L'organisation de notre nation – Althusius
16 décembre 2019

Dans notre présentation de la Politica d’Althusius, nous sommes arrivés au niveau d’organisation « national ». C’est-à-dire : nous avons plein de communautés qui s’imbriquent les unes dans les autres, mais comment sont-elles censées s’articuler, et qui a la souveraineté au final ? Est-ce le roi, qui est un monarque absolu sur son royaume ? Est-ce le peuple ? Si oui, sous quelle forme (individus, ou associations) ? Ce sont ces questions fondamentales qu’Althusius aborde dans son chapitre 9.

La nation n’est pas composée d’individus, mais de communautés

Je l’ai déjà beaucoup dit, mais Althusius rejette l’individualisme en politique. La base de la société sont les « alliances » ou « consociations » que les individus tissent entre eux, et c’est celles-ci qui sont la base et la fin de l’ordre politique. Contre cela, notre modèle politique français est complètement basée sur l’individualisme des Lumières.

Les membres d’un royaume, ou de cette association universelle ne sont pas des hommes individuels ou des familles ou des collegia, comme pour les associations privées ou publiques particulières. A la place, les membres sont les différentes villes, provinces et régions qui s’entendent entre elles. […] Les villes, les communautés urbaines, et les provinces sont les membres du royaume tout comme la proue, le mât et la quille sont membres d’un bateau et le sol, les murs et le plancher à l’étage sont les parties essentielles d’une maison.

Politica, 9.5

Voici quelques arguments qu’Althusius ne fournit pas, mais que je pense pertinent pour soutenir cette idée :

  • Les individus n’existent pas dans la réalité. Ce que nous avons, ce sont des personnes qui font partie de différents réseaux de relations et d’associations comme des familles et des communautés municipales. L’individu est une abstraction et tout système politique bâti sur une abstraction est par définition coupé de la réalité.
  • Si nous voulons préserver la liberté et les droits de chaque personne, il faut les laisser s’organiser à leur guise dans les structures communautaires qui leurs conviennent. Or l’individualisme politique réduit à néant cette idée, puisqu’il ne reconnaît aucun niveau d’organisation entre les individus et l’état. On aboutit à la dérive absurde qui fait que pour protéger les droits des individus, on détruit l’organisation des personnes ! Pour préserver une idée, on détruit ou empêche des œuvres concrètes.
  • Une vision basée sur des individus déconnectés les uns des autres ne peut pas réussir à créer de l’unité, mais doit au contraire emprunter le sens d’appartenance qui fait l’unité à une autre philosophie. En somme, l’individualisme politique n’est vivable que s’il n’est pas vraiment appliqué.

A qui appartient la souveraineté ?

Althusius n’admet pas la monarchie absolue, qui postule que tous les pouvoirs appartiennent au roi qui ensuite le donne à différents officiers dans le royaume. Le fameux modèle du « lieu-tenant [qui tient lieu de] de Dieu sur Terre ».

Mais je pense qu’il rejetterait aussi le modèle de la Ve république « tardive » où le président de la République est le « lieutenant » du peuple. En effet il dit :

Le pouvoir du royaume (potestas regni), ou des corps associés, est toujours un pouvoir unique et non multiple, tout comme une seule âme et non de multiples gouvernent le corps physique. Les administrateurs de ce pouvoir peuvent être multiples, si bien que les individus peuvent chacun prendre une part à la fonction du gouvernement, mais non la plénitude de la puissance. Et ces individus eux-même ne sont pas au contrôle du pouvoir suprême. A la place ils reçoivent un tel pouvoir dans le consentement et la concorde des corps associés. D’où le fait que les juristes ont déclaré que les droits de souveraineté et de gouvernement (jura majestatis et regni) sont indivisibles, incommunicable et interconnectée, si bien que nul ne les détient seuls.

Politica 9.19

Il est donc absolument inimaginable qu’un président de la république –fut-il élu au suffrage universel – puisse passer une réforme seul contre tous, puisque son pouvoir est « reçu dans le consentement et la concorde des corps associés ». Le pouvoir du peuple est indivisible et incommunicable.

Les limites du pouvoir politique suprême

Il y a par ailleurs une autre limite au pouvoir « impérial ». « Impérial » signifie ici le niveau de pouvoir suprême, celui qui commande sans être commandé par un autre. Normalement, la France devrait être un imperium, mais si nous sommes réalistes, c’est l’Union Européenne qui tient une partie de cette place.

Bref, quelle est la nature et les limites de ce pouvoir impérial ?

La nature et le caractère de l’imperium et du pouvoir sera qu’ils prennent soin et égards à la réelle utilité et au vrai avantage de leurs sujets Vasquez démontre ceci quand il dit qu’il n’y a pas de pouvoir pour le mal, mais seulement pour le bien. Aucun pouvoir pour endommager, ou pour régner dans l’intérêt du plaisir et de la gloriole, mais uniquement pour considérer et supporter ce qui est réellement utile aux sujets.

Politica 9.25

Sont donc exclus du système d’Althusius, qui se base sur les Écritures :

  • Un pouvoir qui cherche à réaliser un « grand projet » plutôt que ce qui est réellement et concrètement utile au pays.
  • Un pouvoir qui prend sciemment des décisions orthodoxes selon sa propre philosophie, mais qui détruisent des vies humaines et mettent en péril notre organisation sociétale. Je pense aux politiques d’austérité.
  • Un pouvoir qui fait voter des lois comme on prend des postures, cherchant davantage à afficher sa vertu qu’à réellement servir le pays.

Une église nationale

Nous avons parlé de comment l’église est censée s’organiser au niveau « régional ». Ultimement, elle doit bien sûr s’organiser jusqu’au niveau national. A ce sujet il écrit :

La communion ecclésiale du royaume est le processus par lequel les moyens d’organisation et de conservation du Royaume de Christ sont établis, fondés, et communiqués selon la volonté de Dieu à travers tout le territoire de cette association universelle. Cela est fait pour la gloire éternelle de Dieu et le bien du royaume.

Politica 9.33

La mission de l’église diffère donc de celle de l’état, dans le sens où elle est orientée vers Dieu en premier, et le royaume en second. Cependant, vous remarquerez qu’elle est pleinement intégrée au pays.

En plus de gérer la marche de l’église et son organisation, la gestion des écoles appartient aussi à l’Église, selon Althusius.

Les écoles publiques assurent la conservation de la vraie religion et sa transmission aux dernières génération, pour informer la vie et les coutumes des citoyens, et pour acquérir la connaissance dans les arts libéraux.

Politica 9.38

Paradoxalement, les séculiers comprennent aujourd’hui cet aspect bien mieux que les chrétiens, et ils mettent les bouchées double pour « donner une forme » (in-former) aux jeunes générations, et leur transmettre les saines valeurs de l’antichrist. Par contre, pour ce qui est des arts libéraux…

Au sujet de la protection de cette église, Althusius écrit au sujet du devoir des magistrats :

Les adorateurs du vrai Dieu doivent être défendus et protégés à travers le royaume, même s’ils sont d’un petit nombre et qu’il y en a beaucoup qui professent une autre religion.

Politica 9.41

Et également défendre l’unité de l’église. Pour autant, Althusius n’imagine pas la chasse aux sorcières à tous les échelons :

Christ a supporté des disciples qui étaient faibles, pécheurs, grossiers, inexpérimentés et défaillants. L’Évangile ne collecte pas que des bons poissons dans son filet, mais d’autres aussi. Il conseille de plus de ne pas arracher l’ivraie pour ne pas faire de mal au bon grain. Dans une grande maison il y a des vases d’or et d’argile, certains à honneur et d’autres à déshonneur. L’Eglise est comparée à un grenier dans lequel il y a du bon grain et de la paille, à un banquet où bons et mauvais ripaillent ensemble, aux dix vierges, et au troupeau où il y a à la fois des brebis et des boucs. La modération doit donc être observée.

Politica 9.42

Mais il ne faut pas accepter des personnes ouvertement et publiquement athées, qui se révoltent contre le magistrat, qui promeuvent des guerres inutiles, qui supportent des actes honteux en public, et qui rejettent, rompent, ou appellent à douter des articles nécessaire à notre salut. Il n’est pas permis que quiconque pratique une religion en totale opposition à la foi chrétienne.

Politica 9.44-45

Pour plus de détails sur la vision réformée de la tolérance religieuse, voir les articles que j’ai écrit synthétisant Georges Gillespie le pasteur presbytérien écossais (milieu 17e siècle) ou bien François Turretin, le professeur de systématique dans la Genève de la fin 17e siècle.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

sur le même sujet

La Famille comme unité politique de base – Althusius

La Famille comme unité politique de base – Althusius

Voilà donc ce que font les
familles, selon Althusius. Ces biens et services produits sont ensuite
organisés entre eux dans un ordre politique afin d’obtenir la fin de la
politique : une vie stable, prospère et vertueuse pour tous. La liste peut
être bien sûr modifiée, mais l’on voit ici combien nous sommes à côté du
panneau.

Si la Famille dépérit, c’est
parce qu’elle n’est plus une unité économique et donc plus une unité politique.
Si nous voulons vraiment défendre la Famille, il faut de nouveau en faire une unité
de production de richesses.

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