Où est la charité et l’humilité dans tout cela..
    On peut faire des avancées dans le mode de gouvernance de l’Église catholique, des réformes du moins dans la vie de l’église.
    Le fait est qu’elle soit toujours pointée du doigt et jugée par ses nombreux détracteurs que ce soit les médias ou les autres églises l’incite sans cesse à se transformer ou à s’améliorer et cela en devient même pour elle un véritable moteur du changement.

    Réponse
    • Maxime N. Georgel

      Ces derniers temps, les changements n’ont pas l’air glorieux au sein de l’Eglise romaine.

      Réponse
      • Steven

        Oui et bien on y croit.
        À chacun son rythme.

        Réponse
        • Maxime N. Georgel

          A chacun son rythme en effet. Les églises protestantes libérales se sont enfoncées rapidement dans le progressisme, l’Eglise romaine le fait plus progressivement.

          Notons que je ne dis pas cela pour la défense des églises évangéliques, je suis réformé confessant, pas évangélique.

          Réponse

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