Les faiblesses de Christ – Thomas d'Aquin
19 octobre 2019

Nous avons vu sa toute-puissance, maintenant nous allons voir les « faiblesses » de Christ –ou ses déficiences, pour prendre un mot plus juste.

  • Question 14 : Les déficiences du Corps de Christ
    • 1 : Le Fils de Dieu a-t-il dû assumer avec sa nature humaine les déficiences du corps ? Oui.
    • 2 : A-t-il assumé la nécessité de les subir ? Oui.
    • 3 : A-t-il contracté ces déficiences ? Non.
    • 4 : A-t-il assumé toutes les déficiences du corps ? Non.
  • Question 15 : Les déficiences de l’âme du Christ
    • 1 : Y-a-t-il eu chez le Christ du péché ? Non.
    • 2 : Y-a-t-il eu chez le Christ la source du péché ? Non.
    • 3 : Y-a-t-il eu chez le Christ de l’ignorance ? Non.
    • 4 : Avait-il des sentiments ? Oui.
    • 5 : Y-a-t-il eu chez le Christ de la douleur sensible ? Oui.
    • 6 : De la tristesse ? Oui.
    • 7 : De la crainte ? Oui.
    • 8 : De l’étonnement ? Oui.
    • 9 : De la colère ? Oui.

Q14-1 : Le Fils de Dieu a-t-il dû assumer avec la nature humaine, les déficiences du corps ?

La question porte ici sur le principe : trouvera-t-on des déficiences dans le corps de Christ ?

Nous lisons (He 2, 8)  » Parce qu’il a souffert et a été lui-même éprouvé, il peut secourir ceux qui sont éprouvés. » Or le Fils de Dieu est venu en ce monde précisément pour nous venir en aide; et c’est pourquoi David disait (Ps 121, 1) : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours. » Il convenait donc que le Fils de Dieu assumât une chair soumise aux infirmités humaines, afin de pouvoir en elle souffrir, être éprouvé, ainsi nous porter secours.

Et Thomas de donner les 3 raisons suivantes :

  • Pour sauver l’être humain des souffrances engendrées par le péché (Romains 5.11) il fallait que Jésus assume ces souffrances.
  • Pour affirmer la réalité de la nature humaine de Jésus. S’il n’avait pas été capable de souffrir, on aurait pu croire que Jésus n’était humain qu’en apparence.
  • Pour nous laisser un exemple de patience et de persévérance face aux souffrances.

Q14-2 : Le Christ a-t-il assumé la nécessité de subir les déficiences du corps ?

Nous n’avons pas le choix d’assumer les faiblesses de notre corps. En est-il de même pour le Christ tout-puissant ?

 L’Apôtre écrit (Rm 8, 3) : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché. » Or la condition de notre chair de péché, c’est de se trouver dans la nécessité de mourir et de subir les autres genres de souffrance. Il faut donc également admettre une telle nécessité dans la chair du Christ.

Thomas fait une distinction dans le mot « nécessité » :

  • La nécessité de coaction : lorsqu’un agent extérieur vous force à faire une chose contre votre volonté. Par exemple : les romains ont cloué Jésus sur une croix, imposant à Jésus la nécessité de mourir.
  • La nécessité naturelle : lorsque votre corps suit les lois naturelles, genre : si vous êtes dans le vide il est nécessaire que vous tombiez.

Appliqué à l’incarnation :

  • Par rapport à la nécessité naturelle, Christ s’y est soumis en assumant la nature humaine qui est soumise à beaucoup de nécessités de ce genre.
  • Pour ce qui est de la nécessité de coaction, Jésus n’a pas subi cette nécessité par rapport à sa volonté, puisque c’est volontairement qu’il s’est livré. Par contre, c’est tout de même une nécessité imposée à lui par rapport au mouvement naturel de la volonté humaine, qui est d’échapper à la mort.

Q14-3 A-t-il contracté ces déficiences ?

Thomas d’Aquin définit contracter ainsi : « Ce que l’on attire nécessairement à soi en même temps que sa cause ». Si je contracte le virus, ça veut dire que j’attire nécessairement à moi la maladie qui en est l’effet.

Ces déficiences sont contractées du fait du péché (Rm 5, 12) : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. » Mais chez le Christ le péché n’avait pas sa place. Le Christ n’a donc pas contracté les déficiences corporelles.

Contrairement à nous, Christ n’a donc pas contracté ces déficiences par le péché originel, mais il les as assumé volontairement.

Q14-4 A-t-il assumé toutes les déficiences du corps ?

Des réalités opposées ne peuvent se trouver en même temps dans le même sujet. Or certaines infirmités se contrarient mutuellement, étant causées par des principes opposés. Le Christ n’a donc pas pu assumer toutes les infirmités humaines.

Comme dit l’article 1 : il convenait que Jésus assume des déficiences de la nature humaine pour sa mission. Cependant, il y a deux catégories de déficiences qui sont exclues de l’incarnation :

  • Celles qui s’opposent à l’omniscience et la parfaite grâce. Par exemple : notre incapacité à faire le bien, notre inclination au mal, notre ignorance…
  • Celles qui viennent des effets généraux du péchés : les malformations, les maladies dues aux excès etc… Jésus étant conçu parfaitement par le St Esprit, il n’y avait aucune chance qu’il devienne épileptique par exemple.

Il ne reste que les « déficiences naturelles et irréprochables » (Jean le Damascène) : naturelles parce que communes à tout être humain ; irréprochables parce qu’elles ne viennent pas d’un manque de connaissance ou de grâce de la part de Dieu.

Q15-1 : Y-a-t-il eu chez le Christ du péché ?

Le Christ lui-même a dit (Jn 8, 46) : « Qui de vous me convaincra de péché? « 

Jésus s’est incarné pour sauver l’être humain, en assumant la nature humaine. Mais pour sauver l’être humain, non seulement il n’y avait pas besoin d’assumer le péché, mais il fallait au contraire en être préservé, pour les raisons suivantes :

  • Assumer le péché ne sert à rien pour la satisfaction.
  • Pire encore, un Christ pécheur aurait empêché cette satisfaction.
  • Christ n’aurait pas donné l’exemple de la vertu s’il avait pêché.

Q15-2 : Y avait-il chez le Christ la source du péché ?

 Il est décrit (Mt 1, 20)  » Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. » Mais le Saint-Esprit exclut le péché, et cette inclination au mal que l’on appelle le foyer du péché. Ce foyer ne pouvait donc se trouver dans le Christ.

Parmi les grâces que Christ a reçu, il a aussi reçu une parfaite Vertu, c’est-à-dire des dispositions à bien agir parfaites et très fortes. Il est donc exclu qu’il ait assumé son contraire, c’est-à-dire la source du péché.

Q15-3 Y-a-t-il eu chez le Christ de l’ignorance ?

On ne supprime pas l’ignorance par l’ignorance. Or le Christ est venu pour détruire nos ignorances, car il est venu pour apporter la lumière à ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il ne pouvait donc y avoir de l’ignorance dans le Christ.

Cela a déjà été traité dans la question d’il y a deux semaines.

Q15-4  Y-avait-il des émotions dans l’âme du Christ ?

Ou bien, en VO : L’âme du Christ était-elle passible ?

Le psalmiste parlant au nom du Christ, dit (88, 4)  » Mon âme est rassasiée de maux », ce qui s’entend non de péchés, mais de maux humains, ou comme l’explique la Glose,  » de douleurs ». L’âme du Christ était donc passible.

Thomas d’Aquin fait les distinctions suivantes en parlant des passions que Christ pouvait avoir :

  • Il pouvait avoir une « passion corporelle ». Cela signifie que son âme pouvait être atteinte par les gifles qu’il prenait aussi bien que la nôtre. Rien d’unique ici.
  • Il pouvait avoir une « passion psychique ou animale », c’est-à-dire les sentiments et pulsions humaines. La seule différence entre ses sentiments et les nôtres sont les suivantes :
    • La plupart de nos désirs nous portent vers des choses mauvaises, celles de Christ uniquement vers de bonnes choses.
    • Nos sentiments viennent avant le jugement de notre raison. Chez Christ, ce sont les sentiments qui naissent du jugement raisonnable.
    • Nous n’avons pas un plein contrôle de nos passions. Christ oui.

Q15-5 Y-a-t-il eu de la douleur chez le Christ ?

Nous lisons dans Isaïe (53, 4) : ». Il a véritablement porté nos douleurs. »

Comme dit juste au Q15-4 : Christ pouvait pâtir corporellement, c’est-à-dire subir des choses comme la douleur. Elle fait partie de l’expérience humaine, que Christ a assumé.

Q15-6 Y-a-t-il eu chez le Christ de la tristesse ?

Nous lisons (Mt 26, 38) cette parole du Seigneur : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » Et Ambroise écrit : « Comme homme, il a éprouvé de la tristesse, car il s’est chargé de ma tristesse. C’est avec confiance que je parle de tristesse, moi qui prêche la croix. »

Thomas d’Aquin rappelle la définition de la tristesse : « L’objet ou le motif de la tristesse, c’est un dommage ou un mal appréhendé intérieurement soit par la raison, soit par l’imagination. » Or Christ a tout à fait pu envisager l’un et l’autre, par sa raison comme par son imagination. Il y a cependant une différence avec notre propre tristesse, qui est la même que celle déjà exposée dans la 15-4.

Q15-7 Y-a-t-il eu dans le Christ de la crainte ?

On lit en S. Marc (14, 33) : « Jésus commença à éprouver de la crainte et de l’angoisse. »

La crainte est au mal futur ce que la tristesse est au mal présent : elle est le sentiment qui naît de la considération d’un mal. Christ a éprouvé de la crainte de cette espèce-là. Mais pour ce qui est de la crainte qui naît de l’incertitude, Christ ne l’a pas connu.

Q15-8 Y-a-t-il eu chez Christ de l’étonnement ?

On lit (Mt 8, 10) : « Jésus, entendant  » les paroles du centurion  » fut dans l’étonnement ».

Et Thomas de dire ensuite : « L’étonnement a pour objet propre quelque chose de nouveau et d’insolite. Or, chez le Christ, il ne pouvait rien y avoir de nouveau ni d’insolite pour sa science divine, ni pour sa science humaine, par laquelle il connaît les réalités dans le Verbe, ou par laquelle il les connaît par des espèces infuses. Mais il a pu rencontrer du nouveau et de l’insolite selon sa science expérimentale, qui lui permettait de rencontrer chaque jour du nouveau. » Rien à ajouter.

Q15-9 Y-a-t-il eu en Christ de la colère ?

On lit en S. Jean (2, 17) qu’il a réalisé la prophétie du Psaume (69, 10)  » Le zèle de ta maison me dévore. »

La colère est un effet de la tristesse, nous dit Thomas d’Aquin. Elle est le désir de corriger le mal que nous considérons et qui cause cette tristesse. Ce désir peut être désordonné et causer le mal, et cela n’a pas existé en Christ.

Mais il y a aussi une juste et bonne colère, appelée « colère provoquée par le vice », lorsque notre désir de corriger le mal correspond à un mal réel. Celui-là était en Christ.

Augustin a écrit est en effet  » Il est dévoré du zèle de la maison de Dieu, celui qui désire corriger tout le mal qu’il voit, et qui, lorsqu’il ne peut le corriger, le tolère en gémissant. » Telle fut la colère du Christ.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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