Comment bien décrire le Christ? – Thomas d'Aquin
26 octobre 2019

Nous avons fini de voir les attributs de Christ : sa puissance, son savoir, sa volonté. Maintenant nous avons vu ses différentes natures et comment elles s’arrangent l’une l’autre, nous allons voir comment elles sont unies, et de quelle genre d’unité il s’agit. Mais avant de se lancer dans le corps du chapitre, Thomas d’Aquin fait une sorte « désambiguation » c’est-à-dire qu’il clarifie le vocabulaire qu’il utilise, et cartographie les expressions que l’on peut utiliser ou non en parlant de Christ. Nous sommes dans la Tertia Pars (IIIA), question 16.

  1. Est-il vrai de dire : « Dieu est homme » ? Oui.
  2. Est-il vrai de dire : «L’homme est Dieu » ? Oui.
  3. Le Christ peut-il être appelé « l’homme du Seigneur » ? Non.
  4. Ce qui convient au Fils de l’Homme peut-il être attribué au Fils de Dieu et réciproquement ? Oui, avec réserve.
  5. Ce qui convient au Fils de l’Homme peut-il être attribué à la nature divine, et réciproquement ? Non.
  6. Est-il vrai de dire : «Le Fils de Dieu a été fait homme » ? Oui.
  7. Est-il vrai de dire : « L’homme a été fait Dieu » ? Non.
  8. Est-il vrai de dire : « Le Christ est une créature » ? Non.
  9. Est-il vrai de dire du Christ : « Cet homme a commencé à exister » ? Non.
  10. Est-il vrai de dire : « Le Christ, en tant qu’homme, est une créature » ? Oui.
  11. Est-il vrai de dire : « Le Christ, en tant qu’homme, est Dieu » ? Non.
  12. Est-il vrai de dire : « Le Christ, en tant qu’homme, est une personne » ? Oui.

Article 1 : Est-il vrai de dire : « Dieu est homme » ?

 Il est écrit (Ph 2, 6).” Lui, de condition divine, s’anéantit, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes et se comportant comme un homme.” Ainsi, celui qui est de condition divine est un homme. Mais celui qui est de condition divine est Dieu. Donc Dieu est homme.

Thomas lance son discours en passant au crible les fausses conceptions de l’union entre Dieu et l’humanité, qui soit diminue l’humanité de Christ (les manichéens) soit diminue sa divinité (Photin) soit ceux qui proposent deux personnes pour deux natures (nestoriens).

Il rappelle donc ce qu’est la foi universelle des chrétiens : Jésus est une personne qui a deux natures. Selon cette compréhension : « Dieu » représente la personne de Dieu le Fils qui a la nature de l’homme. L’expression est donc juste.

Article 2 : Est-il vrai de dire : « L’homme est Dieu » ?

Il est écrit (Rm 9, 5) ” C’est d’eux (les Israélites) que le Christ est issu selon la chair, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement! ” Or, selon la chair, le Christ est homme. Il est donc vrai de dire : “L’homme est Dieu.”

Quand nous disons « l’homme » en parlant de cet homme qui est le Christ, nous parlons en réalité d’une personne –ou bien plus précisemment, d’une hypostase-. Or la personne de Christ, c’est Dieu le Fils. Il est donc juste de dire que cette personne humaine est la personne de Dieu le Fils.

Article 3 : Le Christ peut-il être appelé : « l’homme du Seigneur ? »

Augustin déclare dans le livre de ses Révisions : “je ne vois pas s’il est juste d’appeler homo dominicus (homme du Seigneur) Jésus Christ, puisqu’il est vraiment le Seigneur.”

Dans cette expression, « l’homme » désigne une personne. Or cette personne est Dieu le Fils. Elle ne peut donc pas être subordonné à Dieu comme s’il était distinct et différent de lui. On peut dire : « Cet homme est le Seigneur » en parlant de Christ, mais pas : « Cet homme est l’homme du Seigneur ».

Article 4 : Ce qui convient au Fils de l’Homme peut-il être attribué au Fils de Dieu, et réciproquement ?

Jean Damascène, affirme : “Dieu a assumé les propriétés de la chair, car on dit que Dieu est passible, et que le Dieu de gloire a été crucifié.”

C’était le cœur de la querelle nestorienne : leur opinion était de séparer nettement les deux natures, au point où « le Fils de l’Homme »= Jésus l’humain était une autre chose que « le Fils de Dieu »= le Logos, la 2e personne de la Trinité.

Contre cela, la tradition catholique –universelle- affirme qu’il s’agit d’une seule et même personne. « Fils de l’Homme » et « Fils de Dieu » étant une seule et même réalité, il est donc normal d’attribuer ce qui appartient à la nature humaine au « Fils de Dieu » et d’attribuer ce qui appartient à la nature divine au « Fils de l’Homme ».

Mais attention à toujours bien distinguer les natures justement ! Il ne faut pas non plus en arriver à donner à la nature humaine de Christ ce qui appartient à sa nature divine, et inversement. La personne de Jésus est capable de calmer les tempêtes, mais sa nature humaine ne l’est pas !

Article 5 : Ce qui convient au Fils de l’Homme peut-il être attribué à la nature divine, et réciproquement ?

Le Fils de l’Homme ignorait la date de son retour. Cela veut-il dire que Dieu ignore la date de son retour ?

Jean Damascène écrit : “Quand nous parlons de la déité, nous ne lui attribuons pas ce qui est propre à l’humanité; nous ne disons pas que la déité est passible ou qu’elle peut être créée.” Or la déité, c’est la nature divine. Donc, ce qui appartient à la nature humaine, ne peut être dit de la nature divine.

Oui, il n’y a qu’une seule personne, et nous devons pas distinguer entre « Jésus l’homme » et « Dieu le Fils ». Mais cela ne nous autorise pas à confondre les natures. Celles-ci doivent rester distinctes et séparées. Même si Jésus avait toutes les caractéristiques humaines, et qu’il était la personne de Dieu le Fils, cela ne nous autorise pas à dire que sa naturedivine était humaine.

Article 6 : Est-il vrai de dire : « Le Fils de Dieu a été fait homme » ?

Il y a la parole en Jean (1, 14) : « Le Verbe a été fait chair », et Athanase explique : « C’est comme si l’on disait : « Dieu a été fait homme. » »

Il est juste de dire qu’il y a eu quelque chose de nouveau dans la personne du Fils de Dieu considérant qu’il y a eu création d’unenature humaine qui n’existait pas auparavant. Cependant, il ne faut pas comprendre que la nature divine a assumé la nature humaine. La personne est unique, les natures sont séparées.

Article 7 : Est-il vrai de dire : « L’homme a été fait Dieu » ?

Jean Damascène précise : “Nous ne disons pas que l’homme a été déifié, mais que Dieu a été humanisé.” Or devenir Dieu et être déifié sont synonymes. Donc il est faux de dire : “L’homme a été fait Dieu.”

Cette expression est impossible quel que soit la façon dont on la comprend, principalement parce qu’il n’y a pas de nature humaine qui est devenue divine, ni de nature divine qui a pris des propriétés humaines. Contrairement aux nestoriens, nous ne pouvons pas dire qu’il y avait une personne humaine avec nature humaine qui s’est unie avec une personne divine avec nature divine. En aucun cas on ne peut donc dire « l’homme a été fait Dieu ».

La phrase correcte doit plutôt exprimer que la personne divine avec nature divine a pris en plus une nature humaine.

Article 8 : Est-il vrai de dire « Le Christ est une créature » ?

Ambroise écrit ” Est-ce que, sur une parole, le Christ a été fait? Est-ce que, sur un commandement, le Christ a été créé? ” Cette interrogation équivaut à une négation, car l’auteur ajoute aussitôt : “Comment peut-il y avoir de la créature en Dieu? Car Dieu possède une nature simple et non composée.” On ne peut donc admettre que le Christ soit une créature.

Le problème de cette phrase est qu’elle prend une personne (le Christ) et lui attribue une nature humaine uniquement. Et ça les amis, ça s’appelle de l’arianisme.

Article 9 : Est-il vrai de dire du Christ : « cet homme a commencé d’exister » ?

Il est écrit (He 13, 8) : “Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais.”

Sans d’autres nuances apportées, cette phrase est fausse pour deux raisons :

  • Parce que la personne du Christ est le Dieu éternel, qui n’a certainement pas de début à son existence.
  • Parce que le Christ n’est pas une créature, mais qu’il est aussi Dieu. Sans précisions, on pourrait comprendre « le Christ a commencé à exister » comme si le Christ était exclusivement humain.

Article 10 : Est-il vrai de dire : « Le Christ en tant qu’homme, est une créature » ?

Tout ce qui existe est ou bien le Créateur, ou bien une créature. Or il est faux de dire : “Le Christ, en tant qu’homme, est le Créateur.” Il est donc vrai de dire : “Le Christ, en tant qu’homme, est une créature.”

A partir du moment où vous précisez « Le Christ en tant qu’homme » vous ne parlez plus de sa personne mais de sa nature. Or il est tout à fait vrai que la nature humaine de Christ est créée. Donc la phrase est vraie.

S’il y a donc un enseignement de cet article, c’est qu’il faut toujours explicitement préciser que vous parlez de la nature humaine de Jésus quand vous parlez de lui comme humain. Être flou amènera vos auditeurs à croire en de l’arianisme. Et je le sais bien : c’est ce que j’étais au bout de 23 ans d’enseignements par l’Eglise parce que les pasteurs qui enseignaient insistaient tout le temps sur sa nature humaine sans préciser qu’il ne s’agissait pas de la personne.

Article 11 : Est-il vrai de dire : « Le Christ en tant qu’homme, est Dieu » ?

Ce qui convient au Christ en tant qu’homme, convient à tout homme. Donc, si le Christ, en tant qu’homme, est Dieu, il s’ensuit que tout homme est Dieu. Ce qui est évidemment faux.

Comme dit à l’article précédent : « Christ en tant qu’homme » désigne la nature humaine de Dieu. Or la nature humaine ne peut pas être divine. Donc c’est faux.

Article 12 : Est-il vrai de dire : « Le Christ en tant qu’homme est une personne » ?

Le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une personne éternelle. Donc, s’il est une personne en tant qu’homme, il s’ensuit qu’il y aura en lui deux personnes, l’une temporelle et l’autre éternelle. Ce qui est faux, nous l’avons dit.

« Le Christ en tant qu’homme » désigne soit la personne, soit la nature humaine de Christ.

  • Si l’expression désigne la personne, elle est fausse, pour la raison déjà citée : utiliser cette expression exclut la nature divine de Christ, ce qui aboutit soit à de l’arianisme, soit à du nestorianisme.
  • Si l’expression désigne la nature humaine de Christ, alors on a deux cas :
    • Si c’est pour dire que cette nature humaine a une personne, qu’elle s’exprime dans une personne, c’est juste.
    • Si c’est pour dire que cette nature humaine a une personne humaine, c’est faux car la nature humaine de Christ a une personne divine.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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