L’organisation de l’église – Althusius
2 décembre 2019

Dans notre commentaire, nous en sommes aux différents niveaux de « communautés universelles » et après avoir parlé de la ville, il parle de comment devraient être organisées l’unité au-dessus des villes : celle des provinces. Cependant, dans cet article, je vais décrire un seul aspect : Comment Althusius décrit une église « de district ». Vous allez voir, c’est excitant.

Les limites du modèle congrégationnaliste

Le congrégationnalisme, c’est la doctrine qui enseigne que chaque assemblée individuelle doit être indépendante des autres, et rejette toute structure fédérale au-dessus de celles-ci. Certes, on accepte des « dénominations », mais il s’agit davantage d’un réseau informel que d’une structure réellement utile. C’est le modèle du monde évangélique français.

Or il a les limites suivantes :

  • Les églises ne pèsent rien, même collectivement, car justement il n’y a pas de collectif.
  • Les capacités financières sont dispersées et réduites aux budgets d’assemblées locales. Impossible avec le congrégationalisme de financer une université évangélique par exemple, et même une simple école. Nous voilà forcés de laisser des athées enseigner nos enfants.
  • Il encourage la concurrence entre assemblées locales et non la coopération dans le corps de Christ. Bonjour le darwinisme ecclésial.
  • En conséquence, il se développe des pratiques pastorales qui relèvent du marketing plus que du soin aux âmes, du capitalisme plus que du christianisme.
  • Si une assemblée est en difficulté, elle ne peut compter sur la solidarité de personnes et le nom du Christ peut cesser d’être proclamé en un lieu à cause de cela.
  • Il devient très difficile d’identifier les talents utiles pour le service de Christ et de lui donner une place là où il y en a besoin. Une assemblée qui a besoin d’un diacre expérimenté ne peut tout simplement pas demander à d’autres si une telle personne existe dans leurs rangs : elle est obligée de compter sur ses propres ressources humaines, et si elle en manque tant pis pour l’œuvre de Christ. Pendant ce temps, un homme au cœur de diacre est rongé de frustration parce que dans son assemblée locale il n’y a pas besoin de son don…
  • Il ne correspond pas à la réalité vécue, où nous nous reconnaissons d’une assemblée à l’autre, sans que pourtant nos pasteurs travaillent entre eux.
  • Les « unions d’églises » sont des organismes complètement opaques qui ne sont –en apparence- responsables devant personne.

Et pourtant, nous reconnaissons que l’Eglise est une. Nous sommes à l’aise pour aller visiter d’autres églises évangéliques. D’un point de vue pragmatique, nous reconnaissons DÉJÀ que le congrégationalisme est faux. Tout ce qui nous manque, c’est que notre organisation suive.

Or le projet réformé est justement celui d’églises locales qui travaillent dans une unité complète. Pas seulement une unité de cœur ou d’esprit, mais aussi une unité politique et organisationnelle. Ainsi, assemblée locale par assemblée locale, elles font partie d’un même corps politique, que je vais décrire dans cet article, tel qu’Althusius le décrit. À savoir : il ne fait que systématiser Calvin, Junius et la tradition réformée sur le sujet.

L’organisation locale

Le presbytère, ou sénat ecclésial contient deux types d’hommes. Le premier sont les pasteurs et les ministres de la parole à qui est confié le ministère de réconciliation. Les seconds sont les anciens et les diacres à qui est confié l’administration des choses écclésiales – c’est-à-dire, l’administration de tout ce qui n’est pas parole et sacrement – pour le rassemblement des saints, pour l’œuvre du ministère, et pour l’édification du corps de Christ. –Politica 8.12

Pour les pasteurs :

Les pasteurs et ministres de la parole sont principalement concernés par ces choses qui amènent et soutiennent la foi, c’est-à-dire : administrer la parole de Dieu, les prières et les sacrements au corps des fidèles.

Politica 8.13

Pour les anciens :

Les anciens ont plus spécifiquement le soin de ces choses qui ont été instituées pour amener la repentance chez les frères et la conservation de la discipline. Ainsi donc ensemble ils président à la censure des mœurs. Leur office est aussi de surveiller les ministres qui accomplissent leurs devoirs, et de dénoncer les erreurs, schismes, scandales, et nécessités publiques aux ministres dans le but de produire des prières et la repentance.

Politica 8.14

Pour les diacres :

Les diacres sont les surintendants qui dispensent les aumônes de la part de l’église, et qui accomplissent leurs responsabilités quant aux pauvres. Ils s’occupent plus spécialement des choses qui appartiennent à la charité, et prennent la responsabilité des biens ecclésiastiques.

Politica 8.15

Pour mieux faire ressortir toute la sagesse d’une telle organisation prenons tout une série de problème courants dans le monde évangélique qui sont résolus par celle-ci :

  • Il y a une épidémie de burnout chez nos pasteurs. L’organisation réformée règle cela en déchargeant le pasteur de toutes les charges administratives et politiques de l’église, pour qu’il se concentre sur ses tâches spirituelles. Ainsi sa santé mentale est préservée.
  • Beaucoup ont vécu dans des églises où le Pasteur était un chef autoritaire et sans contre-pouvoir. Contre cela, l’organisation réformée institue des anciens dont la tâche est justement de faire un contre-pouvoir à tout abus pastoral. La nature collégiale du conseil presbytéral assure que les anciens ne deviennent pas non plus des tyrans.
  • Le diaconat est généralement laissé à l’abandon, tant les responsables de l’église sont déjà surchargés par le reste de leurs tâches. Ici, on institue des diacres qui s’occupent spécifiquement de cette tâche.
  • Les affaires administratives et la gestion du patrimoine de l’église est clairement attribuée aux diacres, ce qui décharge le pasteur et les anciens d’une tâche qui n’est pas la leur, et qui élève nos trésoriers d’églises qui font un travail remarquable sans forcément avoir la reconnaissance qui leur revient.

Par ailleurs, comme je l’ai déjà fait remarquer, séparer nettement les tâches des pasteurs, des anciens et des diacres va démultiplier les occasions de service pour les frères et sœurs, et permettre aux femmes de prendre une plus juste place dans les assemblées (si nous acceptons qu’elles soient diaconesses).

Ce que fait une église locale

Vous allez le voir, la vision réformée va bien au-delà du culte du dimanche et de la réunion de prière du jeudi. L’église réformée est une véritable machine de guerre pour le Seigneur. Nous le voyons au chapitre 8, paragraphe 16. L’église a donc en charge :

  1. La défense et la promotion de la vérité de la doctrine céleste.
  2. L’appel (=identification et recrutement) des ministères de la parole.
  3. La censure des mœurs.
  4. Les écoles pour les enfants et les jeunes.
  5. L’intégrité des rituels et cérémonies dans l’église de Dieu.
  6. La structure et le bon ordre (politique).
  7. La manière et l’heure à laquelle se font les réunions d’Eglise.
  8. Les prières, les exhortations et les sacrements de l’Eglise.
  9. Les preuves de réformes, ainsi que les punitions qui amènent, cultivent et préservent la sainteté et la paix.
  10. Le diaconat et la distribution des aumônes.

Pour l’exercice des affaires de l’église, les pasteurs, anciens, et diacres se réunissent, délibèrent et décident au cours de leurs réunions

Politica 8.17

Comme vous le voyez, il y autant des affaires spirituelles (liturgie, prêche, prières) que des affaires politiques locales, et notamment les écoles. Dans un pays comme la France où nous avons gobé le mensonge de Ferry qui fait croire que c’est à l’État de gérer les écoles, il faut bien comprendre ceci : L’éducation des enfants revient aux parents en premier et à l’église en second. Dans la France de 2019, nous avons complètement tordu l’idée : c’est à l’État en premier et aux parents en second. Il est regrettable que seuls les romains s’accrochent à cette vision. Raison pour laquelle vous feriez bien d’aider votre école catholique locale, par ailleurs…

Au niveau d’un district

Prenons une grosse ville comme Grenoble (au hasard). Deux cent mille habitants, une vingtaine d’églises évangéliques. Malgré la concentration d’églises à portée raisonnable les unes des autres, chacune œuvre individuellement comme si elle était seule, avec des moyens limités, sans mutualisation. Imaginons-en plus que deux d’entre elles sont sur le point de disparaître pour cause de difficultés financières et que l’une d’entre elles vire petit à petit à la secte, au scandale de la ville. Comment peut-on s’organiser pour que ces églises forment un seul corps, qu’elles travaillent ensemble, se viennent en aide les uns aux autres, et corrige leurs excès ?

En créant un « conseil presbytéral de district » qui désignera des surveillants, qui sont des « anciens d’anciens ».

Des personnes missionnés par le magistrat visitent chaque église individuelle de la provinces à des temps fixés, et font une enquête. Ils examinent si un pasteur de l’église fait de nouveaux enseignements contraires à la doctrine orthodoxe, s’il enseigne d’une manière édifiante, s’il accomplit correctement son office et s’il vit une vie honnête. En revenant ils font un rapport au magistrat de tout les besoins qu’ils ont vu et lui demandent de remédier.

Politica 8.25

Laissez de côté les références au magistrat, nous les explorerons dans un article suivant. L’idée essentielle est qu’il devrait y avoir au niveau « provincial » des conseils presbytéraux « de district » qui réunissent toutes les églises locales pour gérer les affaires de l’Eglise dans ce district, au-delà de l’assemblée locale. Evidemment, c’est totalement à inventer, mais c’est loin d’être impossible : au contraire, nous travaillons de plus en plus les uns avec les autres dans un même district. Tout ce qu’il nous reste à faire c’est formaliser cela.

Prenons l’exemple de ma belle Chartreuse. Il y a 1 église évangélique dedans, et 3 aux portes de celle-ci. Comment mettre en place, puis à quoi ressemblerait un « conseil presbytéral de Chartreuse » ?

  • D’ores et déjà, les pasteurs se réunissent régulièrement pour prier ensemble et partager au sujet de leurs églises. Ces réunions doivent être renforcées. Il serait peut être bon d’encourager aussi des journées où toutes ces églises se rencontrent ensemble.
  • Apprendre à prendre des décisions en commun. Par exemple, faire un don à une œuvre locale. L’essentiel n’est pas de faire un gros don, mais simplement d’apprendre à mettre nos ressources en commun.
  • Ensuite, gérer un projet en commun avec toutes ces églises : implanter des églises dans le massif, dans la vallée des Entremont par exemple. Soutenir une maison d’accueil pour mère célibataire en souffrance….
  • Enfin, formaliser la structure fédérale qui gère les affaires communes, et gérer la discipline ecclésiale à plusieurs. Que nul qui est excommunié dans l’église de Voiron ait simplement à pousser la porte de l’église de Voreppe. Cette structure fédérale peut ensuite servir comme cour d’appel, soutien aux pasteurs, représentation devant les autorités … C’est aux églises locales de décider quel pouvoir a ce conseil.

Si vraiment nous croyons qu’il y a une seule foi, un seul baptême, une seule église pour un seul Christ, c’est vers cela que nous devons aller.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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La Famille comme unité politique de base – Althusius

La Famille comme unité politique de base – Althusius

Voilà donc ce que font les
familles, selon Althusius. Ces biens et services produits sont ensuite
organisés entre eux dans un ordre politique afin d’obtenir la fin de la
politique : une vie stable, prospère et vertueuse pour tous. La liste peut
être bien sûr modifiée, mais l’on voit ici combien nous sommes à côté du
panneau.

Si la Famille dépérit, c’est
parce qu’elle n’est plus une unité économique et donc plus une unité politique.
Si nous voulons vraiment défendre la Famille, il faut de nouveau en faire une unité
de production de richesses.

1 Commentaire

  1. Tribonien Bracton

    Le congrégationalisme réformé n’enseigne pas que chaque assemblée individuelle doive être exclusivement indépendante des autres (si indépendance il y a, celle-ci doit être couplée avec une interdépendance mutuelle… mais je préfère quand même parler d’autonomie que d’indépendance), ni ne rejette toute structure fédérale/alliancielle au-dessus des assemblées locales, ni ne réduit les dénominations/associations à des réseaux informels inutiles.

    Simplement, le congrégationalisme affirme que les prérogatives que Dieu a souverainement délégué à la congrégation locale doivent y demeurer. Ce principe juridique – *delegatus non potest delegare* (le détenteur d’un pouvoir délégué ne peut pas s’en décharger en le sous-déléguant à quelqu’un d’autre) – ne s’applique d’ailleurs pas qu’en droit ecclésial, mais aussi dans les autres branches du droit. Les compétences que l’Éternel choisit de déléguer à une entité quelconque doivent y demeurer et non pas être refilées à d’autres entités comme une patate chaude.

    ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~

    Voici quelques citations historiques sur le rôle des synodes/conciles dans une dynamique réformée congrégationaliste :

    « Les synodes n’ont “aucune puissance de déterminer [ni] de décréter aucune chose qui dépendit de la puissance de l’Église”. Ils n’ont qu’un pouvoir consultatif. Les délégués prennent conseil. Ils se communiquent les décisions prises par leurs Églises respectives et les problèmes rencontrés. Ils “épluchent” l’Écriture et s’efforcent de parvenir à un consensus quand un différend divise les Églises. Mais ils n’ordonnent rien. Ils proposent seulement. Quoi que recommandent les synodes, c’est l’Église particulière qui tranche en dernière instance. L’union résulte d’un consensus et non d’une décision autoritaire. »
    — Jean Morély (un huguenot congrégationaliste), ‹Traicté de la discipline & police chrestienne›, Ian de Tournes, Lyon, 1562, cité dans Philippe Denis and Jean Rott, ‹Jean Morély (1524-1594)›, Librairie Droz, Genève, 1993, p. 202.

    « Les synodes servent à maintenir l’union des Églises. On y discute de toutes les questions qui font difficulté : doctrine, discipline ou liturgie. Au besoin, un synode peut adresser une remontrance au magistrat, “s’il y [a] quelque grand désordre en la république” [= collectivité civile]. Les ministres [de l’Église] ont en effet l’obligation d’admonester les dirigeants politiques [= ministres de l’État] de leur devoir et office. »
    — Jean Morély, ‹Traicté de la discipline…›, cité dans Philippe Denis et Jean Rott, ‹Jean Morély…›, p. 201.

    « Nous jugeons que les synodes sont d’une grande utilité pour découvrir et déclarer la vérité dans des cas difficiles, pour s’encourager à marcher dans la vérité, pour guérir des blessures et pour conseiller le magistrat en matière de religion. Nous accordons un grand honneur et un respect consciencieux à leurs déterminations. Toutefois, en constatant que la proposition mise de l’avant [par la majorité presbytérienne à l’Assemblée de Westminster le 2 février 1644] ne prône pas seulement des synodes occasionnels, mais des synodes permanents subordonnés les uns aux autres en tant que tribunaux juridiques ecclésiastiques, et cela sans exception, nous [nous prononçons] humblement en défaveur de cette proposition. »
    — ‹The Arguments of the Dissenting Brethren Against the Subordination of Synods›, rapport minoritaire officiel de l’Assemblée de Westminster soumis au Parlement d’Angleterre le 12 décembre 1644, cité dans Chris Coldwell, ‹The Grand Debate : The Reasons Presented by the Dissenting Brethren Against Certain Propositions Concerning Presbyterian Government›, Naphtali Press, 2014, p. 207.

    « Quoique les assemblées particulières constituent des corps distincts et séparés, étant chacune en elle-même une cité unie et compacte ; mais il faut qu’elles vivent selon une seule et même Règle, et que par tous les moyens appropriés elles s’apportent réciproquement conseil et secours chaque fois que le besoin s’en manifeste dans l’Église, en tant que membres d’un seul et même corps partageant une même foi, et soumis à Christ, leur unique Chef. »
    — ‹Confession de foi réformée baptiste de 1644›, article 47.

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