Nous avons vu quoi est Dieu, comment est Dieu, comment Dieu sait, comment Dieu veut… nous nous rapprochons ainsi méthodiquement de ce qu’il fait et de l’étude de la création. Mais avant cela, il manque une dernière chose : comment Dieu peut une chose. Voilà pourquoi dans la Question 25 de la Première Partie de sa Summa Theologiae, Thomas d’Aquin parle de la Puissance de Dieu.
- Y-a-t-il en Dieu de la puissance ? Oui.
- Sa Puissance est-elle infinie ? Oui.
- Est-il tout puissant ? Oui.
- Peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ? Non.
- Peut-il faire les choses qu’il ne fait pas ou omettre celles qu’il fait ? Oui.
- Ce qu’il fait, peut-il le faire meilleur ? Oui.
Essayons donc d’en faire un commentaire concis.
Article 1 : Y-a-t-il en Dieu de la puissance ?
On dit dans le psaume 89.9 : « Tu es Puissant Seigneur, toi que la Vérité entoure. »
Thomas d’Aquin, Summa Ia Q25 a1
Le fait même qu’on se pose la question de si Dieu peut faire quelque chose vient pour deux raisons : 1. C’est la méthode scolastique qui veut cela : on se pose d’abord la question de si une chose est (article 1 de cette question), puis quoi elle est (article 2-3), puis comment elle est (article 4-6). Et 2. Il y a une sorte de bug de vocabulaire dans la métaphysique aristotélicienne que Thomas utilise pour exposer la doctrine de Dieu.
Dans le vocabulaire aristotélicien, « puissance » signifie « potentiel ». Quand on dit que Dieu a de la puissance, cela signifierait donc qu’il n’est pas « acte pur », pas pleinement réalisé, et qu’il y a encore une imperfection qu’il doit corriger, réaliser… Pour répondre à cela, Thomas fait une distinction :
- Puissance passive : « Principe de passivité à l’égard d’autrui ». C’est-à-dire le fait de pouvoir recevoir le changement. Je peux vieillir et avoir des cheveux blancs par exemple.
- Puissance active : « Principe d’action sur autrui ». Le fait de pouvoir acter le changement. Je peux écrire cet article.
La solution apparaît maintenant d’elle-même : Il y a en Dieu de la puissance, c’est-à-dire un principe d’action, la possibilité d’agir sur quelque chose.
Article 2 : Sa Puissance est-elle infinie ?
Il ne s’agit pas ici de contredire l’Ecriture, mais de simplement affirmer les limites (ou l’absence de limite) de sa puissance. Nous venons de dire qu’il y a un principe d’action en Dieu, quel en est sa portée ?
Hilaire écrit : « Dieu est vivant, puissant, d’une vertu sans limite. » Or, tout ce qui est sans limite est infini. Donc la vertu divine est sans limite.
Thomas le justifie par le raisonnement suivant : La puissance active d’un agent – la capacité de faire de quelqu’un qui peut faire quelque chose- dépend de sa « quantité d’être ». Une petite allumette ne peut donner chauffer qu’un peu. Un réacteur nucléaire –plus gros et plus énergétique- peut chauffer beaucoup plus. Un homme sans instruction pourra enseigner un peu. Un homme qui a davantage réalisé sa nature par une instruction pourra enseigner davantage.
Or Dieu est une essence infinie, comme on le disait dans la question 7. Donc la puissance active de Dieu est pareillement infinie.
Article 3 : Dieu est-il tout-puissant ?
On lit en Luc 1.37 « Rien n’est impossible à Dieu »
Dans l’article 2, on cherchait les limites à la «quantité » de sa puissance, dans cette question, on cherche la limite à la « qualité » de sa puissance. N’y a-t-il pas des sortes d’actions que Dieu ne peut pas réaliser ? Et bien il semblerait que oui : Dieu ne peut pas mentir, ni se renier lui-même (2 Tim 2.13). Voilà une chose où je suis plus puissant que Dieu, se pavane l’athée. L’objection est connue et souvent répondue par l’apologétique classique, voyons ce qu’en dit Thomas.
Il part de la définition de toute puissance : « Quand on dit : Dieu peut tout, on ne peut le comprendre mieux qu’en concevant qu’il peut tout ce qui est possible ».
Or Aristote distinguait deux sens au mot « possible » :
- Au sens relatif : Tout ce que peut faire X. Par exemple mentir est possible à l’homme. Mais on ne peut pas appliquer cette « toute-puissance » au sens de « tout ce que l’homme et les créatures peuvent faire » à Dieu, car il est bien au-dessus des créatures. Et ca ne nous aide pas de l’appliquer à Dieu au sens relatif : cela reviendrait à dire : « Dieu est tout-puissant parce qu’il peut faire tout ce que peut faire Dieu ». Merci mec, c’est super utile. Donc c’est selon le second sens :
- Au sens absolu : Ce qui peut exister dans l’absolu. Cette possibilité se mesure d’après les définition et les concepts eux-même. Ce sont les contradictions logiques. Par exemple un vide plein est absolument impossible, parce que le concept même de vide exclut le plein. Un célibataire marié est absolument impossible, parce que le concept même de célibataire exclut qu’il soit marié. Un Dieu qui puisse mentir est absolument impossible, parce que le concept même de Dieu exclut une telle idée.
Ainsi Thomas en arrive à cette conclusion : « Quant aux objets qui impliquent contradiction, ils ne sont pas compris dans la toute-puissance divine, parce qu’ils ne peuvent pas avoir raison[qualité] de possible. Pour cette raison il convient de dire qu’ils ne peuvent pas être fait, plutôt que de dire : « Dieu ne peut pas les faire ». Et cette doctrine ne contredit pas la parole de l’ange : « Rien n’impossible à Dieu. » car ce qui implique contradiction ne peut pas être un concept, nulle intelligence ne pouvant le concevoir. »
Article 4 : Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ?
Jérôme écrit : « Dieu, qui peut tout, ne peut pas faire qu’une femme déflorée une femme qui ne l’ait pas été. » Pour la même raison, il ne peut donc pas faire de tout autre évènement passé, un évènement qui ne soit pas passé.
On vient de dire que ce qui implique une contradiction ne fait pas partie du champ de ce que Dieu peut faire. Or dire qu’un évènement passé ne s’est pas passé est une contradiction. Donc Dieu ne peut pas le faire, et ce n’est pas une atteinte à sa toute-puissance.
Et désolé Marty, mais le voyage dans le temps ne semble pas pouvoir marcher dans ces conditions.
Excursus : qu’est-ce que cela nous dit pour les victimes de viols ?
Alors que Thomas et Jérôme faisaient spécifiquement référence à la vierge déflorée, ma pensée a dérivé sur ce que cela pouvait signifier pour les personnes qui ont perdu leur virginité et le regrettent, et de là je pensais à celles qui auront un regret encore plus fort : les victimes de viols, que notre conscience collective commence enfin à prendre plus au sérieux.
Dieu ne peut pas annuler le passé et faire que cette chose n’ait pas été. Mais il peut faire quelque chose de bien plus fort : « Dieu peut faire que toute tare de l’âme ou du corps disparaisse de la femme déflorée ». Il peut restaurer et faire disparaître toute atteinte et blessure morale et spirituelle du corps de la victime.
Article 5 : Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ?
Jésus a dit (Mt 26.53) : « Ne puis-je pas prier mon Père, qui me fournirait aussitôt plus de douze légions d’anges ? » Et ni lui-même ne pria, ni son Père ne lui envoya d’anges pour résister aux juifs. Donc Dieu peut faire ce qu’il ne fait pas.
Ici, on cherche à mesurer la distinction entre ce que Dieu peut faire et ce que Dieu fait réellement. Sa toute-puissance lui impose-t-il de faire tout ce qui est possible ? Ne pas faire tout ce qui est possible est-il une atteinte à sa toute-puissance ? Thomas dit qu’à ce sujet il y a deux erreurs :
- Dire que Dieu agit par nécessité de nature. De même qu’un homme engendre nécessairement un homme, Dieu engendre nécessairement la création qui ne peut être autrement que comme elle est. Le problème, c’est qu’on a montré que la volonté de Dieu est libre et non soumise au nécessaire. Donc Dieu ne fait pas nécessairement tout ce qu’il peut faire.
- Dire que Dieu ne peut faire que ce qui lui paraît sage et juste. Or comme il n’y a qu’une seule voie sage et juste, sa toute-puissance est toute entière exprimée dans ce qui arrive. Il ne pouvait pas vraiment envoyer douze légions d’ange à son Fils par exemple, parce que ce n’était pas sage. Le problème est que « la sagesse divine n’est pas restreinte à un ordre de choses fixes, de telle sorte qu’il ne puisse découler d’elle un ordre différent. Il faut donc dire purement et simplement que Dieu peut faire autre chose que ce qu’il fait. »
Article 6 : Les choses que Dieu fait, peut-il les faire meilleures ?
On lit dans l’épître aux Ephésiens (3.20) que Dieu « peut faire infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir. »
Dieu pourrait-il rendre l’homme mieux que ce qu’il est déjà ? Oui et non.
- Concernant la bonté qui relève d’une essence : Non. Si Dieu donnait à l’homme une force gigantesque, des rayons lasers qui lui sortent des yeux et une invincibilité (coucou Clark Kent) alors ce ne serait plus un homme mais autre chose. De même, si le nombre 4 était plus grand, ce ne serait plus le nombre 4 mais autre chose.
- Concernant la bonté ajoutée à l’essence : Oui. Il peut par exemple ajouter le savoir et la vertu à un homme. Il peut ajouter la justice et la sainteté à un homme pêcheur et misérable.
0 commentaires