La présence de Dieu – Thomas D'Aquin
16 février 2019

Semaine après semaine, nous progressons dans notre commentaire de la Summa. Nous avons vu ce que Dieu est en lui-même : il est simple, il est parfait, il est Bon, il est infini. Voilà ce que Dieu est. Maintenant on passe à une partie un peu différente : comment Dieu agit, et qui action dit déjà présence.

L’existence de Dieu dans les choses est une doctrine qui a deux particularités : d’une c’est la plus agressées et la plus rongée de toutes les doctrines chrétiennes. Les athées prétendent qu’il n’y a pas de Dieu dans la matière. Les déistes disent qu’il y a un Dieu et qu’il n’est pas dans la matière. Les musulmans ne sont pas loin de penser la même chose. Il n’y a que des chrétiens pour affirmer sans complexe que Dieu non seulement existe, mais qu’il existe DANS les choses. Deuxième particularité : elle est très peu défendue, et peu de chrétiens cherchent à comprendre comment au juste l’articulation. Merci à Thomas d’Aquin de s’être posé la question.

Article 1 : Dieu est-il en toute chose ?

Je me répète à chaque fois : la méthode scolastique implique toujours de se poser la question de si une chose existe avant de savoir comment elle existe. Jamais il n’y a de « m’enfin c’t’évident c’est la Bible qui le dit. »

Rappelons que les déistes, et certains chrétiens influencés par eux, nient ce fait. Ils pourront par exemple dire, et les musulmans seraient tout à fait d’accord avec ca :

Il semble que non. Car ce qui est au-dessus de tout n’est pas en toutes choses. Mais Dieu est au-dessus de tout, selon le Psaume (113, 4) : “ Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations. ” – Ia, Q8, a1

Ou bien encore :

Les démons sont des choses. Cependant Dieu n’est pas dans les démons, car il n’y a pas “ union entre la lumière et les ténèbres ” (2 Co 6, 14). Donc Dieu n’est pas en toutes choses. – idem

Mais voici la thèse de Thomas, en accord avec la Bible :

Là où un être opère, là il est. Or Dieu opère dans tous les êtres, selon ce que dit Isaïe (26, 12) : “ Toutes nos œuvres, tu les accomplis pour nous. ” Donc Dieu est en toutes choses.

Simple, efficace, conforme à l’écriture et à la Raison. J’adore Thomas. Développons juste quelle opération précise vaut à Dieu d’être en toute chose.

Il s’agit tout simplement de donner l’être aux choses. Comme on l’a déjà dit en parlant de la simplicité divine, Dieu est l’Existence. Ce qui veut dire que tout chose qui existe tire cette même existence d’un effet de Dieu. En langage médiéval on dira :

Aussi longtemps donc qu’une chose possède l’être, il est nécessaire que Dieu lui soit présent, et cela selon la manière dont elle possède l’être. Or, l’être est en chaque chose ce qu’il y a de plus intime et qui pénètre au plus profond, puisque à l’égard de tout ce qui est en elle il est actualisateur, nous l’avons montré. Aussi faut-il que Dieu soit en toutes choses, à leur intime.

Ici, on comprend mieux une des phases fétiches d’Henri Blocher, qui lui vient d’Augustin: Dieu nous est plus intime que le plus intime de nous-même. Soi dit en passant, cette présence intime est un renfort au calvinisme : elle permet d’expliquer comment Dieu peut changer un cœur humain sans qu’il n’ait à nous contraindre ou forcer notre volonté. Dieu n’est pas un agent extérieur qui appuie sur notre volonté. Il est présent au plus profond de nous-même, il a déjà tous les leviers en mains.

Reste à répondre aux objections :

Contre les musulmans et ceux qui disent que Dieu est trop au-dessus de toutes choses pour être dans celles-ci, Thomas répond :

Dieu est au-dessus de toutes choses, par l’excellence de sa nature ; mais il est en toutes choses comme source créatrice de leur être à toutes, ainsi que nous venons de le dire.

Contre l’argument qui veut que Dieu ne puisse pas être dans les démons et autres choses des ténèbres, Thomas dit :

Quand on parle des démons, on pense et à leur nature, œuvre de Dieu, et à la difformité du péché, qui ne vient pas de lui. C’est pourquoi l’on ne doit pas accorder sans réserve que Dieu soit dans les démons, mais seulement selon qu’ils sont des étants. Au contraire, parlant des choses dont le nom désigne une nature en elle-même, en dehors de toute difformité, on doit affirmer purement et simplement que Dieu y existe.

Article 2 : Dieu est-il partout ?

Il ne s’agit plus de savoir s’il est dans les choses, il s’agit de savoir si le Dieu omniprésent est présent partout. C’est tellement assumé dans mon milieu que je serais bien incapable même de le défendre.

Pourtant quand on y réfléchit, je pourrais y apporter trois objections :

  1. Dieu est immatériel, donc par définition en dehors de tout lieu. C’est donc absurde de dire qu’il est « partout » comme s’il était un gaz qui remplissait l’univers.
  2. Dieu était pleinement dans le tabernacle, et non en dehors. Il était à Jérusalem, et non en Egypte. Dieu n’est donc pas partout.
  3. Celle-là n’est pas dans la Summa : on vient de dire que Dieu est en toutes choses parce qu’il donne l’être à toute chose. Mais il y a des régions de l’univers qui sont un vide absolu. Dieu n’est donc pas présent dans les vides de l’univers.

Apparté : La troisième objection n’est pas dans la summa parce que de manière générale, le vide est quelque chose d’impensable pour Aristote et ses descendants intellectuels. On connaît la citation d’Aristote lui-même : « la nature a horreur du vide ». J’ai eu l’occasion de lire un manuel de métaphysique thomiste du début XXe siècle. Dedans, Albert Farges se moquait fort et haut de la possibilité même qu’il puisse y avoir du vide entre les atomes ou entre les particules. C’est EVIDENT qu’ils se déplacent dans l’éther !… Un siècle plus tard, on peut dire que Farges aurait mieux fait de fermer sa… Fin de l’apparté.

Pour affirmer l’omniprésence de Dieu, un seul verset parmi des milliers suffira :

Il est dit dans Jérémie (23, 24) : “ Je remplis le ciel et la terre. ” –Ia, Q8, a2

Cool. Kékecaveudire ca ?

Il y a deux façons nous dit Thomas d’être dans un lieu :

  1. Le sens commun qui dit « la souris est dans le chat » parce que tous les composants de la souris sont dans le ventre du chat.
  2. Ou bien quand les choses remplissent le lieu. « L’eau est dans le vase ». Je ne suis pas en train de dire que l’eau se trouve entre les grains de grès que constitue le vase. Je veux dire que l’eau remplit le vase.

Et Dieu est partout selon les deux sens de ce mot. Il est partout parce qu’il est actif dans toutes choses pour leur donner l’existence. Et il est partout parce que tout lieu est défini par les choses qui y sont, et que Dieu y est présent, si bien que Dieu remplit tout lieu.

Il ne reste plus qu’à répondre aux objections :

  1. Oui, Dieu est incorporel, et donc incapable d’être physiquement Mais il est actif partout, et donc présent de cette façon là, par ses énergies.
  2. Dieu était présent dans le tabernacle selon l’intégralité de son essence. Mais il reste présent partout ailleurs, même en Egypte, selon son pouvoir créateur.
  3. Le vide est défini par la matière qui l’entoure, il est bel et bien un lieu parce que le vide « remplit » un certain pourtour de matière, comme le vase définit l’enceinte vide de liquide qui contiendra l’eau. Dieu est donc présent dans le vide intersidéral au deuxième sens définit plus haut.

Article 3 : Dieu est-il partout par l’essence, la puissance, la présence ?

Ici, on ne cherche plus tant à savoir où Dieu est partout que comment il est partout. Le mieux pour comprendre la question est encore de citer directement la Summa. Elle est extraordinairement claire sur ce point :

Mais comment il est dans les autres créatures, il faut l’examiner par comparaison avec ce qui se passe dans les choses humaines.

Ainsi, on dit d’un roi qu’il est dans tout son royaume, à savoir par sa puissance, bien qu’il ne soit pas présent partout.

Mais par sa présence quelqu’un est dit être dans toutes les choses placées sous son regard, comme, dans une maison, tout ce qui s’y trouve est présent à celui qui l’habite, bien qu’il ne soit pas substantiellement dans toutes les parties de la maison.

Enfin, selon la substance ou l’essencequelqu’un est dans le lieu où sa substance se trouve. –Ia, Q8,a3

Et on comprend encore mieux quand il parle de ceux qui niaient la puissance, de l’essence ou de la présence de Dieu.

Or, certains, les manichéens, ont prétendu qu’à la puissance divine sont soumises toutes les créatures spirituelles et incorporelles, mais que les créatures visibles et corporelles sont soumises au pouvoir du principe contraire.
Contre ceux-là il faut dire que Dieu est en toutes choses par sa puissance.

D’autres [les déistes], admettant que tout est soumis à la puissance divine, ne consentaient pourtant pas à étendre la providence de Dieu jusqu’aux humbles réalités corporelles. Ce sont eux qui parlent ainsi au livre de Job (22, 14 Vg) : “ Il circule au pourtour des cieux et ne s’occupe pas de nos affaires. ”
Contre ceux-là il était nécessaire de dire que Dieu est en toutes choses par sa présence.

Enfin d’autres encore[les gnostiques], en accordant que tout relève de la Providence, ont prétendu que tout n’a pas été créé par Dieu immédiatement, mais seulement les premières créatures, lesquelles ont créé les autres. Contre ces derniers, il faut dire que Dieu est en tout être par son essence.

Donc Dieu est présent partout  parce qu’il est en capacité d’agir partout (selon sa puissance). Il est présent partout parce qu’il agit sur tout (selon sa présence). Et enfin Dieu est présent partout parce qu’il agit sur tout directement, sans intermédiaires (selon son essence).

Il y a des petits détails que je n’ai pas exposés sur le sujet, mais pour un article de blog ce sera suffisant.

Article 4 : Être partout convient-il à Dieu seul ?

Vous pensez que oui ? Pauvre fous !

  1. « L’univers lui-même est dans son ensemble une sorte de corps parfait, selon Aristote. Or, l’univers dans son ensemble est évidemment partout, puisqu’il n’y a aucun lieu en dehors de lui. » C’est pas moi qui le dit, c’est Aristote.
  2. Si l’univers se constituait en tout et pour tout d’une licorne rose, cette licorne serait partout.

Il nous faut alors faire une réponse de thomiste : il faut bien distinguer ce que l’on entend par « partout ». Oui il y a des façons d’être partout qui ne sont pas spécifiques à Dieu : mais Dieu seul est partout « premièrement, et par soi ».

« Premièrement » : ca veut dire selon sa totalité. L’âme est toute entière à chaque point du corps: je n’ai pas la volonté dans les pieds, et les émotions uniquement dans la poitrine. L’univers est récalé à cette définition, parce qu’il n’est pas tout entier présent au même endroit. Il n’est présent que selon ses différentes parties. Par contre, il est bien partout selon la deuxième définition…

« Par soi » : être partout par soi signifie que l’objet est partout de lui-même, et non parce que je me suis placé dans une hypothèse spéciale. L’univers valide cette définition, mais la licorne rose non, parce qu’elle n’est « partout » que si elle est l’unique objet de son monde possible. Dommage : elle était bien présente dans sa totalité.

Nous avons donc des choses qui peuvent être partout premièrement. Ou partout par soi. Mais des choses qui sont présentes partout premièrement et par soi, il n’y en a qu’une seule : notre Dieu.

Synthèse : L’existence de Dieu dans les choses

  1. Dieu est-il en toutes choses ?

Oui, car il donne l’être à toute choses et que la cause est toujours dans son effet.

  1. Dieu est-il partout ?

Oui, à la fois parce que Dieu est dans toutes les choses qui constituent un lieu, et que le lieu est défini par les choses dans lequel Dieu est présent.

  1. Dieu est-il partout par l’essence, la puissance, la présence ?

Oui, Dieu est présent partout  parce qu’il est en capacité d’agir partout (selon sa puissance). Il est présent partout parce qu’il agit sur tout (selon sa présence). Et enfin Dieu est présent partout parce qu’il agit sur tout directement, sans intermédiaires (selon son essence).

Article 4 : Être partout convient-il à Dieu seul ?

Oui, si l’on comprend que cette omniprésence est première (=la totalité de Dieu est partout) et par soi (=dans tous les mondes possibles)

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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