Une critique du présuppositionnalisme de Van Til (7/9)
10 janvier 2020

Cet article est la septième partie d’une série de traduction d’un article de Keith A. Mathison originalement publié sur Tabletalkmagazine.com.
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Présupposer la raison

Quand nous examinons la pensée de Van Til sur la nature et l’utilisation de la raison humaine, le manque de clarté mentionné plus haut en ce qui concerne ce que les incroyants peuvent savoir et même savent, est un peu comme un retour de flamme. L’une des critiques les plus fondamentales de Van Til à l’égard de l’apologétique traditionnelle est qu’elle rend involontairement la pensée de l’homme ultime1. Cela pourrait signifier au moins une ou deux choses. Cela pourrait signifier que l’esprit humain est compris comme étant à la place de Dieu sur toutes choses, que l’homme est « métaphysiquement ultime », que l’homme est « la cour d’appel finale2 ». Ou alors cela pourrait signifier que l’esprit humain est compris comme étant notre point de départ nécessaire et « proche » en tant qu’êtres humains.

Van Til semble critiquer l’apologétique traditionnelle avec le premier sens en tête. Il reproche à l’apologétique traditionnelle d’avoir rendu l’esprit de l’homme ultime. Le problème de cette critique est qu’elle confond les concepts de la raison humaine avant les Lumières avec les concepts de la raison humaine après les Lumières et les regroupe sous la bannière de « l’apologétique traditionnelle ». Aucun apologète chrétien traditionnel, qu’il s’agisse de Thomas d’Aquin ou des scolastiques réformés, n’affirme l’idée blasphématoire que l’esprit de l’homme est ultime dans le sens d’être métaphysique ultime. Tous les chrétiens comprennent que Dieu est le Créateur et que ni eux, ni le monde, ni leur propre esprit et leur propre connaissance n’existeraient sans Dieu. Aucun vrai chrétien ne croit que l’homme est métaphysiquement ultime, ou la cour d’appel finale. En somme Van Til critique les apologètes traditionnels pour une pensée qu’ils ne croient pas et n’enseignent pas3. Van Til a remarqué quelque chose de vraiment problématique dans certaines formes de pensée d’après les Lumières, mais il l’injecte ensuite dans sa lecture des formes antérieures d’apologétique chrétienne où ce problème n’existe pas.

Et si Van Til ne reprochait pas aux apologètes traditionnels de croire que l’esprit de l’homme est ultime dans le sens métaphysique ? Si Van Til parlait plutôt de ce qu’il appelle le point de départ proche ? C’est très improbable, car Van Til lui-même reconnaît que telle est la condition humaine telle qu’elle a été créée par Dieu. Van Til admet que nous, les êtres humains, sommes nécessairement le point de départ immédiat de toute connaissance humaine4. Psychologiquement, selon Van Til, l’homme doit « penser d’abord à lui-même avant de pouvoir penser à Dieu5 ». Où veux-je en venir ? En fait les partisans des méthodes apologétiques traditionnelles sont d’accord6. C’est exactement l’idée que les apologistes traditionnels font valoir lorsqu’ils parlent de commencer par notre raison. Ils n’affirment pas que l’esprit de l’homme soit l’ultime cour d’appel finale, en quelque sorte supérieure à Dieu. Van Til critique l’apologétique traditionnelle pour quelque chose qu’en fin de compte il accorde, d’une manière détournée. Il a fabriqué un problème qui n’existait pas et a mis au point toute une méthodologie d’apologétique pour résoudre ce problème inexistant.

Considérez l’affirmation de Van Til selon laquelle l’homme doit « penser d’abord à lui-même avant de penser à Dieu ». Van Til dit que c’est le point de départ proche nécessaire pour les humains. Réfléchissez à ce que cela signifie de « penser » à quoi que ce soit. Pour « penser » à soi-même, à Dieu ou à quoi que ce soit d’autre, il faut assumer nos facultés rationnelles. En d’autres termes, elles doivent être présupposées. Nous ne pouvons pas « penser » sans nos « facultés de penser ». Nous ne pouvons rien faire qui exige nos facultés rationnelles si nous n’avons pas ces facultés rationnelles. Ils sont assumés (ou présupposés) dans chaque acte de l’esprit que nous sommes appelés à faire. Qu’est-ce qui est présupposé dans l’appel à présupposer Dieu ? Qu’est-ce qui est présupposé dans l’appel à aller à l’Écriture comme notre dernière cour d’appel ?

Les appels à présupposer Dieu et les Écritures présupposent un « présupposant », quelqu’un ayant la capacité et les outils rationnels nécessaires pour présupposer quelque chose. En d’autres termes, les deux appels de Van Til présupposent l’être humain et ses facultés rationnelles ainsi que les lois de la raison. C’est ce qui est présupposé dans la notion même de « présupposé ». Cela signifie-t-il que l’homme, ses facultés rationnelles ou les lois de la raison sont métaphysiquement ultimes ? Non. Aucun d’entre eux n’existerait sans Dieu. Dieu est métaphysiquement ultime. Cela signifie simplement que l’acte humain de présupposer ne peut se produire sans eux. En d’autres termes, tout ce que Van Til dit que le croyant ou l’incroyant doit faire présuppose la raison. Van Til n’a pas échappé à ce fait en créant son apologétique présuppositionnelle.

Considérez que Van Til dit que la méthode présupposée implique que le chrétien se mette dans la peau de l’incroyant « pour le bien de l’argumentation » et demande ensuite à l’incroyant de se mettre dans la peau du chrétien « pour le bien de l’argumentation » afin de montrer qu’un seul de ces systèmes rend les faits intelligibles7. Prétendument, cette méthode a le mérite de supposer Dieu plutôt que de supposer la raison humaine. Mais cette méthode suppose en fait la raison humaine de l’incroyant et sa capacité à discerner laquelle des deux visions opposées explique l’intelligibilité des choses.

Bien sûr, Van Til ne nie pas que l’incroyant ait la capacité de comprendre les arguments de l’apologète, et sa méthode suppose la capacité de l’incroyant à juger entre deux points de vue (le système chrétien et le système non-chrétien) ainsi que sa capacité à déterminer quel point de vue explique l’intelligibilité des faits. C’est ce qu’il dit lui-même8. Mais lorsque ces mêmes types de déclarations sont faits par des apologètes traditionnels, Van Til les explique comme des exemples de raison humaine autonome. Van Til reconnaît qu’en ce qui concerne la faculté intellectuelle humaine et ses processus, la raison doit être assumée dans tout appel à l’esprit de l’incroyant, mais accorder cet évidence, comme le fait Van Til, sape ses fortes revendications concernant l’antithèse et sape ainsi tout son système présuppositionnel et ses arguments contre l’apologétique traditionnelle.


  1. VAN TIL, Introduction to Systematic Theology, 2e éd., p. 295.[]
  2. VAN TIL, The Defense of the Faith, 4e éd., p. 58.[]
  3. Les défenseurs de Van Til demandent continuellement à ses critiques de lire son œuvre avec charité. Je demande simplement en retour il se demande si Van Til a lu avec charité ceux avec qui il n’était pas d’accord (ou s’il les a correctement compris).[]
  4. VAN TIL, Introduction to Systematic Theology, 2e éd., p. 324.[]
  5. VAN TIL, The Defense of the Faith, 4e éd., p. 180.[]
  6. Voir, par exemple, GERSTNER, LINDSLEY, et SPROUL, Classical Apologetics, p. 215.[]
  7. VAN TIL, Christian Apologetics, p. 129.[]
  8. VAN TIL, The Defense of the Faith, 4e éd., p. 256; A Christian Theory of Knowledge, p. 19. Si nous devons juger les différents systèmes de pensées et que l’intelligibilité des choses est le critère principal, alors nous pourrions rétorquer que la méthode présuppositionnelle présuppose nécessairement l’intelligibilité avant de présupposer la Trinité.[]

Hadrien Ledanseur

Enfant de Dieu, passionné par la théologie et la philosophie. S'il est enfant de Dieu, c'est exclusivement en vertu des mérites de Jésus-Christ et de la grâce de Dieu. Si Dieu le veut, il se fiancera bientôt !

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