Ces protestants qui deviennent catholiques romains (2) : La psychologie de la conversion – Bradford Littlejohn
13 janvier 2020

Introduction

Dans notre premier billet, nous avons présenté la « conversionite », le phénomène des récentes défections protestantes à Rome (ou vers l’Orthodoxie Orientale), dont l’impact est plus important que ce que les chiffres pourraient laisser croire. L’omniprésence de cette tendance se manifeste surtout dans les structures de plausibilité changeantes : autrefois un événement dramatique, les conversions évangéliques à Rome semblent maintenant une chose parfaitement naturelle à faire, ou à voir s’être produit chez d’autres. Pour le jeune évangélique intelligent, insatisfait de la religion de ses parents, mais trop fidèle pour se rebeller de façon plus dramatique, l’Église catholique est devenue presque une option par défaut – quelque chose avec laquelle il faut au moins compter et avec laquelle il faut lutter, même s’il finit par rejeter la conversion.

Pour comprendre ce phénomène, le meilleur point de départ, selon nous, n’est pas les revendications théologiques qui sont au premier plan des débats protestants/catholiques depuis des siècles, et que beaucoup de convertis eux-mêmes mettent au premier plan en racontant leur propre trajectoire. Le bon endroit pour commencer, plutôt, est là où la plupart des conversions commencent : dans l’âme. Dans ce billet, en conséquence, je vais considérer trois principaux motifs psychologiques qui semblent attirer de nombreux évangéliques, surtout les plus jeunes, vers le catholicisme romain.

Cependant, en soulignant ces motifs psychologiques, je suis certain d’en exaspérer certains – au lieu d’aborder les dures questions théologiques dès le départ, ils diront que je trouble le débat en psychologisant le processus de conversion pour qu’il soit plus facilement écarté, ou que je rabaisse l’expérience du converti en la présentant comme fondamentalement irrationnelle. Ce n’est pas mon but. Tout d’abord, je commence ici simplement parce que, que la conversion soit une conversion du protestantisme à Rome, ou de Rome au protestantisme, ou de l’hindouisme au christianisme, la littérature sur la conversion montre que les motifs purement intellectuels sont rarement les plus importants, en tout cas au début. En effet, comme Newman l’a reconnu, la conversion est un acte de la personne entière, et non pas seulement une transformation de l’intellect. Deuxièmement, mettre en évidence ces motifs plus profonds est en fait une tentative de prendre au sérieux les récits de nombreux convertis. Un thème commun parmi ceux qui se convertissent à Rome ou qui luttent avec cette idée est de critiquer le « gnosticisme » protestant et de célébrer les façons dont Rome a satisfait des désirs spirituels que l’évangélisme ne pouvait pas satisfaire, en offrant un culte pour tout le corps et toute l’âme, et pas seulement pour l’esprit. Enfin, mon but ici n’est pas de minimiser l’attrait réel de Rome, mais plutôt de mettre en lumière le défi auquel les pasteurs et enseignants protestants doivent faire face. Comme nous l’avons dit dans la première partie, « si le protestantisme évangélique ne peut pas soutenir et satisfaire les âmes et les corps de ses adhérents, nous pouvons difficilement nous plaindre quand ils regardent ailleurs ».

Les principaux besoins psychologiques qui motivent les conversions peuvent être efficacement résumés sous trois rubriques : La faim d’autorité, le trouble déficitaire de sainteté et l’appartenance à un cercle privilégié.

I. La faim d’autorité

Nous vivons à une époque où les foyers et les familles sont brisés, comme peuvent en témoigner de nombreux pasteurs fatigués et comme le confirment les statistiques. Même pour ceux d’entre nous qui ont eu la chance d’être élevés dans des foyers stables, sous les soins nourriciers d’une mère et la surveillance vigilante d’un père, nous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir la fragilité de ces dons primordiaux, sans lesquels nous nous flétrissons ou errons sans but et affamés. Bien que la révolution technologique et la révolution sociale qui la suit de près aient profondément bouleversé les rôles maternels et paternels traditionnels, c’est sans aucun doute le dernier qui a été le plus durement touché. Le lien biologique étroit entre la mère et l’enfant suffit à garantir que la plupart des enfants grandiront avec une sorte de lien significatif avec leur mère, mais les pères peuvent se détacher plus facilement et, sans la contrainte de normes sociales et juridiques rigides, le font souvent. Ces contraintes se sont évaporées ces dernières années, et l’absence de père est une véritable épidémie à notre époque.

Même les pères qui restent fidèlement à leur poste luttent aujourd’hui pour discerner et habiter leur vocation paternelle dans un monde qui semble en révolte contre la notion même de paternité et tout ce qu’elle représente : structure, règle, hiérarchie, autorité, continuité avec le passé, courage face aux menaces extérieures et fermeté face au chaos interne. J’ai connu plusieurs histoires de convertis à Rome qui avaient dans leur passé une véritable faim de père, des hommes et des femmes qui cherchaient à ce que l’Église comble un vide personnel profond dans leur propre vie. Mais au-delà de ces histoires, qui peuvent être des cas isolés, le fait est que nous sommes tous – en tant que société, en tant que culture, en tant qu’Église – dans un état de faim d’autorité authentique. Nous avons toujours un gouvernement, parce que les humains ne peuvent pas vivre sans lui, mais nous n’avons pas de gouverneurs ; nous avons échangé des thérapeutes et des bureaucrates contre des leaders, et on nous dit que nous devons rejeter comme « toxiques » les vertus avec lesquelles nous aspirons à combler ce vide.


Nous vivons dans un monde qui semble en révolte contre la notion même de paternité et tout ce qu’elle représente : structure, règle, hiérarchie, autorité, continuité avec le passé, courage face aux menaces extérieures et fermeté face au chaos interne


Mais quel est le rapport avec la conversionite ? L’Église catholique a plutôt souligné historiquement son caractère maternel – « l’Église mère », personnifiée dans la théologie catholique par la Sainte Vierge – et sans doute qu’un autre essai pourrait être écrit sur les façons dont le catholicisme romain comble un vide maternel pour de nombreux modernes qui luttent pour comprendre le sens de la maternité et de la féminité. Pourtant, on ne peut pas échapper au fait que les prêtres sont appelés « Père », et que « Pape » lui-même signifie « Papa ». Pour beaucoup de convertis, ce ne sont pas seulement des titres, mais des réponses à cette faim qui les poussent vers Rome. L’Église catholique a certainement cherché à minimiser l’idée de « la hiérarchie » depuis Vatican II, mais il est révélateur que la plupart des convertis soient parmi les conservateurs ou les traditionalistes qui veulent renverser cette tendance – et s’ils sont frustrés par le Saint-Père au sommet de cette hiérarchie actuellement, François, c’est parce qu’il semble manquer de toute fermeté patriarcale.

Saint Ambroise interdisant à l’Empereur Théodose d’entrer dans la cathédrale de Milan (Antoine Van Dyck)

A la base de nombreux récits de conversion, il y a une recherche désespérée de l’autorité à une époque qui a pratiquement mis le mot même sur la liste noire. L’autorité est, bien sûr, inéluctable, ainsi qu’absolument essentielle à l’action et à la liberté de l’homme. Nous ne pouvons pas être libres – c’est-à-dire que nous ne pouvons pas agir de manière significative – sauf en réponse à une sorte d’appel qui nous indique un certain bien ; et nous ne pouvons pas maintenir la liberté face à un désir désordonné sans une sorte de structure qui nous maintient sur la voie de ce bien. La société occidentale en général, et le protestantisme occidental en particulier, ont échoué lamentablement au cours des dernières décennies à fournir des formes d’autorité qui peuvent nous orienter vers le bien et nous soutenir dans sa poursuite. L’autorité de l’Église catholique romaine, ont soutenu les réformateurs, est une sorte de faux simulacre d’autorité, un raccourci plutôt que la vraie chose, puisqu’elle annule la liberté plutôt que de la soutenir ; plutôt que de guider l’âme dans la poursuite du bien, la hiérarchie prétend posséder le bien, de sorte que les laïcs peuvent simplement se reposer dans l’obéissance – en assimilant la doctrine s’ils y sont disposés, mais en faisant implicitement confiance s’ils le préfèrent.

Mais lorsque la gloire de la véritable autorité quitte nos églises, nous ne pouvons guère être surpris lorsque de fausses images de celle-ci se précipitent pour la remplacer, ou lorsque notre peuple se promène pour adorer sur les hauts lieux, où au moins il peut se sentir en présence de quelque chose de plus élevé et de plus grand que lui.

II. Le trouble déficitaire de sainteté

Cela mène naturellement à la considération du motif suivant, que nous pourrions appeler « Trouble déficitaire de sainteté ». Ce trouble est probablement si familier à un si grand nombre d’entre nous qu’il ne nécessite pas de longue exposition. C’est un fait évident que peu de nos Églises protestantes donnent à leurs fidèles le sentiment d’être en présence du saint, le sentiment de monter dans la présence même du Tout-Puissant et de tomber devant son trône pour crier, « Digne es-tu, notre Seigneur et Dieu, de recevoir gloire, honneur et puissance, car tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’elles ont existé et ont été créées » (Ap 5:11).

Le protestantisme est en partie victime de son propre succès, victime du fait qu’il prend une puissante vérité de l’Évangile et la met en valeur en l’isolant de tout le reste dans le récit des Écritures. Martin Luther a proclamé le glorieux Evangile de la grâce en partant du principe que notre Dieu était un feu consumant, en présence duquel le péché ne pouvait pas demeurer. C’est précisément pourquoi notre seule espérance est dans la justice extérieure du Christ, l’Agneau qui se tenait à notre place en présence du Tout-Puissant, le vêtement avec lequel nous étions protégés de la colère de Dieu. Finalement, nous nous sommes tellement habitués à l’idée choquante qu’un Dieu Saint puisse pardonner aux pécheurs répugnants que nous sommes que nous avons oublié qu’il y avait quelque chose de particulièrement étrange à ce sujet. Sûrement, comme l’enseigne la théologie moderne, puisque Dieu est amour, il aime la présence de ses créatures, aussi souillées soient-elles ? Plutôt que de nous tenir avec confiance devant lui, vêtus de la justice de Christ, nous valsons avec désinvolture en sa présence avec des shorts de sport et un café au lait. Nous nous sommes souvenus d’Hébreux 12:18 : « Vous ne vous êtes pas approchés, en effet d’une montagne qu’on pouvait toucher et qui était embrasée par le feu, ni de l’obscurité, ni des ténèbres, ni de la tempête  » et nous avons oublié Hébreux 12:28-29 : « offrons donc à Dieu un culte agréable, avec révérence et crainte, car notre Dieu est un feu dévorant. »


Finalement, nous nous sommes tellement habitués à l’idée choquante qu’un Dieu Saint puisse pardonner aux pécheurs répugnants que nous sommes que nous avons oublié qu’il y avait quelque chose de particulièrement étrange à ce sujet. […] Plutôt que de nous tenir avec confiance devant lui, vêtus de la justice de Christ, nous valsons avec désinvolture en sa présence avec des shorts de sport et un café au lait.


La plupart des Églises évangéliques, dans leur empressement à rendre Dieu convivial pour les visiteurs, ont laissé leurs fidèles se demander ce qu’ils venaient chercher exactement – rien, semble-t-il, qu’ils n’auraient pas pu obtenir dans un cinéma ou à un concert de musique pop. Les âmes affamées errent dans le désespoir et la recherche de quelque chose d’autre que leur vie mondaine, matérialiste, saturée de numérique, et elles sont amenées à des spectacles de lumière, des projecteurs, et des sermons interactifs « tweet-ton-pasteur ».

Bien sûr, les Églises protestantes plus traditionnelles ou confessionnelles pourraient résister au courant de l’époque en insistant sur un culte plus modéré, formel, sérieux et centré sur la Parole, mais cela aussi tend à contribuer à l’épidémie du trouble déficitaire de sainteté. Les réformateurs protestants ont rappelé à juste titre l’Église à un culte centré sur la Parole à une époque qui était positivement privée de la nourriture vivifiante des Écritures, mais ils ont également souligné l’importance des sacrements. Chaque enfant entrait dans l’Église par le mystère du baptême, et l’Eucharistie – que l’Église de la fin du Moyen Âge réservait presqu’exclusivement au clergé – était ramenée au centre du culte, idéalement sous la forme d’un rite hebdomadaire pour toute la communauté des fidèles (bien qu’en pratique, la plupart des communautés n’aient pas pu s’adapter à une notion aussi radicale, et que la Communion ne se soit améliorée que partiellement pour devenir un rite mensuel ou trimestriel). Les réformateurs ont travaillé sans relâche sur des liturgies qui conduiraient l’ensemble des croyants sur le chemin de l’ascension vers la présence de Dieu chaque semaine : par la confession et l’absolution, au moyen de l’adoration et de l’instruction, et enfin vers la joie commune devant le trône de Dieu. L’équilibre délicat qu’ils ont lutté pour atteindre entre l’esprit et le corps dans le culte, entre l’individu et la communauté, entre la Parole et le Sacrement, s’est en grande partie effondré dans le solvant turbulent et démocratisant de l’Amérique, et peu d’Églises ont pu y retrouver leur chemin.

Nous vivons de plus en plus dans un monde d’artifices, protégé de tout ce qui n’est pas de fabrication humaine par des couches de technologie, enfermé dans un cocon à l’intérieur de notre propre conditionnement. Cela fait 125 ans que Gerard Manley Hopkins a écrit

« tout est saisi par le commerce, saigné, barbouillé de travail ;
Et porte la tache de l’homme et partage l’odeur de l’homme : la terre
Est nue maintenant, et le pied ne peut pas sentir, étant ferré »

et notre détachement du monde chargé de la grandeur de Dieu s’est intensifié jusqu’à l’aliénation. Tout comme nous avons de plus en plus faim d’une autorité qui n’est pas de notre fait, nous avons de plus en plus faim d’expérimenter une réalité qui est vraiment autre – avant, au-delà et au-dessus de nous : en bref, une expérience du saint. Poussés par cette faim, de nombreux évangéliques se rendent à une messe catholique et entendent pour la première fois le chant d’un Sanctus, voient pour la première fois la fraction du pain dans la révérence, ressentent pour la première fois ce que c’est que de s’incliner humblement en présence de Dieu. Ils sont captivés, et c’est compréhensible. Ils y ressentent une sainteté qui remplit un trou, et ils sont convaincus que c’est la nourriture de l’âme qu’ils recherchent depuis des années.

Les réformateurs affirmaient que la beauté de la sainteté dans laquelle Rome se glorifiait déjà à l’époque n’était qu’une façade peinte, un simulacre de la réalité. Au lieu de révéler le surnaturel dans le naturel, l’extraordinaire dans l’ordinaire, leur transsubstantiation ne pouvait que remplacer le pain et le vin par des substances célestes. Plutôt que de permettre au croyant fidèle d’entrer dans le Saint des Saints pour festoyer devant le Seigneur, ils le laissèrent s’ébahir dans le parvis extérieur pendant que la classe sacerdotale intercédait en sa faveur et lui apportait quelques bouchées de grâce pour le soutenir dans son dur pèlerinage. Ainsi, plutôt que d’inviter le croyant à s’émerveiller dans la lumière aveuglante de la présence de Dieu, revêtu de la justice du Christ, ils l’ont encouragé à se contenter d’un accès médiatisé, vêtu des vêtements des saints et des apôtres.

III. L’appartenance à un cercle privilégié

Les deux premières raisons que nous avons examinées ici sont des désirs nobles et louables en effet. Nous ne pouvons pas nous empêcher de compatir à la soif d’autorité paternelle et de sainteté authentique qui conduit beaucoup de gens à sortir du protestantisme. La motivation finale est peut-être plus basse, mais que celui qui n’a pas commis ce péché jette la première pierre. C’est le phénomène psychologique presque universel que C.S. Lewis a diagnostiqué avec justesse dans son brillant essai « l’Anneau intérieur » (NdT : The Inner Ring, qu’on pourrait traduire « Le Cercle intime » ou « Le Club des privilégiés »), incarné par le personnage de Mark Studdock dans That Hideous Strength : le désir de faire partie de quelque chose de plus grand, de meilleur, de plus influent, de plus sophistiqué – d’être à l’intérieur, d’être au courant, de pouvoir faire des clins d’œil et des coups de pouce et de partager un rire aux dépens de ces étrangers incultes et ignorants (dont vous faisiez peut-être partie il y a à peine cinq minutes). Bien sûr, comme tous les désirs désordonnés, le désir de faire partie du cercle privilégié est toujours inassouvi, car il semble y avoir toujours un cercle plus privilégié, une clique de vrais influenceurs parmi les influents. Mais cela ne nous empêche pas de penser qu’au prochain virage, après la prochaine promotion, nous serons arrivés. « Ce désir, écrit Lewis, est l’un des grands ressorts permanents de l’action humaine… Si vous ne prenez pas de mesures pour l’empêcher, ce désir sera l’un des principaux motifs de votre vie, depuis le premier jour où vous entrerez dans votre profession jusqu’au jour où vous serez trop vieux pour vous en soucier. »

Il n’est certainement pas trop charitable de noter que l’Église catholique romaine semble presque avoir été conçue pour satisfaire au maximum cette impulsion humaine universelle. Avec sa complexe hiérarchie graduée du clergé régulier, du simple curé au conclave des cardinaux à la curie papale, sans parler des innombrables petites hiérarchies de ses innombrables ordres monastiques, chacun avec son propre cercle intérieur, avec son amour du secret et du mystère, avec son ascension graduée de la sainteté du catéchumène au saint à la Sainte Vierge elle-même, l’Église catholique romaine a plus de cercles dans les cercles que le modèle ptolémaïque du cosmos. Contre tout cela, les réformateurs ont protesté avec acharnement en uniformisant radicalement le « sacerdoce de tous les croyants ». Et avec une grande partie de cette protestation, Vatican II a semblé être d’accord à contrecoeur quatre siècles plus tard, de sorte que si l’Église catholique dissimule encore des couches de secret et de hiérarchie, cela est considéré comme un bogue plutôt qu’une caractéristique par beaucoup de catholiques modernes.

Cependant, sur la scène religieuse et politique américaine, le catholicisme a capturé « le CercleIntérieur » d’une nouvelle manière au cours de la dernière génération. Il n’y a pas si longtemps, marginalisés dans la vie publique américaine (John F. Kennedy a dû renier son catholicisme pour se présenter à la présidence), les catholiques romains ont rapidement atteint le sommet du leadership culturel, intellectuel et politique – tant chez les libéraux que chez les conservateurs. Ce changement est symbolisé de façon frappante par la composition de la Cour suprême, qui, depuis 2010, n’a plus qu’un seul juge protestant, et qui compte actuellement six juges catholiques et trois juges juifs1. Parmi les conservateurs politiques et religieux intellectuels et sérieux, les écrivains et les institutions catholiques ont gravi les échelons jusqu’à des postes de direction, du magazine First Things à Robert George en passant par Ryan Anderson. Des amis évangéliques qui travaillent dans la politique conservatrice à Washington DC me disent que presque tous leurs collègues sont catholiques, dont beaucoup sont des convertis récents.


Avec sa complexe hiérarchie graduée du clergé régulier, du simple curé au conclave des cardinaux à la curie papale, sans parler des innombrables petites hiérarchies de ses innombrables ordres monastiques, chacun avec son propre cercle intérieur, avec son amour du secret et du mystère, avec son ascension graduée de la sainteté du catéchumène au saint à la Sainte Vierge elle-même, l’Église catholique romaine a plus de cercles dans les cercles que le modèle ptolémaïque du cosmos.


Une partie de ce changement est sans doute une conséquence réelle du « scandale de l’esprit évangélique » évoqué dans la première partie. Le protestantisme en Amérique a subi un déclin intellectuel précipité au cours du siècle dernier, et nous nous retrouvons à chercher en vain des voix protestantes sérieuses, réfléchies et fondées sur l’histoire pour faire face au chaos sur la place publique et aux confusions éthiques de notre époque contemporaine. Les catholiques romains, en grande partie parce qu’ils ont été forcés de développer des institutions solides pendant leurs années d’exil de la vie publique américaine, ont considérablement mieux surmonté le déclin et semblent maintenant dominer le paysage (bien que du point de vue de l’histoire intellectuelle chrétienne, même eux soient comparativement petits de nos jours).

Cependant, je ne pense pas que cela explique entièrement la situation. Il y a de vrais intellectuels protestants et des institutions d’enseignement protestantes vivantes. Mais soyons réalistes – ils ne sont tout simplement pas aussi habiles, sexy ou sophistiqués que leurs homologues catholiques. Beaucoup d’entre eux sont tachés par l’association avec les passés « fondamentalistes » qu’ils ont essayé de laisser derrière eux, et en effet le profil du converti catholique typique inclut une sorte de passé « fondamentaliste ». Pour beaucoup de jeunes adultes évangéliques qui partent à l’université, qui trouvent leur foi attaquée et qui s’accrochent trop à Jésus pour s’en détacher, le catholicisme romain offre une solution attrayante à leur honte d’avoir reçu une éducation religieuse peu sophistiquée et anti-intellectuelle : ils peuvent rester fidèles mais se sentir intelligents, se sentir liés à quelque chose de plus grand, de meilleur, de plus sophistiqué, de plus lié à l’histoire. Alors qu’ils montent dans leurs études, la pression s’intensifie. Comme me l’a confié un intellectuel protestant de longue date de Washington DC : « Le fait est que si vous êtes à Yale ou à Princeton, il n’est pas cool d’être un protestant évangélique conservateur ; vous serez marginalisé et persécuté. Mais c’est toujours OK, au moins pour le moment, d’être un catholique conservateur. Alors si vous voulez rester conservateur, c’est ce que vous devenez. »

Au sein du Beltway, ou des institutions qui l’alimentent, cette pression s’intensifie encore. Encore une fois, les raisons sont complexes, et je les aborderai davantage dans la quatrième partie de cette série, mais à ce stade de la vie politique de notre pays, si vous voulez être un conservateur chrétien ayant une sorte d’accès aux leviers du pouvoir, une sorte d’influence pour aider à maintenir notre pays sur la bonne voie, le catholicisme romain vous promet votre meilleure chance d’accès à ces corridors intérieurs convoités.

Historiquement, bien sûr, tout cela est tout-à-fait anormal : Les protestants étaient au premier plan de la vie intellectuelle et politique européenne au début de la période moderne, et même les tribunaux catholiques, comme celui de la France, étaient remplis de conseillers et de penseurs de premier plan qui avaient une probabilité disproportionnée d’être protestants. Objectivement parlant, le protestantisme peut placer ses contributions à la théologie, à la philosophie, à la science, au droit, à la politique et à l’art aux côtés de celles de toute autre tradition religieuse et garder la tête haute. Mais en Amérique aujourd’hui, être protestant semble si plébéien, si commun, si ennuyeux, que ceux qui veulent accomplir quelque chose de significatif dans le monde, ou pour le royaume, se tournent naturellement vers Rome pour s’affirmer et accéder à quelque chose de plus élevé.

Conclusion

Chacune de ces trois raisons – la faim d’autorité, le trouble déficitaire de sainteté et l’appartenance à un cercle privilégié – sont de puissants attraits psychologiques. Chacune d’entre elles fait appel viscéralement à quelque chose de fondamental pour la condition humaine, et chacune d’entre elles répond à un manque profondément ressenti, réel ou imaginaire, dans le protestantisme anglo-américain contemporain. Bien qu’elles soient toutes, à mon avis, finalement malavisées, aucune ne doit être prise à la légère. Les pasteurs et les enseignants devraient s’attendre à les rencontrer et à avoir de bonnes réponses à celles-ci. Mais cela ne suffit pas. Le protestantisme américain doit se regarder dans le miroir et se demander pourquoi il est tombé si loin d’offrir des structures d’autorité significatives, des expériences authentiques de sainteté, et le genre de leadership culturel et de sophistication intellectuelle qui attire les meilleurs et les plus brillants. Toutes ces choses dont le protestantisme se vantait autrefois, et toutes ces choses que le protestantisme peut, je crois, offrir de nouveau même à notre époque désenchantée. Mais cela exigera un travail acharné et un examen de conscience, et, plus important encore, le rétablissement d’une crainte saine du Seigneur.

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  1. Neil Gorsuch faisant exception en fonction de comment l’on définit les termes.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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