Les conseils d’une féministe radicale pour les conservateurs chrétiens
3 août 2020

Je découvre en ce moment la théologie féministe. Plus précisemment, je lis Beyond God the Father de Mary Daly, écrit en 1973. Mary Daly est une féministe radicale qui a grandi dans le milieu catholique. Elle connaît plutôt bien la Somme théologique de Thomas d’Aquin par ailleurs. Cependant, à la différence d’autres théologiennes féministes, elle a acquis des convictions radicales et a défendu une séparation des femmes avec les hommes, le lesbianisme, rejeté la transsexualité et autres idées qui font que, même parmi les féministes, elle est critiquée (tout en étant un modèle pour d’autres). Pour plus de détails je vous renvoie vers cette notice de ThoughtCo. Je ne recommande pas la lecture de ce livre, à moins que vous ne cherchiez à découvrir à quoi ressemble le féminisme le plus radical, ou que vous aimiez vous faire traiter de « sale porc phallocrate » dès la dixième page.

Mary Daly s’apprêtant à expliquer aux chrétiens comment être radicalement orthodoxes.

Cependant, en plein milieu de son chapitre 2, Mary Daly adresse plusieurs conseils à ses « sœurs » pour opérer leur propre libération intérieure. À ma grande surprise, j’ai trouvé ces conseils très pertinents pour ma propre situation. Je les partage avec vous. Car c’est bien connu, les sales porcs phallocrates ne servent qu’à ça : renverser les justes combats et maintenir la dictature de l’Église, en détournant la parole des femmes.

Le problème de la paralysie psychologique

Parmi les problèmes de l’internalisation des femmes de l’identité de « l’Autre » est la paralysie psychologique. Elle vient d’un sentiment général de désespoir, de culpabilité et d’anxiété quant à la désapprobation sociale. Une telle anxiété est justifiée, car les femmes qui cherchent à exprimer une nouvelle conscience vivent en conflit avec les mécanismes de contrôle social, qui incluent le ridicule, les insultes, la psychanalyse instantanée exprimée par des commentaires tels que « envie du pénis », « misandrie » ou « peu féminine ».

DALY Mary, Beyond God the Father. Toward a Philosophy of Women’s Liberation, Boston : Beacon Press, 1973, p. 51.

Ce que dit Mary Daly est tout à fait adaptée à la situation des féministes des années 70. Mais dans les années où nous sommes, ce sont les chrétiens orthodoxes qui sont ainsi décrits :

  • Ils souffrent d’une forme de paralysie psychologique qui les gêne dans la défense de leur identité et dans leur vie évangélique.
  • Elle vient d’un sentiment général de désespoir face à un monde qui semble implacablement incroyant.
  • On retrouve aussi la culpabilité et l’anxiété face au torrent de critiques qui risque de se déverser sur eux si jamais ils expriment une opinion orthodoxe.
  • Cette anxiété est justiifée, car les obstacles posés par les mécanismes de contrôle social sont réels et tangibles.
  • Ils incluent effectivement le ridicule appliquée aux chrétiens, les insultes et les psychanalyses instantanées : « obscurantistes », « fondamentalistes », « arriérés ».

Je vous propose donc d’aller au-delà de notre Mère la Terre : vers une philosophie de la libération des Chrétiens, grâce aux augustes conseils de Mary Daly.

Conseil n°1 : Assumez et agissez en tant qu’orthodoxes.

Quitte à écouter des auteurs peu orthodoxes, autant mentionner la « première règle » de Jordan Peterson : « Redressez-vous les épaules carrées ». En assumant nos opinions plutôt que de les cacher, nous renforçons notre confiance en nous-mêmes, et même si nous rencontrons les critiques, nous sommes en fait renforcés par le fait que nous ne luttons plus contre nous-même. Je vais reformuler les mots de Mary Daly en remplaçant les formules féministes par des mots adaptés à notre situation :

Le début de la victoire sur cette paralysie est l’action externe. Cela peut signifier la participation à un groupe de discussion […], se lever pour mettre au défi un orateur qui a exprimé une opinion biaisée contre les chrétiens, écrire un article, une « lettre à un éditeur » ou simplement un courriel à un ami, exprimant vos opinions. Cela peut signifier rejoindre une association contre les atteintes aux valeurs chrétiennes dans les lois, les médias, la religion organisée, ou l’éducation nationale. Quelle que soit l’action choisie, elle peut ouvrir la voie à une nouvelle forme d’action, et c’est le processus lui-même d’engagement qui génère l’espoir. Il amène l’opposition à être ouverte, ce qui signifie que l’énergie agressive peut être tournée vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur de soi-même. De telles actions peuvent révéler des opposants (mais après tout, c’était ce que l’on attendait et craignait), mais elles révèlent aussi des alliés et des amis potentiels. La confiance en soi qui viendra avec cette percée dans l’affirmation de soi est qualitativement nouvelle, et il ne faut pas la confondre avec la confiance qui vient du fait d’être « populaire », ou le fait d’être un auteur, musicien ou joueur de tennis compétent. C’est l’estime de soi qui vient avec l’affirmation d’un soi indivis. D’après Mary Daly, Beyond God the Father, p. 52.

Je peux confirmer cela : quand j’ai rejoint l’alliance Vita, et que je me suis pris ma première rangée d’insultes, j’étais terrifié. Mais je l’ai surmontée en me disant que ce que j’avais survécu, ce n’était pas grand-chose en fin de compte. De même, les différents articles que j’ai postés sur ce blog, où j’ai posté une fois ou l’autre des opinions controversées m’ont renforcé, et chaque critique a été une édification. Je n’ai pas gagné en popularité, mais pourtant le Saint Esprit m’a renforcé.

Bref, Mary Daly marque un point en faisant remarquer qu’il y a une grande force dans le « soi indivis » [undivided self]. C’est aussi ce que l’apôtre Jacques dit lorsqu’il écrit :

Celui qui doute est semblable au flot de la mer, agité par le vent et poussé de côté et d’autre. Qu’un tel homme ne s’imagine pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur : c’est un homme irrésolu [littéralement : à l’esprit double], inconstant dans toutes ses voies.  

Jacques 1 :6-8

N’ayez pas un cœur double. Que le Seigneur qui est dans votre cœur soit aussi sur vos lèvres.

Conseil n°2 : Attendez-vous à l’opposition des « chrétiens anti-chrétiens »

Nous connaissons tous des exemples de gens qui se revendiquent du christianisme, mais qui rejettent des doctrines fondamentales de celui-ci, et qui commettent plus de dégâts que les athées. Combien d’articles pullulent et qui mentionnent : « en tant que chrétien attaché à la Bible, je soutiens l’avortement / l’homosexualité » etc. Un seul exemple suffira pour illustrer : François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, auteur de plusieurs commentaires désobligeants et scandaleux contre les évangéliques, et qui parlait récemment de  « faire le deuil d’un Dieu divin1 ».

Mary Daly décrit aussi cette réalité en parlant de « l’antiféminisme féminin ». Encore une fois, je pastiche son discours :

Contrairement à l’antichristianisme athée, [l’antichristianisme chrétien] prend rarement la forme de la violence physique. La partie du chrétien anti-chrétien qui s’identifie à la structure de pouvoir considère le chrétien orthodoxe comme une menace contre lui-même . il exprime la désapprobation et l’hostilité. Cette division des chrétiens est l’expression d’une division existant dans la personnalité (self) des chrétiens. Elle jaillit de façon inattendue et de personnes inattendues. Souvent il arrive que le chrétien qui a accompli un succès exceptionnel dans un domaine « non-croyant » décourage ouvertement d’autres chrétiens de suivre son exemple. Ayant accepté son rôle de faire-valoir dans les plus hauts échelons de la société, il adopte les attitudes de ses collègues non-croyants envers les chrétiens qui aimeraient suivre le même chemin. Ses paroles de découragement et son manque de support pour les frères dans la foi rend confus et présente une sorte de « double joug » aux chrétiens qui aspirent à suivre le même chemin […]. Tout comme vaincre la paralysie du cœur divisé se fait par l’action concrète, le triomphe du christianisme anti-chrétien viendra par des efforts conscients d’établir des réseaux de soutien avec d’autres chrétiens orthodoxes pour affirmer collectivement aussi bien qu’individuellement la volonté d’être orthodoxe. Ultimement, seuls les chrétiens peuvent éradiquer cette violence psychologique faite par et à travers des chrétiens envers les membres de leur propre religion, en soutenant et dénoncant ce qui est dans une large mesure une duplicité inconsciente. D’après Mary Daly, Beyond God the Father, pp. 52-53.

Ces conseils sont assez proches de ceux que Jésus donnait à l’église de Smyrne :

Je connais ton affliction et ta pauvreté (bien que tu sois riche), et les calomnies de la part de ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas, mais qui sont une synagogue de Satan. Ne crains pas ce que tu vas souffrir. Voici, le diable jettera quelques-uns d’entre vous en prison, afin que vous soyez éprouvés, et vous aurez une tribulation de dix jours. Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie.

Apocalypse 2:9-10

Résistez et dénoncez ces membres de la « synagogue de Satan ». Soyez fidèles jusqu’à la mort.

Conseil n°3 : Combattez la fausse humilité

Vous vous souvenez de toutes ces critiques contre les responsables évangéliques qui diluent leurs propres opinions face aux autorités ou au monde ? Mary Daly traite de ce genre de choses aussi. Je pastiche à nouveau son discours, de façon plus lourde cette fois-ci.

Un troisième effet de la déchristianisation est la fausse « humilité », qui est l’internalisation de l’opinion athée dans une société séculière. Cela signifie ne jamais « viser trop haut », en s’imposant à soi-même une peur du succès étrangement ambivalente. Cet évitement du succès est partiellement enraciné dans des sentiments de culpabilité d’être un « rival » pour les non-croyants ou de « menacer les sensibilités de ceux qui ne sont pas encore chrétiens ». Une telle fausse humilité est exprimée non seulement au niveau individuel, mais aussi au niveau collectif, lorsque des associations évangéliques affichent publiquement une attitude d’auto-dénigrement et même agissent au niveau politique pour l’imposer aux chrétiens. Un exemple frappant est l’Alliance évangélique mondiale, qui s’est dépêchée de condamner le populisme en mars 2020. Dans son discours aux Nations Unies elle a notamment dit : « Nous croyons que le christianisme signifie aimer notre prochain et accueillir l’étranger. Nous devons admettre qu’à travers les siècles, nous avons failli à ce principe, et même fauté misérablement parfois », ou bien encore : « Nous sommes inquiets de voir que les soi-disant valeurs chrétiennes ont été utilisées pour générer de la haine. » De telles organisations fonctionnent comme une sorte de surmoi, disant « non » à l’orthodoxie personnelle et son affirmation. D’après Mary Daly, Beyond God the Father, p. 53.

Sommes-nous donc des esclaves du monde pour nous rabaisser devant les athées ? Seuls les idolâtres plient le genou devant ce qui n’est pas Dieu. La fausse humilité est avant tout de l’affichage de vertu, et n’a pas plus de vertu que le pharisien qui prie : « Je te remercie, Seigneur, de ne pas être comme ce fondamentaliste là-bas. Moi j’affirme la valeur de mon prochain, je participe à une église inclusive, je valorise les voix ignorées ».

Conclusion

Je remercie Mary Daly d’avoir pu ainsi nous édifier, et de m’avoir renforcé à la fois en tant qu’homme et en tant que chrétien. Le sale porc phallocrate que je suis la salue.

Plus sérieusement, quand on voit l’efficacité avec laquelle les féministes des années 70 ont pu arriver à la position hégémonique qu’elles ont actuellement, nous pouvons récupérer pour nous-même des conseils qui, je pense, ne sont pas contraire aux Écritures.

  1. Assumer et agir en orthodoxe.
  2. Ignorer et vaincre les chrétiens anti-chrétiens.
  3. Combattre la fausse humilité.

Illustration: Jan de Bray, Judith et Holopherne, huile sur toile, 1659 (Rijksmuseum, Amsterdam).


  1. Après Dieu, Paris : Le Cerf, 2019.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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