Ultimes amendements
17 juin 2022

La treizième séance du Synode, le 20 juin 1872, commence, comme souvent, par des salutations de députés étrangers, en l’espèce de l’Église presbytérienne d’Angleterre, et de celle d’Irlande (lequel précise que “tous sont attachés aux doctrines écrites dans leur confession de foi, et s’appliquent à les prêcher”). Ensuite, bien que la discussion sur le projet de déclaration de Charles Bois soit censée avoir été clôturée, quatre ultimes amendements, émanant tous du parti libéral ou des modérés, sont encore discutés. Un seul d’entre eux reçoit l’aval de M. Bois et est adopté.

Contrairement à son habitude, le pasteur Bersier (Histoire du synode général…, t. 1, pp. 323-341) rapporte bon nombre des propos tenus au discours indirect.


Amendement de Philippe Jalabert

M. Jalabert. — La discussion étant close, il n’y a plus qu’une seule proposition en discussion ; c’est celle de M. Bois. Je me propose de la combattre, et je le fais sous l’empire de sentiments très sérieux. Il y a des heures décisives dans l’histoire des Églises ; telle est l’heure où nous sommes ; je suis profondément affligé parce que l’union que j’avais rêvée n’existe plus, et qu’au moment où nous touchons à un vote solennel, nous nous ressentons trop des luttes passionnées de ces derniers jours. Je veux apporter ici une parole de paix, une solution pratique qui pourrait nous réunir tous. Un mot d’abord sur la position du groupe que je représente, sur le centre gauche ; je crains que la défiance ne nous aveugle, et que nous ne sachions pas reconnaître la part de vérité que possède chaque partie de cette assemblée. Je veux donc essayer de dire comment nous comprenons le christianisme.

Et d’abord nous sommes d’accord avec la majorité de cette assemblée pour reconnaître que le christianisme est une révélation divine, le produit d’une intervention de Dieu dans l’histoire de l’humanité, et non pas l’effort le plus élevé de la conscience humaine. Jésus-Christ pour nous est plus qu’un homme, il est le Fils unique de Dieu ; il y a en lui quelque chose d’unique ; sa personne, ses œuvres, sa vie et sa mort forment pour nous le centre même du christianisme ; nous voyons dans son sacrifice la manifestation la plus haute de l’amour de Dieu ; nous croyons que nous répondrons à cet amour par le don de nous-mêmes, par la consécration personnelle, par la transformation de notre être, et nous demandons à Dieu son esprit pour cette œuvre. Voilà pour nous la religion vraie, et nous répétons volontiers à ce propos ces paroles de l’un de nos pasteurs les plus pieux, Jean Macé : « La science, la critique historique peuvent faire leur œuvre, elles n’effaceront jamais une déclaration comme celle-ci : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. »

Mais d’un autre côté nous ne pouvons croire, avec l’extrême droite, à la Trinité dont nous ne trouvons pas trace dans l’Évangile, à l’expiation par le sang, ni aux peines éternelles ; il y a plus : entre vous et nous il existe une différence d’esprit et de tendance. Nous voulons pour l’Église la base la plus large ; nous voulons résoudre toutes les questions par la liberté. À nos yeux, les questions de vie intérieure et de morale sont infiniment supérieures aux conceptions théologiques. Dieu ne nous demandera pas compte des erreurs de notre esprit, mais des défaillances de notre volonté, et un verre d’eau donné pour l’amour du Christ vaut mieux que le plus parfait des systèmes.

Le centre gauche se distingue de la gauche extrême en ce qu’il admet le surnaturel, tout en se réservant d’exercer la critique sur tel ou tel miracle; ainsi nous croyons à la résurrection corporelle de Jésus-Christ comme à un fait historique dont on ne nous a pas démontré l’inauthenticité. En second lieu, nous nous distinguons de la gauche par notre opinion sur la nature de Jésus-Christ ; en troisième lieu, nous n’admettons pas que le pasteur ne relève que de sa conscience.

Nous ne pouvons croire, avec l’extrême droite, à la Trinité dont nous ne trouvons pas trace dans l’Évangile, à l’expiation par le sang, ni aux peines éternelles ; il y a plus : entre vous et nous il existe une différence d’esprit et de tendance.

P. Jalabert

Mais, après avoir marqué ce qui nous sépare de la gauche, je tiens à dire ce qui nous unit à elle ; ce ne sont pas seulement les souvenirs, les traditions communes, la méthode et l’éducation. C’est une foi vive en Dieu notre père, un amour vrai pour Jésus-Christ ; c’est de plus, chez ses membres que nous connaissons, que vous avez entendus, le dévouement, la sanctification, une vie intérieure intense. Si quelques-uns d’entre eux m’ont affligé par leurs écrits en attaquant des croyances qui me sont chères, je dois reconnaître que leur prédication, leur vie de famille m’ont profondément édifié. La différence qui existe entre eux et les libres penseurs est immense. Ils ont un Dieu vivant, un amour profond de l’humanité, et s’ils n’admettent pas les miracles matériels, ils croient fermement à ces miracles spirituels qui s’opèrent par l’esprit de Dieu dans les âmes. Ils sont, si j’ose me servir de cette image, dans la disposition des disciples qui suivaient Jésus-Christ avant sa mort.

Au fond, qu’est-ce qui nous divise ? C’est notre notion de l’Église ; si l’Église a une foi, qui soit à la base de son enseignement, il sera bien difficile à ceux dont je viens de parler d’y rester. Pourtant, il faudrait trouver une solution qui puisse tout concilier. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il ne saurait y avoir de rétroactivité, et que les droits acquis doivent être scrupuleusement respectés. Reste la question de l’avenir. Si l’Église réformée adopte, comme cela est probable, le régime presbytérien synodal, le Synode sera en quelque sorte la conscience de l’Église.

Mais ce régime peut porter atteinte à la liberté de conscience du pasteur. Ceux donc qui le repousseraient auront un moyen de sauvegarder leur indépendance, c’est de former une fédération d’Églises congrégationalistes unies à l’État.

Une voix à droite. — Mais ce sera une autre Église.

M. Jalabert. — Dans ce nouveau système, la conscience du pasteur n’aura d’autres limites que celle de la paroisse, mais j’ose affirmer qu’il n’y a ici aucun pasteur qui voulût s’imposer à une paroisse. (Très bien ! à gauche.)

Je reviens à la proposition de M. Bois. Je ne m’arrêterai pas aux fins de non-recevoir que je pourrais lui opposer et aux arguments que je pourrais puiser dans l’article 7 du chapitre IX de la Discipline, et dans le règlement adopté au Synode de Tonneins, en 1614, par lequel il est ordonné « pour l’avenir, que les Synodes nationaux, non-seulement ne changeront rien à la confession, au catéchisme, au formulaire des prières et à la discipline, si la chose n’est proposée au nom d’une province ou de plusieurs, mais aussi que si la chose est de grande importance, elle ne sera point résolue sans avoir été au préalable agréée de toutes les provinces dûment averties, etc. » Je repousserai cette proposition, parce que, malgré son titre, elle a les allures d’une confession de foi et sera prise pour telle. D’ailleurs, en adoptant ma proposition, on atteint le but vers lequel on tend. Que veut-on en effet ? Que dans l’exercice des fonctions pastorales on ne puisse attaquer les grands faits chrétiens. Mais le régime synodal, au rétablissement duquel nous sommes disposés à prêter les mains, vous offrira à cet égard une garantie puissante.

Je reconnais, de plus, que le besoin qu’éprouve l’assemblée de rendre témoignage, est des plus légitimes ; mais je crois qu’on peut le satisfaire par d’autres moyens que ceux employés par M. Bois.

Comme Synode général, l’assemblée a le droit d’écrire aux Églises une lettre synodale, dans laquelle elle affirmera ce qu’elle croit être la foi de l’Église.

L’orateur donne alors lecture d’un projet d’adresse qui demeurera annexé au procès-verbal ; en voici la teneur :

Le Synode général, aux membres de l’Église chrétienne réformée de France

Chers et bien-aimés frères en Jésus-Christ,
Après avoir offert du plus profond de nos cœurs nos actions de grâces à Dieu, de ce qu’il a permis à vos représentants de se réunir et de reprendre la suite de nos Synodes généraux, non plus au Désert sous la persécution, ou sans caractère reconnu par l’État comme en 1848, mais avec l’assentiment du gouvernement de notre pays, qui a tenu à honneur de lever l’interdiction prononcée par Louis XIV en 1659, — nous éprouvons le besoin de rendre témoignage de notre foi et de notre espérance, de la foi et de l’espérance de la majorité de l’Église, en présence de nos frères de la grande famille chrétienne, de nos compatriotes et de nos contemporains.

Nous nous rattachons à la tradition de nos grands réformateurs, de nos confesseurs et de nos martyrs, qui nous ont appris à nous affranchir de toute autorité humaine dans les choses de la conscience; avec eux. nous voulons maintenir la glorieuse liberté des enfants de Dieu, le droit de sonder les Écritures de l’Ancien et surtout du Nouveau Testament, et d’y chercher la règle de notre foi, l’assurance du pardon de nos péchés et les gages de notre immortalité.

Mais c’est à Jésus-Christ lui-même que nous demandons d’éclairer notre intelligence, de purifier nos mœurs et de sanctifier notre volonté. Nous écoutons ses enseignements avec la docilité d’enfants, avec le sentiment de nos fautes, avec un ardent désir d’aller à Dieu par lui, qui est le chemin, la vérité et la vie. Nous ne cessons de rendre grâce à notre Père céleste de ce don ineffable qu’il nous a fait, dans sa miséricorde infinie, de son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle, et nous disons avec Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Nous ajoutons avec les apôtres : « À qui irions-nous, Seigneur, qu’à toi ? tu as les paroles de la vie présente et celles de la vie éternelle. » Nous nous inclinons avec amour, avec toute la gratitude dont nous sommes capables, devant le mystère du sacrifice accompli sur la croix pour le salut des hommes et le relèvement de l’humanité pécheresse. Nous reconnaissons que la résurrection de Jésus-Christ a été l’un des enseignements apostoliques. Nous voyons en notre Sauveur, qui est le même hier, aujourd’hui, éternellement, le Chef de l’Église invisible sur les cieux et sur la terre.

D’accord sur le seul fondement qui puisse être posé pour une Église chrétienne, nous ne saurions nous arroger le droit de décréter la foi de nos frères et de dominer sur leur conscience. Nous demandons à Dieu, dans nos ferventes prières, une abondante effusion de son Esprit de lumière; mais nous proclamons notre faillibilité quand il s’agit de concevoir et d’exprimer la vérité éternelle et infinie. Nous ne sommes et nous ne voulons être que les fidèles disciples de Jésus-Christ, travaillant, avec les secours promis à notre faiblesse, à l’avancement du règne de notre Père céleste dans le champ providentiellement ouvert à notre activité.

Nous n’aspirons pas, sur tous les points et dans tous les détails, à une uniformité de croyances qui serait inconciliable avec les diversités individuelles, avec le travail incessant de l’esprit, avec la vie intense de la conscience et de l’âme. Nous voulons conserver et resserrer la société de tous ceux qui invoquent Dieu d’un cœur pur, qui ont faim et soif de justice, et qui veulent vivre dans la communion de notre bien-aimé Sauveur.

Nous estimons que, pour notre Église chrétienne réformée de France, il nous suffit de maintenir hors de contestation dans son enseignement, dans son culte et dans sa discipline, les grands faits chrétiens représentés dans ses sacrements, célébrés dans ses .solennités religieuses, et exprimés dans ses liturgies : — et de constituer, suivant les traditions de nos pères mises en harmonie avec les besoins modernes, le gouvernement et l’administration de l’Église par elle-même. Dans ce but, nous demanderons qu’au-dessus des Conseils presbytéraux, des Consistoires et des Synodes d’arrondissement réorganisés suivant les bases les plus équitables, le Synode général périodique soit inscrit dans la loi avec les attributions que comporte une assemblée représentative supérieure. Celles de nos paroisses ou de nos sections de paroisses, qui ne croiraient pas pouvoir accepter ce régime nettement défini, conserveraient le droit de former à côté de nous, au même titre que nos frères luthériens, une confédération d’Églises congrégationalistes reconnues par l’État et uties à lui. De cette façon, toutes les situations et tous les droits seraient respectés, et, dans le projet de loi que nous allons élaborer, il n’y aurait aucune rétroactivité.

Nos sentiments et nos vues vous étant bien connus, nous vous supplions, chers et bien-aimés frères, de chercher l’union de l’esprit par le lien de la paix, et de marcher ensemble dans les choses auxquelles vous êtes parvenus. Nous vous conjurons, par les compassions de Dieu, de vous édifier et de vous supporter fraternellement les uns les autres ; et, s’il y a quelque trouble, quelques divisions parmi vous, de vous rappeler que nous ne devons pas avoir un zèle amer, ou nous abandonner à l’orgueil de l’esprit, et que si trois vertus demeurent, la foi, l’espérance et la charité, la plus grande de toutes, est la charité, c’est-à-dire l’amour.

En présence de la grande mission à laquelle l’Église chrétienne protestante est appelée, à cette époque de scepticisme et de matérialisme, dans notre chère et malheureuse patrie, serrons-nous autour de cette divine parole, qui est la puissance de Dieu pour le salut des âmes, et puisse notre Père céleste, source de toute grâce excellente et de tout don parfait, subvenir à notre insuffisance et fortifier nos cœurs ! Qu’il n’y ait nulle part plus d’énergie pour le bien sous toutes ses formes, de force d’âme dans les épreuves, de sollicitude pour toutes les misères morales et matérielles, de dévouement, d’esprit de sacrifice, d’efforts en vue de la régénération et de la sanctification, et qu’on puisse dire de nous, comme des premiers chrétiens : « Voyez comme ils s’aiment ! Quelle vie intérieure, quelle foi agissante, quelle ferme espérance! Oui, l’Esprit de Christ vit en eux. »

C’est dans ces sentiments, chers et bien-aimés frères, que nous unissons nos prières aux vôtres, et que nous demandons à Dieu de bénir notre œuvre et d’y apposer le sceau de son amour.

Au nom du Synode général.
Les membres du bureau.

Si j’ai parlé aussi longtemps, c’est que je suis convaincu que l’heure est décisive et que, si l’assemblée adopte une confession de foi, beaucoup d’Églises abandonneront le régime presbytérien synodal. Plus les conséquences de l’adoption de la proposition de M. Bois peuvent être graves, plus je me sens pressé de me décharger de la responsabilité qui pèse sur moi. L’assemblée est avant tout une assemblée de pacification ; qu’elle ne l’oublie pas, et qu’elle aille aussi loin que possible dans la voie des concessions, afin de conserver un plus grand nombre d’Églises dans le vieil édifice presbytérien synodal.

Auguste Breyton. — Si j’avais à apprécier le discours de M. Jalabert et son projet de lettre, je commencerais par le remercier des choses excellentes qu’il nous a fait entendre et de l’accent élevé avec lequel il les a dites. Mais il y a ici une question préalable. M. Jalabert conteste-t-il au Synode le droit de parler au nom de l’Église ? S’il le lui accorde, la déclaration de M. Bois demeure, et c’est sur elle que nous sommes appelés à voter ; s’il le lui conteste, et s’il veut substituer à cette déclaration de foi sa lettre circulaire, le débat actuel doit être interrompu, et après six jours de longues discussions, tout doit recommencer. En effet, cette lettre est longue, elle doit être mûrement examinée, il faudrait pour cela l’imprimer et la discuter. Il y a donc là une question de priorité à établir (Très bien !), et pour moi j’estime que la priorité appartient à la déclaration de M. Bois.

Charles Bastie, modérateur. — Il me semble que la proposition de M. Bois étant seule en discussion, c’est sur elle seule que nous avons à nous prononcer.

Charles-André Seignobos. — La proposition de M. Jalabert peut être considérée comme un amendement à celle de M. Bois, un contre-projet tout entier pouvant avoir parfois ce caractère.

M. Jalabert. — Je pose au Synode la question suivante : Est-il d’avis d’énoncer la foi de l’Église dans une lettre synodale ou dans une profession de foi ?

M. le modérateur fait remarquer que le vote émis sur la proposition de M. Bois tranchera cette question.

Amendement de MM. de Magnin et Martin-Paschoud

Il y a, sur la proposition de M. Bois, un amendement de MM. de Magnin et Martin-Paschoud, conçu en ces termes :

Les soussignés ont l’honneur de proposer à l’assemblée l’adoption de la déclaration de M. Bois amendée ainsi qu’il suit :
Le Synode déclare que l’Eglise réformée de France reste fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels elle a été fondée ;
Qu’elle professe le plus pur christianisme tel qu’il est renfermé dans les livres sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament;
Que tous ses membres, pasteurs et fidèles, instruits et persuadés des vérités de l’Evangile, et prêts à tout souffrir plutôt que d’abandonner la profession de la religion chrétienne, prennent l’engagement :
1° De renoncer au péché et de régler toute leur vie sur le» commandements de Dieu ;
2° De vivre dans la paix et dans la charité, d’aimer sincèrement leurs frères, et de leur donner des marques de leur amour dans toutes les occasions ;
3° De s’appliquer avec soin à la lecture et à la méditation de la parole de Dieu et à la prière, de fréquenter assidûment les saintes assemblées, et d’employer tous les autres moyens que la Providence leur fournira pour avancer leur salut ;
4° De combattre leurs passions, de se consacrer à Dieu et à Jésus-Christ leur Sauveur, et de vivre dans sa communion selon la tempérance, la justice et la piété.
L’Eglise réformée conserve donc et elle maintient, à la base de son enseignement, de son culte et de sa discipline, les grandes vérités de l’Évangile et les principes essentiels de la Réformation.

M. Paul de Magnin développe son amendement dans un discours écrit.

Paul de Magnin — Ce projet émane tout à la fois d’un esprit de conciliation sincère et de sérieuse préoccupation pour les intérêts de nos Églises. Je dirai pourquoi je l’ai proposé, en quoi il appuie la déclaration de M. Bois, en quoi il en diffère, et quels sont les avantages qu’offrirait son adoption.

Je conviens que l’Église protestante, comme toute société quelconque, ne saurait se passer de principes à sa base, et qu’on ne devient chrétien et protestant qu’en les acceptant. À chacun d’ailleurs la responsabilité de ses opinions individuelles. Je renvoie à cet égard à deux discours récents de M. Martin-Paschoud.

Pour ce qui est de l’union et de la pacification de nos Églises, la majorité a déclaré les désirer sincèrement ; j’en prends acte et je vois dans l’amendement que je présente un moyen d’y arriver. Il s’agit donc de tenir compte de deux choses : l’intérêt réel de l’Église qui réclame de sérieuses garanties, et l’accord légitime de la vérité avec la charité.

Je crois que notre amendement en tient compte. Il repose, non sur la théorie pure, mais sur la réalité ecclésiastique et vraiment protestante. La déclaration de M. Bois nous invite à proclamer la foi de la majorité de notre Église ; mais sommes-nous compétents ? Il y faudrait une enquête générale préalable. Le plus grand nombre de nos coreligionnaires a-t-il d’ailleurs une notion bien claire de ces articles de foi ? On ne saurait évidemment l’affirmer.

Je citerai à l’appui de mes paroles un passage extrait de l’ouvrage de M. Guizot, L’Église et la société chrétienne en 1861, page 85, et je regrette que dans les circonstances présentes M. Guizot ne se soit pas inspiré des mêmes sentiments. En quoi, du reste, la déclaration de M. Bois peut-elle servir les vrais intérêts de l’Église ? Le plus grand nombre de nos protestants croient, par exemple, que le Symbole est bien des apôtres ; faudra-t-il souscrire à une pareille affirmation ? Vous ne le voudriez pas. Vous avez déclaré, d’un autre côté, qu’elle n’était pas une arme de guerre forgée contre nous dans le but de nous expulser de l’Église ! Si l’on veut simplement proclamer la foi de l’Église, pourquoi rester dans des hypothèses ? Pour être dans la vérité, il faut descendre dans le domaine des réalités ecclésiastiques. Or, sur ce terrain, on constatera que l’Église réformée repose, comme telle, sur deux principes solides : l’autorité de la Bible en matière de foi et la liberté d’examen. La première ne saurait être souveraine. Si les réformateurs ont quelquefois employé ce mot, c’était dans un but polémique et pour l’opposer à l’autorité des papes et des conciles. L’autorité de la Bible est limitée, en effet, par le principe du libre examen, et nos réformateurs eux-mêmes le prenaient souvent de bien haut avec tel passage ou tel livre de la Bible. Témoin Luther traitant l’épître de Jacques d’épître de paille.

L’Église réformée repose, comme telle, sur deux principes solides : l’autorité de la Bible en matière de foi et la liberté d’examen. La première ne saurait être souveraine.

P. de Magnin

Ce double principe, qui nous suffit, n’a pas suffi à l’Église réformée de France. Cette Église, qu’on essaye de nous représenter ouverte à toutes les incrédulités, a voulu se protéger contre les attaques du dehors, ou du dedans, en réclamant de chacun de ses adhérents des conditions précises, auxquelles chacun est obligé de souscrire, et qui se trouvent dans toutes nos liturgies. Ce sont celles qui président à la réception des catéchumènes. Ici, je déclare que je ne me pose pas en champion des liturgies, et je fais à ce sujet des réserves expresses, en m’appuyant sur l’opinion de M. G. Monod.

En entrant dans l’Église par la première communion, nous avons tous promis de renoncer au péché et de régler toute notre vie sur les commandements de Dieu, etc. Tels sont les engagements en vertu desquels on est actuellement membre de l’Église réformée de France. Si donc vous voulez à toute force proclamer la foi de l’Église, proclamez celle-là. C’est la seule déclaration légitime que vous puissiez faire, la seule qui constate purement et simplement la réalité. Elle rassurera les Églises et tranquillisera les esprits inquiets. Si vous ne la faites pas, bien loin de travailler à la pacification des esprits, vous aurez en quelque manière affirmé que les engagements pris jusqu’à ce jour par tous les protestants ne suffisent plus. J’estime avoir indiqué la voie de conciliation sur le terrain de la vérité dans la charité.

L’amendement ayant été appuyé, M. le modérateur met aux voix sa prise en considération, qui est repoussée.

Amendement de M. Pelon

M. Pelon présente un nouvel amendement et demande la parole.

Gustave Pelon — Il me semble qu’il est bon d’indiquer quels sont les vrais motifs de l’attitude que je compte prendre quand viendra l’heure de voter. Je crois à toutes les vérités que renferme la déclaration de foi présentée par M. Bois, et, quoique le vent du siècle ait soufflé souvent dans mon esprit, j’ai senti dans ces orages que les vieilles racines tenaient bon. (Très bien !) Je ne dois pas taire que j’aurais mieux aimé que la proposition fût autrement formulée, mais j’estime que maintenant il y aurait plus d’inconvénient à effacer ce qui me paraît défectueux qu’à le maintenir. Que penserait-on, au dehors, du Synode si son premier acte était de rayer de sa déclaration le Symbole et l’autorité des Écritures ? Je ne voterai pas néanmoins pour la déclaration proposée, parce que je la trouve entachée d’un caractère autoritaire. Je crois le fond et je repousse la forme, qui me paraît plus propre à diviser qu’à rapprocher. Je propose en conséquence, à titre d’amendement, de substituer à la phrase qui commence la déclaration de M. le professeur Bois, la phrase suivante :

Les membres du Synode général, sans prétendre au droit de décréter la foi de leurs frères, adoptent comme l’expression des doctrines religieuses professées par les Églises réformées de France la déclaration suivante, qu’ils recommandent à la conscience des fidèles.

Je ferai remarquer qu’il n’y a pas un seul mot dans ce préambule que je n’aie pris dans les discours ou dans les entretiens des membres de la droite. M. Babut a dit que la déclaration n’aurait d’autre autorité que celle que les Églises voudraient bien lui accorder. Moi-même, je vais plus loin et je fais intervenir le Synode auprès des Églises. Je tiens avant tout à bien préciser le rôle de la conscience des fidèles et des Églises que je mets au-dessus du Synode, et je termine en disant que c’est pour cela que j’ai présenté l’amendement que je viens de lire, amendement qui protège ces trois grands principes : tolérance, charité et liberté, pour lesquels nos pères ont souffert, qui font notre force aujourd’hui et serviront de levier aux générations de l’avenir. (Applaudissements.)

Sous-amendement de M. de Clausonne

M. de Clausonne présente un amendement qui a pour but de compléter celui de M. Pelon.

M. le modérateur. — Il faut avant tout voter sur la prise en considération de l’amendement de M. Pelon.

M. Guizot demande s’il s’agit d’un sous-amendement.

M. Breyton fait remarquer qu’il est possible que le sous-amendement donne la majorité à l’amendement principal, qui ne l’aurait pas eue sans cela.

M. le modérateur, ayant mis aux voix la prise en considération de l’amendement, M. Bois demande la parole sur la prise en considération.

M. de Clausonne demande que, dans le préambule qui vient d’être proposé par M. Pelon, on change la tournure de la phrase, de façon à ce que le sujet soit le Synode et non pas l’Église.

M. Bois pose à M. Pelon la question suivante : Est-il disposé à voter, tel qu’il est, le reste de la déclaration ? Et si le Synode en tirait des conséquences disciplinaires, serait-il disposé à y adhérer ?

M. Pelon répond de sa place qu’il aurait préféré ne pas trouver certaines choses dans la déclaration, mais que du moment où elles y sont il faut les y laisser. Quant à la seconde question, il croit qu’il y a quelque chose à faire, mais il réserve sa pleine liberté d’appréciation.

M. Bois, après avoir dit combien il a été touché des déclarations faites par M. Pelon à la tribune, dit que ni lui ni ses amis n’ont eu l’intention de décréter la foi de personne, et trouve étonnant qu’on ait pu leur prêter une semblable idée. Ils se bornent à exprimer la foi générale de l’Église, et il est évident que chacun conservera la liberté la plus entière d’accepter ou de rejeter.

M. Ét. Coquerel. — Et les mesures disciplinaires !…

M. Bois. — Si vous voulez vous soustraire aux mesures disciplinaires, rien n’est plus facile, et M. Jalabert vous en a indiqué le moyen. Si vous ne voulez pas accepter l’autorité synodale, nul ne peut vous contraindre. D’ailleurs, vous le savez, le ministère est disposé à reconnaître votre Église. (Exclamations. )

M. Clamageran. — Êtes-vous d’accord avec M. Pelon, et est-ce dans le même sens que vous admettez la liberté de conscience ?

M. Pelon demande à s’expliquer. Il admet la liberté de conscience dans sa plus large acception, et ne pose aux ministres du culte d’autres limites que la divinité des Écritures et celle du christianisme. Il lui paraît nécessaire qu’il y ait une règle, car il est une limite où la liberté doit fléchir. Cette limite serait pour lui la négation des grands faits chrétiens.

M. Bois, après les explications de M. Pelon, appuie la prise en considération de son amendement.

M. Colani fait une déclaration contraire, et fait remarquer à M. Bois que, dans la question d’un partage dans l’Église, ce n’est pas au ministre, mais à l’Assemblée nationale à se prononcer, et qu’elle a gardé le silence.

M. le modérateur met aux voix la prise en considération de l’amendement de M. Pelon. L’amendement est pris en considération.

M. de Clausonne propose l’amendement suivant : substituer dans la déclaration le mot Synode au mot Église….

Le Synode….. déclare rester fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels l’Église a été fondée. En conséquence, et sans prétendre décréter par là la foi de l’Église et lui imposer ses croyances (ou la rédaction de M. Pelon), il proclame sa foi, etc.

M. de Clausonne, développant son amendement, estime qu’il a le même-sens que celui de M. Pelon.

Gustave de Clausonne — Je voudrais seulement, dit-il, que le Synode fît un pas de plus, et n’entendît pas décréter la foi de l’Église. Je crois à la divinité du christianisme, qui, pour moi, ne saurait s’expliquer par le jeu naturel de l’histoire. Sur tel point de fait particulier, je fais des réserves, j’hésite, et tel est le cas de beaucoup. Je voudrais donc quelque chose qui ne fût pas de nature à effrayer les Églises.

Je conviens qu’il y a eu bien des excès, qu’ou est parfois allé trop loin de part et d’autre, qu’il n’est pas facile de faire vivre ensemble deux éléments contradictoires. Mais, d’autre part, le but poursuivi est respectable ; chacun croit que sa méthode et ses idées sont de nature à attirer les âmes à Jésus-Christ. Il est vrai que je crains que l’esprit religieux qui existe chez les membres de la gauche ne puisse bien longtemps subsister avec leur méthode. Néanmoins, même en discipline, il ne faut pas commencer par les mesures de rigueur.

Il y a dans l’Écriture un texte mystérieux : « Celui qui a péché contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais il ne sera pas pardonné à celui qui a péché contre le Saint-Esprit. » Je vois dans l’opinion de l’extrême gauche le péché contre le Fils de l’homme : on l’a découronné, on lui a ôté cette auréole sans laquelle il n’aurait pas traversé dix-huit siècles. Mais, en définitive, même avec ces opinions avancées, on arrive au nécessaire : la vie religieuse, l’édification. (Voix nombreuses : À la question !) L’amendement de M. Pelon me paraît propre à pacifier les esprits. Sans ce que j’appellerai la moelle religieuse, tout est inutile. Cette moelle est recouverte par l’écorce.

Quelques-uns croient cette écorce trop difficile à percer. D’autres la croient nécessaire pour protéger la moelle. Voilà la question.

Faut-il se séparer pour des divergences ? Je ne le crois pas. La vie commune ne peut avoir lieu, il est vrai, qu’à certaines conditions. Le ménage ne doit pas être un enfer, et il faut entre les conjoints des égards réciproques. J’estime que les grands faits chrétiens doivent être respectés. D’un autre côté, il convient d’user d’une extrême modération dans la pratique. Il importe de respecter tout ensemble, dans une mesure équitable, la foi des fidèles et la conscience religieuse des pasteurs.

J’estime que les grands faits chrétiens doivent être respectés. D’un autre côté, il convient d’user d’une extrême modération dans la pratique.

G. de Clausonne

Il pourrait y avoir deux solutions radicales : d’une part, un Synode autoritaire ; de l’autre, la liberté illimitée de l’enseignement religieux. Je les repousse l’une et l’autre; je recommande la modération des deux côtés.

M. le modérateur met aux voix la prise en considération du sous-amendement de M. de Clausonne. Il n’est pas pris en considération.

La séance est suspendue pendant dix minutes.

Elle est reprise à cinq heures quarante minutes.

M. Bois déclare que l’amendement de M. Pelon étant diversement interprété et susceptible de deux sens contraires, ses amis et lui regrettent d’avoir à le rejeter.

M. le modérateur le met aux voix, après en avoir donné lecture. Il est rejeté à une très grande majorité.

M. Bois, au nom des signataires de la déclaration de foi, propose la modification suivante : après ces mots : Elle déclare… ajouter : par l’organe de ses représentants. Il relit la déclaration ainsi modifiée.


Illustration : Jules Garnier, Thiers proclamé “libérateur du territoire” lors de la séance de l’Assemblée nationale, chromolithographie, 1878 (château de Versailles).

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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