Les associations volontaires -Althusius
18 novembre 2019

Nous avons vu la « brique de base de la politique » – la Famille. C’était une consociation naturelle, nécessaire et privée. Avant de passer au corps public, il y a un autre type d’alliance privée dont Althusius parle, celui des associations volontaires, ou collegia (un collegium, des collegia). Nous sommes toujours dans la famille des consociations privées, mais cette fois-ci elles sont volontaires et artificielles (faites par l’homme).

Définition du Collegium

Un collegium est une association de personnes autour d’un même but commun, ou pour gérer en commun un bien privé qui concerne plusieurs familles. En voici quelques exemples :

  • Les anciennes guildes, ou regroupement de professions qui géraient l’activité économique dans les villes : la guilde des bouchers décidait de qui avait le droit d’exercer son activité dans la ville, réglementait la profession etc… C’est d’ailleurs avec celles-ci qu’il clôt le chapitre.
  • Les syndicats actuels, en tant que regroupement des travailleurs pour défendre leurs intérêts.
  • Les fondations de Charité, qui gèrent à plusieurs personnes un capital commun.
  • La fondation Hergé est un collegium également, parce qu’elle gère un bien commun (les droits d’auteur de Hergé) tout en étant une association.
  • Les associations loi 1901 sont des collegia.
  • Les fédérations diverses qui représentent tel ou tel milieu. Le CNEF est un collegium par exemple (et à ce titre ne peut donc pas véritablement parler au nom de l’église, mais nous verrons plus tard).
  • Les associations sportives qui sont des regroupements de sportifs en vue de l’organisation et de la vie sportive du lieu où ils sont actifs.
  • Les mutuelles qui sont un regroupement de personnes pour bénéficier du service d’assurances.

Bref, le schéma d’un collegium est : Individu + Cause privée + Droit associatif = Collegium.

Althusius décrit ensuite avec toute la minutie d’un équarisseur de papillon les devoirs des collègues (oui le mot vient de là : « ceux qui sont ligués ensemble ») entre eux. Il décrit comment le bien géré par un collegium n’est pas géré par un individu, mais l’association elle-même. Il décrit enfin le « droit associatif » ou à quoi doit ressembler le fonctionnement interne d’une telle association. Et c’est tout, le chapitre 4 n’est pas le plus complet de tous ces chapitres. C’est pourtant un des plus intéressants du livre et voici pourquoi.

Les associations sont déjà des corps politiques.

Dans la France de 2019, que signifie « s’engager en politique » ? Cela signifie s’encarter dans un parti politique, et préparer à sa petite échelle des élections pour que les oligarques bleus remplacent les oligarques roses (et fassent la même chose que les précédents). Il est donc tout à fait compréhensible que les chrétiens ne souhaitent pas s’engager en politique, car ils ne se reconnaissent très souvent dans aucun parti existant (du moins aucun parti pouvant crédiblement gagner une élection). Et il est compréhensible aussi qu’il soit très délicat pour un pasteur d’encourager ses ouailles à s’engager en politique puisqu’il n’a pas le droit de soutenir officiellement un parti ou un candidat particulier (du moins en tant que pasteur).

Mais si nous suivons bien Althusius, cela est complètement faux : non seulement les familles sont des unités politiques, mais les multiples associations également ! « S’engager en politique » c’est donc également :

  • Rejoindre l’association de parents d’élèves de votre école, où vous pourrez influencer et être pleinement au courant de ce que l’on met dans la tête de vos enfants.
  • S’engager dans l’association de vie étudiante pour modérer la culture de biture qui intoxique les campus et proposer des projets plus élevés.
  • Former avec deux autres voisins une amicale des locataires afin de rompre enfin l’isolement qui caractérise la vie en HLM aujourd’hui, et se faire connaître en défendant l’intérêt des locataires face aux bailleurs.
  • Avec d’autres membres de l’église, louer un appartement en commun dans lequel une femme enceinte en souffrance pourra éviter l’avortement, et la visiter et l’aider de tout votre cœur jusqu’à ce qu’elle puisse vivre par elle-même.
  • Rejoindre les associations d’usagers d’un hôpital pour ne pas laisser le terrain aux tenants de la culture de mort (Cf Sortir ! de Natalia Trouiller).
  • Rejoindre des lobbies comme CPDH ou Alliance Vita qui agissent directement sur les questions bioéthiques qui nous parlent tant.
  • Être correspondant local dans votre assemblée de Portes Ouvertes ou du SEL ou du CPDH, afin de relayer localement l’actualité et les demandes de prières sur le front de l’église persécutée, de la charité internationale ou de la bioéthique.
  • Rejoindre un syndicat, pour servir vos collègues de travail. Je connais un secrétaire de section qui a eu l’occasion d’évangéliser un chef national de syndicat ainsi…

Ce qui est magnifique dans les associations, c’est que rien ne vous empêche d’afficher votre confession de foi. Imaginons que vous êtes dans une association de parents d’élève d’une école catholique, vous pourrez aider ou créer un rapprochement avec votre église évangélique. Imaginons que vous êtes dans une amicale de locataires, vous nouez des contacts avec vos voisins immédiats qui connaîtront ainsi votre foi et brisera la glace avec eux, ce qui amènera beaucoup plus naturellement des occasions d’évangéliser. Autre chose magnifique : vous obtenez une occasion de servir vos prochains selon le commandement du Christ. Aucune réunion n’est trop assommante quand il s’agit de servir nos prochains. La doctrine du parti vous empêchera souvent d’exprimer votre foi à volonté. Dans une association, il n’y a rien de tel et c’est une belle occasion d’évangéliser.

Objection : Mais  je n’aurais jamais le temps. Réponse : Cela n’est que partiellement vrai. Nous n’avons pas le temps de prier. Nous n’avons pas le temps de lire la Bible. Nous n’avons pas le temps d’aller à l’Eglise. Et pourtant, nous nous mettons cette discipline de faire ces choses. De même l’engagement associatif rentre dans cette catégorie : quand vient l’occasion de servir le Christ, agissons nous ou bien sommes-nous là pour consommer ? Tout dans notre époque nous pousse à être consommateur et passif. Ne soyez pas ainsi. En revanche, il est tout à fait admis que vos devoirs familiaux et ecclésiaux passent avant.

Ce que l’Eglise peut faire quant aux associations

  1. L’Eglise devrait donc prêcher l’engagement des chrétiens dans la politique… c’est-à-dire de s’engager dans des collegia. Les avantages sont nombreux du point de vue du témoignage : c’est dans les associations que l’on peut s’opposer réellement et concrètement à la culture de mort, aux fantaisies éducatives, faire connaître l’Eglise locale et faire connaître le nom de Jésus. Tout un pan de l’enseignement biblique devient soudainement accessible.
  2. Mais ce n’est pas tout : s’engager dans l’associatif, c’est aussi très utile pour l’évangélisation. Je m’explique.

    Depuis quelques années, on met beaucoup l’accent –à juste titre- sur le fait que les proclamations publiques sont utiles, mais que la meilleure façon de toucher les non-croyants est par le contact personnel et direct. Or on tombe sur un défaut : la plupart des croyants n’ont pas d’amis ni de relations avec les non-croyants. Ce n’est pas forcément la faute à une mentalité de citadelle assiégée ou le signe d’une mentalité sectaire. C’est plutôt un travers de notre siècle.

    Un défaut de notre époque est l’atomisation de la société. Cela signifie que chaque individu est de plus en plus un individu (duh), c’est-à-dire un être humain coupé de toutes relations sociales. La solitude n’a jamais été aussi grande dans notre société, et cela touche l’église aussi. L’Eglise étant un des rares corps encore existants, il est normal que nos relations se fassent principalement à travers celle-ci. Mais en dehors, nous vivons tous dans des bulles qui font que nous n’avons de relations avec personne. Il manque des espaces communs où l’on rencontre d’autres gens.

    Franck Segonne propose l’idée que l’on développe davantage l’hospitalité avec nos voisins. C’est une très bonne idée, et biblique. Mais l’engagement associatif aussi est un puissant moyen de connecter avec des personnes étrangères que nous pourrons pourtant facilement connaître parce que nous aurons un intérêt en commun. Et partant de là, il y a des occasions d’évangéliser de façon authentique, sincère et spontanée, selon les occasions que Dieu donne.
  3. L’Eglise peut être également la matrice de collegia purement chrétiennes. Prenons l’exemple de tout à l’heure : « Avec d’autres membres de l’église, louer un appartement en commun dans lequel une femme enceinte en souffrance pourra éviter l’avortement, et la visiter et l’aider de tout votre cœur jusqu’à ce qu’elle puisse vivre par elle-même. » Ce n’est pas un exemple en l’air : une association catholique près de chez moi le fait réellement. C’est peut-être petit, mais c’est réel. Et puisque c’est fait par des chrétiens dans l’assemblée locale, vous pouvez être aussi confessionnel que vous le souhaitez. L’Eglise peut être la matrice de collegia comme l’est l’Eglise Catholique, autour duquel gravite tout un univers associatif très puissant. C’est d’ailleurs cette constellation de collegia qui explique les capacités de mobilisations incroyables de l’Eglise Romaine, comme le montre la Manif Pour Tous. Il est temps que nous fassions de même. Pour le pasteur, vous n’avez qu’à proposer l’idée depuis la chaire, et Dieu mettra au cœur des frères et sœurs de servir Dieu dans le monde de cette façon.

Les partis sont des collegias

Cette remarque à l’air innocente, mais elle explique beaucoup de failles dans notre système parlementaire, et pourquoi le Parlement ne remplit plus du tout sa fonction.

Comme le dit Althusius, un collegium est une association qui existe pour une cause privée et non publique. Il n’est pas là pour le bien de tous, mais pour atteindre un bien particulier. Or c’est bel et bien le cas d’un parti politique : son but est de gagner les élections et appliquer un certain programme. Mais cette cause est par définition une cause privée qui cherche l’aval des électeurs.

« Les partis ne représentent plus la société ». Ce n’est pas étonnant : leur essence même n’est pas d’exister pour le public, mais pour une cause privée. En fin de compte les partis ne représentent qu’eux-même, par définition.

« Les partis ne servent pas la cause publique, mais leurs intérêts privés ». Ce qui est étonnant, c’est qu’ils aient un jour servi la cause publique car comme on le voit ils sont par essence là pour servir des intérêts privés.

En conséquence, un système politique équilibré devra faire en sorte que les partis n’existent pas. Ou bien, pour être plus précis : la constitution devra faire en sorte que les affaires publiques ne soient pas gérées par des collegia spécialisées.

Voilà pour l’enseignement d’Althusius sur les associations volontaires.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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La Famille comme unité politique de base – Althusius

La Famille comme unité politique de base – Althusius

Voilà donc ce que font les
familles, selon Althusius. Ces biens et services produits sont ensuite
organisés entre eux dans un ordre politique afin d’obtenir la fin de la
politique : une vie stable, prospère et vertueuse pour tous. La liste peut
être bien sûr modifiée, mais l’on voit ici combien nous sommes à côté du
panneau.

Si la Famille dépérit, c’est
parce qu’elle n’est plus une unité économique et donc plus une unité politique.
Si nous voulons vraiment défendre la Famille, il faut de nouveau en faire une unité
de production de richesses.

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