Thomas d'Aquin sur l'obtention de la Béatitude
13 juillet 2019

Voici le dernier article sur la béatitude humaine, tel que la comprend Thomas d’Aquin. Nous avons parlé de ce qu’était le bonheur suprême de l’être humain, et dans quelles conditions il pouvait exister. Nous allons parler maintenant de l’obtention de la béatitude, de comment nous allons la vivre.

  1. L’homme peut-il obtenir la béatitude ? Oui.
  2. Un homme peut-il avoir plus de béatitude qu’un autre ? Oui.
  3. Un homme peut-il être bienheureux en cette vie ? Non.
  4. La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ? Non.
  5. L’homme peut-il acquérir la béatitude par ses forces naturelles ? Non.
  6. L’homme obtient-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ? Non.
  7. Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ? Oui.
  8. Tout homme désire-t-il la béatitude ? Oui.

La semaine prochaine, nous commencerons à aborder l’Incarnation, tel que Thomas d’Aquin l’expose.

Article 1 : L’homme peut-il obtenir la béatitude ?

Il est dit dans le psaume (94.12) « Bienheureux l’homme que tu as instruit, Seigneur ».

Deux raisons selon Thomas :

  • L’intellect peut saisir le Bien parfait et la volonté humaine peut le désirer. Donc la Béatitude est atteignable pour l’homme.
  • L’homme est capable de voir Dieu, ce qui est la Béatitude.

Article 2 : Un homme peut-il avoir plus de béatitude qu’un autre ?

Le Seigneur dit dans l’évangile de Jean (14.2) « Dans la maison de mon père, il y a beaucoup de maisons ». Et ces demeures correspondent, d’après Augustin « aux différents degrés de mérites de ceux qui sont dans la vie éternelle ». Or le degré de vie éternelle qui est accordé au mérite est la béatitude elle-même. Donc il y a différents degrés dans la béatitude, et elle n’est pas égale chez tous.

Thomas fait une distinction entre le bien suprême –qui est Dieu- et la jouissance de ce bien. Il est évident que Dieu sera également présent à tous ses élus, mais tous ne jouiront pas de lui avec la même intensité. Ce degré de jouissance dépendra de notre degré de si l’on est mieux disposé ou ordonné à Dieu. Plus un homme est à l’image de Dieu, et plus il verra Dieu ce qui est équivalent à dire : plus il sera heureux.

On voit là l’importance de la sanctification chrétienne au long cours, qui est la préparation du cœur de l’homme à recevoir davantage Dieu après sa mort. Ceux qui se convertissent au dernier moment seront certes sauvés et auront accès au même Dieu, mais comme des mendiants. Ils le verront flou là où des chrétiens au long cours le verront parfaitement et complètement.

Article 3 : Un homme peut-il être bienheureux en cette vie ?

On trouve dans le livre de Job (14.1) ces paroles : « L’homme, né de la femme, vit peu de temps et sa vie est remplie de misères. » Mais la béatitude exclut la misère. Donc en cette vie l’homme ne peut être bienheureux.

Thomas le prouve par deux arguments :

  • La béatitude est un bonheur parfait, sans mal et qui est pleinement satisfaisant. Or, nous ne pouvons pas échapper aux malheurs et aux frustrations dans cette vie. Et tous nos bonheurs sont transitoire, nous ne sommes jamais satisfaits. Donc la béatitude ne peut pas être dans cette vie.
  • Si la Béatitude, c’est voir l’essence de Dieu, et que l’on ne peut pas voir Dieu dans cette vie, c’est que la Béatitude n’est pas dans cette vie.

Article 4 : La béatitude une fois possédée peut-elle être perdue ?

Il est dit en Matthieu (25.46) que les justes « iront dans la vie éternelle », vie qui n’est autre, comme nous l’avons dit, que la béatitude des saints. Or ce qui est éternel ne disparaît pas. Donc la béatitude ne peut pas être perdue.

Thomas d’Aquin interagit avec Aristote et Origène qui tenaient l’opinion inverse, l’un parce qu’il ne considérait que le bonheur dans cette vie, l’autre parce qu’il croyait que la création était une sorte de purgatoire pour ceux qui avaient rompu l’union avec Dieu.

Après cela, il donne trois raisons pour laquelle on ne peut pas perdre la béatitude une fois obtenue :

  • Celui qui voit Dieu ne peut pas vouloir la perdre ou s’en détourner : il est juste trop attirant.
  • Dieu ne lui retirera pas cette vision, parce que la béatitude a pour effet d’aligner la volonté avec celle de Dieu, et donc de retirer toute raison de mettre fin à la béatitude. Celle-ci s’entretient elle-même, comme je le faisais déjà remarquer à la question précédente.
  • La béatitude qui vient de notre union à Dieu nous mets hors de portée de toute créature qui pourrait nous en arracher.

Puisque la perte de notre béatitude ne peut venir ni de nous, ni de Dieu, ni de quelque chose d’extérieur, et bien nous ne pouvons pas la perdre.

Article 5 : L’homme peut-il acquérir la béatitude par ses forces naturelles ?

L’homme est naturellement principe de ses actes par l’intelligence et la volonté. Or la dernière béatitude promise aux saints dépasse l’intelligence et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Co 2.9) : « L’œil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu et son cœur n’a pas imaginé ce que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment ». Donc l’homme, par ses forces naturelles, ne peut obtenir la béatitude.

Seul Dieu peut nous faire voir Dieu, donc seul Dieu peut nous donner la béatitude.

Article 6 : L’homme obtient-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ?

Allez, dites-moi que tous ces cierges à l’archange Gabriel servent à quelque chose…

On lit dans le Psaume (84.12) « Le Seigneur donnera la grâce et la gloire ».

Damnit !

La raison est que la Béatitude dépasse tout ce qui est crée et pour cause, il s’agit de l’union à Dieu. Dès lors, aucune créature, même très puissante ne peut nous aider à obtenir ce qui est hors de la création.

Article 7 : Certaines actions humaines sont-elles requises pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude ?

On lit en Jean 13.17 « Sachant cela, bienheureux serez vous si vous le faites » C’est donc par l’action que nous parvenons à la béatitude.

Nous avons dit dans la question précédente qu’il fallait que la volonté soit bien disposée envers Dieu pour être bienheureux, mais Thomas nous dit que ce n’est pas ce qu’il a en tête lorsqu’il affirme qu’une action est nécessaire pour avoir la béatitude : en effet, c’est Dieu qui crée au départ le vouloir et le faire, il n’y a donc pas raison de le compter comme action humaine donnant la béatitude.

Le problème est que si l’action humaine n’est pas requise pour obtenir la béatitude, alors cela veut dire que c’est par nature que l’homme obtient la béatitude. Mais nous venons de dire que la béatitude appartient à Dieu seul, et elle est hors de portée de toutes les créatures. Donc pour que l’homme parvienne à l’état de béatitude, il doit accomplir des choses, que l’on appelle des mérites (SPOILER ALERT : Christ y est pour quelque chose).

Article 8 : Tout homme désire-t-il la béatitude ?

Augustin a dit : « Si le bouffon avait dit : Vous voulez tous être heureux, vous ne voulez pas être malheureux  il aurait dit quelque chose que chacun de ses auditeurs aurait reconnu dans sa volonté. »

C’est étrange de dire que tous les hommes désirent la Béatitude, alors que même la Bible que la plupart refusent Dieu et ne le cherchent pas.

Thomas fait alors la distinction suivante : Les hommes recherchent tous le Bonheur, il n’y en a pas un qui ne le recherche pas. C’est sous sa « raison spécifique » d’union à Dieu que les hommes le rejettent, et que tous ne le désirent pas. Partant de là, ils le recherchent ailleurs, ne le trouvent pas, essaient plus fort, et c’est toute la tragédie humaine.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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